Repenser le développement africain
Un nouveau regard sur le développement de l’Afrique
Projet PDévA
Prospection pour le Développement en Afrique
Cadre général
Après une première étude collective sur le Sénégal, concrétisée par un ouvrage collectif
intitulé « Le Sénégal : quelles évolutions territoriales ? »
1
, l’idée de poursuivre cette
collaboration scientifique dans le cadre du projet PDévA est une belle opportunité. La
problématique du développement étant au cœur des préoccupations majeures de l’Afrique, il
nous a semblé opportun de dépasser les conformismes et les clivages classiques pour
développer une expertise novatrice, construite sur une étude croisée des thématiques
transversales.
Voir le développement autrement
« Le développement » d’une société, selon la définition classique de François Perroux (1961)
est « la combinaison des changements mentaux et sociaux qui la rendent apte à faire croître,
cumulativement et durablement son produit réel global »
2
. Par analogie, le développement est
le regard que portent les pays développés sur ceux qu’ils considèrent comme moins avancés,
notamment les pays africains. Dans cette conception du développement, le progrès et le bien-
être d’un pays importent moins que sa conformité au modèle imposé des sociétés modernes.
Le problème est que ce regard, cette vision qu’on a du développement pousse à privilégier
l’apport extérieur comme alternative au développement ; il empêche de se concentrer sur
l’essentiel c’est-à-dire l’émulation, la stimulation interne de la société vers le progrès.
Le développement de l’Afrique continue de susciter un débat sur la scène nationale et
internationale. Toutes les politiques de développement entreprises jusqu’à nos jours n’ont pas
pu favoriser le développement de l’Afrique. Sans doute parce que l’Afrique n’a pas encore
trouvé la bonne formule qui doit la libérer du joug de la pauvreté. Et toute considération sur le
développement de l’Afrique impose cette question essentielle : de quel développement s’agit-
il ? Là encore, le concept suscite débat. Toutes les divergences autour de celui-ci suscitent
l’absence de consensus et par conséquent la difficulté à mener une politique cohérente. La
question du développement africain a été à la base mal posée.
Le concept de développement doit-il être calqué sur un modèle prôné par les institutions
internationales (Banque mondiale, FIM, OMC…) ou les pays pourvoyeurs d’aide publique au
développement ?
L’échec des politiques de développement menées par ces grandes institutions nous laisse à
penser que la question du développement doit être revue avec une implication plus forte des
pays du sud, en l’occurrence des pays d’Afrique.
Le point de départ du développement de l’Afrique doit coïncider avec la prise de conscience
de la nécessité de concevoir un développement adapté à ses réalités et susceptible de valoriser
ses atouts qu’on ne perçoit pas forcement à juste titre. Pourquoi ne pas penser le
1
Référence de l’ouvrage : Christian Thierry MANGA (coord.), « Le Sénégal : quelles évolutions
territoriales ? », Paris, l’Harmattan, 2012, 325 p.
2
François PERROUX, L’économie du XX e siècle, Paris, PUF (1961), 814 p.
développement en terme de bien-être afin d’éradiquer le poids des conceptions et des modèles
de développement préconçus sur lesquels s’appuie l’Afrique ?
L’idée est de créer une dynamique venant du bas qui s’appuie sur les spécificités locales des
territoires et que l’on perçoit par ailleurs à travers les initiatives citoyennes.
Sur ce volet, le géodécisionnel peut être un atout majeur d’accompagnement. Il permet
d’évaluer le potentiel du territoire par rapport au projet afin de minimiser les risques d’échec.
Le développement africain nécessite une approche propre aux secteurs d’activités et au
contexte des pays, car l’Afrique est avant tout plurielle. Cette approche spécifique n’occulte
nullement la dimension sous-régionale et régionale dans laquelle doit s’intégrer les projets.
Celle-ci constitue le second volet de la réflexion du développement africain. Il faut donc
repenser le développement africain à plusieurs échelles :
- Repenser le développement africain dans le contexte local.
- Repenser leveloppement africain dans le cadre d’une intégration sous-régionale et
régionale.
Aux origines de la problématique du développement en Afrique : un processus
de mondialisation de la civilisation industrielle occidentale
On peut tenter d’expliquer l’émergence de la problématique du développement du continent
africain en évoquant trois contextes majeurs.
