Expose_Pers_Atteinte_Trouble_Psychique

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INTRODUCTION
« La folie ou l’atteinte par les maladies, l’excès de vieillesse sont des excuses à un acte sans
elles tenu pour criminel. » Platon, livre IX.864 des lois.
La responsabilité pénale, principe fondamental de droit pénal, implique que la répression
ne peut être exercée qu’à l’encontre des personnes responsables. Ainsi, le délinquant
n’encourt pas de plein droit une sanction du seul fait qu’il a commis une infraction : encore
faut-il qu’il soit reconnu pénalement responsable.
De manière générale, la responsabilité est définie comme l’obligation de répondre des
conséquences de ses actes. En droit pénal, la responsabilité correspond plus spécifiquement à
l’obligation de répondre ou de rendre compte de ses actes délictueux en subissant une
sanction pénale dans les conditions et selon les formes prescrites par la loi. Toutefois, le
concept de responsabilité pénale comprend d’autres notions importantes, parfois complexes. Il
en est ainsi des notions de culpabilité et d’imputabilité. Tandis que la notion de culpabilité
suppose l’accomplissement d’une faute au sens large, intentionnelle, soit non intentionnelle,
la notion d’imputabilité tient à un état de conscience et à une volonté libre du sujet lui-même.
Dans certaines hypothèses, la loi écarte toute déclaration de culpabilité à l’encontre d’un
individu pour lequel il existe des causes de non imputabilité (l’ordre de la loi, le
commandement de l’autorité légitime, la légitime défense, l’état de nécessité, la
contrainte, l’erreur de droit) : l’individu est alors considéré comme irresponsable.
Afin de comprendre les cas d’atténuation ou de disparition de la responsabilité pénale, il est
nécessaire de parcourir rapidement son évolution :
Avec la première manifestation du droit criminel, dans les sociétés archaïques, la
responsabilité pénale a été matérialisée par une responsabilité collective, objective et
automatique. Elle correspondait à la période de la vengeance et des guerres privées, et elle
reposait sur la volonté d’établir l’ordre au sein du groupe ou du clan.
Dans les sociétés de l’Antiquité, on relève une évolution de la responsabilité pénale vers une
responsabilité individuelle et personnelle : si l’acte était le critère essentiel du déclenchement
de la responsabilité, la faute de l’auteur n’était pas ignorée.
Au Moyen Âge, le droit canonique a développé cette responsabilité individuelle : l’auteur
d’une infraction ne pouvait être sanctionné que s’il avait été reconnu moralement responsable.
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Il en ressortait une responsabilité pénale liée à la faute morale, correspondant à la théorie
classique fondée sur le libre arbitre de l’homme, à la liberté morale de l’individu. C’est parce
que l’homme est libre et conscient que la commission de l’infraction implique la faute et par
conséquent, la responsabilité de son auteur. A contrario, lorsque l’homme n’est pas lucide ou
conscient, il ne peut disposer d’une volonté libre et dans ce cas, son comportement ne saurait
être réputé fautif.
Cependant, cette théorie classique a suscité de nombreuses critiques de la part des positivistes
de la fin du XIXe siècle. Lombroso, Garrofalo et Ferri ont estimé qu’un tel système était
irréaliste, formaliste et abstrait, et ils ont remis en cause le fondement même de la
responsabilité pénale, le libre arbitre de l’homme. En effet, si l’individu a un comportement
dangereux pour la société, il doit être déclaré responsable quel que soit son état de conscience.
La responsabilité pénale doit donc être fondée sur l’état dangereux de l’homme et non plus
sur le comportement fautif.
Si la doctrine classique de la responsabilité juridique et morale semblait trop abstraite, celle
des positivistes était excessivement déterministe. C’est avec la défense sociale nouvelle que
la notion de responsabilité pénale va évoluer dans un sens plus pragmatique.
Selon Mr Ancel, la responsabilité pénale doit être recherchée à travers la complexité du
phénomène criminel, et doit être définie, déterminée selon une démarche impliquant la prise
en compte du facteur individuel et du facteur social. Cela revient à admettre une
responsabilité individuelle par rapport à l’acte mais aussi par rapport à la personnalité de son
auteur. Ainsi, pour condamner le délinquant, le juge doit relever la responsabilité de
l’intéressé non seulement selon la référence objective de la loi mais aussi selon les éléments
subjectifs de sa personnalité.
Au delà de ces théories, il convient d’aborder les éléments qui ont guidé les rédacteurs du
Code Pénal. En effet, si l’on a pu considérer au Moyen Âge que les malades mentaux devaient
être traités de la même façon que tous les criminels, voire plus sévèrement car on pensait
qu’ils étaient possédés du démon, la conception morale et rétributive du droit pénal moderne
interdit de les punir. Dès lors qu’ils sont atteints d’une maladie « aliénante » de l’esprit qui les
prive de leur libre arbitre, il serait injuste et inutile qu’ils assument au plan pénal les
conséquences de leurs actes. Injuste car ils n’ont pas eu conscience qu’ils commettaient une
infraction. Inutile, car ils sont incapables de comprendre le caractère dissuasif de la sanction.
C’est pourquoi les rédacteurs du Code Pénal de 1810 énoncèrent, dans le célèbre article 64,
2
le principe selon lequel « il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence
au temps de l’action ».
La formulation de l’article 64 a cependant été très rapidement considérée comme imparfaite
pour trois raisons principales. Elle donnait tout d’abord à penser que la démence avait pour
conséquence la disparition de toute infraction, ce qui est inexact : si la responsabilité pénale
du dément ne pouvait être reconnue, une infraction avait cependant été commise. Elle laissait
croire par ailleurs que cette cause d’irresponsabilité ne concernait que les crimes et les délits,
alors qu’il fut très vite admis par la jurisprudence qu’elle concernait également les
contraventions. Enfin, le terme de « démence » était impropre car il ne correspondait pas à
son acception technique et scientifique, mais recouvrait toutes les formes d’aliénation
mentale.
