Composition à partir d’un ou plusieurs textes d’auteurs Épreuve dite de « didactique » I Considérations générales sur le sujet et les copies Le texte unique qui constituait le support et la manière dont le libellé demandait de l’envisager – « comme une œuvre intégrale » – ouvraient aux candidats un vaste espace de réflexion, qu’ils n’ont pourtant pas toujours exploité, se repliant parfois frileusement derrière des présupposés, des habitudes et des poncifs qui limitaient d’emblée leur champ d’investigation. Or, rappelons-le, comme l’ont fait les précédents rapports, c’est bien la singularité du corpus qui doit guider la réflexion des candidats. Néanmoins, l’originalité n’avait ici rien de surprenant au regard de l’épreuve proprement dite, « composition à partir d'un ou de plusieurs textes de langue française du programme des lycées ». La situation didactique était tout aussi courante. Il s’agissait bien en effet de construire « un projet d’ensemble à l’intention d’une classe de Première » à partir d’un texte long, pris dans son intégralité : le prologue de la pièce d’Apollinaire, Les Mamelles de Tirésias, dont la première représentation date du 24 juin 1917. Il s’agissait ensuite d’en présenter « les modalités de mise en œuvre ». Pourtant, certains candidats, émus par les circonstances ou prisonniers de stéréotypes, ont mal saisi libellé et support. Ils ont abordé le texte en tant que « prologue », c’est-à-dire en tant que « préface » ou « avant propos », l’étymologie consciencieusement donnée venant confirmer leur point de vue mais aussi leur erreur de lecture du paratexte même. Occultant le mot « prologue », d’autres ont pensé au contraire qu’il s’agissait d’une « scène d’exposition », cherchant alors dans le monologue du Directeur de la troupe les indices occasionnels d’une impalpable intrigue et d’une improbable psychologie. Comme il se doit puisqu’il s’agit de l’étude d’une œuvre intégrale, le libellé ne précisait pas l’objet d’étude de référence. Il appartenait aux candidats de faire des propositions adéquates. De là à envisager, comme l’ont fait certains, qu’il était possible d’aborder successivement tous les objets d’étude au programme de la classe de Première, il y avait un pas que ni le texte ni la nature de l’épreuve n’autorisait à franchir. Ceux qui l’ont fait ont couru le risque de perdre toute cohérence et ont renoncé à toute profondeur dans le traitement littéraire du sujet. Au-delà de ces erreurs, qui relèvent peut-être d’une lecture trop rapide ou trop superficielle du sujet, le texte lui-même semble avoir posé problème aux candidats. Peu connu, surprenant par sa nature insolite, le prologue de la pièce Les Mamelles de Tirésias leur a fait peur : ils ont tout simplement oublié de le regarder en face. Certains ne se sont même pas aperçus qu’il s’agissait d’un texte de théâtre ; d’autres n’ont pas vu qu’il était traversé d’images et qu’un souffle poétique l’animait. Hélas ! Toute fuite devant le texte est rédhibitoire en termes d’analyse aussi bien qu’en termes de construction didactique. Toute dérobade en matière de réflexion littéraire condamne les candidats non pas parce que l’épreuve serait une dissertation littéraire déguisée, mais parce qu’il s’agit de construire un projet cohérent et ambitieux. Faute de se confronter au texte et aux concepts littéraires qui le sous-tendent, de nombreux candidats ont conçu un projet étriqué ou bien inadapté. Voulant sans doute se sécuriser, beaucoup sont allés chercher de possibles justifications hors du texte : dans la vie de l’auteur, dans son expérience de la première guerre mondiale. Ils ont ainsi défini le prologue comme une autobiographie, bien que rien n’indiquât que le « je » du personnage fût aussi Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky et surtout sans même s’apercevoir que la situation énonciative caractéristique de l’autobiographie était incompatible avec celle du théâtre. Le recours à la biographie d’Apollinaire a conduit les candidats à une autre impasse : celle de l’argumentation, qui fait d’Apollinaire un « poète engagé » et du prologue « un poème engagé contre la première guerre mondiale » ou bien «l’instrument d’une action militante contre la guerre » ou bien encore « un éloge à la gloire des soldats français ». Le prologue, dont le but serait de « dénoncer la guerre », a très étrangement été compris comme une « fable », un « apologue », une « parabole », un « plaidoyer » ou a contrario un « réquisitoire », un « conte philosophique », un « conte merveilleux » et même un « conte de Noël », rapproché sans peur de l’anachronisme de Nuit de Noël, le film de Christian Cairon, 1/13 sorti sur les écrans en 2006. Et voici Apollinaire comparé à Voltaire et le prologue à Candide, plusieurs fois cité. Et voici Apollinaire transformé en moraliste et le prologue en récit qui « illustre et dénonce la modernité meurtrière des canons ». Et voici le dessein d’Apollinaire comparable à celui des « poilus » écrivant à leurs familles. Les candidats forgent ainsi une logique de causalité1 ici infondée. Le raisonnement fonctionne à vide et ne résiste pas à l’analyse du texte, qui n’est pas un document sur l’histoire. Si le mélange des genres est présent dans le prologue, on s’étonne de celui fait par les candidats dans les copies. D’importantes confusions sont commises, à commencer par celle, très répandue, qui fait de l’argumentation un genre. La faiblesse des connaissances en matière de genres littéraires paraît ici bien alarmante et débouche sur d’insoutenables incohérences et contresens. Sans doute ne faut-il pas se lasser de répéter que la force du projet trouve sa source dans la qualité de la lecture littéraire faite par le candidat. Cette exigence doit être remplie pour que deviennent tangibles la cohérence, la finesse et l’ambition de la construction didactique proposée. Osera-t-on préciser aussi que de nombreuses méprises entachent les copies en matière d’histoire littéraire, comme si les candidats perdaient soudain tout sens de la chronologie et tout savoir sur les courants. La lecture des pièces de Molière les aurait-elle à ce point hantés qu’ils voient dans le prologue une « comédie ballet » et dans Boileau et d’Aubignac les adversaires d’Apollinaire, faisant fi de deux siècles et demi d’histoire théâtrale ? Demander aux élèves d’écrire un dialogue entre l’abbé d’Aubignac et le Directeur de la troupe paraît cocasse. Mais combien de fois a-t-on trouvé dans les copies la référence à « la règle des trois unités », que romprait Apollinaire ? Combien de fois le théâtre du XVIIe siècle est-il devenu la norme référentielle, comme si n’avait eu lieu aucune fameuse bataille et comme si régnait toujours, en 1917, la tragédie classique ? Et que dire de ceux qui font du prologue – et donc de la pièce Les Mamelles de Tirésias – une pièce « baroque » ? On pourrait assurément voir dans cet adjectif, dont l’emploi est aujourd’hui galvaudé, un abus de langage. Mais les références à Shakespeare et à Calderon de la Barca sont là pour confirmer l’erreur référentielle2. Le court-circuitage temporel est tout aussi étrange dans le domaine contemporain. S’il est inopportun, mais non anachronique, de parler pour le prologue de « pièce symboliste »3, il est pour le moins surprenant de constater que pour de nombreux candidats le « théâtre de la cruauté » d’Antonin Artaud4 inspire Apollinaire. Eugène Ionesco, Samuel Beckett, le théâtre de l’absurde l’accompagnent aussi