INTRODUCTION « La folie ou l’atteinte par les maladies, l’excès de vieillesse sont des excuses à un acte sans elles tenu pour criminel. » Platon, livre IX.864 des lois. La responsabilité pénale, principe fondamental de droit pénal, implique que la répression ne peut être exercée qu’à l’encontre des personnes responsables. Ainsi, le délinquant n’encourt pas de plein droit une sanction du seul fait qu’il a commis une infraction : encore faut-il qu’il soit reconnu pénalement responsable. De manière générale, la responsabilité est définie comme l’obligation de répondre des conséquences de ses actes. En droit pénal, la responsabilité correspond plus spécifiquement à l’obligation de répondre ou de rendre compte de ses actes délictueux en subissant une sanction pénale dans les conditions et selon les formes prescrites par la loi. Toutefois, le concept de responsabilité pénale comprend d’autres notions importantes, parfois complexes. Il en est ainsi des notions de culpabilité et d’imputabilité. Tandis que la notion de culpabilité suppose l’accomplissement d’une faute au sens large, intentionnelle, soit non intentionnelle, la notion d’imputabilité tient à un état de conscience et à une volonté libre du sujet lui-même. Dans certaines hypothèses, la loi écarte toute déclaration de culpabilité à l’encontre d’un individu pour lequel il existe des causes de non imputabilité (l’ordre de la loi, le commandement de l’autorité légitime, la légitime défense, l’état de nécessité, la contrainte, l’erreur de droit) : l’individu est alors considéré comme irresponsable. Afin de comprendre les cas d’atténuation ou de disparition de la responsabilité pénale, il est nécessaire de parcourir rapidement son évolution : Avec la première manifestation du droit criminel, dans les sociétés archaïques, la responsabilité pénale a été matérialisée par une responsabilité collective, objective et automatique. Elle correspondait à la période de la vengeance et des guerres privées, et elle reposait sur la volonté d’établir l’ordre au sein du groupe ou du clan. Dans les sociétés de l’Antiquité, on relève une évolution de la responsabilité pénale vers une responsabilité individuelle et personnelle : si l’acte était le critère essentiel du déclenchement de la responsabilité, la faute de l’auteur n’était pas ignorée. Au Moyen Âge, le droit canonique a développé cette responsabilité individuelle : l’auteur d’une infraction ne pouvait être sanctionné que s’il avait été reconnu moralement responsable. 1 Il en ressortait une responsabilité pénale liée à la faute morale, correspondant à la théorie classique fondée sur le libre arbitre de l’homme, à la liberté morale de l’individu. C’est parce que l’homme est libre et conscient que la commission de l’infraction implique la faute et par conséquent, la responsabilité de son auteur. A contrario, lorsque l’homme n’est pas lucide ou conscient, il ne peut disposer d’une volonté libre et dans ce cas, son comportement ne saurait être réputé fautif. Cependant, cette théorie classique a suscité de nombreuses critiques de la part des positivistes de la fin du XIXe siècle. Lombroso, Garrofalo et Ferri ont estimé qu’un tel système était irréaliste, formaliste et abstrait, et ils ont remis en cause le fondement même de la responsabilité pénale, le libre arbitre de l’homme. En effet, si l’individu a un comportement dangereux pour la société, il doit être déclaré responsable quel que soit son état de conscience. La responsabilité pénale doit donc être fondée sur l’état dangereux de l’homme et non plus sur le comportement fautif. Si la doctrine classique de la responsabilité juridique et morale semblait trop abstraite, celle des positivistes était excessivement déterministe. C’est avec la défense sociale nouvelle que la notion de responsabilité pénale va évoluer dans un sens plus pragmatique. Selon Mr Ancel, la responsabilité pénale doit être recherchée à travers la complexité du phénomène criminel, et doit être définie, déterminée selon une démarche impliquant la prise en compte du facteur individuel et du facteur social. Cela revient à admettre une responsabilité individuelle par rapport à l’acte mais aussi par rapport à la personnalité de son auteur. Ainsi, pour condamner le délinquant, le juge doit relever la responsabilité de l’intéressé non seulement selon la référence objective de la loi mais aussi selon les éléments subjectifs de sa personnalité. Au delà de ces théories, il convient d’aborder les éléments qui ont guidé les rédacteurs du Code Pénal. En effet, si l’on a pu considérer au Moyen Âge que les malades mentaux devaient être traités de la même façon que tous les criminels, voire plus sévèrement car on pensait qu’ils étaient possédés du démon, la conception morale et rétributive du droit pénal moderne interdit de les punir. Dès lors qu’ils sont atteints d’une maladie « aliénante » de l’esprit qui les prive de leur libre arbitre, il serait injuste et inutile qu’ils assument au plan pénal les conséquences de leurs actes. Injuste car ils n’ont pas eu conscience qu’ils commettaient une infraction. Inutile, car ils sont incapables de comprendre le caractère dissuasif de la sanction. C’est pourquoi les rédacteurs du Code Pénal de 1810 énoncèrent, dans le célèbre article 64, 2 le principe selon lequel « il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action ». La formulation de l’article 64 a cependant été très rapidement considérée comme imparfaite pour trois raisons principales. Elle donnait tout d’abord à penser que la démence avait pour conséquence la disparition de toute infraction, ce qui est inexact : si la responsabilité pénale du dément ne pouvait être reconnue, une infraction avait cependant été commise. Elle laissait croire par ailleurs que cette cause d’irresponsabilité ne concernait que