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Composition à partir d’un ou plusieurs textes d’auteurs
Épreuve dite de « didactique »
I Considérations générales sur le sujet et les copies
Le texte unique qui constituait le support et la manière dont le libellé demandait de l’envisager
« comme une œuvre intégrale » ouvraient aux candidats un vaste espace de réflexion, qu’ils n’ont
pourtant pas toujours exploité, se repliant parfois frileusement derrière des présupposés, des habitudes et
des poncifs qui limitaient d’emblée leur champ d’investigation. Or, rappelons-le, comme l’ont fait les
précédents rapports, c’est bien la singularité du corpus qui doit guider la réflexion des candidats.
Néanmoins, l’originalité n’avait ici rien de surprenant au regard de l’épreuve proprement dite,
« composition à partir d'un ou de plusieurs textes de langue française du programme des lycées ». La
situation didactique était tout aussi courante. Il s’agissait bien en effet de construire « un projet
d’ensemble à l’intention d’une classe de Première » à partir d’un texte long, pris dans son intégralité : le
prologue de la pièce d’Apollinaire, Les Mamelles de Tirésias, dont la première représentation date du 24
juin 1917. Il s’agissait ensuite d’en présenter « les modalités de mise en œuvre ».
Pourtant, certains candidats, émus par les circonstances ou prisonniers de stéréotypes, ont mal
saisi libellé et support. Ils ont abordé le texte en tant que « prologue », c’est-à-dire en tant que « préface »
ou « avant propos », l’étymologie consciencieusement donnée venant confirmer leur point de vue mais
aussi leur erreur de lecture du paratexte même. Occultant le mot « prologue », d’autres ont pensé au
contraire qu’il s’agissait d’une « scène d’exposition », cherchant alors dans le monologue du Directeur de
la troupe les indices occasionnels d’une impalpable intrigue et d’une improbable psychologie.
Comme il se doit puisqu’il s’agit de l’étude d’une œuvre intégrale, le libellé ne précisait pas
l’objet d’étude de référence. Il appartenait aux candidats de faire des propositions adéquates. De à
envisager, comme l’ont fait certains, qu’il était possible d’aborder successivement tous les objets d’étude
au programme de la classe de Première, il y avait un pas que ni le texte ni la nature de l’épreuve
n’autorisait à franchir. Ceux qui l’ont fait ont couru le risque de perdre toute cohérence et ont renoncé à
toute profondeur dans le traitement littéraire du sujet.
Au-delà de ces erreurs, qui relèvent peut-être d’une lecture trop rapide ou trop superficielle du
sujet, le texte lui-même semble avoir posé problème aux candidats. Peu connu, surprenant par sa nature
insolite, le prologue de la pièce Les Mamelles de Tirésias leur a fait peur : ils ont tout simplement oublié
de le regarder en face. Certains ne se sont me pas aperçus qu’il s’agissait d’un texte de théâtre ;
d’autres n’ont pas vu qu’il était traversé d’images et qu’un souffle poétique l’animait. Hélas ! Toute fuite
devant le texte est rédhibitoire en termes d’analyse aussi bien qu’en termes de construction
didactique. Toute dérobade en matière de réflexion littéraire condamne les candidats non pas parce que
l’épreuve serait une dissertation littéraire déguisée, mais parce qu’il s’agit de construire un projet cohérent
et ambitieux.
Faute de se confronter au texte et aux concepts littéraires qui le sous-tendent, de nombreux
candidats ont conçu un projet étriqué ou bien inadapté. Voulant sans doute se sécuriser, beaucoup sont
allés chercher de possibles justifications hors du texte : dans la vie de l’auteur, dans son expérience de la
première guerre mondiale. Ils ont ainsi défini le prologue comme une autobiographie, bien que rien
n’indiquât que le « je » du personnage fût aussi Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky et surtout sans
même s’apercevoir que la situation énonciative caractéristique de l’autobiographie était incompatible avec
celle du théâtre.