Sur le fond, la règle posée par l’article 64 soulevait également de très nombreuses critiques,
dont la plus importante était qu’il laissait sans réponse le problème posé par les personnes
atteintes d’un trouble mental insuffisamment grave pour être qualifié d’état de démence, mais
de nature à influencer leur comportement et donc à diminuer leur libre arbitre. En pratique,
ces personnes étaient déclarées pénalement responsables, mais se voyaient accorder les
circonstances atténuantes. Il en résultait qu’elles étaient moins sévèrement condamnées que
des délinquants « normaux », alors même qu’elles présentaient parfois un état dangereux plus
important pour la société en raison de leur trouble mental.
Une modification de l’article 64 passant par l’abandon de son manichéisme, opposant « fou
criminel » au « délinquant sain » s’imposait. Pourtant, jusqu’à l’entrée en vigueur du
nouveau code pénal, les nombreux projets instaurant une dichotomie entre délinquant aliéné
et délinquant anormal n’ont jamais abouti. (1)
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(1) : outre le cas du « prévenu en état de démence au temps de l’action », le projet de code
pénal de Paul Matter de 1934 énonçait celui de « toute personne alcoolique, toxicomane ou
atteinte d’une infirmité mentale grave ». La proposition de loi des sénateurs Lisbonne et
Comboulives de 1937 envisageait « les délinquants qui sans être atteints d’aliénation mentale
comportant l’internement dans un asile, apparaissent porteurs d’une anomalie mentale
durable, nettement caractérisée, constituant une prédisposition importante à des délits
ultérieurs ». Elle s’inspirait de la loi belge de défense sociale de 1930 tout comme l’avant
projet de la loi de 1955 concernant les délinquants anormaux.
3
Présenté par une commission nationale par le professeur Levasseur, l’avant projet de 1955
fut mis au point à partir des travaux de commissions régionales chargées d’étudier les
législations et expériences étrangères en vue de l’élaboration d’une loi de défense sociale. Il
définit le délinquant aliéné dans son article 1 et le délinquant anormal à l’article 2. (1)
Enfin, l’avant projet de réforme des dispositions générales du Code Pénal, tant dans son
premier rapport diffusé en 1976 que sa présentation définitive de 1978, distingue les
personnes dites punissables, et les personnes non punissables. (2)
Le nouveau Code Pénal, dans son article 122-1 reprend cette distinction entre les effets du
trouble. S’il a entraîné une abolition du discernement ou du contrôle des actes au moment des
faits, l’auteur est pénalement irresponsable (alinéa 1). Si ses facultés mentales ont seulement
été altérées, l’auteur demeure punissable, toutefois la juridiction en tient compte pour la peine
(alinéa 2). (3).
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(1) : Délinquant anormal : « tout individu qui, par suites de troubles psychiques ou de
déficiences mentales durables altérant ses fonctions supérieures de contrôle, n’est pas
pleinement capable d’apprécier le caractère délictueux de ses actes ou de se déterminer
d’après cette appréciation ». (Art 2). Délinquant aliéné : « tout individu totalement incapable
d’apprécier le caractère délictueux de ses actes ou de se déterminer d’après cette
appréciation ». (Art 1)
(2) : Art 36 al 1 du projet de 1978 : « est punissable l’auteur, l’instigateur ou le complice
atteint, au moment de l’infraction, d’un trouble psychique qui, sans abolir son discernement
ni le contrôle de ses actes, était de nature à influencer son comportement. Art 40 al 1 du projet
de 1978 : « n’est pas punissable celui qui était atteint, au moment de l’infraction, d’un trouble
psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».
(3) : Art 122-1 nouveau CP : « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte,
au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement
ou le contrôle de ses actes.
La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique
ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ;
toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en
fixe le régime. ».
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L’alinéa 2 est le plus novateur car il envisage l’hypothèse d’un amoindrissement du libre
arbitre. Il suit ainsi les données modernes de la criminologie et de la psychiatrie attestant qu’il
exige un large éventail de troubles psychiques modifiant partiellement le comportement
humain. La « grande charte du droit pénal » accorde donc une place aux délinquants
anormaux.
Les rédacteurs du nouveau Code Pénal n’ont donc pas repris l’ancienne formulation.
Cependant, si les nouvelles dispositions ont rendu caduques les critiques d’ordre rédactionnel
formulées à l’encontre de l’article 64, elles ne suppriment pas totalement les difficultés de
fond qui résultaient du droit antérieur.
L’article 122-1CP a apporté trois sortes de modification : d’une part, il a abandonné la
notion de démence pour retenir celle de trouble psychique ou neuropsychique ; d’autre part, il
précise que, en tant que cause d’irresponsabilité, le trouble mental interdit de réprimer toutes
les infractions, mais ne supprime pas l’existence même de l’infraction ; enfin, il distingue
désormais clairement selon que le trouble mental a aboli ou simplement altéré le
discernement.
Ce souci de différentiation de la part des rédacteurs du nouveau code appelle des précisions
quant aux définitions. En effet, de la nuance entre abolition et altération va découler une
irresponsabilité ou une responsabilité atténuée de l’auteur. L’abolition est le fait de supprimer,
de réduire à néant. En l’occurrence, soit l’individu a perdu la capacité de comprendre,
autrement dit d’interpréter ses actes dans la réalité, soit il a perdu la capacité de vouloir, c'està-dire de contrôler ses actes.
En revanche, les troubles mentaux qui ne font qu’altérer le discernement entravent le contrôle
de ses actes, sans supprimer totalement son libre arbitre.
