Français 603 605
Séquence 2 : Le théâtre en crise.
Lecture analytique
Samuel Beckett, Fin de partie, 1957
(Scène d’exposition - l’oeuvre n’est cependant pas découpée en scènes) constituée d’une
longue didascalie dans laquelle le sens est transmis par les éléments de la mise en scène. La
parole apparaît ensuite, secondaire, entrecoupée de silence et lacunaire. L’ouverture
s’apparente à une scène de mime où les personnages n’engagent pas de véritable action. On a,
de plus, le sentiment d’assister à une fin. On peut déjà établir des liens entre ces choix et les
caractéristiques du « nouveau théâtre » défini par Ionesco comme un « anti-théâtre ».
1- Une anti-scène d’exposition
La longue didascalie initiale décrit essentiellement les déplacements et attitudes des
personnages. Le décor est minimal. Aussi, il est difficile de dater ou de situer le lieu de
l’action.
Le lieu décrit ne renvoie pas à un endroit qui pourrait être conforme à une réalité (pièce
identifiable)
Certains signes sont là pour « troubler » la compréhension du spectateur :
« intérieur sans meuble »
« fenêtres haut perchées »
« tableau retourné »
Certains signent renvoient à l’idée « d’enfermement » :
« Lumière grisâtre »
« rideaux fermés »
« recouvert d’un vieux drap »
Ces éléments relèvent également d’une situation absurde (absence de sens apparent).
Les draps qui recouvrent les poubelles ou le personnage. L’utilisation d’un escabeau pour tirer
les rideaux, le tableau retourné.
Concernant l’époque, elle ne peut être clairement datée.
Les personnages
Là encore, leur identification n’est pas possible. On peut se demander qui ils sont.
Seuls quelques éléments sont fournis pour Hamm :
« En robe de chambre...calotte en feutre...d’épaisses chaussettes aux pieds »
Là encore, rien de conforme à une réalité que l’on pourrait identifier.
Concernant les relations entre les personnages, on peut noter que Clov semble être une
sorte de domestique au service de Hamm :
« ...je regarderai le mur, en attendant qu’il me siffle »
« (Il donne un coup de sifflet. Entre Clov aussitôt)
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Lecture analytique
« prépare moi je vais me coucher »
Cette relation donne une vision négative des rapports humains. Hamm siffle Clov comme
on siffle un chien.
Cette manière de nier le langage se retrouve dans le caractère laconique et entre coupée des
pliques. Les personnages se parlent à eux mêmes plutôt qu’ils ne se parlent l’un l’autre.
Ajoutons à cela l’apparente incohérence de leur propos qui ne révèle en rien l’action qui
« devrait » se préparer. De même, à la fin de la scène la parole semble s’amenuiser pour
s’achever sur « zéro ».
Concernant l’action engagée, elle paraît absente ou très limitée. L’ouverture sur une
scène de mime invite le spectateur à s’interroger sur les motivations de Clov. Ce dernier tire
les rideaux et découvre Clov, toutefois ce dernier souhaite retourner se coucher à la fin de
l’extrait.
Ainsi, le conflit à venir n’est pas explicité. Les personnages révèlent néanmoins l’attente
d’une fin, ce qui apparaît paradoxal.
« Fini, c’est fini, ça va finir... »
« ...il est temps que cela finisse »
Nous pouvons dire que la notion même du temps (et donc de la possibilité de l’action est
niée) :
« Quelle heure est-il ? »
« La même que d’habitude »
Enfin, pour achever cette négation des conventions théâtrales, on peut relever
l’intervention de Hamm, qui créé ainsi une mise en abyme, refusant au spectateur la
possibilité « d’entrer » dans l’illusion théâtrale.
Hamm.-A- (bâillements)-à moi. (Un temps) De jouer
Transition :
L’ouverture de Fin de partie ne répond par aux attentes d’une scène d’exposition
conventionnelle. Toutefois, ce théâtre de mise en scène, le corps joue son rôle primordial
de « signe » est porteur d’une signification plus profonde. En cela, le mélange des registres
comique et tragique exprime une vision particulièrement négative de la condition humaine.
2 Le mélange des registres comique et tragique
Dans la mesure le spectateur ne parvient pas à donner du sens à cette ouverture, l’effet
produit peut être le rire ou au contraire une certaine interrogation ou inquiétude.
L’action s’engage sans paroles sur un long temps que l’on peut rapprocher d’une scène de
mime (longue didascalie)
Le déplacement du personnage avec son escabeau, « démarche raide et vacillante » peut
faire songer à un numéro de cirque qui fonctionne sur le comique de geste et de répétition
(caractère absurde également).
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Séquence 2 : Le théâtre en crise.
Lecture analytique
De même certains éléments comme le « tableau renversé » ou l’autre personnage recouvert
d’un drap blanc peut créer un effet d’insolite et de comique.
Notons, de plus, que cette scène décrite dans la didascalie est entrecoupée de « rire bref »
Le registre comique est de même perceptible dans la façon dont Hamm et affublé et décrit
dans les didascalies :
« robe de chambre...calotte en feutre...sifflet pendu au cou...plaid sur les
genoux...épaisses chaussettes aux pieds »
Ajoutons que l’incohérence apparente de ses propos peut également, dans un premier temps,
susciter le rire, ainsi que le coup de sifflet utilisé pour appeler Clov.
Ainsi, comme pour le rejet des conventions théâtrales, l’hésitation du spectateur quant
à l’identification du registre de la pièce, accentue le caractère d’étrangeté de « l’action » qui
s’engage, bouleversant les repères habituels.
En effet, on peut également déceler l’atmosphère tragique de la pièce dans un certain nombre
d’éléments.
Tout d’abord, ce tragique est perceptible dans les choix de la mise en scène, puis dans la
relation entre les deux personnages.
Le décor très dépouillé, la « lumière grisâtre », les « rideaux fermés »
L’impression d’enfermement subi par les personnages, « fenêtres haut perchées », Hamm
recouvert d’un drap. Les paroles de Clov :
« ...dans ma cuisine, trois mètres sur trois mètres... »
« Je regarderai le mur »
Certains éléments de même peuvent se lire comme des signes négatifs :
« le mouchoir tâché de sang »
« le drap qui recouvre Hamm » (linceul ?) (rapprochement avec les poubelles)
Les lunettes noires de Hamm ; sa difficulté à s’exprimer...
Les thèmes du temps et de la souffrance (cf. lexique-métaphore-modalité interrogative)
Conclusion :
Dans cette ouverture, sont niées les principales conventions théâtrales, c’est-à-dire la
négation de l’action, du temps et du lieu. L’auteur met en scène deux personnages dont les
actes et les paroles semblent dépourvus de sens et de motivations. Sur un registre à la fois
tragique et comique, Hamm agonise et attend la mort tout en exerçant sa tyrannie sur Clov.
Illustrant l’idée que « l’homme n’est que son corps, Samuel Beckett livre une vision très
négative de la vie peu à peu ruinée par le temps, tout en exprimant sa conception du genre.
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