Le recours à la biographie d’Apollinaire a conduit les candidats à une autre impasse : celle de
l’argumentation, qui fait d’Apollinaire un « poète engagé » et du prologue « un poème engagé contre la
première guerre mondiale » ou bien «l’instrument d’une action militante contre la guerre » ou bien encore
« un éloge à la gloire des soldats français ». Le prologue, dont le but serait de « dénoncer la guerre », a
très étrangement été compris comme une « fable », un « apologue », une « parabole », un « plaidoyer »
ou a contrario un « réquisitoire », un « conte philosophique », un « conte merveilleux » et même un
« conte de Noël », rapproché sans peur de l’anachronisme de Nuit de Noël, le film de Christian Cairon,
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sorti sur les écrans en 2006. Et voici Apollinaire comparé à Voltaire et le prologue à Candide, plusieurs
fois cité. Et voici Apollinaire transformé en moraliste et le prologue en récit qui « illustre et dénonce la
modernité meurtrière des canons ». Et voici le dessein d’Apollinaire comparable à celui des « poilus »
écrivant à leurs familles. Les candidats forgent ainsi une logique de causalité
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ici infondée. Le
raisonnement fonctionne à vide et ne résiste pas à l’analyse du texte, qui n’est pas un document sur
l’histoire.
Si le mélange des genres est présent dans le prologue, on s’étonne de celui fait par les candidats
dans les copies. D’importantes confusions sont commises, à commencer par celle, très répandue, qui fait
de l’argumentation un genre. La faiblesse des connaissances en matière de genres littéraires paraît ici
bien alarmante et débouche sur d’insoutenables incohérences et contresens. Sans doute ne faut-il pas
se lasser de répéter que la force du projet trouve sa source dans la qualité de la lecture littéraire faite
par le candidat. Cette exigence doit être remplie pour que deviennent tangibles la cohérence, la
finesse et l’ambition de la construction didactique proposée.
Osera-t-on préciser aussi que de nombreuses méprises entachent les copies en matière
d’histoire littéraire, comme si les candidats perdaient soudain tout sens de la chronologie et tout savoir
sur les courants. La lecture des pièces de Molière les aurait-elle à ce point hantés qu’ils voient dans le
prologue une « comédie ballet » et dans Boileau et d’Aubignac les adversaires d’Apollinaire, faisant fi de
deux siècles et demi d’histoire théâtrale ? Demander aux élèves d’écrire un dialogue entre l’abbé
d’Aubignac et le Directeur de la troupe paraît cocasse. Mais combien de fois a-t-on trouvé dans les copies
la référence à « la règle des trois unités », que romprait Apollinaire ? Combien de fois le théâtre du XVIIe
siècle est-il devenu la norme référentielle, comme si n’avait eu lieu aucune fameuse bataille et comme si
régnait toujours, en 1917, la tragédie classique ? Et que dire de ceux qui font du prologue et donc de la
pièce Les Mamelles de Tirésias une pièce « baroque » ? On pourrait assurément voir dans cet adjectif,
dont l’emploi est aujourd’hui galvaudé, un abus de langage. Mais les références à Shakespeare et à
Calderon de la Barca sont là pour confirmer l’erreur référentielle
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.
