Chapitre 6 : Les inégalités du développement économique - Les
analyses du sous-développement
La prise de conscience que certains pays étaient exclus du mouvement général de croissance est relativement
récente : le terme de "tiers-monde" a été lancé par Alfred Sauvy vers 1952, par analogie avec le tiers état qui, en
1789, n'était rien et aspirait à devenir quelque chose. Le sous-développement fait partie désormais de notre
univers -- il est en effet impossible d'ignorer la dramatique réalité que vivent quotidiennement plusieurs centaines
de millions de personnes. Dans les pays en voie de développement, le chômage touche souvent la moitié de la
population active. L'espérance de vie est souvent très faible (par exemple, l'espérance de vie est de 44 ans en
Guinée, 48 ans en Angola et en Éthiopie, 49 ans en Centrafrique, contre 72 à 78 ans dans les pays
industrialisés). L'état sanitaire et généralement déplorable ; en Afrique subsaharienne, sur 1000 naissances, on
enregistre 91 décès avant 1 an selon les pays et, dans le tiers-monde, 900 millions d'adultes sont analphabètes.
Le sous-développement existe donc bel et bien, si l'on désigne par-là le fait qu'une partie importante de la
population de certains pays ne parvient pas à subvenir à ses besoins essentiels et tente de survivre de façon
précaire. Longtemps, le revenu par tête servait d'indicateur de mesure pour le sous-développement -- aujourd'hui,
son importance est relativisée dans la mesure il masque les inégalités considérables qui, dans les pays du
tiers-monde, séparent une minorité nantie de la majorité de la population. De plus, bon nombre d'activités ne sont
pas payées en monnaie dans les pays du tiers-monde et, du même coup, elles sont ignorées : la femme qui
ramasse le bois, les sandales faites avec de vieux pneus, les milles et un petit métier ignorés des comptables
nationaux, tout cela permet de compléter des revenus très bas et explique que les peuples du tiers-monde
parviennent à survivre alors que les chiffres officiels les condamnent.
I -- L'accentuation des écarts :
- Pour avoir un ordre de grandeur, considérons tout d'abord la situation des pays capitalistes industrialisés. Ceux-
ci comptent 824 millions d'habitants et sont passés en 10 ans d'un produit par tête et par an de 100 000 F à
125 000 F (en francs constants, c'est-à-dire avec élimination de l'inflation pour le calcul) -- soit 25 000 F de plus.
Dans le même temps, les pays à faible revenu comptant plus de 3, 250 milliards d'habitants sont passés de 1500
F par an à 2100 F -- soit 600 F de mieux !
Ces chiffres valent mieux que de long discours et expriment la réalité du sous-développement, qui ne consiste
pas seulement en un écart, mais en un écart qui s'accroît -- en 10 ans, les uns ont accru leur produit 40 fois plus
que les autres ! !
Sans doute faut-il nuancer cette affirmation. D'une part, la comparaison en francs fausse les comparaisons
internationales. Dans la plupart des pays du tiers-monde, les biens et services produits localement coûtent moins
cher que dans les pays industrialisés : un revenu apparemment moindre permet en réalité de disposer d'un
pouvoir d'achat égal, sinon supérieur. Par ailleurs, l'ONU a mis au point un « projet de comparaisons
internationales » dans lequel les chiffres du PIB de chaque pays sont corrigés pour tenir compte de ce
phénomène (méthode dite de « parité de pouvoirs d'achat » -- on compare le pouvoir d'achat d'un même dollar,
ou de sa contre valeur officielle en monnaie locale, dans chaque pays). Pour l'instant, 64 pays sont concernés
par ce projet. Mais la banque mondiale, à partir de l'échantillon ainsi constitué, procède à des estimations pour
l'ensemble des autres pays. Le produit par tête est, en moyenne, multiplié par 3 (et même par 5 pour les pays les
plus pauvres), ce qui porte le produit par tête pour les 46 pays les plus pauvres de 1400 à 6000 F, et pour
l'ensemble du tiers-monde de 7300 à 21 000 F (1997). Toutefois, même ainsi corrigé, l'écart entre les pays du «
Nord » et les pays du « Sud » reste considérable, de l'ordre de 1 à 8.