On notera que la frontière entre les deux notions est parfois ténue et difficile à établir.
Le nouveau code pénal, au terme de l’alinéa 1 de l’article 122-1 du CP exclut de toute
sanction pénale l’auteur d’une infraction atteint d’une abolition du discernement, et cette
décision fait suite à une expertise psychiatrique qui, dès l’instruction ou lors du jugement,
déclare le délinquant non accessible à la sanction pénale. L’auteur sort du champ
d’application du droit pénal et pose par conséquent, moins de difficultés d’ordre procédural.
Cependant, la victime, de fait, est privée de procès, n’acquiert pas le statut de victime, et se
trouve face à un vide, ne pouvant pas effectuer le travail nécessaire à sa reconstruction
psychologique.
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Ainsi, le sujet déclaré irresponsable est exclu du champ du droit commun de la responsabilité
pénale, il est alors pris en charge par une administration, pénitentiaire ou hospitalière, qui,
nous le verrons ultérieurement, ne bénéficie pas des moyens nécessaires pour accomplir
correctement sa mission de soins et de suivi du malade.
L’application de l’alinéa 2, prévoit, quant à lui, que l’altération du discernement n’exclut pas
la responsabilité pénale. Ainsi, l’auteur est maintenu dans le processus pénal. Les différentes
phases du procès, de l’instruction à l’audience, se déroulent classiquement et l’état psychique
du délinquant n’est pas, jusqu’à l’audience, pris en considération. Toutefois, la juridiction
tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime
La mise en oeuvre de l’alinéa 2 de l’article 122-1 CP, est donc une illustration du principe
d’individualisation, principe fondamental de droit pénal, et en ce sens, aucune difficulté
particulière ne se présente lors de son application : l’instruction se déroule normalement ;
l’auteur de l’infraction est présenté devant la juridiction de jugement qui, lors du prononcé de
la sanction, prendra en considération l’état psychique et psychologique du sujet ; la victime a
accès au droit, à la justice, et par conséquent à la possibilité d’être reconnue en tant que
victime. La principale difficulté, nous le verrons plus tard, réside dans l’augmentation
constante des incarcérations de malades mentaux.
Alors, conformément à la lecture de l’article 122-1 du CP, il convient d’aborder dans un
premier temps la stricte définition de l’abolition du discernement telle que posée par le
législateur, puis, dans un second temps, le mécanisme inachevé résultant d’une simple
altération du discernement.
I- Une abolition du discernement strictement définie par le CP
La mise en œuvre de l’irresponsabilité pénale a des conséquences importantes tant au niveau
du déroulement de la procédure pénale, que pour les protagonistes. Pour cette raison, le texte
impose la réunion de conditions particulières (A), et subordonne la déclaration
d’irresponsabilité à l’établissement du trouble mental par le biais d’une expertise (B).
A- Les conditions d’application de l’irresponsabilité pénale
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L’irresponsabilité de l’auteur ne peut être invoquée que dans la mesure où elle répond à
certains critères. En effet, l’article 122-1 al 1 exige la réunion de 3 conditions qui sont d’une
part, un trouble grave de quelque nature qu’il soit, d’autre part, un trouble ayant aboli le
discernement de la personne poursuivie ou le contrôle de ses actes, et enfin, un trouble ayant
existé au moment des faits.
Par conséquent, seul le trouble grave pourra être retenu (1), et à condition d’exister au
moment des faits (2).
1- La gravité du trouble.
En substituant à « l’état de démence » le « trouble psychique ou neuropsychique », le code
consacre la jurisprudence antérieure qui avait déjà procédé à une lecture extensive de l’ancien
article 64.
L’irresponsabilité induit que le trouble ait aboli le discernement : la personne peut avoir perdu
la capacité de comprendre ses actes ou (et) celle de vouloir, c'est-à-dire de contrôler ses actes.
Le problème ne se posera pas pour les troubles qui relèvent de la démence, des délires
chroniques comme la psychose hallucinatoire (1), le délire paranoïaque, les différentes formes
de délires passionnels ou les épilepsies (2).
On intègrera dans cette catégorie légale l’aliénation mentale (que la médecine distingue de la
démence : « le débile est un pauvre d’esprit, le dément est un riche devenu pauvre. »), comme
l’arriération ou la débilité mentale (d’un degré moins élevé) qui sont congénitales et
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(1) : Crim.18 fév. 1998, Bull.Crim n° 66 (schizophrénie)
(2) : Orléans 22 juin 1886, D.1887-5-213 ; Crim. 14 déc. 1982, Gaz. Pal. 1982-1-pan
Attendu de Crim. 14 décembre 1982 = « L’épilepsie peut être considérée comme excluant la
responsabilité pénale de l’auteur d’une infraction, non seulement pour les actes commis
par celui-ci pendant un accès de sa maladie mais encore dans la période d’agitation qui
précède immédiatement cet accès et qui soumet le malade à l’influence d’une attaque
imminente. »
constituent des troubles acquis de l’intelligence (3).
En revanche, la dépression, les névroses, pas toujours facile à distinguer des psychoses, ne
seront pas nécessairement des causes d’irresponsabilité. De la même manière, la question se
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posera : pour les maladies de la volonté telles la kleptomanie ou la pyromanie qui n’atteignent
pas la faculté de raisonner et de comprendre, mais la personne est victime d’obsessions ; pour
le somnambulisme qui ne doit pas, s’il est naturel ou hypnotique, engendrer de responsabilité.
(Néanmoins, si dans la seconde hypothèse, l’exécutant n’est pas responsable, celui qui a
recouru à cette méthode sera le complice, voire l’auteur moral de l’infraction) ; pour les
intoxications volontaires (alcool, stupéfiants), en principe il y a trouble psychique et l’agent
pénal sous l’emprise de drogue ou d’alcool (notamment s’il est victime d’une crise de
delirium tremens) devrait être irresponsable. Cependant, les actes commis dans ces états sont
incriminés de plus en plus sévèrement par le code pénal (4).