les crimes et les délits, alors qu’il fut très vite admis par la jurisprudence qu’elle concernait également les contraventions. Enfin, le terme de « démence » était impropre car il ne correspondait pas à son acception technique et scientifique, mais recouvrait toutes les formes d’aliénation mentale. Sur le fond, la règle posée par l’article 64 soulevait également de très nombreuses critiques, dont la plus importante était qu’il laissait sans réponse le problème posé par les personnes atteintes d’un trouble mental insuffisamment grave pour être qualifié d’état de démence, mais de nature à influencer leur comportement et donc à diminuer leur libre arbitre. En pratique, ces personnes étaient déclarées pénalement responsables, mais se voyaient accorder les circonstances atténuantes. Il en résultait qu’elles étaient moins sévèrement condamnées que des délinquants « normaux », alors même qu’elles présentaient parfois un état dangereux plus important pour la société en raison de leur trouble mental. Une modification de l’article 64 passant par l’abandon de son manichéisme, opposant « fou criminel » au « délinquant sain » s’imposait. Pourtant, jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, les nombreux projets instaurant une dichotomie entre délinquant aliéné et délinquant anormal n’ont jamais abouti. (1) ___________________________________________________________________________ (1) : outre le cas du « prévenu en état de démence au temps de l’action », le projet de code pénal de Paul Matter de 1934 énonçait celui de « toute personne alcoolique, toxicomane ou atteinte d’une infirmité mentale grave ». La proposition de loi des sénateurs Lisbonne et Comboulives de 1937 envisageait « les délinquants qui sans être atteints d’aliénation mentale comportant l’internement dans un asile, apparaissent porteurs d’une anomalie mentale durable, nettement caractérisée, constituant une prédisposition importante à des délits ultérieurs ». Elle s’inspirait de la loi belge de défense sociale de 1930 tout comme l’avant projet de la loi de 1955 concernant les délinquants anormaux. 3 Présenté par une commission nationale par le professeur Levasseur, l’avant projet de 1955 fut mis au point à partir des travaux de commissions régionales chargées d’étudier les législations et expériences étrangères en vue de l’élaboration d’une loi de défense sociale. Il définit le délinquant aliéné dans son article 1 et le délinquant anormal à l’article 2. (1) Enfin, l’avant projet de réforme des dispositions générales du Code Pénal, tant dans son premier rapport diffusé en 1976 que sa présentation définitive de 1978, distingue les personnes dites punissables, et les personnes non punissables. (2) Le nouveau Code Pénal, dans son article 122-1 reprend cette distinction entre les effets du trouble. S’il a entraîné une abolition du discernement ou du contrôle des actes au moment des faits, l’auteur est pénalement irresponsable (alinéa 1). Si ses facultés mentales ont seulement été altérées, l’auteur demeure punissable, toutefois la juridiction en tient compte pour la peine (alinéa 2). (3). ___________________________________________________________________________ (1) : Délinquant anormal : « tout individu qui, par suites de troubles psychiques ou de déficiences mentales durables altérant ses fonctions supérieures de contrôle, n’est pas pleinement capable d’apprécier le caractère délictueux de ses actes ou de se déterminer d’après cette appréciation ». (Art 2). Délinquant aliéné : « tout individu totalement incapable d’apprécier le caractère délictueux de ses actes ou de se déterminer d’après cette appréciation ». (Art 1) (2) : Art 36 al 1 du projet de 1978 : « est punissable l’auteur, l’instigateur ou le complice atteint, au moment de l’infraction, d’un trouble psychique qui, sans abolir son discernement ni le contrôle de ses actes, était de nature à influencer son comportement. Art 40 al 1 du projet de 1978 : « n’est pas punissable celui qui était atteint, au moment de l’infraction, d’un trouble psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». (3) : Art 122-1 nouveau CP : « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. ». 4 L’alinéa 2 est le plus novateur car il envisage l’hypothèse d’un amoindrissement du libre arbitre. Il suit ainsi les données modernes de la criminologie et de la psychiatrie attestant qu’il exige un large éventail de troubles psychiques modifiant partiellement le comportement humain. La « grande charte du droit pénal » accorde donc une place aux délinquants anormaux. Les rédacteurs du nouveau Code Pénal n’ont donc pas repris l’ancienne formulation. Cependant, si les nouvelles dispositions ont rendu caduques les critiques d’ordre rédactionnel formulées à l’encontre de l’article 64, elles ne suppriment pas totalement les difficultés de fond qui résultaient du droit antérieur. L’article 122-1CP a apporté trois sortes de modification : d’une part, il a abandonné la notion de démence pour retenir celle de trouble psychique ou neuropsychique ; d’autre part, il précise que, en tant que cause d’irresponsabilité, le trouble mental interdit de réprimer toutes les infractions, mais ne supprime pas l’existence même de l’infraction ; enfin, il distingue désormais clairement selon que le trouble mental a aboli ou simplement altéré le discernement. Ce souci de différentiation de la part des rédacteurs du nouveau code appelle des précisions quant aux définitions. En effet, de la nuance entre abolition et altération va découler une irresponsabilité ou une responsabilité atténuée de l’auteur. L’abolition est le fait de supprimer, de réduire à néant. En l’occurrence, soit l’individu a perdu la capacité de comprendre, autrement dit d’interpréter ses actes dans la réalité, soit il a perdu la capacité de vouloir, c'està-dire