D'autre part, le rythme de croissance du produit par tête depuis 25 ans, dans les pays du tiers-monde, est en
moyenne légèrement supérieure à ce qu'il est dans les pays capitalistes industrialisés -- environ 2,9 % par an,
selon la banque mondiale, contre 2,4 %. On constate donc une amorce de rattrapage. Toutefois, les chiffres
peuvent être trompeurs car le rattrapage ne concerne qu'une minorité de pays, parmi lesquels l'Inde et la Chine
dont le poids démographique est tel qu'il tire vers le haut la performance d'ensemble réelle des pays du tiers-
monde. Pis : pour les 50 pays dont le taux de croissance par tête, durant cette période, a été inférieur à 1,5 % par
an (représentant au total 800 millions de personnes), le taux de croissance moyen par tête a été de 0 % par an ! !
! ... En d'autres termes, l'expression « tiers-monde » recouvre en fait des réalités extrêmement différentes : à une
extrémité, des pays regroupant environ 1 milliard de personnes paraissent condamnés à l'immobilisme. À l'autre,
une trentaine de pays, regroupant 800 millions de personnes, suivent, avec plus ou moins de bonheur, les traces
des N. P. I. (Nouveaux pays industrialisés) dont les résultats économiques sont parfois brillants (pour les résultats
sociaux, cela n'est pas toujours aussi évident ! !) -- il s'agit de la Corée du Sud (+ 7,1 %) du Brésil (+ 3,3 %), de
Hong Kong (+6,2 %), de l'Indonésie (+4,5 %), de la Thaïlande (+4,4 %)... Enfin, l' Inde et la Chine
(respectivement + 1,9 % et + 5,8 %).
On constate donc qu'il n'est pas possible de claironner que finalement, « le tiers-monde s'en sort ».
- Concernant l'endettement, le fardeau de la dette joue, pour beaucoup de pays du tiers-monde, un rôle essentiel
dans l'aggravation de leurs difficultés.
Dans les années 70, en effet, beaucoup de pays du tiers-monde ont emprunté auprès de banques privées -- pour
ceux qui offraient suffisamment de garanties -- ou d'organismes publics, dans le but d'accélérer le mouvement de
croissance relativement rapide qu'ils connaissaient alors, à la faveur de la hausse des prix du pétrole et d'un
certain nombre de matières premières.
Le résultat a été, hélas, très différent de celui attendu. Dans les pays du sud, tout d'abord, cet afflux de devises
n'a guère été utilisé de façon efficace -- financement de grands projets « pharaoniques » qui se sont « enlisés
dans les sables » faute d'un personnel et d'un environnement adapté -- investissements de prestige (du type
palais présidentiel) ou encore détournement de fonds au profit des classes dirigeantes. Ce n'est évidemment pas
par leur seul mérite personnel que les héritiers de F.Houphouet-Boigny (en Côte d'Ivoire) ou du colonel Mobutu
(au Zaïre) figurent aujourd'hui parmi les grandes fortunes mondiales. Dans les pays pétroliers eux-mêmes, la
rente pétrolière n'a pas eu que des effets bénéfiques : dépenses somptuaires (ou militaires), infrastructures
disproportionnées, investissements productifs coûteux ne fonctionnant qu'à une fraction de leurs capacités, etc....
Tous ces constats montrent à l'évidence que le développement n'est pas d'abord -- ou essentiellement -- affaire
de capitaux, même si l'apport de fonds est une condition souvent nécessaire.