(3) : cf. également J.Léauté, Criminologie et science pénitentiaire, PUF 1972 p.488
(4): pour exemples : art 221-6-1 2° et 3° CP (homicide involontaire)
art 222-19 2° et 3° CP (blessures involontaires avec une ITT ≥3 mois)
2- Le moment du trouble.
Le trouble mental doit avoir existé au moment de la commission de l’infraction. C’est en effet
à cet instant précis que s’apprécie la responsabilité ou l’irresponsabilité pénale. Cette
condition présente non seulement un aspect temporel mais également un aspect causal.
D’un point de vue temporel, le trouble doit être contemporain de l’action.
Si le trouble existait antérieurement mais ne se manifeste pas au moment de l’infraction,
l’agent pénal reste punissable et le juge pourra toujours tenir compte de cette circonstance en
prononçant la peine. On le verra ultérieurement, cette situation a pour principale conséquence
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d’augmenter le nombre carcéral de malades mentaux. Si le trouble survient postérieurement,
trois situations doivent être envisagées : soit il se manifeste pendant la mise en état de l’affaire
et dans ce cas l’action publique est suspendue pendant la durée du trouble pour ne reprendre
qu’après la guérison (on notera toutefois, que l’instruction peut se poursuivre à condition que
les actes accomplis ne portent pas sur la personne de l’intéressé) ; soit il survient juste avant le
jugement et l’action publique pour l’application des peines devra être stoppée ; soit enfin, il
survient après le jugement définitif et l’infraction reste imputable à son auteur.(5)
Dans cette dernière hypothèse, le trouble sera seulement un obstacle à l’exécution de la peine
privative de liberté, mais non à celle des peines pécuniaires ou privatives de droits. Ceci peut
paraître contestable car si on pense que l’exécution de la peine est dénuée de signification
pour le condamné, cette mesure de clémence devrait s’appliquer à toutes les peines.
D’un point de vue causal, le trouble psychique doit être en rapport avec l’infraction.
L’importance de cette condition se révèle en présence de troubles graves mais intermittents,
comme les crises fréquentes d’épilepsie. Si la personne malade commet un acte répréhensible
pendant un intervalle de lucidité, le trouble ne sera pas considéré comme la cause directe de
l’infraction et cet agent sera responsable.
(5): Crim. 27 mars 1924, Bull.Crim. n° 141; Crim. 7 oct. 1992, Bull.Crim n° 314
Outre le moment du trouble apprécié par des experts, la preuve de la non-imputabilité
se solde également par une expertise psychiatrique ordonnée par la justice.
B- La preuve du trouble mental : l’expertise psychiatrique
L’existence d’un trouble mental constituant une cause d’irresponsabilité pénale n’est
jamais présumée, même dans l’hypothèse d’une personne incapable majeur qui serait placée
sous tutelle. Il ne suffit pas d’affirmer l’irresponsabilité, encore faut il en démontrer la
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pertinence par des conclusions en ce sens et par des preuves tangibles soumises à
contradiction (1) et ce qui n’est pas sans poser de difficultés (2).
1- Les modalités de mise en œuvre de l’expertise
C’est la raison pour laquelle, dans la pratique, la juridiction répressive qui s’interroge
sur l’état des facultés mentales de la personne poursuivie, l’ordonne. Les juges peuvent
refuser l’examen mental demandé par la défense, s’ils s’estiment suffisamment éclairés, et ce
en dépit de l’article 81 du Code de Procédure Pénale, qui rend théoriquement obligatoire
l’enquête de personnalité en matière de crime. En Cour d’assises, l’expertise peut être
demandée par les parties ou ordonnée par le président en vertu de son pouvoir discrétionnaire,
ou par la cour en vertu de son pouvoir juridictionnel.
Généralement, c’est le juge d’instruction qui, dans le cadre de l’information ouverte à la suite
d’un réquisitoire du procureur de la République, désigne l’expert chargé de procéder à
l’expertise. Si les circonstances le justifient, il en désigne plusieurs qui doivent établir alors un
rapport commun, chacun ayant la possibilité d’indiquer son opinion ou ses réserves en les
motivant (art 159 et 166 CPP).Ces experts sont choisis soit sur une liste dressée par la Cour
d’appel soit sur la liste établie par le bureau de la Cour de Cassation.Après avoir pris
connaissance du dossier et s’être entouré de tous renseignements utiles, l’expert procèdera à
l’examen psychiatrique de la personne.
Les questions habituellement posées à l’expert par le juge, sont celles fixées par une circulaire
du Garde des Sceaux (6), notamment :
- l’examen de la personne poursuivie révèle-t-il chez elle des anomalies mentales ou
psychiques ? Le cas échéant, les décrire et préciser à quelles affections elles se rattachent.
-
l’infraction qui lui est reprochée est-elle ou non en relation avec de telles
anomalies ?
- cette personne présente-t-elle un état dangereux ?
-
est-elle accessible à une sanction pénale ?
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- est-elle curable ou réadaptable ?
La juridiction pénale a toujours la possibilité de poser aux experts d’autres questions telles
que dire si la personne était atteinte de troubles mentaux aux moment des faits, si l’examen
psychiatrique et biologique révèle chez elle des anomalies mentales ou psychique de nature à
atténuer sa responsabilité…L’expert n’est tenu de répondre qu’aux questions qui lui ont été
posées, et il doit étayer ses réponses par des constatations d’ordre scientifique et non se fonder
sur sa seule intime conviction.