gentiment. Bertolt Brecht5 devient même la figure tutélaire du Directeur de la troupe et peu s’en faut qu’il ne sorte les panneaux explicatifs chers au dramaturge allemand. Et que penser de l’influence qu’exerceraient sur Apollinaire Ariane Mnouchkine et le théâtre du Soleil ? Cette remarque n’est pas suffisamment isolée pour ne pas être signalée. En revanche, aucune allusion à Alfred Jarry et à son Père Ubu, dont le grotesque et les facéties de potache ne sont guère éloignés du cri : « Au collimateur à volonté » et des vers qui le suivent : « Les pointeurs pointèrent / Les tireurs tirèrent ». La méconnaissance de l’histoire du théâtre laisse pantois. Les travaux prennent dès lors la forme d’un fourre-tout dans lequel les candidats déversent en vrac et sans regard critique des bribes de savoir. Il paraît donc indispensable qu’ils prennent soin de conforter leurs connaissances en matière d’histoire littéraire. Sans documents, une telle précision n’était pas attendue. On pouvait néanmoins attendre que incohérences et anachronismes fussent évités. Rappelons donc ici qu’en 1917, les salles de spectacle donnent à voir : Des pièces récréatives, destinées aux permissionnaires et à leurs familles : elles ont pour but de divertir, de faire rire, souvent grassement, pour oublier les difficultés et malheurs nés de la guerre. Le vaudeville et le théâtre de boulevard se développent toujours. Les pièces de Labiche, Feydeau ou Exemples : « Apollinaire, lui-même blessé au combat, fait le récit d’une nuit vécue au front pour dénoncer les horreurs de la guerre » ; « Parce qu’il a fait la guerre et en a vu les horreurs, Apollinaire les dénonce dans son prologue » 2 Le théâtre baroque et les auteurs cités incarnent une conception de la mimesis qui n’est pas celle du prologue. 3 Surtout lorsque Claudel et Tête d’Or sont au programme du concours. 4 Première œuvre : L’ombilic des limbes en 1925 ; Le Théâtre et son double en 1938. 5 Première pièce : Baal en 1918 ; grandes pièces comme La Mère Courage, après la seconde guerre mondiale. 1 2/13 Courteline sont encore souvent données. L’opérette occupe aussi une bonne place parmi les spectacles proposés. La comédie populaire et légère, souvent grivoise, domine sur les scènes parisiennes. Des pièces naturalistes, inspirées des thèses de Zola : elles ont pour but de reproduire la nature humaine, au plus près de sa vérité scientifique. Le metteur en scène André Antoine, fondateur du théâtre du Théâtre-Libre en 1887, fait école pour chercher les « détails vrais », dans le cadre d’une « dramaturgie expérimentale » qui reproduit « une tranche de vie ». Henry Becque est l’auteur le plus représentatif et le plus représenté de cette tendance. Des pièces symbolistes : elles fuient le réalisme et les péripéties de l’intrigue caractéristiques du théâtre naturaliste. Elles se veulent intemporelles, mettant à nu des vérités éternelles et des êtres tourmentés, en quête de grands idéaux. Le refus du réalisme débouche sur une mise en scène suggestive et un jeu désincarné dont Lugné-Poé et le Théâtre de l’Œuvre sont les représentants. Maeterlinck et Claudel sont les auteurs emblématiques de ce courant. Pour mémoire, précisons également que la pièce Les Mamelles de Tirésias a été donnée pour la première fois le 24 juin 1917, au théâtre Maubel, rue de l’Orient à Montmartre. La représentation constitue le point d’orgue d’une série de manifestations (conférences, débats, matinées littéraires et musicales) organisées, depuis Noël 1916, par la revue SIC6 de Pierre Albert-Birot7. À l’affiche, les noms de Serge Férat (décors et costumes), Germaine Albert-Birot (Musique8) ; Louise Marion, Jean Thillois (Marcel Herrand à la ville), Yéta Daesslé, Juliette Norville, Howard. Edmond Vallée joue le rôle du directeur de la troupe. Max Jacob est l’un des quatre comédiens9 du chœur. La Première fait date dans l’histoire du théâtre : à la fois hostile et favorable, le public est avant tout surpris et décontenancé. Certaines copies ont très finement exploité le contexte historique et littéraire que l’on ne pouvait globalement ignorer. Citant des passages de Poèmes à Lou, de Calligrammes ou d’Alcools, plusieurs candidats ont judicieusement utilisé leur connaissance de la poésie de Guillaume Apollinaire, « poète de la modernité » et précurseur du surréalisme. D’autres n’ont pas hésité à prendre appui sur la peinture simultanéiste ou cubiste pour mieux étayer leur démonstration. Les meilleures copies sont bien celles dont les auteurs, nourris de littérature, de peinture et de musique, possèdent un bagage culturel solide et suffisamment large pour tisser des liens et donner à leur lecture une hauteur et une richesse qui forcent parfois l’admiration. Insolite, le texte n’en était pas moins exigeant. Il a donc révélé des lacunes inquiétantes dans les savoirs littéraires et la culture générale de nombreux candidats. Les années passant, rares sont les copies qui ne comportent aucun appui sur le texte. Mais beaucoup rencontrent des écueils récurrents d’année en année. C’est tout d’abord, n’ayons pas peur des mots, celui de la paraphrase. Au lieu de l’analyser et de l’interpréter, les candidats glosent le texte. Ils le reproduisent et le recomposent par juxtaposition de citations. Ils produisent ainsi une logorrhée verbale et verbeuse dont le sens n’émerge pas. Peut-être parce que beaucoup de candidats ont eu du mal à se saisir du texte, de nombreuses copies présentaient cette année ce défaut. A contrario, certains candidats se livrent à une analyse minutieuse certes, mais tellement fragmentée et techniciste que le sens ne jaillit pas davantage de leur commentaire. Leurs propos finissent par devenir gratuits. Pour compléter un tableau que d’aucuns jugeront assez noir, il nous faut signaler une expression trop souvent défaillante. Orthographe, syntaxe, incorrections, impropriétés, imprécision du vocabulaire littéraire, barbarismes, etc. Nous ne nous livrerons pas ici à un relevé désobligeant, mais nous attirons l’attention des candidats sur le soin qu’ils doivent apporter à la langue. Le manque de temps pour la relecture ne saurait tout expliquer. Il en est de même pour la présentation des copies. Soucieux sans doute de faire réaliser des économies au Ministère qui leur fournit le papier, certains candidats écrivent, en pattes de mouche, sur toutes les lignes des petits carreaux qui leur servent de guide. Le résultat est illisible ! On peut aussi recommander d’éviter les stylos qui bavent et autres feutres épais dont l’encre 6 Sons, Idées, Couleurs Pierre Albert-Birot (1876-1967) : écrivain, dramaturge et poète français, fondateur de la revue SIC. 8 Il s’agissait d’une musique d’orchestre. La plupart des musiciens étant à la guerre, elle fut jouée au piano par Niny Guyard. 9 À l’exception de Louise Marion, tous les comédiens sont débutants ou amateurs. Apollinaire honore chacun d’eux d’un poème, paru dans SIC le 18 juin 1917 sous le titre « Six Poèmes » et repris dans la préface de la pièce. 