Le court-circuitage temporel est tout aussi étrange dans le domaine contemporain. S’il est
inopportun, mais non anachronique, de parler pour le prologue de « pièce symboliste »
3
, il est pour le
moins surprenant de constater que pour de nombreux candidats le « théâtre de la cruauté » d’Antonin
Artaud
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inspire Apollinaire. Eugène Ionesco, Samuel Beckett, le théâtre de l’absurde l’accompagnent
aussi gentiment. Bertolt Brecht
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devient même la figure tutélaire du Directeur de la troupe et peu s’en faut
qu’il ne sorte les panneaux explicatifs chers au dramaturge allemand. Et que penser de l’influence
qu’exerceraient sur Apollinaire Ariane Mnouchkine et le théâtre du Soleil ? Cette remarque n’est pas
suffisamment isolée pour ne pas être signalée. En revanche, aucune allusion à Alfred Jarry et à son Père
Ubu, dont le grotesque et les facéties de potache ne sont guère éloignés du cri : « Au collimateur à
volonté » et des vers qui le suivent : « Les pointeurs pointèrent / Les tireurs tirèrent ». La méconnaissance
de l’histoire du théâtre laisse pantois. Les travaux prennent dès lors la forme d’un fourre-tout dans
lequel les candidats déversent en vrac et sans regard critique des bribes de savoir. Il paraît donc
indispensable qu’ils prennent soin de conforter leurs connaissances en matière d’histoire littéraire.
Sans documents, une telle précision n’était pas attendue. On pouvait néanmoins attendre que incohérences
et anachronismes fussent évités.
Rappelons donc ici qu’en 1917, les salles de spectacle donnent à voir :
Des pièces récréatives, destinées aux permissionnaires et à leurs familles : elles ont pour but de
divertir, de faire rire, souvent grassement, pour oublier les difficultés et malheurs nés de la guerre. Le
vaudeville et le théâtre de boulevard se développent toujours. Les pièces de Labiche, Feydeau ou
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Exemples : « Apollinaire, lui-même blessé au combat, fait le récit d’une nuit vécue au front pour dénoncer les horreurs de la
guerre » ; « Parce qu’il a fait la guerre et en a vu les horreurs, Apollinaire les dénonce dans son prologue »
2
Le théâtre baroque et les auteurs cités incarnent une conception de la mimesis qui n’est pas celle du prologue.
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Surtout lorsque Claudel et Tête d’Or sont au programme du concours.
4
Première œuvre : L’ombilic des limbes en 1925 ; Le Théâtre et son double en 1938.
5
Première pièce : Baal en 1918 ; grandes pièces comme La Mère Courage, après la seconde guerre mondiale.
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Courteline sont encore souvent données. L’opérette occupe aussi une bonne place parmi les spectacles
proposés. La comédie populaire et légère, souvent grivoise, domine sur les scènes parisiennes.
Des pièces naturalistes, inspirées des thèses de Zola : elles ont pour but de reproduire la nature
humaine, au plus près de sa vérité scientifique. Le metteur en scène André Antoine, fondateur du théâtre
du Théâtre-Libre en 1887, fait école pour chercher les « détails vrais », dans le cadre d’une « dramaturgie
expérimentale » qui reproduit « une tranche de vie ». Henry Becque est l’auteur le plus représentatif et le
plus représenté de cette tendance.
Des pièces symbolistes : elles fuient le réalisme et les péripéties de l’intrigue caractéristiques du
théâtre naturaliste. Elles se veulent intemporelles, mettant à nu des vérités éternelles et des êtres
tourmentés, en quête de grands idéaux. Le refus du réalisme débouche sur une mise en scène suggestive et
un jeu désincarné dont Lugné-Poé et le Théâtre de l’Œuvre sont les représentants. Maeterlinck et Claudel
sont les auteurs emblématiques de ce courant.
Pour mémoire, précisons également que la pièce Les Mamelles de Tirésias a été donnée pour la
première fois le 24 juin 1917, au théâtre Maubel, rue de l’Orient à Montmartre. La représentation
constitue le point d’orgue d’une série de manifestations (conférences, débats, matinées littéraires et
musicales) organisées, depuis Noël 1916, par la revue SIC
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de Pierre Albert-Birot
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. À l’affiche, les noms
de Serge Férat (décors et costumes), Germaine Albert-Birot (Musique
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) ; Louise Marion, Jean Thillois
(Marcel Herrand à la ville), Yéta Daesslé, Juliette Norville, Howard. Edmond Vallée joue le rôle du
directeur de la troupe. Max Jacob est l’un des quatre comédiens
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du chœur. La Première fait date dans
l’histoire du théâtre : à la fois hostile et favorable, le public est avant tout surpris et décontenancé.
