La résistance des femmes tunisiennes, un combat face au projet

La Tunisie indépendante a été dotée, le 13 août 1956, du
Code du statut personnel, soit quelques mois après la
proclamation de l’indépendance, avant même labolition de
la monarchie et la proclamation de la République. Ce code,
qui a placé la Tunisie dans une position d’avant-garde par
rapport à tous les autres pays arabes, interdit la polygamie
et la répudiation, institue le divorce judiciaire aux mêmes
conditions et avec les mêmes effets pour les femmes et les
maris, fixant l’âge minimum du mariage à 17 ans pour la
fille, et exige le consentement de la femme pour la validité de
son mariage. Ce choix résolument moderne était inspiré par
les penseurs musulmans, dont le Tunisien Tahar Haddad
qui publiait, en 1929, Notre femme dans la Charia et dans la
société. Pour ce théologien et juriste, diplômé de l’Universi
de la Zitouna, certaines dispositions juridiques constituaient,
à lépoque de la Révélation coranique, une avancée des droits
civiques et sociaux des femmes et devaient être rénoes pour
poursuivre lévolution vers une égalité entre les femmes et les
hommes dans tous les domaines, y compris celui du droit
successoral. Ses idées révolutionnaires à lépoque séduisirent
les Tunisiens formés dans le système sadikien ouvert sur le
monde et imprégnés de la philosophie des Lumières, mais
elles suscitèrent la colère des théologiens conservateurs de
l’Université de la Zitouna qui décidèrent de lui retirer son
diplôme.
Aujourd’hui, les femmes tunisiennes sont présentes dans
tous les secteurs dactivité et font partie des acteurs de la
révolution du 14 janvier 2011. Elles sont présentes et très
engaes dans le combat contre le projet dislamisation de
la société, contre la remise en cause de l’État républicain
et contre la volonté dinstaurer un État théocratique par le
parti Ennahdha.
Le projet politique des islamistes, déjà présents en Tunisie
depuis les années 1970 en particulier à l’université, a pour
cible essentielle la femme dont « le rôle social doit être limité
à la tenue de la maison » et à propos de laquelle un discours
de haine était déjà développé dans leur revue Al Maarifa
(autorisée en 1972) dirigée par Rached Ghanouchi, président
du parti Ennahdha. La revue cite quelques hadith attribués
au Prophète selon lesquels il aurait dit : « la seule source de
conflits et de désordres (fitna) que je laisse après moi, pour
les hommes, ce sont les femmes… On ma montré l’Enfer,
j’y ai trouvé une majorité de femmes… Vous pouvez faire
du bien à une femme toute votre vie mais si, un jour, vous
faites quelque chose qui lui déplaît, elle vous dira que vous
navez jamais été bon avec elle » 1.
Les dirigeants du parti Ennahdha ne se sont pas écartés de
ces positions en tentant dimposer, dans la nouvelle Consti-
tution, la Charia comme source de la législation, ce qui
a pour conséquence la remise en cause du Code du statut
personnel, en substituant au principe dégalité entre les
femmes et les hommes celui de la « complémentarité de la
femme avec lhomme au sein de la famille et en tant que
véritable partenaire de lhomme dans la construction de la
nation ». La résistance de la société tunisienne a abouti au
retrait de ce projet. Mais, comme le déclare son président,
Ennahdha na pas pour autant abandonné l’objectif de
déconstruction de l’État républicain : « Ce projet (celui
d’Ennahdha) se caractérise par le fait qu’il donne la priorité à
la société par rapport à l’État. Notre capital le plus important,
c’est la société, ce nest pas l’État [] Le projet bourguibien
a accordé à l’État la plus grande importance : c’est l’État
qui est la locomotive et il tire la société, par ses lois, ses
institutions, un type denseignement [...] Bourguiba avait
un projet pour la modernité et il réquisitionnait les organes
de l’État an de l’imposer 2 ». On comprend lopposition
de deux visions de la société, lune reconnaissant les droits
individuels et collectifs tels que définis par la Déclaration
universelle, lautre prônant un « projet social » soumis à un
dogme autoritaire et voulant dès à présent, sans scrupule,
façonner la petite enfance. On compte actuellement plus de
deux cents « jardins denfants » coraniques créés en toute
impunité par des associations « religieuses » et échappant
à tout contrôle et inspection de la part du Ministère de la
Femme et de la Famille. Ces « jardins denfants » n’offrent
1 Al Maarifa, 1ère ane, n° 4, p. 2 et 2e année n° 7, p. 47.
2 La Presse, 31 juillet 2012, propos recueillis par Olfa Belhassine et Raouf Seddik.
La résistance des femmes tunisiennes, un combat
face au projet hégémonique islamiste
Professeur à lUniversité de Tunis
Par Faouzia Farida CHARFI
Deux années après la révolution de la dignité et de la liber, lattente et linquiétude sont partagées par lensemble
des Tunisiens. Les habitants des régions déshéritées et oubliées du centre ouest n’ont pas obtenu les améliorations
attendues. La Tunisie n’est toujours pas dotée de la nouvelle Constitution et deux projets de société s’arontent.