de contrôler ses actes. En revanche, les troubles mentaux qui ne font qu’altérer le discernement entravent le contrôle de ses actes, sans supprimer totalement son libre arbitre. On notera que la frontière entre les deux notions est parfois ténue et difficile à établir. Le nouveau code pénal, au terme de l’alinéa 1 de l’article 122-1 du CP exclut de toute sanction pénale l’auteur d’une infraction atteint d’une abolition du discernement, et cette décision fait suite à une expertise psychiatrique qui, dès l’instruction ou lors du jugement, déclare le délinquant non accessible à la sanction pénale. L’auteur sort du champ d’application du droit pénal et pose par conséquent, moins de difficultés d’ordre procédural. Cependant, la victime, de fait, est privée de procès, n’acquiert pas le statut de victime, et se trouve face à un vide, ne pouvant pas effectuer le travail nécessaire à sa reconstruction psychologique. 5 Ainsi, le sujet déclaré irresponsable est exclu du champ du droit commun de la responsabilité pénale, il est alors pris en charge par une administration, pénitentiaire ou hospitalière, qui, nous le verrons ultérieurement, ne bénéficie pas des moyens nécessaires pour accomplir correctement sa mission de soins et de suivi du malade. L’application de l’alinéa 2, prévoit, quant à lui, que l’altération du discernement n’exclut pas la responsabilité pénale. Ainsi, l’auteur est maintenu dans le processus pénal. Les différentes phases du procès, de l’instruction à l’audience, se déroulent classiquement et l’état psychique du délinquant n’est pas, jusqu’à l’audience, pris en considération. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime La mise en oeuvre de l’alinéa 2 de l’article 122-1 CP, est donc une illustration du principe d’individualisation, principe fondamental de droit pénal, et en ce sens, aucune difficulté particulière ne se présente lors de son application : l’instruction se déroule normalement ; l’auteur de l’infraction est présenté devant la juridiction de jugement qui, lors du prononcé de la sanction, prendra en considération l’état psychique et psychologique du sujet ; la victime a accès au droit, à la justice, et par conséquent à la possibilité d’être reconnue en tant que victime. La principale difficulté, nous le verrons plus tard, réside dans l’augmentation constante des incarcérations de malades mentaux. Alors, conformément à la lecture de l’article 122-1 du CP, il convient d’aborder dans un premier temps la stricte définition de l’abolition du discernement telle que posée par le législateur, puis, dans un second temps, le mécanisme inachevé résultant d’une simple altération du discernement. I- Une abolition du discernement strictement définie par le CP La mise en œuvre de l’irresponsabilité pénale a des conséquences importantes tant au niveau du déroulement de la procédure pénale, que pour les protagonistes. Pour cette raison, le texte impose la réunion de conditions particulières (A), et subordonne la déclaration d’irresponsabilité à l’établissement du trouble mental par le biais d’une expertise (B). A- Les conditions d’application de l’irresponsabilité pénale 6 L’irresponsabilité de l’auteur ne peut être invoquée que dans la mesure où elle répond à certains critères. En effet, l’article 122-1 al 1 exige la réunion de 3 conditions qui sont d’une part, un trouble grave de quelque nature qu’il soit, d’autre part, un trouble ayant aboli le discernement de la personne poursuivie ou le contrôle de ses actes, et enfin, un trouble ayant existé au moment des faits. Par conséquent, seul le trouble grave pourra être retenu (1), et à condition d’exister au moment des faits (2). 1- La gravité du trouble. En substituant à « l’état de démence » le « trouble psychique ou neuropsychique », le code consacre la jurisprudence antérieure qui avait déjà procédé à une lecture extensive de l’ancien article 64. L’irresponsabilité induit que le trouble ait aboli le discernement : la personne peut avoir perdu la capacité de comprendre ses actes ou (et) celle de vouloir, c'est-à-dire de contrôler ses actes. Le problème ne se posera pas pour les troubles qui relèvent de la démence, des délires chroniques comme la psychose hallucinatoire (1), le délire paranoïaque, les différentes formes de délires passionnels ou les épilepsies (2). On intègrera dans cette catégorie légale l’aliénation mentale (que la médecine distingue de la démence : « le débile est un pauvre d’esprit, le dément est un riche devenu pauvre. »), comme l’arriération ou la débilité mentale (d’un degré moins élevé) qui sont congénitales et __________________________________________________________________________ (1) : Crim.18 fév. 1998, Bull.Crim n° 66 (schizophrénie) (2) : Orléans 22 juin 1886, D.1887-5-213 ; Crim. 14 déc. 1982, Gaz. Pal. 1982-1-pan Attendu de Crim. 14 décembre 1982 = « L’épilepsie peut être considérée comme excluant la responsabilité pénale de l’auteur d’une infraction, non seulement pour les actes commis par celui-ci pendant un accès de sa maladie mais encore dans la période d’agitation qui précède immédiatement cet accès et qui soumet le malade à l’influence d’une attaque imminente. » constituent des troubles acquis de l’intelligence (3). En revanche, la dépression, les névroses, pas toujours facile à distinguer des psychoses, ne seront pas nécessairement des causes d’irresponsabilité. De la même manière, la question se 7 posera : pour les maladies de la volonté telles la kleptomanie ou la pyromanie qui n’atteignent pas la faculté de raisonner et de comprendre, mais la personne est victime d’obsessions ; pour le somnambulisme qui ne doit pas, s’il est naturel ou hypnotique, engendrer de responsabilité. (Néanmoins, si dans la seconde hypothèse, l’exécutant n’est pas responsable, celui qui a recouru à cette