Le rapport doit être remis à la juridiction demanderesse. Les conclusions des experts sont
communiquées aux parties et à leurs avocats après les avoir notifiées à la personne détenue.
Voir en annexe un exemple d’expertise demandée par le Tribunal Administratif de Pau
(6) : l’article C. 345 de l’instruction générale pour l’application du Code de Procédure Pénale.
Cet article, rédigé sous l’empire de l’ancien article 64, pourrait être prochainement modifié,
d’un point de vue formel, pour être mis en harmonie avec les expressions utilisées par le
nouveau Code Pénal.
Cependant, les experts disposent d’une grande liberté dans la manière de conduire leurs
investigations et de rédiger leurs conclusions. Il ne résulte, en effet, ni de l’art 6 Conv. EDH,
ni d’aucun texte ou principe de procédure pénale (présomption d’innocence, droits de la
défense), que l’accomplissement d’une mission d’expertise psychiatrique, relative à la
recherche d’anomalies mentales susceptibles d’annihiler ou d’atténuer la responsabilité pénale
du sujet, interdise aux médecins experts d’examiner les faits, d’envisager la culpabilité de la
personne mise en examen, et d’apprécier son accessibilité à une sanction pénale. (7)
11
Le juge fixe aux parties un délai de 15 jours pour présenter d’éventuelles observations,
notamment aux fins de complément d’expertise ou de contre-expertise (art167-1 CPP).
2- Les difficultés particulières liées à l’expertise
Le trouble psychique est une question de pur fait qui relève de l’appréciation souveraine des
juges du fond, et sur laquelle la Cour de Cassation n’exerce aucun contrôle, sauf en cas de
contradiction de motifs (8). Les conclusions de l’expert ne lient juridiquement pas le juge
pénal (9), mais il parait évident que, si le rapport conclut à l’existence d’un trouble mental
excluant tout discernement, et sauf hypothèse d’une contre-expertise donnant un avis
contraire, la personne est déclarée irresponsable. On voit donc l’importance de la mission qui
est confiée à l’expert.
Il semble qu’aujourd’hui l’intervention d’experts psychiatres soit source d’embarras pour la
justice pénale. En effet, il peut arriver, mais c’est une occurrence plutôt rare, qu’un d’entre
eux se trompe complètement, et passe à côté du diagnostic. Ceci impose une contre-expertise,
voire une sur-expertise, qui n’auraient jamais dues être diligentées, retardant l’instruction,
alors qu’un examen initial compétent et approfondi aurait suffi. A vouloir faire des
économies, la justice est parfois coûteuse.
C’est le plus souvent l’interprétation médico-légale qui oppose les experts, non le diagnostic
rétrospectif. L’expert sort d’une logique médicale pour entrer dans une logique médico-légale,
nécessairement moins scientifique.
(7) : Crim. 29 oct. 2003, Bull. Crim. N° 205
(8) : Crim. 21 janv. 1992, Dr. Pén. 1992, comm. n° 196
(9) : Crim. 6 juin 1979, Bull. Crim. n° 194
Les présidents d’assises s’en étonnent : « Messieurs les experts, je ne comprend pas. Vous
faites exactement la même analyse clinique ; vos développements sont superposables, mais à
un moment donné, vos directions divergent ; de la même démarche, vous tirez des
conclusions opposées ! ». Les juges, face à des expertises qui se contredisent, hésitent, et des
contradictions apparaissent
à
travers plusieurs affaires criminelles : par exemple, ce
meurtrier, ayant fait l’objet d’une première expertise concluant à une névrose, renvoyé devant
une Cour d’assises malgré deux autres expertises, concluant à une schizophrénie, et
finalement acquitté (10) ; ou bien cet autre meurtrier, examiné par des experts concluant que
12
l’intéressé présente « une structure psychotique de personnalité de type schizophrénique
indifférenciée », renvoyé devant la Cour d’assises d’Orléans en raison de discordances entre
les rapports d’expertise et une expertise faite lors d’une précédente condamnation, et
condamné à une peine de réclusion criminelle pour avoir cédé à sa pulsion (11) ;ou encore ce
meurtrier condamné à la réclusion criminelle à perpétuité après l’intervention de quatorze
experts qui n’avaient pu se mettre d’accord sur son état mental (12).
La tâche de l’expert, qui examine la personne poursuivie en pratique plusieurs semaines, voire
plusieurs mois ou même plusieurs années en cas de contre-expertise, est souvent très délicate.
Il en est notamment ainsi dans l’hypothèse d’un trouble mental intermittent dont il est difficile
de savoir s’il existait au moment de l’acte ou lorsque la personne poursuivie ne reconnaît pas
avoir commis l’infraction qui lui est reprochée. Enfin, il faut songer aux simulateurs, situation
relativement fréquente chez certains psychopathes ou pervers particulièrement intelligents.
On peut, dans ces conditions regretter que, depuis 1985, l’expertise psychiatrique ne soit plus,
sauf décision spéciale de la juridiction, confiée à deux experts, qui pouvaient utilement
confronter leurs points de vue. Toutefois, en cas de contre-expertise demandée par la victime,
lorsque les conclusions de la première expertise vont dans le sens de l’irresponsabilité, le
nouvel examen doit être réalisé par deux experts, en application des dispositions de l’article
167-1 du Code de Procédure Pénale, résultant de la loi du 8 février 1995.