Certaines copies ont très finement exploité le contexte historique et littéraire que l’on ne pouvait
globalement ignorer. Citant des passages de Poèmes à Lou, de Calligrammes ou d’Alcools, plusieurs
candidats ont judicieusement utilisé leur connaissance de la poésie de Guillaume Apollinaire, « poète de
la modernité » et précurseur du surréalisme. D’autres n’ont pas hésité à prendre appui sur la peinture
simultanéiste ou cubiste pour mieux étayer leur démonstration. Les meilleures copies sont bien celles
dont les auteurs, nourris de littérature, de peinture et de musique, possèdent un bagage culturel
solide et suffisamment large pour tisser des liens et donner à leur lecture une hauteur et une richesse
qui forcent parfois l’admiration. Insolite, le texte n’en était pas moins exigeant. Il a donc révélé des
lacunes inquiétantes dans les savoirs littéraires et la culture générale de nombreux candidats.
Les années passant, rares sont les copies qui ne comportent aucun appui sur le texte. Mais
beaucoup rencontrent des écueils récurrents d’année en année. C’est tout d’abord, n’ayons pas peur des
mots, celui de la paraphrase. Au lieu de l’analyser et de l’interpréter, les candidats glosent le texte. Ils le
reproduisent et le recomposent par juxtaposition de citations. Ils produisent ainsi une logorrhée verbale et
verbeuse dont le sens n’émerge pas. Peut-être parce que beaucoup de candidats ont eu du mal à se saisir
du texte, de nombreuses copies présentaient cette année ce défaut. A contrario, certains candidats se
livrent à une analyse minutieuse certes, mais tellement fragmentée et techniciste que le sens ne jaillit pas
davantage de leur commentaire. Leurs propos finissent par devenir gratuits.
Pour compléter un tableau que d’aucuns jugeront assez noir, il nous faut signaler une expression
trop souvent défaillante. Orthographe, syntaxe, incorrections, impropriétés, imprécision du vocabulaire
littéraire, barbarismes, etc. Nous ne nous livrerons pas ici à un relevé désobligeant, mais nous attirons
l’attention des candidats sur le soin qu’ils doivent apporter à la langue. Le manque de temps pour la
relecture ne saurait tout expliquer. Il en est de même pour la présentation des copies. Soucieux sans
doute de faire réaliser des économies au Ministère qui leur fournit le papier, certains candidats écrivent,
en pattes de mouche, sur toutes les lignes des petits carreaux qui leur servent de guide. Le résultat est
illisible ! On peut aussi recommander d’éviter les stylos qui bavent et autres feutres épais dont l’encre
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Sons, Idées, Couleurs
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Pierre Albert-Birot (1876-1967) : écrivain, dramaturge et poète français, fondateur de la revue SIC.
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Il s’agissait d’une musique d’orchestre. La plupart des musiciens étant à la guerre, elle fut jouée au piano par Niny Guyard.
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À l’exception de Louise Marion, tous les comédiens sont débutants ou amateurs. Apollinaire honore chacun d’eux d’un
poème, paru dans SIC le 18 juin 1917 sous le titre « Six Poèmes » et repris dans la préface de la pièce.
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déteint d’une feuille sur l’autre. Tout ceci rend la lecture difficile, voire impossible, et assurément
dévalorise le travail, malgré toute la mansuétude des correcteurs.
Ce constat général étant fait, c’est à la mise en problème du corpus que nous nous attacherons
maintenant car est bien la difficulté majeure rencontrée par les candidats. Sur ce point, le jury est
unanime. Cette phase est pourtant capitale. Sans elle, la mise en situation didactique ne pourra pas
être progressive, rigoureuse, de qualité. La problématisation est donc, avec la conceptualisation qui
l’accompagne, une des exigences fondamentales de l’épreuve.