Au cœur de ces deux projets, le statut des femmes. Lun moderniste, celui de l’État tunisien depuis lindépendance,
lautre se référant à la charia, défendue par le parti Ennahdha au pouvoir depuis les élections du 23 octobre 2011.
En conférence le 30 avril
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pas des fleurs et de la joie aux tous jeunes enfants mais une
prison conçue pour les embrigader. Une prison qui fait de
nos enfants des victimes dun projet politique qui ne conçoit
lislam que dans le refus de lautre, lexclusion et lextrême
violence antinomiques à une foi sereine. Que proposent
ces institutions au service des partis politiques islamistes à
nos petits de trois à cinq ans ? Tout dabord, la séparation
entre les filles et les garçons : on inculque déjà à la petite
fille quelle représente le péché, quelle doit être voilée et que
son corps doit être caché sous des robes amples et longues,
on veut la convaincre quelle est coupable. Quant au pro-
gramme des activités proposées, il est entièrement consacré
à lenseignement du Coran et à sa récitation : réciter, rien
que réciter les versets coraniques. Lenfant na pas la pos-
sibilité de s’exprimer par des activités créatrices comme la
peinture, ni dinteragir à travers les jeux avec ses camarades,
ni de chanter ou danser et, à aucun moment, il ne peut dire
« pourquoi ? ». Leurs aînés à l’Université arontent aussi
la violence de la part de mouvements extrémistes utilisant
la religion à des fins politiques. Cette violence se mani-
feste sous plusieurs formes, physique, intellectuellement
insoutenable et inacceptable comme l’acte de substituer au
drapeau tunisien celui de lislam radical dans lindifférence
des forces de lordre. Inacceptables, les violations de lespace
du savoir comme le projet de semparer de la Grande mosquée
de la Zitouna pour en faire une université qui puisera sa
source dans lidéologie wahhabite. Inacceptable, l’occupation
de la tribune d’un amphithéâtre de la Faculté des lettres
de Kairouan par un prédicateur saoudien wahhabite, invité
par deux associations proches du parti Ennahdha, dont le
cours d’ « islam radical » appelle à frapper les femmes et
met en garde contre le péché de laisser seule une fille en
présence de son père « au risque de céder aux tentations
moniaques » 3.
Aujourdhui, la dernière version du texte de la Constitution
que veulent faire passer les députés de la majorité à l’Assemblée
nationale constituante introduit, en faveur de lordre
religieux qui devra gouverner, la protection du sacré, ne fait
pas référence au caractère universel « des droits de l’Homme
et de ses libertés » sous prétexte qu’il est un legs de l’Occident
et, plutôt que de défendre légalité pleine et effective, sans
aucune réserve, entre les femmes et les hommes dans tous
les domaines, elle en définit les limites en garantissant seu-
3 Voir le journal en ligne leaders.com.tn
lement « l’égalité des chances entre la femme et lhomme
pour assumer les différentes responsabilités ». Larticle pre-
mier 4 de la Constitution de 1959 est maintenu mais il perd
lambiguïté – voulue par Bourguiba – sur la question de
lislam, religion de la Tunisie ou religion de l’État : le chapitre
portant sur la révision de la Constitution comporte une
disposition impliquant qu’aucune révision constitutionnelle
ne peut porter atteinte à « l’islam en tant que religion de
l’État ». Un autre point préoccupant est celui des droits des
minorités qui doivent être inscrits dans la Constitution an
que soient explicitement proscrites toutes les formes de
discrimination quelles quelles soient. Toutes ces questions
cruciales pour la définition de la deuxième République
tunisienne sont, depuis le 23 décembre 2012, lobjet dune
discussion à l’échelle nationale organisée par lAssemblée
nationale constituante. Ces débats mobilisent les citoyennes
et citoyens, nombre de représentants dassociations, de partis
politiques, de syndicalistes, portés par la volonté de résister
à un projet de société imposant une morale dictée par la
norme religieuse incompatible avec l’instauration dun État
démocratique.
4 « La Tunisie est un État libre, inpendant et souverain. Sa religion est lislam, sa
langue l’arabe, et son régime la République ».
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