Le premier contexte est celui qu’illustre Gabriel WACKERMANN (2005)
3
, à propos de
la géographie du développement. L’auteur nous rappelle qu'au début de l'ère industrielle,
lorsque la géographie moderne émergente s'est penchée sur la question du « développement »
induit par les immenses progrès techniques et industriels, elle s'est d'abord intéressée à son
espace originel, l'Europe occidentale, ensuite à l'Amérique du Nord. Bien plus tard, lorsque
les colonies sont venues renforcer ce système, on s’est mis à croire que ce modèle de société,
issu de la révolution industrielle, pouvait s’étendre à l’humanité entière. Dès lors, les sociétés
non industrialisées d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et d’Océanie pouvaient être considérées
comme étant « en retard ». Ce qui justifiera la « mission civilisatrice de la colonisation ».
Le deuxième contexte se situe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Cette
période correspond à un tournant dans l’histoire contemporaine ; celui de l’aspiration
profonde à la souveraineté dans les colonies et l’émergence du « sous-
développement » comme une question géopolitique. En effet, au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale, l’Europe, les États-Unis, et l’URSS (les pays industrialisés) observent en
Afrique, en Amérique latine et en Asie, se concentrent les trois quarts de l’Humanité,
« d’immenses plages de misère, de famine, de sous-alimentation »
4
. Au même moment, au
3
Gabriel WACKERMANN, Géographie du développement, Paris, Ellipses, (2005), 537 p.
4
Yves BENOT, cité par Georges CAZES & Jean DOMINGO in Le sous-développement et ses critères, Paris,
Bréal, (1990) p 17.
sein de ces peuples, s’affirme une prise de conscience profonde symbolisée, en 1955, par la
Conférence de Bandoeng
5
. Dans cet élan se forgent deux concepts célèbres :
- Le concept du « sous-développement » théorisé pour la première fois par le Président
Harry TRUMAN, le 20 janvier 1949. Dans le point no4 de son discours, il déclare : « Il
nous faut lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de
notre avancé scientifique et de notre progrès industriel au service de l'amélioration et de
la croissance des régions sous-développées ("the underdeveloped"). Plus de la moitié des
gens dans le monde vit dans des conditions voisines de la misère. Ils n'ont pas assez à
manger. Ils sont victimes de maladies. Leur pauvreté constitue un handicap et une
menace, tant pour eux que pour les régions les plus prospères ».
- Le concept du « Tiers-Monde » d’Alfred SAUVY, le 14 août 1954. Dans la phrase qui
clôt un article du magazine L'Observateur, intitulé «Trois mondes, une planète» (no118,
14 août 1952, page 14), Alfred SAUVY écrit ceci : « Enfin ce Tiers-Monde ignoré,
exploité, méprisé comme le Tiers-État, veut, lui aussi, être quelque chose».
D’éminents chercheurs comme Walt Whitman ROSTOW, Charles BETTELHEIM, René
DUMONT, etc., mais également les organismes des Nations-Unies vont se pencher sur la
question du sous-développement, afin d’identifier et d’apporter des solutions à ce qui se
présente comme des entraves à « l’accroissement des richesses » et à « l’amélioration des
conditions de vie [de la] population sur [leur] territoire » selon l’expression de Philippe
CADENE (2005)
6
. Il en est résulté une abondante littérature et une médiatisation planétaire
que Tibord MENDE a tenté d’illustrer, en déclarant que « l’amour mis à part, le
développement est sans doute le sujet qui a suscité la littérature la plus abondante ».
Enfin, le troisième contexte correspond à la décennie des Indépendances en Afrique.
La vague des indépendances sur le continent à partir des années 1960 à 1970 , après une
période d’euphorie, a révélé une préoccupation profonde. Devant ces « jeunes États » aux
populations à majorité pauvres se dresse l’immense problématique du sous-développement. Il
leur fallait aménager des territoires jusque-là organisés autour d’une économie de traite ;
améliorer les conditions de vie des populations Dès lors, « La quête du développement »
7
est devenue un défi majeur. On s’interroge alors sur les stratégies et les moyens à mettre en
œuvre. Les pays développés et les institutions internationales – la Banque Mondiale et le Fond
Monétaire International (FMI) encouragent les pays sous-développés, notamment ceux
d’Afrique, à adopter leurs modèles et politiques de développement. Les cahiers de charges qui
encadrent les programmes de développement seront un moyen efficace pour contraindre les
pays à les appliquer.