II La mise en problème : « construire un projet d’ensemble »
Peu nombreuses sont les copies qui ne présentent aucune réflexion préalable et qui commencent à
présenter directement un projet plus pédagogique que didactique dans ce cas. Malheureusement, la
réflexion, souvent remplacée par une vaine glose du texte, ne parvient pas toujours à prendre corps. Elle
se dissout et occupe presque toute la copie, le candidat n’ayant même pas le temps de mettre en œuvre
son projet. Un problème de planification se pose : pléthoriques en leur centre, les copies deviennent
expéditives au début et sur la fin. Néanmoins, la plupart des candidats semblent avoir compris qu’une
réflexion préalable est attendue. En ceci, on peut dire que les exigences de l’épreuve sont mieux
respectées.
Pourtant, à l’exception de quelques bonnes ou très bonnes copies, la problématisation s’avère
difficile pour les candidats et ne débouche pas vraiment sur un raisonnement progressif et
structuré. C’est un point faible, que les correcteurs déplorent unanimement. On ne saurait trop
recommander aux candidats de se montrer exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes, en matière
d’abstraction et de conceptualisation. On constate que trop de candidats se contentent de formuler une
question. Mais certaines interrogations ne sont pas pour autant des problématiques : elles ne renvoient à
aucun concept clef. Aussi les candidats restent-ils trop à la surface. Ils ne parviennent pas à trouver
la distance conceptuelle indispensable à une réflexion problématisée.
Observons donc quelques-unes des questions de problématique trouvées dans les copies et nous
verrons vite qu’elles n’ont pas toutes la même pertinence ni la même rigueur.
Certaines sont si générales et décalées qu’il est impossible d’y répondre en prenant appui sur le
seul prologue. Elles nourrissent un discours verbeux dans lequel le candidat se noie lui-même :
- « En quoi l’histoire est-elle indissociable de l’artistique et l’individu du collectif ? »
- « Comment l’histoire est-elle régénératrice du théâtre ? »
- « Dans quelle mesure est-il possible pour le poète de s’exprimer dans le genre défini par Aristote,
alors que la guerre et la mort sont partout ? »
- « Comment l’expérience de la première guerre mondiale a-t-elle infléchi la conception du théâtre
d’Apollinaire ? »
- « Dans quelle mesure l’esthétique de la rupture prend-elle sa source dans l’expérience et le
traumatisme de la guerre ? »
D’autres sont passe-partout. Elles ne permettent pas une structuration spécifique et débouchent sur
la juxtaposition de propos dans une longue énumération qui s’apparente à la liste :
- « Quels sont les enjeux du prologue ? »
- « Quelle est la nature du prologue ? »
- « Quelle est l’originalité du prologue ? »
- « Comment le théâtre met-il en scène des moments de vie ? »
- « Dans quelle mesure l’art nouveau assume-t-il héritage et modernité ? »
D’autres sont formulées d’une manière si complexe qu’elles perdent leur sens. Elles entraînent des
propos confus, tantôt vainement techniques tantôt vainement bavards :
- « Comment, à travers une superposition de genres et de registres, on nous propose une lecture de
l’histoire en marche pour mieux intégrer le poète à la destinée de son pays et à l’évolution d’une
esthétique à sa renaissance ? »
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- « Comment dans un système argumentatif un énonciateur emploie-t-il la parole pour dénoncer et
justifier un art poétique et met en œuvre l’art de la rhétorique ? »
- « Comment par sa composition rhétorique et poétique le locuteur se propose-t-il d’illustrer son but :
justifier une nouvelle dramaturgie ? »
- « Comment le théâtre est-il un genre qui se construit dans une définition sans cesse modulée ? »
