sanglants ou par des meurtres : ouvriers, jeunes, étudiants, avocats, journalistes, députés, forces de l'ordre,
armée, afin que l'un des ces groupes réponde par la violence, fournissant un prétexte à l'embrasement général
du pays, à la guerre civile ou à l'appel à l'armée pour sauver le pays ! Dans le cas qui nous occupe, ce sera
plutôt «al-tamkîn», dérivé islamiste du putschisme fasciste.
Au lendemain de l'assassinat, la polarisation politique était telle que dans les heures qui l'ont suivi, le pays
semblait tanguer comme un bateau ivre. La jeune nation surgie des torpeurs des siècles passées et du
colonialisme s'acheminait à la vitesse grand V vers une rupture historique en deux camps irréductibles. Le 6
février au matin personne ne savait de quoi demain sera-t-il fait?
Les alliés des islamistes au sein de la Troïka, Ettakattol de Mustapha Ben Jaafar et le CpR de Moncef
Marzouki, voyaient leur marge de ma
suites de l'assassinat. Simples comparses servant de décor, ils se retrouvent contraints et forcés de partager
avec les islamistes, solidarité gouvernementale oblige, la responsabilité intellectuelle de l'homicide, et l'unique
choix qui leur restait était de se coucher s'ils tenaient à garder leurs strapontins au sein du gouvernement. Les
rares voix qui se sont timidement élevées ça et là dans leurs rangs, ou les gesticulations chaplinesques du faux
prophète Marzouki (10), jouant en permanence la partition de «l'Etat profond» («al-dawla al-‘amîqa») et le
refus névrotique de la démission, ont été soit inaudibles soit franchement ringardes pour qu'on en puisse tenir
compte.
Sûr de lui, Jebali ne se doutait pas blindé qu'il était par son statut de secrétaire général du mouvement
islamiste et de chef du gouvernement , que Rached Ghannouchi ne lui pardonnera jamais son écart de
comportement. La riposte du président Ennahdha sera effectivement sans merci et il n'abandonnera la partie
qu'une fois il l'aura littéralement broyé sous son rouleau compresseur, comme il l'avait fait déjà dans le passé
d'autres «récalcitrants»(11).
Agitant le spectre du retour à la case prison, le président du bureau politique d'Ennahdha mobilisa l'ensemble
du mouvement pour contraindre Jebali à la démission. Il réussit à unir autour de lui tous les chefs de file de la
frange jihadiste : Sadok Chourou, Habib Ellouze, les frères Larayedh (Ali et Ameur), Noureddine B'hiri, Fathi
Ayadi, Abdellatif Mekki, Moncef Ben Salem, et le provocateur ministre de l'Agriculture Mohamed Ben Salem,
qui a menacé d'étriper Belaid en direct à la télévision, Abdelkrim Harouni publiquement responsable du bureau
de la jeunesse islamiste, mais qui, dans une autre vie, occupait la fonction de commandant en chef d'une armée
de communicants nahdhaouis sur les réseaux sociaux avant d'être nommé en 2011 ministre de Transport, et
Sahbi Atig, Riadh Bettaieb, Houcine Jaziri, Abderraouf Najjar, Ridha Idriss. Tous montent au créneau pour
dénoncer la mollesse du secrétaire général, et son refus de solliciter l'avis de son parti.
Pour bien prouver leur intention de se maintenir au pouvoir, une manifestation baptisée «milyûniyya», qui n'a
drainé en fin de compte que quelques 10.000 manifestants, fut convoquée à la hâte, le 16 février 2016,
Ghannouchi marchait en tête du cortège, mot d'ordre central : «abattre» Jebali.
Malgré les flops répétitifs de ces marches, Ghannouchi parviendra par l'intimidation et le chantage à la terreur
à atteindre son but: éviter l'éclatement d'Ennahdha et retarder de quelques mois le projet mort-né de dissolution
du gouvernement, de nomination d'un nouveau au mandat limité à la gestion des affaires courantes, et de
convocation d'élections. A la place, il proposera d'amorcer avec l'opposition un dialogue sur un remaniement
ministériel partiel.
La violence au service du projet islamiste
Chokri Belaid s'intéressait de près aux querelles intestines, opposant, dans le huis-clos de la secte islamiste, ses
factions rivales(12). Il savait que rien ne les différenciait, sinon la question du timing et le mode opératoire de
la concrétisation du projet islamiste intégral et, par voie de conséquence, l'outil, autrement dit le bras armé qu'il
fallait mettre sur pied sous le faux prétexte de défense du processus révolutionnaire.