7 3/13 déteint d’une feuille sur l’autre. Tout ceci rend la lecture difficile, voire impossible, et assurément dévalorise le travail, malgré toute la mansuétude des correcteurs. Ce constat général étant fait, c’est à la mise en problème du corpus que nous nous attacherons maintenant car là est bien la difficulté majeure rencontrée par les candidats. Sur ce point, le jury est unanime. Cette phase est pourtant capitale. Sans elle, la mise en situation didactique ne pourra pas être progressive, rigoureuse, de qualité. La problématisation est donc, avec la conceptualisation qui l’accompagne, une des exigences fondamentales de l’épreuve. II La mise en problème : « construire un projet d’ensemble » Peu nombreuses sont les copies qui ne présentent aucune réflexion préalable et qui commencent à présenter directement un projet plus pédagogique que didactique dans ce cas. Malheureusement, la réflexion, souvent remplacée par une vaine glose du texte, ne parvient pas toujours à prendre corps. Elle se dissout et occupe presque toute la copie, le candidat n’ayant même pas le temps de mettre en œuvre son projet. Un problème de planification se pose : pléthoriques en leur centre, les copies deviennent expéditives au début et sur la fin. Néanmoins, la plupart des candidats semblent avoir compris qu’une réflexion préalable est attendue. En ceci, on peut dire que les exigences de l’épreuve sont mieux respectées. Pourtant, à l’exception de quelques bonnes ou très bonnes copies, la problématisation s’avère difficile pour les candidats et ne débouche pas vraiment sur un raisonnement progressif et structuré. C’est un point faible, que les correcteurs déplorent unanimement. On ne saurait trop recommander aux candidats de se montrer exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes, en matière d’abstraction et de conceptualisation. On constate que trop de candidats se contentent de formuler une question. Mais certaines interrogations ne sont pas pour autant des problématiques : elles ne renvoient à aucun concept clef. Aussi les candidats restent-ils trop à la surface. Ils ne parviennent pas à trouver la distance conceptuelle indispensable à une réflexion problématisée. Observons donc quelques-unes des questions de problématique trouvées dans les copies et nous verrons vite qu’elles n’ont pas toutes la même pertinence ni la même rigueur. Certaines sont si générales et décalées qu’il est impossible d’y répondre en prenant appui sur le seul prologue. Elles nourrissent un discours verbeux dans lequel le candidat se noie lui-même : - « En quoi l’histoire est-elle indissociable de l’artistique et l’individu du collectif ? » - « Comment l’histoire est-elle régénératrice du théâtre ? » - « Dans quelle mesure est-il possible pour le poète de s’exprimer dans le genre défini par Aristote, alors que la guerre et la mort sont partout ? » - « Comment l’expérience de la première guerre mondiale a-t-elle infléchi la conception du théâtre d’Apollinaire ? » - « Dans quelle mesure l’esthétique de la rupture prend-elle sa source dans l’expérience et le traumatisme de la guerre ? » D’autres sont passe-partout. Elles ne permettent pas une structuration spécifique et débouchent sur la juxtaposition de propos dans une longue énumération qui s’apparente à la liste : - « Quels sont les enjeux du prologue ? » - « Quelle est la nature du prologue ? » - « Quelle est l’originalité du prologue ? » - « Comment le théâtre met-il en scène des moments de vie ? » - « Dans quelle mesure l’art nouveau assume-t-il héritage et modernité ? » D’autres sont formulées d’une manière si complexe qu’elles perdent leur sens. Elles entraînent des propos confus, tantôt vainement techniques tantôt vainement bavards : - « Comment, à travers une superposition de genres et de registres, on nous propose une lecture de l’histoire en marche pour mieux intégrer le poète à la destinée de son pays et à l’évolution d’une esthétique à sa renaissance ? » 4/13 - « Comment dans un système argumentatif un énonciateur emploie-t-il la parole pour dénoncer et justifier un art poétique et met en œuvre l’art de la rhétorique ? » - « Comment par sa composition rhétorique et poétique le locuteur se propose-t-il d’illustrer son but : justifier une nouvelle dramaturgie ? » - « Comment le théâtre est-il un genre qui se construit dans une définition sans cesse modulée ? » - « Comment Apollinaire a-t-il intégré un prologue qui est habituellement à part dans la pièce afin de mélanger argumentation et narration, théâtre et poésie, tradition et normes ? » D’autres sont trop sommaires si bien qu’elles n’amènent pas à une réflexion d’envergure. Elles se soldent par une énumération de procédés techniques vides de sens : - « Quelles sont les fonctions du prologue ? » - « En quoi le texte appartient-il au genre théâtral et en quoi s’en distingue-t-il ? » - « Par quels procédés argumentatifs l’auteur présente-t-il sa critique du théâtre ? » - « Quels sont les rapports que le prologue tisse avec la pièce ? » - « Quel est le rôle du récit de guerre dans le prologue ? » D’autres affichent dès le départ des erreurs manifestes. Les propos tenus par la suite ne font que confirmer les contresens pressentis : - « Quelles ruptures Apollinaire instaure-t-il par rapport au théâtre classique ? » - « Quelle est la légitimité de l’épopée au théâtre ? » - « Comment l’autobiographie nourrit-elle le théâtre ? » - « Comment le théâtre est au service de l’argumentation et comment Apollinaire dénonce la guerre qu’il a vécue ? » - « En quoi le prologue est-il un moyen pour présenter une fable ? » Bien sûr, certaines s’avèrent plus porteuses. - « Comment le théâtre montre en acte l’esprit nouveau qui subvertit les codes traditionnels de la représentation ? » - « Comment ce texte creuset affirme-t-il et construit-il un bouleversement esthétique ? » - « Comment Apollinaire joue-t-il sur les codes du théâtre pour lui donner une dimension poétique ? » - « Comment le dramaturge dépasse et sublime la mimesis et la diegesis ? » - « Comment Apollinaire interroge-t-il l’illusion théâtrale et l’éprouve-t-il sous nos yeux ? » - « Comment la théâtralité, mise au travail par la porosité des genres et des registres, permet d’élaborer et de mettre en évidence une esthétique propre à Guillaume Apollinaire ? » On les trouve dans les bonnes et très bonnes copies. Ainsi certains candidats ont-ils pu unir, dans une progression cohérente, les différents éléments restés épars dans beaucoup de copies et intégrer les dimensions humoristique et poétique du texte, restées invisibles à beaucoup. Examinons donc de plus près les possibilités offertes par le prologue de la pièce Les Mamelles de Tirésias, dans l’optique d’une mise en problème aidant à la construction d’un projet d’ensemble. Les Mamelles de Tirésias est défini par Apollinaire comme un « drame surréaliste en deux actes et un prologue ». Forgé à partir du substantif « réalisme » et de l’idée de « réalité », ce néologisme, parfois écrit par Apollinaire lui-même sous la forme « sur-réalisme », affiche comme premier le problème des rapports entre la création et la réalité, renvoyant donc à la notion de mimesis posée par Aristote. On se demandera donc quelle conception de la création se dégage du prologue et quel lien elle entretient avec la réalité. Sur ce point, le prologue fournit suffisamment de précisions : « Car le théâtre ne doit pas être un art en trompe-l’œil » (vers 91) ; « Non pas dans le but / De photographier ce que l’on appelle une tranche de vie / Mais pour faire surgir la vie même dans toute sa vérité » (vers 103 à 105). Tout ceci s’oppose à « l’art théâtral sans grandeur sans vertu » (vers 5), « Art calomniateur et délétère » (vers 7). Apollinaire ne conçoit donc pas la création comme une imitation de la nature, pas plus qu’elle n’est sa stylisation ou son idéalisation. Il refuse les trois types d’imitation définis par Aristote (les choses comme elles sont, comme on les dit, comme elles devraient être). Il rompt avec un art théâtral qui se réclame de la mimesis soit en cherchant à reproduire au plus près la nature soit en cherchant un idéal et des vérités éternelles. 