- « Comment Apollinaire a-t-il intégré un prologue qui est habituellement à part dans la pièce afin de
mélanger argumentation et narration, théâtre et poésie, tradition et normes ? »
D’autres sont trop sommaires si bien qu’elles n’amènent pas à une réflexion d’envergure. Elles se
soldent par une énumération de procédés techniques vides de sens :
- « Quelles sont les fonctions du prologue ? »
- « En quoi le texte appartient-il au genre théâtral et en quoi s’en distingue-t-il ? »
- « Par quels procédés argumentatifs l’auteur présente-t-il sa critique du théâtre ? »
- « Quels sont les rapports que le prologue tisse avec la pièce ? »
- « Quel est le rôle du récit de guerre dans le prologue ? »
D’autres affichent dès le départ des erreurs manifestes. Les propos tenus par la suite ne font que
confirmer les contresens pressentis :
- « Quelles ruptures Apollinaire instaure-t-il par rapport au théâtre classique ? »
- « Quelle est la légitimité de l’épopée au théâtre ? »
- « Comment l’autobiographie nourrit-elle le théâtre ? »
- « Comment le théâtre est au service de l’argumentation et comment Apollinaire dénonce la guerre
qu’il a vécue ? »
- « En quoi le prologue est-il un moyen pour présenter une fable ? »
Bien sûr, certaines s’avèrent plus porteuses.
- « Comment le théâtre montre en acte l’esprit nouveau qui subvertit les codes traditionnels de la
représentation ? »
- « Comment ce texte creuset affirme-t-il et construit-il un bouleversement esthétique ? »
- « Comment Apollinaire joue-t-il sur les codes du théâtre pour lui donner une dimension poétique ? »
- « Comment le dramaturge dépasse et sublime la mimesis et la diegesis ? »
- « Comment Apollinaire interroge-t-il l’illusion théâtrale et l’éprouve-t-il sous nos yeux ? »
- « Comment la théâtralité, mise au travail par la porosité des genres et des registres, permet d’élaborer
et de mettre en évidence une esthétique propre à Guillaume Apollinaire ? »
On les trouve dans les bonnes et très bonnes copies. Ainsi certains candidats ont-ils pu unir, dans une
progression cohérente, les différents éléments restés épars dans beaucoup de copies et intégrer les
dimensions humoristique et poétique du texte, restées invisibles à beaucoup.
Examinons donc de plus près les possibilités offertes par le prologue de la pièce Les Mamelles de
Tirésias, dans l’optique d’une mise en problème aidant à la construction d’un projet d’ensemble.
Les Mamelles de Tirésias est défini par Apollinaire comme un « drame surréaliste en deux actes et
un prologue ». Forgé à partir du substantif « réalisme » et de l’idée de « réalité », ce néologisme, parfois
écrit par Apollinaire lui-même sous la forme « sur-réalisme », affiche comme premier le problème des
rapports entre la création et la réalité, renvoyant donc à la notion de mimesis posée par Aristote.
On se demandera donc quelle conception de la création se dégage du prologue et quel lien elle
entretient avec la réalité.
Sur ce point, le prologue fournit suffisamment de précisions : « Car le théâtre ne doit pas être un
art en trompe-l’œil » (vers 91) ; « Non pas dans le but / De photographier ce que l’on appelle une tranche
de vie / Mais pour faire surgir la vie même dans toute sa vérité » (vers 103 à 105). Tout ceci s’oppose à
« l’art théâtral sans grandeur sans vertu » (vers 5), « Art calomniateur et délétère » (vers 7). Apollinaire
ne conçoit donc pas la création comme une imitation de la nature, pas plus qu’elle n’est sa stylisation ou
son idéalisation. Il refuse les trois types d’imitation définis par Aristote (les choses comme elles sont,
comme on les dit, comme elles devraient être). Il rompt avec un art théâtral qui se réclame de la mimesis
soit en cherchant à reproduire au plus près la nature soit en cherchant un idéal et des vérités éternelles.
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