méthode sera le complice, voire l’auteur moral de l’infraction) ; pour les intoxications volontaires (alcool, stupéfiants), en principe il y a trouble psychique et l’agent pénal sous l’emprise de drogue ou d’alcool (notamment s’il est victime d’une crise de delirium tremens) devrait être irresponsable. Cependant, les actes commis dans ces états sont incriminés de plus en plus sévèrement par le code pénal (4). (3) : cf. également J.Léauté, Criminologie et science pénitentiaire, PUF 1972 p.488 (4): pour exemples : art 221-6-1 2° et 3° CP (homicide involontaire) art 222-19 2° et 3° CP (blessures involontaires avec une ITT ≥3 mois) 2- Le moment du trouble. Le trouble mental doit avoir existé au moment de la commission de l’infraction. C’est en effet à cet instant précis que s’apprécie la responsabilité ou l’irresponsabilité pénale. Cette condition présente non seulement un aspect temporel mais également un aspect causal. D’un point de vue temporel, le trouble doit être contemporain de l’action. Si le trouble existait antérieurement mais ne se manifeste pas au moment de l’infraction, l’agent pénal reste punissable et le juge pourra toujours tenir compte de cette circonstance en prononçant la peine. On le verra ultérieurement, cette situation a pour principale conséquence 8 d’augmenter le nombre carcéral de malades mentaux. Si le trouble survient postérieurement, trois situations doivent être envisagées : soit il se manifeste pendant la mise en état de l’affaire et dans ce cas l’action publique est suspendue pendant la durée du trouble pour ne reprendre qu’après la guérison (on notera toutefois, que l’instruction peut se poursuivre à condition que les actes accomplis ne portent pas sur la personne de l’intéressé) ; soit il survient juste avant le jugement et l’action publique pour l’application des peines devra être stoppée ; soit enfin, il survient après le jugement définitif et l’infraction reste imputable à son auteur.(5) Dans cette dernière hypothèse, le trouble sera seulement un obstacle à l’exécution de la peine privative de liberté, mais non à celle des peines pécuniaires ou privatives de droits. Ceci peut paraître contestable car si on pense que l’exécution de la peine est dénuée de signification pour le condamné, cette mesure de clémence devrait s’appliquer à toutes les peines. D’un point de vue causal, le trouble psychique doit être en rapport avec l’infraction. L’importance de cette condition se révèle en présence de troubles graves mais intermittents, comme les crises fréquentes d’épilepsie. Si la personne malade commet un acte répréhensible pendant un intervalle de lucidité, le trouble ne sera pas considéré comme la cause directe de l’infraction et cet agent sera responsable. (5): Crim. 27 mars 1924, Bull.Crim. n° 141; Crim. 7 oct. 1992, Bull.Crim n° 314 Outre le moment du trouble apprécié par des experts, la preuve de la non-imputabilité se solde également par une expertise psychiatrique ordonnée par la justice. B- La preuve du trouble mental : l’expertise psychiatrique L’existence d’un trouble mental constituant une cause d’irresponsabilité pénale n’est jamais présumée, même dans l’hypothèse d’une personne incapable majeur qui serait placée sous tutelle. Il ne suffit pas d’affirmer l’irresponsabilité, encore faut il en démontrer la 9 pertinence par des conclusions en ce sens et par des preuves tangibles soumises à contradiction (1) et ce qui n’est pas sans poser de difficultés (2). 1- Les modalités de mise en œuvre de l’expertise C’est la raison pour laquelle, dans la pratique, la juridiction répressive qui s’interroge sur l’état des facultés mentales de la personne poursuivie, l’ordonne. Les juges peuvent refuser l’examen mental demandé par la défense, s’ils s’estiment suffisamment éclairés, et ce en dépit de l’article 81 du Code de Procédure Pénale, qui rend théoriquement obligatoire l’enquête de personnalité en matière de crime. En Cour d’assises, l’expertise peut être demandée par les parties ou ordonnée par le président en vertu de son pouvoir discrétionnaire, ou par la cour en vertu de son pouvoir juridictionnel. Généralement, c’est le juge d’instruction qui, dans le cadre de l’information ouverte à la suite d’un réquisitoire du procureur de la République, désigne l’expert chargé de procéder à l’expertise. Si les circonstances le justifient, il en désigne plusieurs qui doivent établir alors un rapport commun, chacun ayant la possibilité d’indiquer son opinion ou ses réserves en les motivant (art 159 et 166 CPP).Ces experts sont choisis soit sur une liste dressée par la Cour d’appel soit sur la liste établie par le bureau de la Cour de Cassation.Après avoir pris connaissance du dossier et s’être entouré de tous renseignements utiles, l’expert procèdera à l’examen psychiatrique de la personne. Les questions habituellement posées à l’expert par le juge, sont celles fixées par une circulaire du Garde des Sceaux (6), notamment : - l’examen de la personne poursuivie révèle-t-il chez elle des anomalies mentales ou psychiques ? Le cas échéant, les décrire et préciser à quelles affections elles se rattachent. - l’infraction qui lui est reprochée est-elle ou non en relation avec de telles anomalies ? - cette personne présente-t-elle un état dangereux ? - est-elle accessible à une sanction pénale ? 