5/13 Apollinaire s’affirme comme anti-naturaliste et anti-symboliste. Il l’affirme au vers 70 : « On tente ici d’infuser un esprit nouveau au théâtre ». Dans le contexte du prologue, le terme surréaliste a un sens plus restreint que celui que lui donneront Breton et ses disciples, même si ces derniers sont dans la salle pour la Première et s’ils se réfèrent plus tard à certaines idées d’Apollinaire, notamment pour les provocations qu’elles permettent. « Surréalisme » désigne simplement ici une forme d’expression qui repousse l’imitation photographique de la réalité en même temps que la création de symboles. L’idée d’écriture automatique est absente, comme l’indique la référence au « dieu créateur / Qui dispose à son gré » (vers 100-101). Pour Apollinaire, il s’agit de s’éloigner de la reproduction servile. Il souhaite créer une nouvelle réalité au-delà des apparences. Comme imprimée au-dessus de la réalité vue, elle dit et montre la vie dans sa totalité et non pas seulement « une tranche de vie » (vers 104) comme peut le faire le théâtre naturaliste (vers 105 à 111 « Mais pour faire surgir » … « de ce qui s’est jadis passé »). Sa matière est donc faite de surprises, de contrastes, d’incessantes transformations. Elle embrasse tous les espaces, tous les temps, tous les hommes, toutes les cultures et toutes les civilisations, c’est-à-dire tout le foisonnement chaotique de la vie. Elle revêt une apparence étrange et incohérente qui paraît fausse, mais qui est justement celle de la vie. Si donc l’on peut parler de « réalisme » chez Apollinaire ? c’est d’un réalisme « plus réel que la réalité », selon l’expression de Picasso. La liberté du créateur, ce démiurge qu’évoque le directeur de la troupe dans le prologue, est donc absolue. L’art théâtral lui offre la possibilité de transformer un espace scénique en « univers complet » (vers 106). C’est donc au-delà des apparences burlesques et de l’exubérance qu’il faudra chercher le sens de ce prologue pour mieux comprendre la nouveauté qu’Apollinaire imprime au théâtre et à la poésie. On se demandera donc dans un second temps quelles sont les conséquences esthétiques d’une telle conception de la création et quelle définition de l’art théâtral donne Apollinaire. Les nombreux impératifs et tournures d’obligation donnent au texte une valeur injonctive forte. On pourrait parler de « manifeste » pour ce prologue, même si Apollinaire se défend de vouloir faire école et si, de fait, il ne fut guère suivi. L’art théâtral constitue en effet le sujet du prologue qui propose une réflexion sur le théâtre en même temps qu’il la représente sur scène. Spectaculaire mise en abyme d’une esthétique qui se définit en se montrant ! Le prologue constitue le lieu à la fois théorique et pratique de la « rénovation théâtrale » et de « l’esprit nouveau » qu’Apollinaire appelle de ses vœux. De la même façon que l’on parle « d’art poétique » ? on pourrait donc parler ici « d’art théâtral », le prologue en donnant une définition en acte. À la fois démonstration et monstration d’une certaine conception de la création, il revêt une double valeur programmatique : par rapport à la pièce, dont il est l’ouverture ; par rapport à l’esthétique, dont il est la proclamation théorique. Placé sous le signe d’une tension dialectique entre l’imaginaire et les paramètres spatio-temporels qu’impose le monde matériel, le prologue expose sur scène un art d’avant-garde qui se caractérise par : Une dramaturgie universelle : l’art théâtral montre la vie dans sa totalité et sa complexité, donnant ainsi à la dramaturgie une valeur universelle. La scène devient, comme il est dit dans le prologue, « un univers complet » et non pas une « tranche de vie ». Le foisonnement de la vie s’exprime par une esthétique de la diversité, de la variété, du mélange, voire du métissage qui intègre toutes les cultures et traduit l’élan vital. Les moyens utilisés sont donc particulièrement variés. Ils brisent le cadre de la scène, bousculent les habitudes et les conventions, repoussent les limites de l’art théâtral conventionnel. Un art hybride et surprenant : du fait même de la diversité qui le nourrit, l’art théâtral s’affirme comme un art hybride. La juxtaposition d’éléments dissemblables en constitue le principe de fonctionnement. Se côtoient sur scène et dans le langage les traditions les plus anciennes (Tirésias) et les nouveautés les plus contemporaines (obus, guerre). Se mêlent les genres et les registres (vers 86 : « Les changements de ton du pathétique au burlesque ») ainsi que les différents arts (vers 80 à 83 : « Mariant souvent sans lien apparent comme dans la vie / Les sons les gestes les couleurs les cris les bruits / La musique la danse l’acrobatie la poésie la peinture / Les chœurs les actions et les décors multiples »). La disparate apparaît dans les personnages de la pièce10 et du prologue même : le directeur équipé de sa canne de tranchée et sortant du trou du souffleur est à la fois le soldat, le souffleur, le régisseur, le 10 Tirésias/Thérèse ; le mari qui donne naissance aux enfants. 6/13 dramaturge et finalement le poète. On a souvent employé l’expression « art total » pour parler de l’esthétique des Mamelles de Tirésias. Peut-être l’expression contemporaine « art du spectacle vivant » rendrait-elle mieux la réalité de la scène apollinarienne. Que l’on songe, pour comprendre cette esthétique de la juxtaposition, aux peintres simultanéistes11 et cubistes12 qu’Apollinaire a soutenus et avec lesquels il a travaillé. On saisira mieux l’étrangeté de cet art qui offre au spectateur une représentation surprenante et déconcertante. C’est ce qu’Apollinaire appelle « l’esprit d’avant-garde », dans la revue SIC de Pierre Albert-Birot. Un art jubilatoire et tragique : contrastes, surprises, exubérance incohérente déclenchent le rire, parfois proche de celui de la farce. Sur scène s’entrecroisent en effet la convenance et la disconvenance. La visée et l’argument présentés sont moraux (« Je vous apporte une pièce dont le but est de réformer les mœurs » vers 57 ; « Et faites des enfants vous qui n’en faisiez guère » vers 69), mais les ruptures, voire les provocations ne sont pas absentes. Même au moment le plus pathétique, surgit le comique trivial : « Au collimateur à volonté / Les servants se hâtèrent / Les titreurs tirèrent / Les pointeurs pointèrent » (vers 43 à 46). Ce rire jubilatoire devient libérateur. Mais il remet en cause l’idéalisation de l’homme, désormais présenté dans l’ambiguïté tragique de sa nature. Un théâtre de poésie : hybride, jubilatoire en même temps que tragique, l’art théâtral d’Apollinaire devient poésie et non pas seulement poétique, même si une telle connotation est présente dans le prologue. On se souviendra en effet que le principe du rapprochement d’éléments dissemblables est aussi celui de la métaphore et de l’écriture poétique. L’esthétique multi-sensorielle participe donc à l’émergence d’un nouveau langage où le signe perd son arbitraire rassurant, où le rapport signifiant/signifié est changé : conventions, gestes, accessoires et mots prononcés prennent un autre sens que celui qui est habituellement donné à voir et à entendre. Le prologue n’est donc pas seulement, un manifeste théâtral ; c’est aussi une poésie en acte. « Art théâtral » dans sa visée, il est aussi un « art poétique » dans sa forme et son essence. On se demandera donc, dans un troisième temps, comment le prologue s’érige en poème pour devenir une poésie en acte, un« poème ardent »13. On est de fait interrogé par la présence, à l’ouverture du prologue, du récit d’une nuit étoilée dont les astres sont attaqués par les canons ennemis (vers 11 à 54). Si cette partie touche particulièrement les spectateurs de 1917 en raison de la part d’actualité qu’elle comprend, elle dépasse très largement le temps clos d’une époque pour atteindre une a-temporalité mythique que soulignent « la voix du capitaine inconnu qui nous sauve toujours » (vers 40), la métaphore filée des étoiles et l’omniprésence des images stellaires, dont on sait qu’elles occupent une grande place dans la poésie d’Apollinaire. La réalité vécue est ici transfigurée par le pouvoir des mots et glisse peu à peu vers la poésie : rimes, assonances, alexandrins sont là pour l’affirmer de même que la présence des registres pathétique et lyrique et la métaphore filée du feu qui traverse tout le prologue (« enflammaient », « étoiles toutes fumantes », « flammes sublimes », flamber », « torche inextinguible du feu nouveau »). Tout au long du prologue, le texte se cite lui-même, la métatextualité reliant ainsi la poésie du récit à celle du théâtre. Les métaphores sont filées ; les images sont reprises du début à la fin ; les vers se répondent en écho : « Un soir que dans le ciel le regard des étoiles / Palpitait comme le regard des nouveaux nés » (vers 13-14) // « Et que le sol partout s’étoile de regards de nouveau-nés / Plus nombreux encore que les scintillements d’étoiles » (vers 66-67) ; « J’ai retrouvé ma troupe ardente (vers 2) // « De vous hausser jusqu’à ces flammes sublimes / Et de flamber aussi » (vers 119-120). C’est donc bien une écriture poétique qui est à l’œuvre. Transcendant et transfigurant les mots, le dramaturge devient poète et son théâtre est poésie. Plus largement encore, l’intertextualité relie le prologue à l’œuvre poétique d’Apollinaire, ellemême habitée par les images stellaires. Que l’on songe à certains titres de sections du recueil Calligrammes : (« Lueurs de tirs », « Obus couleur de lune », « La tête étoilée »). Que l’on songe à 11 Sonia et Robert Delaunay par exemple. Picasso, bien sûr, mais aussi Braque, Léger, Picabia. 13 Expression employée par le critique René Wiser dans le journal L’Heure le 26 juin 1917. 12 7/13 certains poèmes de Calligrammes (« La nuit d’avril 1915 »14, « Madeleine »15, « À Nîmes »16, « Tristesse d’une étoile »17) ou de Poèmes à Lou (« Nos étoiles »18, « Le ciel est étoilé »19, « Lou mon étoile »20). Apollinaire lui-même n’est-il pas désigné comme « Le Poète au front étoilé » ? De plus, la métaphore de la naissance traverse le prologue et l’unifie : la naissance des enfants éclaire et dit celle d’un art nouveau qui unit dans un genre hybride théâtre et poésie. Le spectateur, dès lors, devient « la torche inextinguible du feu nouveau », c’est-à-dire celui qui découvre les « astres intérieurs » qui alimentent le feu de cette création. Même si certains sont parvenus, avec beaucoup d’habileté et de pertinence, à citer des poèmes d’Apollinaire, on ne pouvait exiger des candidats autant de précision que n’en fournissent les notes, destinées à informer les lecteurs. On pouvait néanmoins attendre que la dimension poétique du prologue et la poésie d’Apollinaire ne fussent point occultées. C’est à partir de cet ensemble problématisé et conceptualisé que se fera la mise en situation didactique, que le libellé désigne comme étant les « modalités de mise en œuvre ». Sur ce point, les copies appellent un certain nombre de remarques que nous ferons avant de proposer quelques pistes d’organisation. III Mise en situation didactique : « les modalités de mise en œuvre » Constatons tout d’abord avec satisfaction que les candidats respectent, à quelques exceptions près, les étapes incontournables de la mise en situation didactique : prérequis, objectifs articulés aux programmes et aux objets d’étude, prolongements sont exposés, de façon plus ou moins adroite et cohérente certes, mais sans omission. Ces éléments introduisent et complètent le cœur d’une « séquence » désormais présente dans toutes les copies. Soulignons également que les candidats parviennent à circonscrire la séquence en quatre à six séances. Rares sont les copies qui excèdent cette durée ; plus rares encore celles qui n’exposent que deux ou trois séances, alors démesurées. Il y a peu encore, les rapports de jury signalaient des disproportions21 que l’on ne retrouve pas cette année. De même, notons la volonté positive de prendre appui sur le texte lui-même. De très nombreuses copies prévoient des séances de lecture analytique ; certains passages ciblés sont travaillés avec précision. Des travaux d’écriture et d’évaluation sont également présentés, même si certains candidats ont été desservis par une mauvaise connaissance des programmes et des exercices d’écriture liés aux épreuves anticipées de français22, notamment pour ce qui concerne l’écriture d’invention23. De façon générale, les candidats semblent avoir saisi l’organisation d’ensemble et les composantes de la séquence didactique. 14 « Le ciel est étoilé par les obus des Boches/La forêt merveilleuse où je vis donne un bal/La mitrailleuse joue un air à triples croches/Mais avez-vous le mot/ Eh ! oui le mot fatal/ Aux créneaux Aux créneaux Laissez là les pioches// Comme un astre éperdu qui cherche les saisons/Cœur obus éclaté tu sifflais ta romance/Et les mille soleils ont vidé les caissons/Que les dieux de mes yeux remplissent de silence/Nous vous aimons ô vie et nous vous agaçons. » 15 Il s’agit d’un calligramme composé à partir du dessin d’une étoile. (Calligrammes, « Cases d’Armon »). 16 « Mais ce pâle blessé m’a dit à la cantine /Des obus de la nuit la splendeur serpentine » 17 « Une belle Minerve est l’enfant de ma tête/Une étoile de sang me couronne à jamais… » 18 « Et je cherche au ciel constellé/Où sont nos étoiles jumelles/Mon destin au tien est mêlé/Mais nos étoiles où sont-elles/ O ciel mon joli champ de blé. » 19 Apollinaire y reprend une partie de « La nuit d’avril 1915 », notamment la première strophe « Le ciel est étoilé par les obus des Boches… » 20 « … Je ne vois que l’étoile que j’aime/Elle est la splendeur du firmament/Et je ne vois qu’elle/…Mais voici/Les gerbes des obus en déroute/Qui me voilent/Mon étoile/Je baisse les yeux vers les ténèbres de ma forêt… » 21 «…des séquences composées de huit séances ou bien de trois séances identiques ». (2003.) 22 BO N°26 du 28 juin 2001 pour cette année ; BO N° 46 du 14 décembre 2006 à partir de l’année prochaine. 