Ce serait toutefois une grave erreur que d'arrêter l'analyse à ce seul facteur interne. Le gaspillage, la corruption
ou les erreurs d'investissement n'expliquent qu'une partie du problème, sans doute la plus faible : car, même en
additionnant les uns et les autres, on ne parvient pas, loin s'en faut, aux 1 500 milliards de dollars de dettes à
long terme accumulées par les pays du tiers-monde. Deux autres facteurs ont joué :
-- le premier est la désinflation, accompagnée d'une forte hausse des taux d'intérêt -- en effet, les taux d'intérêt
ont augmenté considérablement depuis le début des années 80 et, pour leur malheur, la plupart des pays
endettés avait contracté (auprès des banques privées) des prêts à taux variable, c'est-à-dire indexés sur les taux
du marché. Certains pays se sont donc trouvés piégés dans la mesure la dette, contractée à taux nul ou
presque, a brutalement été transformée en taux record du point de vue historique.
-- le deuxième facteur concerne le prix des matières premières, tant énergétiques que minérales ou alimentaires.
On assiste, en effet, à un effondrement des cours fin août 1987. Or, pour la grande majorité des pays du tiers-
monde, les ressources en devises proviennent essentiellement des exportations de produits bruts. Au final, pour
bon nombre de pays, il a fallu emprunter...... pour rembourser ! ! .
La crise de la dette, en effet, présente un double aspect. Du point de vue des prêteurs (banques privées surtout),
le risque majeur est celui du non-remboursement. Pour certaines banques américaines, très engagées en
Amérique du sud, le risque était loin d'être théorique. L'intervention du F. M. I. ainsi que certaines procédures de
relais par des prêts publics, l'annulation d'une partie de la dette publique au profit des pays à faible revenu ont
permis d'éviter le pire. L'initiative Brady a même proposé des réductions de dette bancaire au profit des pays
ayant mis en place des programmes d'ajustement accepté par le F..M..I. En outre, depuis 1987, la plupart des
banques ont « provisionné » leurs créances douteuses, si bien qu'elles sont aujourd'hui en mesure de faire face,
sans catastrophe majeure, à la défaillance de clients importants. Certaines ont même vendu, sur le marché
financier, les reconnaissances de dettes qu'elles possédaient, à 40 ou 50 % de leur valeur, préférant ainsi troquer
un « tiens » contre deux « tu l'auras ». Ainsi, la dette du tiers-monde ne menace plus véritablement la finance
mondiale. On parle même de spéculation sur la dette du tiers-monde.
II : Les analyses du sous-développement.
Comment expliquer le sous-développement ?
Plusieurs analyses divergentes existent, qui s'efforce de fournir une explication plausible : on trouve : .
l'analyse libérale - L'analyse du sous développement en terme de retard.
l'analyse qualifiée de « moderniste ».
l'analyse marxiste en terme de dépendance et de domination.
A -- L'analyse libérale du sous-développement.
On connaît le point de vue des libéraux sur cette question : -- l'existence d'un marché mondial caractérisé par une
assez grande liberté de circulation des marchandises et une concurrence incontestable, devrait permettre à
chaque pays de se spécialiser dans les productions pour lesquelles il est le mieux placé. En retrouve ici la
théorie de David Ricardo sur la division internationale du travail (voir chapitre 1: les fondements du commerce
international). En bref, grâce à l'échange international, chaque pays devrait pouvoir s'approvisionner au meilleur
compte, et, de cette manière, les progrès économiques des uns devraient pouvoir se diffuser auprès des autres
via le commerce mondial.
Or, manifestement, un tiers au moins de l'humanité est exclu de ce développement. Dès lors, les libéraux ont le
choix entre deux explications.
1 -- les facteurs spécifiques.
Le premier facteur consiste à expliquer l'absence ou l'insuffisance de développement par des raisons climatiques,
religieuses, culturelles, etc.... On a vu ainsi apparaître toute une littérature sur l'absence de mentalité d'entreprise,
sur le poids des traditions ou même encore sur le caractère conservateur de telle ou telle religion dans les pays
sous-développés -- on a même placé les pauvres vaches sacrées de l'Inde sur le banc des accusés du blocage
du progrès (en même temps que la circulation automobile !).