(10) : C. assises, Paris, 12 déc. 1995, « Le monde », 14 déc. 1995
(11) : C.assises Orléans, 18 déc. 1998, « Le monde », 20 et 21 déc. 1998
(12) : C.assises Rouen, 8 avr. 1995, « Le monde », 11 avr. 1995
On peut enfin observer, que devant la Cour d’assises, la réponse affirmative aux questions
relatives à la culpabilité de l’accusé suffisait à établir que la Cour avait estimé que celui-ci
n’était pas atteint d’un trouble ayant aboli son discernement (13). Mais cette solution n’est
plus valable du fait de la réforme de la procédure criminelle, opérée par la loi du 15 juin 2000
et applicable à compter du 1er janvier 2001, qui prévoit qu’une question spéciale doit être
posée sur les causes d’irresponsabilité pénale, du moins si celles-ci sont invoquées par
l’accusé. Cette disposition engendre l’incompréhension des médecins experts qui s’étonnent
qu’en application de l’article 349-1, 2° du Code de Procédure Pénale, les jurés d’assises
13
doivent expressément se prononcer sur la cause d’irresponsabilité pénale, et par conséquent
rendre un diagnostic qu’ils pensaient être de leur compétence.
La personne déclarée irresponsable en raison d’un trouble mental ne relève plus du droit pénal
ni, par conséquent, des tribunaux répressifs. Elle doit, selon que cette irresponsabilité est
judiciairement constatée au stade de l’instruction ou du jugement, faire l’objet d’une décision
de non-lieu prononcée par la juridiction d’instruction, d’une relaxe, ou d’un acquittement. Si
cette personne était placée en détention provisoire, elle doit être immédiatement libérée.
Il peut arriver, dans des hypothèses où l’irresponsabilité ne fait aucun doute, que le parquet
renonce à engager des poursuites en classant sans suite les procès-verbaux de police ou de
gendarmerie constatant la commission de l’infraction, mais cette pratique semble cependant
devoir être réservée aux infractions de faible gravité.
Le non-lieu, la relaxe ou l’acquittement posent un problème dans la mesure où, l’agent pénal
est abandonné à sa maladie et la victime à l’absence de procès. En effet, il ne faut pas oublier
d’observer que l’insatisfaction des familles de victimes est quasi générale lorsqu’une
ordonnance de non-lieu prononcée par le juge d’instruction. Les victimes peuvent admettre la
déclaration d’irresponsabilité pénale dès lors que l’auteur des faits a été officiellement
reconnu irresponsable. Nous n’allons pas nous attarder sur ce point là car nous le
développerons ultérieurement.
(13): Crim. 20 oct. 1999, Bull.Crim. n° 228
Ainsi, d’une structure rigoureuse du premier alinéa de l’article 122-1 du CPP semblent
apparaître quelques problèmes mais uniquement de nature post-procédurale. Toutefois, son
alinéa 2, relatif à l’altération du discernement, présente des difficultés bien plus évidentes,
d’autant plus qu’elles sont de nature procédurale.
II- Une altération du discernement révélatrice d’un mécanisme inachevé
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La prise en charge de l’auteur semble actuellement présenter des difficultés, dans la
mesure où elle s’apparente à une mise à l’écart de l’individu, à un procédé tendant à l’oubli de
la personne, proche de « La Nef des Fous » du Moyen Age qui consistait à amasser les
malades mentaux sur un bateau d’infortune, démuni de toute nourriture, et de les laisser à la
dérive des océans.
A- La prise en charge inadaptée de l’auteur déclaré responsable
Ce n’est que si son état mental est de nature à compromettre l’ordre public ou la sûreté des
personnes que les autorités judiciaires doivent aviser le préfet. Ceci est prévu par l’article L.
3213-7 du Code de la Santé Publique dans sa rédaction résultant de la loi du 27 juin 1990
relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux
et à leurs conditions d’hospitalisation.
En application de cet article, le préfet doit prendre sans délai les mesures nécessaires, c'est-àdire, le plus souvent, une hospitalisation d’office.
Toutefois, les prisons françaises accueillent de plus en plus de malades mentaux. Face à ce
constat, il faut tenter d’une part, d’en connaître les raisons (1), et d’autre part de prendre
conscience des problèmes que cela engendre et du défaut de réponses apportées (2).
1- Une population carcérale au nombre croissant de malades mentaux.
On peut distinguer trois facteurs qui expliquent le nombre croissant de personnes incarcérées
dans les prisons françaises, alors qu’elles présentent de graves troubles mentaux.
Le premier est lié au fonctionnement de la justice. Beaucoup de personnes sont jugées dans le
cadre de la procédure de comparution immédiate et, souffrant de troubles mentaux, elles
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peuvent avoir des difficultés pour évoquer leur prise en charge psychiatrique dans ce contexte
peu favorable à l’expression de la souffrance psychologique. Parfois une expertise
psychiatrique est demandée car les troubles sont patents, mais le sujet, de manière générale va
quand même être incarcéré. Il s’agit de peines relativement courtes correspondant à des délits
mineurs et ces personnes effectueront la peine de prison prononcée, alors que leur état
clinique aurait davantage nécessité des soins psychiatriques (en ambulatoire ou en
hospitalisation).
Voir les annexes 1, 2 et 3 pour quelques chiffres clés relatifs aux personnes atteintes de
troubles mentaux incarcérées en France. Observatoire International des Prisons, les
conditions de détention en France, rapport 2003.
Le deuxième est lié à la modification récente de la pratique des psychiatres experts auprès des
tribunaux.
Récemment on a vu apparaître dans un certain nombre d’expertises psychiatriques le fait que
le sujet mis en examen pour des faits graves, était effectivement atteint de troubles
psychiatriques patents, mais que la prison pourrait « lui redonner le sens moral » ou le
« resituer par rapport à la loi » ; ceci prouve le manque de connaissance du milieu carcéral de
la part des experts, ou l’habillage par des motifs pseudo théoriques de considérations plus
prosaïques.