23 Pour ce type d’exercice, au moment de l’épreuve : écriture d’un article (éditorial, article critique, article polémique, droit de réponse) ; l’écriture d’un dialogue ou d’un monologue délibératif ; écriture d’une lettre dont les destinataires seront définis : lettre personnelle à destinataire précis, lettre ouverte, lettre au courrier des lecteurs etc. 8/13 Malgré ces efforts, tangibles cette année, ils achoppent encore lourdement sur la progressivité et la mise en cohérence de la séquence. L’enchaînement des séances constitue pour eux une difficulté majeure, largement répandue. Le plus souvent, les séances sont juxtaposées et l’on ne décèle pas suffisamment – ou pas du tout – le fil conducteur qui les relie. La séquence ressemble plus à une suite de séances accolées et sans lien qu’à une véritable progression inscrite dans un projet. Seules les bonnes copies échappent à cette règle. L’impression de morcellement, d’amalgame aléatoire et décousu est fréquente. Elle nous conduit à insister sur cette insuffisance, conséquence immédiate d’une problématisation et d’une conceptualisation défaillantes. La difficulté à mettre en cohérence fut d’autant plus sensible cette année que le texte était exigeant et complexe. Les candidats ont peiné à développer une pensée homogène et progressive. Ils ont souvent piétiné par manque de distance critique. Rappelons donc avec force la nécessité de construire une pensée appuyée sur une mise en problème rigoureuse et sur des concepts sûrs et adéquats. Sans cette exigence qualitative, la mise en situation didactique reste – et ce fut souvent le cas – un exercice formel obligé. On trouve encore dans certaines copies ce que les rapports déplorent d’année en année : la confusion entre pédagogie et didactique d’une part, la fuite devant la difficulté d’autre part. Évoquer, parfois jusqu’au détail, les conditions matérielles d’exécution, énoncer les questions posées aux élèves, tout ceci relève de la pédagogie, non de la didactique. Poser des questions auxquelles on ne répond pas, donner des travaux mais ne pas les traiter ? tout ceci constitue des dérobades inexcusables. Comment peut-on proposer des travaux d’écriture que l’on serait peut-être incapable de faire soi-même et qu’effectivement on ne concrétise pas ? Il ne s’agit pas de croire que la mise en situation didactique relève de l’utopie. Bien au contraire, l’idée de faisabilité doit demeurer présente à l’esprit des candidats. La tendance au grandiloquent est d’autant plus insupportable qu’elle s’accompagne de propos creux. À titre d’exemple, nous proposerons maintenant quelques pistes pour organiser une séquence que l’on pourrait intituler : Le Prologue des Mamelles du Tirésias ou quand le théâtre devient poésie. Les problématiques liées au prologue recoupent deux objets d’étude du programme de la classe de Première : « Le théâtre : texte et représentation » ; « La Poésie ». Il est possible de les croiser en prenant appui sur l’art théâtral pour « texte et représentation » et sur le récit d’une nuit étoilée pour « la poésie », les notions de métatextualité et d’intertextualité permettant de les relier. Les perspectives « Genres et registres » et « Intertextualité et singularité des œuvres », respectivement appuyées sur l’idée d’effets produits sur le spectateur et sur l’histoire littéraire, s’articuleront en approche dominante et complémentaire. - - L’étude du prologue en tant qu’œuvre brève nécessite que soient élucidés : le lien texte/représentation : à quelles modalités du spectacle le texte renvoie-t-il ? le lien texte/poésie : comment un nouveau langage émerge-t-il ? le lien entre les deux genres : comment théâtre et poésie sont-ils unis ? En termes d’objectifs il s’agit de : mettre en évidence des registres à la fois complémentaires et contradictoires, pathétique et grotesque notamment ; définir l’art théâtral avant-gardiste, en lien avec la représentation ; faire comprendre le fonctionnement du langage poétique, avec la transfiguration par le verbe. La problématique, les perspectives et les objets d’étude retenus amènent à penser que l’étude intégrale du prologue doit prendre appui sur un certain nombre de prérequis concernant : - les genres et les registres : les élèves peuvent et doivent connaître, pour les avoir rencontrés au collège et en classe de seconde, les registres lyrique, comique, tragique. Ceux-ci seront complétés par les registres pathétique et burlesque, le lyrisme étant approfondi. De même, les élèves peuvent et doivent connaître, la comédie et la tragédie. On les amènera à dépasser leur définition habituellement clivée et plus largement celle des genres théâtre et poésie ; - la relation verbal / non verbal qui fait la spécificité du théâtre : pour l’avoir approché au collège et en seconde (et éventuellement dans une précédente séquence consacrée au théâtre), les élèves peuvent 9/13 et doivent être conscients du fait que le texte théâtral est représenté et qu’il sous-tend des partis pris de mise en scène, même en l’absence de didascalies. Une étude plus détaillée permettra de renforcer la capacité des élèves à lire un texte théâtral complexe. Plusieurs possibilités sont offertes pour la place de la séquence dans le projet pédagogique. Cependant, la spécificité même du prologue laisse penser que cette séquence seule ne peut suffire à l’étude du théâtre, pas plus qu’elle ne peut suffire à celle de la poésie. Elle pourrait donc constituer une charnière entre ces deux grands objets d’étude du programme de Première, chacun donnant lieu, par ailleurs, à une séquence spécifique. Il serait bienvenu de situer cette étude d’œuvre intégrale brève après une séquence consacrée au théâtre proprement dit, afin que les élèves aient déjà pu voir des partis pris, et avant une séquence consacrée à la poésie, qui permettrait d’approfondir le but et le fonctionnement du langage poétique. L’étude d’un recueil poétique (Les Illuminations ?) pourrait constituer un prolongement intéressant pour montrer que l’idée de modernité n’est pas liée à une époque, mais au renouvellement que constitue, en soi, le langage poétique24. Bien sûr, il ne s’agit là que de suggestions. Bien d’autres enchaînements de séquences pouvaient être envisagés. On pourrait donner aux modalités de mise en œuvre la progression suivante : Séance 1 : 1 heure : mise en problème et finalisation à partir de la composition du prologue et des registres présents dans le texte. Séance 2 : 2 heures : lecture analytique (vers 57 à 111) : définition de l’esthétique théâtrale d’avant-garde. Séance 3 : 1 heure : évaluation formative25 : réflexion sous forme de plan détaillé de dissertation26 à partir de : « Le théâtre ne doit pas être un art de trompe-l’œil ». Séance 4 : 2 heures : lecture analytique (vers 11 à 54) : le récit d’une nuit étoilée : la poésie au théâtre. Séance 5 : 1 heure : relier les deux volets du prologue : ouverture et clôture du prologue. Séance 6 : 1 heure : contextualisation et réflexion esthétique : lecture expressive de poèmes d’Apollinaire ; lecture d’images (tableaux cubistes, simultanéistes) ou de décors de théâtre ; audition d’un extrait de l’opéra de Poulenc, Les Mamelles de Tirésias. Avant de conclure, penchons-nous d’un peu plus près sur le détail du texte qui a tant posé problème aux candidats. Les explications apportées ci-dessous conserveront volontairement un aspect sommaire et linéaire. Elles ne se veulent nullement exhaustives. Approche globale et finalisation On peut mettre en évidence : Les thèmes apparents : la didascalie initiale renvoie au théâtre proprement dit (« le trou du souffleur » ; « le rideau baissé ») ainsi qu’à l’actualité (« une canne de tranchée à la main »). Elle pose les deux grands thèmes apparents du prologue : le théâtre et la guerre. La composition du prologue : l’unique personnage, le directeur de la troupe, établit dès les premiers mots une connivence avec le public, auquel il s’adresse directement. (« Me voici donc revenu parmi vous » etc.). Les formes de discours que révèle l’énonciation permettent de dégager la composition du prologue : - L’ouverture et la clôture : vers 1 à 10 // vers 112 à 122 : adresses au public. - Le récit vers 11 à 54. - L’art théâtral vers 55 à 111. En revanche, il ne semble guère opportun, comme l’ont fait certains candidats, de prolonger l’étude du prologue par celle de la pièce proprement dite. Cette suite remet en effet en cause la cohérence même de la progression. S’il s’agit d’étudier Les Mamelles de Tirésias – ce qui n’est pas le sujet – il devient indispensable de mettre en problème au regard de l’intégralité de la pièce. Il est alors incohérent de dissocier l’étude du prologue de celle des deux actes. 