10 - est-elle curable ou réadaptable ? La juridiction pénale a toujours la possibilité de poser aux experts d’autres questions telles que dire si la personne était atteinte de troubles mentaux aux moment des faits, si l’examen psychiatrique et biologique révèle chez elle des anomalies mentales ou psychique de nature à atténuer sa responsabilité…L’expert n’est tenu de répondre qu’aux questions qui lui ont été posées, et il doit étayer ses réponses par des constatations d’ordre scientifique et non se fonder sur sa seule intime conviction. Le rapport doit être remis à la juridiction demanderesse. Les conclusions des experts sont communiquées aux parties et à leurs avocats après les avoir notifiées à la personne détenue. Voir en annexe un exemple d’expertise demandée par le Tribunal Administratif de Pau (6) : l’article C. 345 de l’instruction générale pour l’application du Code de Procédure Pénale. Cet article, rédigé sous l’empire de l’ancien article 64, pourrait être prochainement modifié, d’un point de vue formel, pour être mis en harmonie avec les expressions utilisées par le nouveau Code Pénal. Cependant, les experts disposent d’une grande liberté dans la manière de conduire leurs investigations et de rédiger leurs conclusions. Il ne résulte, en effet, ni de l’art 6 Conv. EDH, ni d’aucun texte ou principe de procédure pénale (présomption d’innocence, droits de la défense), que l’accomplissement d’une mission d’expertise psychiatrique, relative à la recherche d’anomalies mentales susceptibles d’annihiler ou d’atténuer la responsabilité pénale du sujet, interdise aux médecins experts d’examiner les faits, d’envisager la culpabilité de la personne mise en examen, et d’apprécier son accessibilité à une sanction pénale. (7) 11 Le juge fixe aux parties un délai de 15 jours pour présenter d’éventuelles observations, notamment aux fins de complément d’expertise ou de contre-expertise (art167-1 CPP). 2- Les difficultés particulières liées à l’expertise Le trouble psychique est une question de pur fait qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, et sur laquelle la Cour de Cassation n’exerce aucun contrôle, sauf en cas de contradiction de motifs (8). Les conclusions de l’expert ne lient juridiquement pas le juge pénal (9), mais il parait évident que, si le rapport conclut à l’existence d’un trouble mental excluant tout discernement, et sauf hypothèse d’une contre-expertise donnant un avis contraire, la personne est déclarée irresponsable. On voit donc l’importance de la mission qui est confiée à l’expert. Il semble qu’aujourd’hui l’intervention d’experts psychiatres soit source d’embarras pour la justice pénale. En effet, il peut arriver, mais c’est une occurrence plutôt rare, qu’un d’entre eux se trompe complètement, et passe à côté du diagnostic. Ceci impose une contre-expertise, voire une sur-expertise, qui n’auraient jamais dues être diligentées, retardant l’instruction, alors qu’un examen initial compétent et approfondi aurait suffi. A vouloir faire des économies, la justice est parfois coûteuse. C’est le plus souvent l’interprétation médico-légale qui oppose les experts, non le diagnostic rétrospectif. L’expert sort d’une logique médicale pour entrer dans une logique médico-légale, nécessairement moins scientifique. (7) : Crim. 29 oct. 2003, Bull. Crim. N° 205 (8) : Crim. 21 janv. 1992, Dr. Pén. 1992, comm. n° 196 (9) : Crim. 6 juin 1979, Bull. Crim. n° 194 Les présidents d’assises s’en étonnent : « Messieurs les experts, je ne comprend pas. Vous faites exactement la même analyse clinique ; vos développements sont superposables, mais à un moment donné, vos directions divergent ; de la même démarche, vous tirez des conclusions opposées ! ». Les juges, face à des expertises qui se contredisent, hésitent, et des contradictions apparaissent à travers plusieurs affaires criminelles : par exemple, ce meurtrier, ayant fait l’objet d’une première expertise concluant à une névrose, renvoyé devant une Cour d’assises malgré deux autres expertises, concluant à une schizophrénie, et finalement acquitté (10) ; ou bien cet autre meurtrier, examiné par des experts concluant que 12 l’intéressé présente « une structure psychotique de personnalité de type schizophrénique indifférenciée », renvoyé devant la Cour d’assises d’Orléans en raison de discordances entre les rapports d’expertise et une expertise faite lors d’une précédente condamnation, et condamné à une peine de réclusion criminelle pour avoir cédé à sa pulsion (11) ;ou encore ce meurtrier condamné à la réclusion criminelle à perpétuité après l’intervention de quatorze experts qui n’avaient pu se mettre d’accord sur son état mental (12). La tâche de l’expert, qui examine la personne poursuivie en pratique plusieurs semaines, voire plusieurs mois ou même plusieurs années en cas de contre-expertise, est souvent très délicate. Il en est notamment ainsi dans l’hypothèse d’un trouble mental intermittent dont il est difficile de savoir s’il existait au moment de l’acte ou lorsque la personne poursuivie ne reconnaît pas avoir commis l’infraction qui lui est reprochée. Enfin, il faut songer aux simulateurs, situation relativement fréquente chez certains psychopathes ou pervers particulièrement intelligents. On peut, dans ces conditions regretter que, depuis 1985, l’expertise psychiatrique ne soit plus, sauf décision spéciale de la juridiction, confiée à deux experts, qui pouvaient utilement confronter leurs points de vue. Toutefois, en cas de contre-expertise demandée par la victime, lorsque les conclusions de la première expertise vont dans le sens de l’irresponsabilité, le nouvel examen doit être réalisé par deux experts, en application des dispositions de l’article 167-1 du Code de Procédure Pénale, résultant de la loi du 8 février 1995. (10) : C. assises, Paris, 12 déc. 1995, « Le monde », 14 déc. 1995 (11) : C.assises Orléans, 18 déc. 1998, « Le monde », 20 et 21 déc. 1998 (12) : C.assises Rouen, 8 avr. 1995, « Le monde », 11 avr. 1995 On peut enfin observer, que devant la Cour d’assises, la réponse affirmative aux questions relatives à la culpabilité de l’accusé suffisait à établir que la Cour avait estimé que celui-ci n’était pas atteint d’un trouble ayant aboli son discernement (13). Mais cette solution n’est plus valable du fait de la réforme