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Le troisième est lié aux conditions d’incarcération, l’allongement de la durée des peines et la
diminution des aménagements de peine. En effet, certaines personnalités, peut-être déjà
fragiles antérieurement à l’incarcération, ne supportent pas les conditions de vie quotidienne
telles que la surpopulation, le manque d’hygiène, la rupture des liens familiaux et conjugaux,
l’attente du jugement puis du transfert en établissement pour peines, l’inactivité, la violence,
le racket…. On observe des décompensations psychiatriques sur le mode de bouffées
délirantes aiguës chez des sujets qui n’avaient jamais été repérés comme malades mentaux.
Ces personnes ne relèvent pas de l’article 122-1 CP, puisque les symptômes sont apparus à
distance des faits reprochés, et elles devront donc purger leur peine dans des conditions
inappropriées.
Comme on a pu l’observer précédemment, la situation actuelle de la psychiatrie publique
explique aussi pour partie l’augmentation du nombre de malades mentaux incarcérés.
En effet, la politique de sectorisation qui avait été mise en place à partir des années 60, avait
instauré un dispositif extrêmement performant qui reposait en partie sur la prévention et sur la
prise en charge des malades en ambulatoire, avec pour objectif, notamment, de diminuer les
hospitalisations.
Depuis quelques années, on assiste à la diminution de ces pratiques, telles que les visites à
domicile, du fait de l’augmentation de demandes de consultations.
Enfin, si un grand nombre de postes de psychiatres publics ne sont pas pourvus du fait des
problèmes de démographie médicale, on manque également cruellement d’infirmiers
spécialisés car pas formés.
On voit donc que de nombreux facteurs judiciaires et psychiatriques peuvent expliquer
l’augmentation du nombre de malades mentaux incarcérés dans les prisons françaises.
2-Une prise en charge défaillante dépourvue de solutions
La disparité caractérise la prise en charge des malades mentaux incarcérés. En effet, il existe
26 services médicaux psychologiques régionaux (SMPR) implantés dans les plus grandes
maisons d’arrêt, avec des équipes pluridisciplinaires, qui disposent de lits d’hospitalisation
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permettant le suivi intensif durant la journée des personnes ayant des troubles mentaux et
consentant aux soins.
Lorsqu’il n’existe pas de SMPR, c’est l’équipe du secteur psychiatrique où est situé
l’établissement pénitentiaire qui doit assurer les soins psychiatriques. Cependant les moyens
financiers alloués à ces secteurs ne permettent que rarement une prise en charge de qualité, et
souvent, seuls les soins psychiatriques urgents sont assurés.
Dès le mois de juin 2000, la commission d’enquête du Sénat constatait que « la solution du
moindre mal, celle de l’incarcération des psychotiques est retenue pour le plus grand malheur
de l’administration pénitentiaire. La gestion de ces malades en détention est une lourde charge
[…] Des milliers de détenus malades errent ainsi sur le territoire national, ballottés entre les
établissements pénitentiaires, leurs quartiers disciplinaires, les SMPR, les unités pour malades
difficiles…Le tout sans aucune cohérence. »
Pour remédier à tout cela, la loi d’orientation et de programmation du 9 septembre 2002
prévoit « la création d’unités psychiatriques sécurisées spécifiquement aménagées (UHSA) et
destinées à recevoir des personnes détenues, avec ou sans leur consentement, pour une durée
indéterminée ».
Une solution qui ramène aux « pavillons médico-légaux » des anciens hôpitaux
psychiatriques, abandonnés lors de la modernisation de la psychiatrie dans les années 1970.
Dans un avis du 15 juillet 2002 sur la loi Perben, la Commission Nationale Consultative des
Droits de l’homme affirme que « la très grave question de l’incarcération ou le maintien en
détention des malades mentaux reste posée […]. Il est urgent de prévoir des aménagements de
peine spécifiques aux malades mentaux, compte tenu de l’accentuation des pathologies
psychiatriques résultant de la détention. »
A la date de juillet 2004, aucune modalité concrète n’avait encore été définie par les deux
cabinets ministériels concernés (santé et justice).
En attendant la création de ces structures, les médecins se tournent fréquemment vers l’usage
massif de médicaments. Pour l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) et
l’Inspection Générale des Services Judiciaires (IGSJ), « la camisole chimique existe et prend
la forme d’une sur-prescription de psychotropes. ».
Alors, face à ces difficultés, des réformes sont envisageables.
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B- Les réformes envisageables
La demande des victimes n’est pas une demande de thérapie, ni une demande de cérémonie
rituelle pour justifier les décisions précises. Elle exprime la nécessité de retracer l’histoire de
la victime, confrontée à la violence de l’acte, de voir identifié l’auteur des faits, d’en
rechercher les responsabilités connexes, et de garantir la sécurité publique. Des modifications
profondes doivent intervenir pour atteindre ce but, en se concentrant essentiellement sur deux
plans d’une part, il est nécessaire d’envisager un réaménagement de la procédure pénale
relative à l’irresponsabilité pénale (1), et d’autre part, les conditions de l’expertise
psychiatrique doivent être améliorées (2).
1- Le réaménagement de la procédure pénale
Comme on a pu le voir précédemment, l’absence de procès en cas de déclaration
d’irresponsabilité pénale provoque un réel sentiment de victimisation secondaire.
En effet, pour que la victime puisse espérer réintégrer la société, la justice doit prendre en
considération sa volonté de passer à autre chose, de parfois faire son deuil. Pour ce faire, les
propositions s’orientent vers deux directions plus ou moins radicales.
En premier lieu, les victimes ressentent le besoin d’un procès, et les arguments évoqués pour
le refuser en cas d’aliénation ne paraissent pas pertinents. Il est parfois avancé que les jurés
sont dans l’incapacité de déclarer l’irresponsabilité (alors qu’il peut condamner un criminel à
la réclusion à perpétuité voire, il n’y a pas si longtemps, à la peine de mort !) ; ou encore que
le procès en assises rajouteraient un traumatisme (alors qu’au contraire, il pourrait atténuer le
traumatisme initial). Le procès reste bien une étape primordiale dans la reconstruction de la
personne, étape qui ne peut être écartée quand l’auteur est atteint de troubles mentaux..