25 La réflexion doit permettre de faire ressortir, d’une manière délibérative, l’opposition entre le théâtre d’avant-garde défendu par Guillaume Apollinaire et d’autres formes de théâtre, notamment naturaliste et symboliste. 26 Il serait alors possible de confier aux élèves la rédaction de la dissertation en travail personnel. 24 10/13 Le mouvement du prologue : l’exploitation des registres permet de montrer leur mélange et leur progression. Pathétique à l’ouverture avec la référence à une actualité immédiate et douloureuse pour le public parisien de l’époque, le ton glisse vite vers le burlesque avec la situation (les obus ne peuvent atteindre les étoiles) et les grivoiseries qui sous-tendent le thème des naissances, sujet de la pièce. Les nombreux jeux de mots et les accessoires polyvalents confèrent au prologue un caractère ludique et cocasse. Ce rire jubilatoire, qui domine en raison de nombreuses incohérences, jouxte lui-même le tragique lié à la condition de l’homme. Il est ainsi relié à l’expression plus sensible d’une expérience personnelle vécue, source d’images stellaires et de lyrisme. On peut déceler, par glissements successifs des registres, le mouvement suivant : - du pathétique au burlesque ; - du burlesque au tragique ; - du tragique au lyrique. Cette première phase est destinée à finaliser la suite. Il s’agira de comprendre et de justifier un fonctionnement par association des contraires. Un art théâtral d’avant garde : vers 55 à 111 Comme dans le Faust de Goethe, dont Apollinaire se réclamait, le prologue sert à l’auteur à exprimer ses desseins. Il revêt donc une double valeur programmatique au regard de la pièce, dont il fait partie, et au regard de l’art théâtral que veut définir Apollinaire. On remarquera : - l’adresse directe au spectateur, qui est ici l’interlocuteur direct du directeur ; - les nombreuses injonctions et tournures d’obligation ; - les connecteurs logiques et les tournures de causalité (car) ; - les formules équivalant à des sentences ; - la présence d’un vocabulaire technique, lié à la mise en scène et au genre. Tout un ensemble de marques donne donc à ce discours une dimension à la fois explicative et argumentative. Il vise à définir ce qu’est l’art théâtral et à en affirmer le bien fondé. Sont successivement abordés dans ce passage : Les objectifs et le sujet d’une pièce (vers 57 à 69) : « réformer les mœurs », « sujet domestique » « vous mettiez à profit / Tous les enseignements » « ton familier » « amuser » semblent situer le prologue dans la perspective de la comédie qui amuse pour instruire. Un enseignement est immédiatement tiré au vers 69, dans un alexandrin très classiquement coupé à l’hémistiche : « Et faites des enfants vous qui n’en faisiez guère ». Le sujet semble très moral, en lien avec l’actualité et le problème de la dépopulation. Mais, le sérieux est d’emblée mis à distance par « le ton familier ». On ne sera peut-être pas loin de l’esprit gaulois, de l’esprit de Jarry et de ses Ubu, auxquels se réfère Apollinaire. Le théâtre proposé est jubilatoire : c’est celui de la vie et le rire a valeur libératoire et poétique. La poésie est présente, notamment avec l’image des vers 66-67 qui reprend la métaphore des étoiles, filée dans la première partie. D’importantes nuances sont donc apportées à l’adage « amuser pour instruire » auquel on pouvait initialement penser. L’art théâtral proposé ne se rattache pas à la comédie didactique. L’action et les personnages (vers 84 à 91) : la présence d’une histoire narrée fait l’originalité de cet art théâtral. L’action est revendiquée comme indispensable ; l’actualité en fournit le sujet. La pièce répondra à une unité narrative, structurée en tableaux successifs. Si l’action est jugée nécessaire, elle n’inscrit pas pour autant la pièce dans le modèle de la « comédie d’intrigue » ou de la « comédie de mœurs », la notion même de personnage type étant rejetée : « des acteurs collectifs ou non / Qui ne sont pas forcément extraits de l’humanité » (vers 88-89). On est loin du parangon comique d’un défaut. On pense à nouveau à Jarry et au Père Ubu. Sans doute faut-il aussi situer cet art théâtral dans la lignée de Guignol et des spectacles de foire qui ont marqué Apollinaire et qui dominent dans les « matinées récréatives » destinées aux soldats. La pièce, définie comme « drame », est le lieu de rencontre de l’Antiquité, de la culture populaire et de l’avant-garde comme la scène est celui de tous les arts et de tous les moyens possibles. L’espace scénique et les rapports scène / salle (vers 74 à 83) : la réflexion proposée porte aussi sur l’espace scénique. Le directeur oppose « scène ancienne » et « théâtre nouveau ». Celui-ci est défini comme « Un théâtre rond à deux scènes / Une au centre l’autre formant comme un anneau / Autour des spectateurs… » (vers 76-78). La circularité de la scène donne à voir le cercle de l’univers que l’art 11/13 théâtral veut rendre dans sa totalité. Mais elle renvoie aussi à la piste du cirque, où se déroulent les différents numéros. Plusieurs arts y sont convoqués, faisant de la représentation un art hybride fondé sur la juxtaposition : « Mariant souvent sans lien apparent comme dans la vie / Les sons les gestes les couleurs les cris les bruits/ La musique la danse l’acrobatie la poésie la peinture / Les chœurs les actions et les décors multiples » (vers 80-83). Les moyens mobilisés dépassent largement ceux traditionnellement et conventionnellement utilisés au théâtre. C’est ce que le directeur de la troupe appelle « le grand déploiement de notre art moderne » (vers 79). Cet agencement scénique définit aussi de nouveaux rapports entre la scène et la salle. La disposition spatiale modifie la place du spectateur. Celui-ci est désormais « au milieu » du spectacle et vit une expérience multi-sensorielle qui l’implique physiquement. Il devient partie intégrante de la représentation, dont il est un élément constitutif et participatif. La situation et l’énonciation sont en ce sens remarquables : placé en situation classique de monologue, le directeur de la troupe s’adresse directement et nommément au public, identifiable par le « vous » présent sous sa forme directe ou indirecte. À plusieurs reprises, le public est directement interpellé : « Ecoutez ô français la leçon de la guerre / Et faites des enfants vous qui n’en faisiez guère » (vers 68-69) ; « Public attendez sans impatience » (vers 56). « Pardonnez-moi cher public » (vers 113). Il est aussi directement invité à saisir et à transmettre la clarté céleste dont il fait partie : « O public / Soyez la torche inextinguible du feu nouveau » (vers 121-122). Ni l’espace ni les identités ne sont bornés : le spectacle dépasse le cadre de la scène ; les spectateurs font partie du spectacle. Les comédiens eux-mêmes ne sont pas individualisés, à l’image de ce directeur de troupes qui revêt plusieurs identités et