de la procédure criminelle, opérée par la loi du 15 juin 2000 et applicable à compter du 1er janvier 2001, qui prévoit qu’une question spéciale doit être posée sur les causes d’irresponsabilité pénale, du moins si celles-ci sont invoquées par l’accusé. Cette disposition engendre l’incompréhension des médecins experts qui s’étonnent qu’en application de l’article 349-1, 2° du Code de Procédure Pénale, les jurés d’assises 13 doivent expressément se prononcer sur la cause d’irresponsabilité pénale, et par conséquent rendre un diagnostic qu’ils pensaient être de leur compétence. La personne déclarée irresponsable en raison d’un trouble mental ne relève plus du droit pénal ni, par conséquent, des tribunaux répressifs. Elle doit, selon que cette irresponsabilité est judiciairement constatée au stade de l’instruction ou du jugement, faire l’objet d’une décision de non-lieu prononcée par la juridiction d’instruction, d’une relaxe, ou d’un acquittement. Si cette personne était placée en détention provisoire, elle doit être immédiatement libérée. Il peut arriver, dans des hypothèses où l’irresponsabilité ne fait aucun doute, que le parquet renonce à engager des poursuites en classant sans suite les procès-verbaux de police ou de gendarmerie constatant la commission de l’infraction, mais cette pratique semble cependant devoir être réservée aux infractions de faible gravité. Le non-lieu, la relaxe ou l’acquittement posent un problème dans la mesure où, l’agent pénal est abandonné à sa maladie et la victime à l’absence de procès. En effet, il ne faut pas oublier d’observer que l’insatisfaction des familles de victimes est quasi générale lorsqu’une ordonnance de non-lieu prononcée par le juge d’instruction. Les victimes peuvent admettre la déclaration d’irresponsabilité pénale dès lors que l’auteur des faits a été officiellement reconnu irresponsable. Nous n’allons pas nous attarder sur ce point là car nous le développerons ultérieurement. (13): Crim. 20 oct. 1999, Bull.Crim. n° 228 Ainsi, d’une structure rigoureuse du premier alinéa de l’article 122-1 du CPP semblent apparaître quelques problèmes mais uniquement de nature post-procédurale. Toutefois, son alinéa 2, relatif à l’altération du discernement, présente des difficultés bien plus évidentes, d’autant plus qu’elles sont de nature procédurale. II- Une altération du discernement révélatrice d’un mécanisme inachevé 14 La prise en charge de l’auteur semble actuellement présenter des difficultés, dans la mesure où elle s’apparente à une mise à l’écart de l’individu, à un procédé tendant à l’oubli de la personne, proche de « La Nef des Fous » du Moyen Age qui consistait à amasser les malades mentaux sur un bateau d’infortune, démuni de toute nourriture, et de les laisser à la dérive des océans. A- La prise en charge inadaptée de l’auteur déclaré responsable Ce n’est que si son état mental est de nature à compromettre l’ordre public ou la sûreté des personnes que les autorités judiciaires doivent aviser le préfet. Ceci est prévu par l’article L. 3213-7 du Code de la Santé Publique dans sa rédaction résultant de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation. En application de cet article, le préfet doit prendre sans délai les mesures nécessaires, c'est-àdire, le plus souvent, une hospitalisation d’office. Toutefois, les prisons françaises accueillent de plus en plus de malades mentaux. Face à ce constat, il faut tenter d’une part, d’en connaître les raisons (1), et d’autre part de prendre conscience des problèmes que cela engendre et du défaut de réponses apportées (2). 1- Une population carcérale au nombre croissant de malades mentaux. On peut distinguer trois facteurs qui expliquent le nombre croissant de personnes incarcérées dans les prisons françaises, alors qu’elles présentent de graves troubles mentaux. Le premier est lié au fonctionnement de la justice. Beaucoup de personnes sont jugées dans le cadre de la procédure de comparution immédiate et, souffrant de troubles mentaux, elles 15 peuvent avoir des difficultés pour évoquer leur prise en charge psychiatrique dans ce contexte peu favorable à l’expression de la souffrance psychologique. Parfois une expertise psychiatrique est demandée car les troubles sont patents, mais le sujet, de manière générale va quand même être incarcéré. Il s’agit de peines relativement courtes correspondant à des délits mineurs et ces personnes effectueront la peine de prison prononcée, alors que leur état clinique aurait davantage nécessité des soins psychiatriques (en ambulatoire ou en hospitalisation). Voir les annexes 1, 2 et 3 pour quelques chiffres clés relatifs aux personnes atteintes de troubles mentaux incarcérées en France. Observatoire International des Prisons, les conditions de détention en France, rapport 2003. Le deuxième est lié à la modification récente de la pratique des psychiatres experts auprès des tribunaux. Récemment on a vu apparaître dans un certain nombre d’expertises psychiatriques le fait que le sujet mis en examen pour des faits graves, était effectivement atteint de troubles psychiatriques patents, mais que la prison pourrait « lui redonner le sens moral » ou le « resituer par rapport à la loi » ; ceci prouve le manque de connaissance du milieu carcéral de la part des experts, ou l’habillage par des motifs pseudo théoriques de considérations plus prosaïques. 