Il est évident que de telles explications n'expliquent rien : les mentalités les comportements religieux sont
autant le fruit des circonstances économiques que l'inverse. Quant à l'esprit d'entreprise, il ne naît que lorsque les
conditions le permettent : à quoi bon entreprendre quand rien ne peut réussir ? Jacques Austruy a montré de
façon convaincante (dans « le scandale du développement ») tout comme John K. Galbraith (dans « théorie de la
pauvreté de masse ») que lorsque les tentatives de changement sont à peu près condamnées à échouer,
l'attitude la plus rationnelle consiste à ne rien faire. En clair, expliquer l'absence de développement par tel ou tel
facteur sociologique, c'est en fait expliquer l'absence de développement...... par l'absence de développement,
dans la mesure où les facteurs sociologiques en question sont souvent le fruit de l'absence de développement ! ! .
2 -- La thèse de Rostow.
L'économiste américain Rostow a soutenu la thèse que tout pays passe par 5 stades successifs au cours de sa
vie économique :
Première étape : la société traditionnelle.
« Travail et terre ». La société traditionnelle se caractérise par la prédominance de l'activité agricole et une très
faible productivité.
Deuxième étape : le pré-décollage.
Cette phase se caractérise par l'apparition d'entrepreneurs capables d'innover.
Troisième étape : le décollage.
Le collage se caractérise par une augmentation du taux d'investissement qui passe de 5 à 10 % du PNB.
D'après Rostow, cela aurait été le cas de la France de 1830 à 1870 et du Japon de 1885 à 1905.
Quatrième étape : le passage à la maturité.
Il se caractérise par une nouvelle augmentation du taux d'investissement qui passe de 10 % à 20 % du PNB ainsi
que par l'apparition de nouveaux secteurs économiques.
Cinquième étape : la société de consommation de masse.
Elle se caractérise par une grande diversification de la production et un ralentissement de la croissance.
Cette thèse a été très critiquée pour différentes raisons :
- Tout d'abord, la thèse de Rostow se repose sur une vision linéaire de l'histoire qui est assez contestable :
les bons sont les Américains (modèle de société de consommation de masse à atteindre) qui montrent la voie.
Les États-Unis préfigurent donc ce que seront, tôt ou tard, les autres pays du monde. Pour certains, la théorie de
Rostow serait, dans le domaine du veloppement, l'équivalent de ce que soutenait Frédéric Taylor dans le
domaine de l'organisation du travail : pour chaque problème, il existe une « one best way » c'est-à-dire une seule
et bonne solution.
- Ensuite, pour Rostow , l'histoire se déroule de façon implacable. On ne brûle pas les étapes, dit Rostow.
Chaque pays doit passer par un certain nombre de stades un peu comme un homme avant d'être adulte. Or ce
n'est pas ainsi que les choses se passent : les structures sociales, pas plus que l'environnement économique des
pays que l'on appelle aujourd'hui sous-développés, ne sont analogues à celles des pays européens du XVIIe
siècle. Ces pays ne sont pas simplement en retard, ils sont différents. Lorsque notre pays était -- pour reprendre
le vocabulaire de Rostow "au stade de la transition", il n'existait pas de marché mondial, ni de division
internationale du travail au sein de laquelle nous aurions produit des matières premières pour d'autres pays. Nous
n'avions pas affaire à des ennemis potentiels dotés d'armes atomiques ou de chasseurs-bombardiers, nous
n'avions pas de colonisateurs ayant marqué nos pays de leurs empreintes. Pour résumer, l'Inde des années 2000
n'est pas analogue à la France de 1750 !
Enfin, la plupart des spécialistes du développement montrent que les conditions économiques d'un « démarrage
» sont aujourd'hui bien plus difficiles à réunir qu'au siècle dernier, et le deviennent davantage au fur et à mesure
que les pays veloppés avancés modèlent le marcmondial -- il n'est en effet plus question aujourd'hui de
produire du fer dans des forges plus ou moins artisanales comme il en existait le long de bien des cours d'eau en
France au XVIIIe siècle.
Comme on le voit, l'analyse libérale incite à la prudence puisque la seule attitude rationnelle est d'attendre que le
pays parcourt les étapes de la croissance économique. L'analyse libérale fait confiance à dynamique du marché
de la concurrence pour provoquer les changements nécessaires dans les pays concernés, et ces changements,
estime-t-elle, finiront tôt ou tard par se produire. Le sous-développement se résorbera de lui-même !