fait penser au Monsieur Loyal des parades de cirque. L’hybridation du « drame surréaliste » (vers 86 à 104) : on se trouve de fait dans ce prologue au carrefour des arts, des genres et des registres. Le plus souvent opposés, différents registres se côtoient. Le directeur de la troupe pose lui-même ce mélange comme principe de fonctionnement des deux actes suivants : « Les changements de ton du pathétique au burlesque / Et l’usage raisonnable des invraisemblances » (vers 86-87). Les genres et les registres traditionnels sont donc mêlés. Ils ne peuvent plus être définis de manière nette et clivée. Ici, le rire rejoint le tragique et la poésie. Cette hybridation caractérise l’art d’avant-garde et définit le « drame surréaliste » qu’Apollinaire crée le 24 juin 1917 en faisant jouer Les Mamelles de Tirésias. On comprend mieux ainsi le statut de « dieu créateur » que le directeur de la troupe confère au dramaturge (vers 100). Maître de l’espace et du temps, le dramaturge est aussi maître du verbe, créant par les mots « un univers complet », faisant « surgir la vie dans toute sa vérité » sur la scène. On pourra aisément le définir comme « poète », comme y invite, dès le titre, la référence à Tirésias, l’aveugle oracle d’Œdipe-Roi, qui décrypte et recrypte ce que les simples mortels ne saisissent pas. Malgré les apparences chaotiques et incohérentes, sa création ne doit rien au hasard : elle est le fruit d’un travail, d’une volonté artistique contrôlée. Pas d’écriture automatique ici, mais une écriture consciente. Le recours à la versification, dans la liberté de forme qu’elle présente – rimes ou assonances, alexandrins classiques ou vers libres – exhibe la poésie comme référence profonde de cet art théâtral que l’on peut définir comme un art de poésie . Le récit d’une nuit étoilée : le lyrisme poétique : vers 11 à 54 À partir d’événements authentiques et du quotidien de la vie des soldats, sont évoquées les horreurs et paradoxalement les beautés d’une nuit de guerre. Défini comme récit par l’emploi du passé simple (« annoncèrent », « entendit », « hâtèrent » etc.), le passage est inscrit dans l’espace et dans le temps de l’actualité : « le front du nord », « la tranchée adverse ». On remarque aussi l’implication du « je », à la fois narrateur, personnage et voix de la réflexion. La guerre est posée comme un vécu personnel (« J’ai fait la guerre », « j’étais dans l’artillerie », « Je commandais au front du nord », « mes canonniers ») et comme un souvenir (« Je m’en souviens »). Est présent tout un champ lexical de la vie des soldats qui préparent et reçoivent les tirs d’obus. On repère facilement le vocabulaire technique : « artillerie », « batterie », « fusées », « canons », parfois très spécialisé : « l’alidade de triangle », « collimateur », « servants », « pointeurs », « tireurs ». On se souviendra bien sûr au passage qu’Apollinaire était lui-même artilleur, ce qui relie le récit au vécu personnel du poète. Malgré ces précisions, le récit n’est pas inscrit dans un temps borné. « C’était au temps » renvoie à l’a-temporalité sinon de la légende. Dès lors, la réalité bascule dans la fiction. Le recours au présent et à des expressions généralisantes (« Le temps des hommes », « l’histoire de toutes les étoiles »), la mention 12/13 de « La voix du capitaine inconnu qui nous sauve toujours » (vers 40) la rapprochent du mythe (christique ? orphique ?). Pas plus que le temps, l’espace n’est borné : omniprésentes, les images stellaires élargissent le champ de perception qui devient immense et sidéral, comme le marque la gradation : « étoiles », « constellations », « astres ». La réalité est ainsi transfigurée. On remarque aisément la personnification des étoiles. Elles sont vivantes, puisque prises pour cibles par les canonniers, comme les hommes du camp adverse. Sujets des constructions grammaticales, elles semblent agir d’elles-mêmes (« Les étoiles s’éteignaient » ; « les astres sublimes se rallumèrent). Des termes habituellement réservés à l’homme leur sont appliqués : « le regard des étoiles » « les étoiles mouraient », « la mort des étoiles», « assassiné ». On atteint ainsi au sublime, dans une sorte d’exaltation féerique qui accompagne la transfiguration par gradation des adjectifs : « beau ciel », « astres sublimes », « ardeur éternelle ». Par glissement, on passe des astres du ciel aux « astres intérieurs » (vers 53), image que suit une autre métaphore filée, celle du feu (« enflammaient », « étoiles toutes fumantes », « flammes sublimes », flamber », « torche inextinguible du feu nouveau »). L’ensemble exprime métaphoriquement la force créatrice qui anime le poète et qu’il donne à voir sur scène, avec le prologue. Domine ainsi le registre lyrique, qui est celui des grands poèmes d’Apollinaire (Alcools, Calligrammes ou Poèmes à Lou) et d’une poésie exaltée en général. Le recours aux vers libres qu’agrémentent octosyllabes et alexandrins, le jeu des rimes et des assonances rythment ce foisonnement et traduisent l’enthousiasme. Le thème de la fécondité relie le récit d’une nuit étoilée à la pièce. Comme la nuit féconde – et on pourra déceler ici l’érotisme propre à Apollinaire – les femmes et comme naissent les enfants, la nuit féconde le poète-dramaturge et naissent la pièce et l’écriture nouvelles. Le rideau peut donc se lever sur la clarté de la scène. « Je vous porte l’enfant d’une nuit d’Idumée » écrivait Mallarmé27. « Je vous apporte une pièce », lui répond le Directeur de la troupe. Je vous donne à voir et à entendre un genre nouveau répond aussi Apollinaire, qui invite le spectateur à participer à une création excipant le principe créateur de « l’esprit nouveau ». Il est aisé dès lors de comprendre les recoupements que l’on peut faire en prenant appui sur le début (vers 1 à 10) et la fin (vers 112 à 122) du prologue pour montrer le lien qui unit étroitement, dans un même acte langagier et créateur, théâtre et poésie. Nous ne faisons ici que suggérer ce lien, montré par ailleurs, pour ne pas exagérément allonger le propos. Pour conclure Si plusieurs rapports précédents constataient « une mauvaise maîtrise de l’épreuve », ce n’est plus tout à fait le cas cette année. La majorité des candidats semble en avoir compris la nature et la mise en forme. Ils connaissent plutôt bien les contraintes et cherchent à articuler au mieux les textes sur les objectifs des programmes. Ils respectent globalement l’organisation formelle du devoir de didactique. En revanche, les candidats ne semblent pas encore avoir présents à l’esprit l’effort de conceptualisation et la culture que nécessite une réflexion littéraire et didactique de qualité, si bien qu’une très grande partie des copies reste creuse, plate, banale. La maîtrise de la forme ne sert pas à grand-chose quand la pensée ne peut se déployer. En ce sens le prologue de la pièce Les Mamelles de Tirésias donné à étudier en œuvre intégrale a constitué pour beaucoup un obstacle. Résistant, subtilement complexe, plus stimulant qu’original, le texte offrait aux candidats un véritable défi littéraire et didactique que certains ont su relever avec brio. Pour d’autres, il a révélé les limites d’une pensée trop frileuse, qui se satisfait de peu. Puisse ce constat faire comprendre à tous l’exigence de réflexion qui nourrit et caractérise l’épreuve dite de « didactique » et plus largement tout enseignement de français riche et ambitieux. Agnès Lobier IA IPR Lettres 27 « Don du poème », 1865. 13/13