En ce sens, certaines associations de victimes, notamment l’Association des Parents d’Enfants
Victimes, proposent la suppression du non-lieu prononcé par le juge d’instruction et en
parallèle l’obligation de mener l’instruction et l‘enquête à son terme. De la même façon, en
cas de décès de l’auteur des faits, par suicide, accident ou tout autre cause, il est indispensable
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que l’enquête se poursuive afin de déterminer exactement les responsabilités et le mobile du
crime.
En second lieu, la procédure classique doit s’appliquer à travers le renvoi devant une
juridiction de renvoi (Cour d’assises ou juridiction ad hoc), avec la possibilité d’appel
devant la chambre de l’instruction, dans un délai raisonnable.
La loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence donne la possibilité au président de la
Cour d’assises de poser aux jurés une question sur l’irresponsabilité pénale (art.349 CPP). Le
législateur aurait donc prévu la possibilité de faire comparaître devant une Cour d’assises le
sujet atteint de troubles mentaux, tout en les exemptant de peine (art.363 CPP).
On peut noter que la rédaction de l’article 363 du CPP requerrait une modification afin de ne
pas « acquitter » une personne déclarée irresponsable au moment des faits, acquittement
signifiant souvent innocence pour le grand public.
De plus, cette juridiction bénéficierait de compétences particulières. Elle définirait ellemême, sans l’intervention du Préfet, les conditions de l’internement (durée, lieu, possibilité de
sorties ou non…) ; déterminerait les mesures de sûreté lors de la sortie ; imposerait une
hospitalisation dans un établissement éloigné du domicile des victimes pour éviter les
récidives si la personne a été déclarée dangereuse par les experts ; mettrait en place un suivi
post-hospitalisation s’inspirant de celui qui existe pour les agresseurs sexuels pour éviter la
récidive et protéger les victimes. La fin de l’hospitalisation ne pourrait être prononcée
qu’après l’avis d’une commission composée de psychiatres et de magistrats, telle que l’avait
préconisé le député Pierre Mazeaud en 1996.
La seconde ligne de réforme, quant à elle, tendrait plus vers l’amélioration des conditions
d’expertise psychiatrique.
2- Des conditions d’expertise psychiatrique nécessitant des améliorations
Un véritable problème entoure l’expertise psychiatrique pénale, dont la rémunération est
notoirement insuffisante, et dont les conditions matérielles d’exercice dans les centres de
détention sont souvent désastreuses, éloignant le nombre de psychiatres de qualité.
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Il y a environ 13 000 psychiatres en France ; 800 sont inscrits sur les diverses listes d’experts,
moins encore sont disponibles pour les expertises pénales.
Le système de rémunération forfaitaire, qui rétribue de façon identique les expertises les plus
simples et les plus complexes, celles qui se limitent à un seul examen et celles qui demandent
des investigations complémentaires, celles qui requièrent deux heures de travail et celles qui
en exigent vingt fois plus, pénalise les experts qui ne transigent pas avec l’approfondissement
clinique, qui est le fondement de l’éthique expertale…Plus l’expert travaillera, plus faible sera
sa rémunération. Un tel système ne peut engendrer que des effets pervers. L’expert qui se voit
confier des cas particulièrement complexes et qui est faiblement rétribué finit tôt ou tard par
se décourager ou par restreindre ses ambitions, puisqu’il est sanctionné pour son sérieux. Ce
qui est réconfortant, c’est qu’il reste tout de même de bons experts et de bonnes expertises.
Les praticiens libéraux, qui représentent 30% des inscrits sur les listes, renoncent souvent à
l’expertise car les contraintes horaires des assises désorganisent leur clientèle.
Les appels n’ont fait qu’accroître les difficultés, puisque l’expertise est souvent entendue par
les deux Cours. Les hospitaliers, compte tenu de leur charge de temps plein, ne peuvent
effectuer qu’un nombre nécessairement limité de missions.
D’où le danger, souvent dénoncé par tous mais encouragé par le système, de pratiques
expertales quasi exclusives, par des professionnels ayant rompu les liens avec la pratique
institutionnelle et thérapeutique, ayant perdu leur indépendance à l’égard de l’autorité
judiciaire mandante et donc leur impartialité (critique récemment énoncée par le Garde des
Sceaux).
La multiplication des demandes, notamment du fait de l’application progressive de la loi du
17 juin 1998, l’augmentation des charges de travail des hospitaliers, notamment du fait des
vacances de postes liés à la baisse de la démographie hospitalière, aboutiront très vite à
l’asphyxie du système ou à sa perversion (expertises bâclées, inexploitables, les ouvertures de
parapluie généralisée, les expertises-alibi…).
Tout cela va s’aggraver si une véritable réforme en profondeur n’est pas engagée, permettant
à un plus grand nombre de psychiatres de se former, de s’inscrire sur les listes et d’avoir une
pratique honnête, compétente, approfondie et équitablement rétribuée en fonction du travail
réel fourni. C’est une condition sine qua non pour un bon fonctionnement du système expertal
judiciaire.
Les magistrats savent déjà qu’ils auront, dans une très large mesure, les experts qu’ils se
seront donnés les moyens d’avoir.
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Ces propos ne font que souligner le malaise des uns et des autres face à la nécessité
d’une collaboration efficace entre les autorités judiciaire, médicale et administrative sur
la prise en charge des auteurs d’infraction potentiellement dangereux et sur
l’accompagnement des victimes, essentiellement lors du prononcé du non-lieu.
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