B. -- l'analyse moderniste.
Cette analyse est née des insuffisances de l'analyse précédente et du refus de certains de se situer dans l'un des
deux courants idéologiques qui, aujourd'hui, inspirent la plupart des analyses, à savoir le courant libéral et le
courant marxiste.
L'idée de base de cette analyse consiste à dire qu'une économie sous-développée n'est pas seulement une
économie moins développée mais qu'il s'agit d'une économie dont la structure est différente. Par conséquent,
pour analyser le sous-développement, il convient de mettre en évidence les éléments de cette structure
caractéristique. Pour les tenants de cette thèse la spécificité des structures des pays en voie de développement
tient dans le dualisme, l'excentration, et la domination.
1 -- Le dualisme.
Ce qui frappe, dans une économie sous-développée, c'est la juxtaposition du moderne le plus moderne et du
traditionnel le plus traditionnel. L'eau courante n'existe pas dans tous les villages mais les téléphones portables
marchent bien. Tout se passe comme si deux mondes se juxtaposaient : l'un marqué par la modernité, l'autre par
la tradition. Ces deux mondes ne sont pas complètement étrangers l'un à l'autre : les femmes de ménage qui
entretiennent les appartements climatisés ou les bureaux de l'administration vivent dans les habitations
traditionnelles. Mais ces deux mondes n'entretiennent que très peu de relations. Entre les cadres de la haute
administration, complètement intégrés au mode de vie occidentale, et le reste de la population, en général
attaché à un mode de vie rural, le divorce est complet. Ce phénomène est qualifié de « dualisme ».
Le dualisme a des conséquences très importantes dans la mesure il entraîne la non-intégration économique.
Dans une économie développée, le secteur productif est généralement composé de plusieurs branches (par
exemple, l'agriculture, l'industrie, les services) qui entretiennent d'étroits rapports commerciaux - chacune fournit
aux autres les produits ou les services nécessaires à sa propre production. Dans les pays en voie de
développement, au contraire, chaque branche a tendance à acheter à l'étranger ses consommations
intermédiaires, faute de trouver dans le pays même ce dont elle a besoin. De plus, dans une économie sous-
développée, lorsqu'une branche connaît un mouvement de croissance, elle ne le transmet pas aux autres
branches, mais à ses fournisseurs étrangers ! Pour les tenants de la thèse « moderniste », c'est le dualisme qui
provoque ce phénomène.
2 -- l'excentration.
Ce terme recouvre une réalité très simple : dans un pays en voie de développement, la production nationale n'est
généralement pas destinée à satisfaire les besoins du pays lui-même, mais est destiné à être exportée sur le
marché mondial. Il s'agit d'une conséquence historique de la colonisation dans la mesure où, le plus souvent,
le rôle des colonies était de fournir les matières premières dont la métropole avait besoin. C'est ainsi que se sont
constitués les grands secteurs d'exportation, soit de produits agricoles, soit de produits minéraux. Certes, en
théorie, cette spécialisation n'est pas forcément nuisible : le pouvoir d'achat procuré par ces exportations peut
servir à acheter ce que le pays ne produit pas par lui-même et dont il peut avoir besoin. Mais, dans la pratique, il
n'en est pas ainsi, et cela pour trois raisons : .
Première raison : la production est imposée.
En général, les pays sous-développés n'ont guère le choix. Par exemple, la Zambie n'est pas libre de produire ou
de ne pas produire du cuivre. Ce dernier représente plus de 60 % de ses ressources d'exportation - le pays est
donc contraint d'essayer d'en vendre le plus possible. Or, la concurrence entre les fournisseurs pousse certains
pays, pour survivre, à continuer à produire à prix bas ce qui accentue la pression à la baisse sur les salaires.
L'excentration a donc provoqué une exploitation de la main-d’œuvre locale et un appauvrissement croissant.
Deuxième raison : l'excentration accentue la dépendance.
