Que Vlo-Ve ? Série 4 No 20 octobre-décembre 2002 pages 110-117
Autour des Mamelles de Tirésias BOHN
© DRESAT
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Il y a si longtemps que je ne m'étais retrouvé parmi vous
Et il y a toujours là-bas un brasier
Où l'on abat des étoiles toutes fumantes
Et ceux qui les rallument vous demandent
De vous hausser jusqu'à ces flammes [nouvelles] [divines] sublimes
Et de flamber aussi ô public
[Vous qui est] Soyez la torche inextinguible du feu nouveau
On sait qu'Apollinaire a rédigé le prologue au dernier moment, pendant qu'on répétait la
pièce, mais il semble écrire d'une façon délibérée, sans hâte et avec méthode. S'il s'arrête de
temps en temps pour trouver le mot jute, il reprend son travail immédiatement. Bien que le
manuscrit contienne de nombreux mots biffés, ceux-ci représentent des hésitations plutôt que de
véritables corrections. Apollinaire semble avoir corrigé le prologue plus tard, à l'encre violette,
après que le texte eut été achevé.
Les différences entre ce document et celui que le poète a publié en 1918 sont
relativement mineures. Outre plusieurs changements stylistiques, Apollinaire a augmenté le
catalogue de juxtapositions théâtrales à deux reprises (en supprimant « les idées »). Il a ajouté «
les gestes », « les cris », « les bruits », « la danse » et « l'acrobatie » à la première liste et « les
gestes », « les démarches » et « les masses » à la seconde. Ensuite, pour souligner que ces
juxtapositions étaient parfaitement naturelles [113]
il a changé « Mariant » en « Mariant sans lien apparent comme dans la vie ». Voulant justifier
son esthétique anti-réaliste, enfin, il à inséré deux vers qui insistent sur son réalisme supérieur : «
Mais pour faire surgir la vie même dans toute sa vérité » et «C’est-à-dire la nature même ». Ces
changements sont peu nombreux, on le voit, et essentiellement formels. Ainsi, le document de
l'Université du Texas doit être très proche (s'il n'est pas identique) du prologue récité par
Edmond Vallée en 1917.
1. Baudelaire to Beckett : A Century of French Art and Literature, éd. Carlton, Lake (Austin, Humanities
Research Center, 1976).
2. Pour deux lettres inédites d’Apollinaire, un portrait à la mine de plomb du poète et d'autres documents.
voir Willard Bohn, « Selected Apollinaire Letters 1908-1918 ». French Forum, vol. IV, n° 2 (mai 1979). p. 99-113.
3. Voir l'index de Victor Martin-Schmets dans GA9 (1970), p. 193-4 et « Un catalogue », p. 224.
[114]
II
LE PEUPLE DE ZANZIBAR
Hérité d'Alfred Jarry, qui voulait qu'un seul acteur joue l'armée polonaise dans Ubu roi, le
personnage collectif des Mamelles de Tirésias a suscité beaucoup d'intérêt à la première
représentation1. Portant un costume de Peau-Rouge, qui évoquait l'Amérique plutôt que
l'Afrique, le Peuple de Zanzibar ponctuait la première représentation avec des sons de vaisselle
cassée, des coups de revolver et des chansons jouées à l'accordéon. Ce personnage, on le sait,
était joué par un individu qui s'appelait Howard, dont on ne sait absolument rien. C'est peut-être