5
La Conférence de Bandoeng, convoquée par les gouvernements de Birmanie, de Ceylan, de l'Inde, d'Indonésie
et du Pakistan a réuni des peuples afro-asiatiques, et s'est tenue du 18 au 24 avril 1955. Dans sa solution finale,
la Conférence a notamment prô la neutralité des peuples du Tiers-monde dans la rivalité des deux blocs
Occidental et Communiste, et leur droit à l’indépendance, condamnant ainsi le colonialisme.
6
In Jacques LEVY & Michel LUSSAUT, Dictionnaire de géographie de l’espace et de la société, Paris, (2003),
p. 245.
7
Jean-Philippe THERIEN (sous la dir.), La quête du développement, Montréal, Association canadienne-
française pour l’avancement des sciences, (1988), 212 p.
Les théories du développement en Afrique du rattrapage des retards à
l'explosion des inégalités
8
Les Nations-Unies et bon nombre de chercheurs, en définissant le « sous-développement » n’y
voyaient qu’un « retard », une « insuffisance » toujours en comparaison avec des pays
occidentaux qui ont atteint un stade de production, de consommation et d’organisation plus
« avancé ». D’où la définition suivante : « Le sous-développement » correspond à la « non
exploitation optimale de toutes les ressources économiques et humaines disponibles sur un
territoire » (Nations-Unies).
Dès lors, on assiste à la conception de théories du développement et des stratégies pour
permettre aux « peuples sous-développés »
9
de réaliser leur « rattrapage ». C’est ainsi que les
Nations-Unies décident de consacrer la période 1960-1970 : « décennie du développement »
10
.
En Afrique, après un demi-siècle de stratégies de développement et de politiques d’ajustement
structurel, avec l’aide de la Banque Mondiale, du Fonds Monétaire International, et de pays
développés, les résultats s’apparentent fort bien à « un bilan accablant »
11
, selon nombre
d’analystes.
En effet, sur le continent, l’évolution des pays offre des situations disparates, rendant
caduques les politiques globalisantes et uniformisantes du développement. Les concepts
comme celui du « Quart-monde » et du « Tiers-Monde » connaissent le même discrédit. Alors
qu’ils étaient presque au même niveau de développement dans les années 1960, les pays
d’Asie du Sud ont connu un décollage économique tandis que ceux d’Afrique demeurent en
marge de cette dynamique.
En 2015, la population du continent, avec un taux de croissance de 2,4%, s’élevait à 1,16
milliard d’habitants, soit 16% de la population mondiale. À ce rythme, le continent atteindra 2
milliards en 2050, selon les prévisions des Nations Unies. À cette forte croissance
démographique correspond une situation de sous-développement. En effet, l’Afrique
représente moins de 2% du commerce mondial. Le continent est toujours marqué par une
économie de traite, caractérisée par l’exportation de matières premières (minières et
agricoles)
12
et l’importation de biens de consommation.
En dehors des pays producteurs de pétrole, comme l’Algérie, l’Angola, la Libye, le Nigeria,
entre autres, qui bénéficient d’une importante rente liée à la hausse du cours du baril de
pétrole
13
, l’économie des pays africains est confrontée, d’une part, à la baisse des cours des
matières premières agricoles et minières, leurs principales sources de devises, et d’autre part à
une hausse des prix des produits manufacturés importés.
8
Je reprends ici AZOULAY, Gérard, Les théories du développement. Du rattrapage des retards à l'explosion
des inégalités, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, (2002), 332 p.
9
Je préfère utiliser l’expression « peuples sous-développés » dans la mesure une bonne partie de l’Afrique et
de l’Asie du Sud-est était encore sous la domination coloniale.
10
L’Assemblée générale des Nations Unies fait adopter par l’ensemble des pays membres le principe d’une aide
publique au développement d’un montant égal à 1% de leur produit intérieur brut (P.I.B.). Ce montant sera
abaissé à 0,7% du PIB lors de la deuxième décennie décrétée dans les années 1970.
11
DOMINGO Jean et CAZES Georges, Le Tiers-Monde, le temps des fractures, Paris, Bréal (1994), 313 p.
12
L’agriculture constitue une activité de subsistance pour 70% de la population africaine.
13
Le cours du Baril de pétrole s’élevait à 118, 20$ le jeudi 03 mai 2012 (source : www.prixdubaril.com). NB :
notre approche exclut l’Afrique du Sud dont l’histoire économique et sociale demeure une particularité en
Afrique.
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