16 Le troisième est lié aux conditions d’incarcération, l’allongement de la durée des peines et la diminution des aménagements de peine. En effet, certaines personnalités, peut-être déjà fragiles antérieurement à l’incarcération, ne supportent pas les conditions de vie quotidienne telles que la surpopulation, le manque d’hygiène, la rupture des liens familiaux et conjugaux, l’attente du jugement puis du transfert en établissement pour peines, l’inactivité, la violence, le racket…. On observe des décompensations psychiatriques sur le mode de bouffées délirantes aiguës chez des sujets qui n’avaient jamais été repérés comme malades mentaux. Ces personnes ne relèvent pas de l’article 122-1 CP, puisque les symptômes sont apparus à distance des faits reprochés, et elles devront donc purger leur peine dans des conditions inappropriées. Comme on a pu l’observer précédemment, la situation actuelle de la psychiatrie publique explique aussi pour partie l’augmentation du nombre de malades mentaux incarcérés. En effet, la politique de sectorisation qui avait été mise en place à partir des années 60, avait instauré un dispositif extrêmement performant qui reposait en partie sur la prévention et sur la prise en charge des malades en ambulatoire, avec pour objectif, notamment, de diminuer les hospitalisations. Depuis quelques années, on assiste à la diminution de ces pratiques, telles que les visites à domicile, du fait de l’augmentation de demandes de consultations. Enfin, si un grand nombre de postes de psychiatres publics ne sont pas pourvus du fait des problèmes de démographie médicale, on manque également cruellement d’infirmiers spécialisés car pas formés. On voit donc que de nombreux facteurs judiciaires et psychiatriques peuvent expliquer l’augmentation du nombre de malades mentaux incarcérés dans les prisons françaises. 2-Une prise en charge défaillante dépourvue de solutions La disparité caractérise la prise en charge des malades mentaux incarcérés. En effet, il existe 26 services médicaux psychologiques régionaux (SMPR) implantés dans les plus grandes maisons d’arrêt, avec des équipes pluridisciplinaires, qui disposent de lits d’hospitalisation 17 permettant le suivi intensif durant la journée des personnes ayant des troubles mentaux et consentant aux soins. Lorsqu’il n’existe pas de SMPR, c’est l’équipe du secteur psychiatrique où est situé l’établissement pénitentiaire qui doit assurer les soins psychiatriques. Cependant les moyens financiers alloués à ces secteurs ne permettent que rarement une prise en charge de qualité, et souvent, seuls les soins psychiatriques urgents sont assurés. Dès le mois de juin 2000, la commission d’enquête du Sénat constatait que « la solution du moindre mal, celle de l’incarcération des psychotiques est retenue pour le plus grand malheur de l’administration pénitentiaire. La gestion de ces malades en détention est une lourde charge […] Des milliers de détenus malades errent ainsi sur le territoire national, ballottés entre les établissements pénitentiaires, leurs quartiers disciplinaires, les SMPR, les unités pour malades difficiles…Le tout sans aucune cohérence. » Pour remédier à tout cela, la loi d’orientation et de programmation du 9 septembre 2002 prévoit « la création d’unités psychiatriques sécurisées spécifiquement aménagées (UHSA) et destinées à recevoir des personnes détenues, avec ou sans leur consentement, pour une durée indéterminée ». Une solution qui ramène aux « pavillons médico-légaux » des anciens hôpitaux psychiatriques, abandonnés lors de la modernisation de la psychiatrie dans les années 1970. Dans un avis du 15 juillet 2002 sur la loi Perben, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’homme affirme que « la très grave question de l’incarcération ou le maintien en détention des malades mentaux reste posée […]. Il est urgent de prévoir des aménagements de peine spécifiques aux malades mentaux, compte tenu de l’accentuation des pathologies psychiatriques résultant de la détention. » A la date de juillet 2004, aucune modalité concrète n’avait encore été définie par les deux cabinets ministériels concernés (santé et justice). En attendant la création de ces structures, les médecins se tournent fréquemment vers l’usage massif de médicaments. Pour l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) et l’Inspection Générale des Services Judiciaires (IGSJ), « la camisole chimique existe et prend la forme d’une sur-prescription de psychotropes. ». Alors, face à ces difficultés, des réformes sont envisageables. 18 B- Les réformes envisageables La demande des victimes n’est pas une demande de thérapie, ni une demande de cérémonie rituelle pour justifier les décisions précises. Elle exprime la nécessité de retracer l’histoire de la victime, confrontée à la violence de l’acte, de voir identifié l’auteur des faits, d’en rechercher les responsabilités connexes, et de garantir la sécurité publique. Des modifications profondes doivent intervenir pour atteindre ce but, en se concentrant essentiellement sur deux plans d’une part, il est nécessaire d’envisager un réaménagement de la procédure pénale relative à l’irresponsabilité pénale (1), et d’autre part, les conditions de l’expertise psychiatrique doivent être améliorées (2). 1- Le réaménagement de la procédure pénale Comme on a pu le voir précédemment, l’absence de procès en cas de déclaration d’irresponsabilité pénale provoque un réel sentiment de victimisation secondaire. En effet, pour que la victime puisse espérer réintégrer la société, la justice doit prendre en considération sa volonté de passer à autre chose, de parfois faire son deuil. Pour ce faire, les propositions s’orientent vers deux directions plus ou moins radicales. En premier lieu, les victimes ressentent le besoin d’un procès, et les arguments évoqués pour le refuser en cas d’aliénation ne paraissent pas pertinents. Il est parfois avancé que les jurés sont dans l’incapacité de déclarer l’irresponsabilité (alors qu’il peut condamner un criminel à la réclusion à perpétuité voire, il n’y a pas si longtemps, à la peine de mort !) ; ou encore que le procès en assises rajouteraient un traumatisme (alors qu’au contraire, il pourrait atténuer le traumatisme initial). Le