Beaucoup de pays en voie de développement sont confinés dans des mono-productions destinées au marché
mondial. Du même coup, ils sont très dépendants des fluctuations de prix ou de débouchés sur le marché
mondial.
Par exemple, en Afrique, seule la côte est dotée d'infrastructures dignes de ce nom et les voies de
communication à l'intérieur du continent n'existent que lorsqu'elles se révèlent nécessaires pour évacuer telle ou
telle ressource destinée au marché mondial.
L'excentration modèle ainsi toute la structure économique du pays : production, salaires, prix, infrastructures.
Troisième raison : la domination.
Il s'agit tout d'abord d'une domination économique. En effet, la plupart des firmes du secteur moderne, qui
fournissent la quasi-totalité des recettes fiscales et des ressources en devises, sont des filiales de firmes
étrangères. Les investissements dépendent donc de la stratégie internationale de ces firmes.
La domination est ensuite technologique : la plupart des brevets, des techniques, des secrets de fabrication, des
techniques de gestion sont importés de pays étrangers.
La domination est enfin culturelle : dans la plupart des pays en voie de développement, les nouvelles
internationales, les bandes dessinées, les films et même les concerts ou manifestations culturelles proviennent
d'occident.
C : l'analyse marxiste.
Dans ses grandes lignes, l'analyse marxiste ne désavoue pas l'analyse moderniste. Elle s'efforce cependant
d'aller plus loin et de montrer que les trois caractéristiques structurelles mises en évidence par l'analyse
moderniste ne sont pas indépendantes l'une de l'autre.
Pour les tenants de l'analyse marxiste, le sous-développement doit être analysé d'une part comme un
phénomène de dépendance des pays en voie de développement vis-à-vis des pays développés et d'autre part
comme un phénomène historiquement daté qui a pris naissance avec le colonialisme.
L'analyse marxiste met l'accent sur un certain nombre d'éléments :
-- l'inégalité des termes de l'échange :
L'analyse marxiste estime que le dualisme n'est qu'une apparence et que, en réalité, le secteur qualifié de
"moderne" repose sur le secteur qualifié de « traditionnel ». Il s'agit de ce que l'on appelle « l'inégalité des termes
de l'échange ».
Les pays sous-développés sont de plus en plus intégrés au marché mondial. Ils y jouent un le essentiel en
raison du bas prix de la main-d’œuvre. La main-d’œuvre locale et payer à la limite de la subsistance et, du même
coup, le surplus que pourrait faire naître le travail de la main-d’œuvre locale est ristourné, pour une part aux
propriétaires du capital sous forme de profits plus élevés et pour une autre part aux consommateurs des pays
développés sous forme de bas prix de vente. En clair, les travailleurs des pays en voie de veloppement sont
incapables, avec leurs salaires de misère, d'acheter plus que le strict minimum vital et ne fournissent ainsi donc
aucun débouché intéressant pour une industrie locale. Pour l'analyse marxiste, les bas salaires sont donc une
forme de pillage international dans la mesure le surplus est transféré à d'autres qu'à ceux qui produisent et
dans la mesure où cela provoque un blocage à toute forme d'auto développement.
- Sur la question de la raison d'être de ces bas salaires, l'analyse marxiste diffère profondément de l'analyse
moderniste.
Pour les marxistes, le chômage massif est la principale explication aux bas salaires -- mais pourquoi ce chômage
massif ? Parce que, répond l'analyse marxiste, le capitalisme a détruit les structures traditionnelles du pays. Par
exemple, l'artisanat traditionnel a été laminé par la concurrence de la production capitaliste.
Devant cette misère croissante, cette surexploitation éhontée, comment se fait-il que la révolte ne gronde pas ?
L'explication est claire : dans tous les pays du tiers-monde, le capitalisme a pris le soin d'entretenir une couche
de fonctionnaires, d'administrateurs, de représentants plus ou moins parasitaires, mais dont la fonction sociale
est de maintenir l'ordre est d'éviter soigneusement que les conditions de fonctionnement de cette structure
d'exportation ne soit remise en cause.
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