procès reste bien une étape primordiale dans la reconstruction de la personne, étape qui ne peut être écartée quand l’auteur est atteint de troubles mentaux.. En ce sens, certaines associations de victimes, notamment l’Association des Parents d’Enfants Victimes, proposent la suppression du non-lieu prononcé par le juge d’instruction et en parallèle l’obligation de mener l’instruction et l‘enquête à son terme. De la même façon, en cas de décès de l’auteur des faits, par suicide, accident ou tout autre cause, il est indispensable 19 que l’enquête se poursuive afin de déterminer exactement les responsabilités et le mobile du crime. En second lieu, la procédure classique doit s’appliquer à travers le renvoi devant une juridiction de renvoi (Cour d’assises ou juridiction ad hoc), avec la possibilité d’appel devant la chambre de l’instruction, dans un délai raisonnable. La loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence donne la possibilité au président de la Cour d’assises de poser aux jurés une question sur l’irresponsabilité pénale (art.349 CPP). Le législateur aurait donc prévu la possibilité de faire comparaître devant une Cour d’assises le sujet atteint de troubles mentaux, tout en les exemptant de peine (art.363 CPP). On peut noter que la rédaction de l’article 363 du CPP requerrait une modification afin de ne pas « acquitter » une personne déclarée irresponsable au moment des faits, acquittement signifiant souvent innocence pour le grand public. De plus, cette juridiction bénéficierait de compétences particulières. Elle définirait ellemême, sans l’intervention du Préfet, les conditions de l’internement (durée, lieu, possibilité de sorties ou non…) ; déterminerait les mesures de sûreté lors de la sortie ; imposerait une hospitalisation dans un établissement éloigné du domicile des victimes pour éviter les récidives si la personne a été déclarée dangereuse par les experts ; mettrait en place un suivi post-hospitalisation s’inspirant de celui qui existe pour les agresseurs sexuels pour éviter la récidive et protéger les victimes. La fin de l’hospitalisation ne pourrait être prononcée qu’après l’avis d’une commission composée de psychiatres et de magistrats, telle que l’avait préconisé le député Pierre Mazeaud en 1996. La seconde ligne de réforme, quant à elle, tendrait plus vers l’amélioration des conditions d’expertise psychiatrique. 2- Des conditions d’expertise psychiatrique nécessitant des améliorations Un véritable problème entoure l’expertise psychiatrique pénale, dont la rémunération est notoirement insuffisante, et dont les conditions matérielles d’exercice dans les centres de détention sont souvent désastreuses, éloignant le nombre de psychiatres de qualité. 20 Il y a environ 13 000 psychiatres en France ; 800 sont inscrits sur les diverses listes d’experts, moins encore sont disponibles pour les expertises pénales. Le système de rémunération forfaitaire, qui rétribue de façon identique les expertises les plus simples et les plus complexes, celles qui se limitent à un seul examen et celles qui demandent des investigations complémentaires, celles qui requièrent deux heures de travail et celles qui en exigent vingt fois plus, pénalise les experts qui ne transigent pas avec l’approfondissement clinique, qui est le fondement de l’éthique expertale…Plus l’expert travaillera, plus faible sera sa rémunération. Un tel système ne peut engendrer que des effets pervers. L’expert qui se voit confier des cas particulièrement complexes et qui est faiblement rétribué finit tôt ou tard par se décourager ou par restreindre ses ambitions, puisqu’il est sanctionné pour son sérieux. Ce qui est réconfortant, c’est qu’il reste tout de même de bons experts et de bonnes expertises. Les praticiens libéraux, qui représentent 30% des inscrits sur les listes, renoncent souvent à l’expertise car les contraintes horaires des assises désorganisent leur clientèle. Les appels n’ont fait qu’accroître les difficultés, puisque l’expertise est souvent entendue par les deux Cours. Les hospitaliers, compte tenu de leur charge de temps plein, ne peuvent effectuer qu’un nombre nécessairement limité de missions. D’où le danger, souvent dénoncé par tous mais encouragé par le système, de pratiques expertales quasi exclusives, par des professionnels ayant rompu les liens avec la pratique institutionnelle et thérapeutique, ayant perdu leur indépendance à l’égard de l’autorité judiciaire mandante et donc leur impartialité (critique récemment énoncée par le Garde des Sceaux). La multiplication des demandes, notamment du fait de l’application progressive de la loi du 17 juin 1998, l’augmentation des charges de travail des hospitaliers, notamment du fait des vacances de postes liés à la baisse de la démographie hospitalière, aboutiront très vite à l’asphyxie du système ou à sa perversion (expertises bâclées, inexploitables, les ouvertures de parapluie généralisée, les expertises-alibi…). Tout cela va s’aggraver si une véritable réforme en profondeur n’est pas engagée, permettant à un plus grand nombre de psychiatres de se former, de s’inscrire sur les listes et d’avoir une pratique honnête, compétente, approfondie et équitablement rétribuée en fonction du travail réel fourni. C’est une condition sine qua non pour un bon fonctionnement du système expertal judiciaire. Les magistrats savent déjà qu’ils auront, dans une très large mesure, les experts qu’ils se seront donnés les moyens d’avoir. 21 Ces propos ne font que souligner le malaise des uns et des autres face à la nécessité d’une collaboration efficace entre les autorités judiciaire, médicale et administrative sur la prise en charge des auteurs d’infraction potentiellement dangereux et sur l’accompagnement des victimes, essentiellement lors du prononcé du non-lieu. 22