PLAN - Faculté de Droit de Nantes

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LA PERSONNE ATTEINTE D’UN TROUBLE PSYCHIQUE
I) Le constat d’une pénalisation contemporaine de la maladie mentale au
travers de la procédure de traitement du malade mental délinquant
A- L’expertise psychiatrique en crise
1- La pratique de l’expertise psychiatrique déterminante à l’établissement de
l’irresponsabilité pénale
2- Des expertises psychiatriques concluant de plus en plus à la responsabilité du malade
mental
B- Les difficultés afférentes à l’hospitalisation d’office et le malaise des prisons asiles
1- l’hospitalisation d’office face à la désinstitutionalisation de l’hôpital psychiatrique
2- La recrudescence du nombre de malade mentaux en prison
II) Les solutions proposées pour la mise en œuvre effective des principes
d’irresponsabilité et de responsabilité atténuée, un débat toujours inachevé
A- Une refonte de la procédure souhaitée
1- la volonté d’améliorer les conditions d’expertise
2- le souci d’une meilleure réglementation de l’hospitalisation d’office
3- la préoccupation d’une réelle intégration de la responsabilité atténuée limitant la durée
des incarcérations
B- Vers une judiciarisation de la maladie mentale
1- la mise en place d’une juridiction ad hoc palliant l’absence de procès du malade
mental
2- l’opportunité d’instaurer une juridiction ad hoc
a) l’opportunité au regard de la victime de l’infraction
b) l’opportunité au regard de l’auteur de l’infraction
LA PERSONNE ATTEINTE D’UN TROUBLE PSYCHIQUE
INTRODUCTION
Selon Gérard Cornu, la responsabilité pénale est l’obligation de répondre des infractions
commises et de subir les peines prévues par le texte qui les répriment. La responsabilité
pénale suppose donc de l’auteur un acte intentionnel c’est- à -dire commis en conscience et
volonté, celui-ci devant être capable de comprendre et vouloir son acte. C’est seulement à
cette condition que pourra lui être imputée l’infraction. Si tel n’est pas le cas, la justice
décidera que l’auteur n’est pas punissable c’est-à-dire irresponsable. Ne pourra alors lui être
imputée aucune infraction.
Ce concept d’irresponsabilité découle d’un fondement morale du droit pénal selon lequel ce
n’est que sous couvert de discernement et de libre arbitre que des poursuites sont possibles.
Notre droit pénal connaît trois causes d’irresponsabilités, appelées aussi causes subjectives
d’irresponsabilité : le trouble psychique ou neuropsychique qui nous intéresse aujourd’hui, la
contrainte et l’erreur. Le trouble psychique se définit comme une altération des facultés
mentales qui atteint l’intelligence ou la volonté d’un individu.
Traditionnellement, notre droit considère l’individu atteint d’un trouble mental comme
irresponsable. En effet, privé de discernement et de libre arbitre au moment de l’acte, il
apparaîtrait alors injuste et inutile qu’il assume au plan pénal les conséquences de ses actes.
Injuste car il n’a pas eu conscience qu’il commettait une infraction, et inutile car incapable de
comprendre le caractère dissuasif de la sanction.
Le principe d’irresponsabilité pénale n’est pas à proprement parlé inscrit dans le code pénal. Il
découle de l’évidence des articles 122-1 et 122-2 de ce même code.
D’ailleurs, les malades mentaux n’ont pas toujours été considérés de la même manière par le
droit criminel. Ainsi, en droit romain, le fou reste impuni car il n’a pas eu d’intention et est
suffisamment sanctionné par sa maladie. Au contraire, le Moyen Age considérait les fous
comme possédés par le démon et donc soumis aux peines de droit commun. Le principe
d’irresponsabilité fut ensuite repris par le droit canonique puis par le droit laïc au 18ème siècle
grâce à différents travaux comme ceux de Pinel et d’Esquirol qui introduisirent une nouvelle
conception de la folie. Elle devint une maladie mentale dite « aliénante » de l’esprit qui prive
ceux qui en sont atteint de leur libre arbitre et donc de leur responsabilité pénale.
Le code pénal de 1810 a suivi cette nouvelle conception faisant échapper le dément à toute
répression par son article 64 selon lequel : « il n’y a ni crime, ni délit lorsque le prévenu était
en état de démence au temps de l’action. » Cependant, la formulation de l’article 64 s’est
révélée très rapidement inadaptée. En effet, grâce aux progrès de la psychiatrie, le terme
démence s’est vu donné un sens médical précis ne permettant plus de recouvrir toutes les
formes d’aliénation mentale. D’autre part, la formulation « ni crime, ni délit » n’englobait pas
les contraventions et laissait croire qu’aucune infraction n’avait été commise provoquant des
difficultés pour retenir la culpabilité d’éventuels complices de l’aliéné. Enfin, l’article 64 ne
prenait pas en compte le cas des personnes atteintes de troubles mentaux insuffisamment
graves pour être qualifiés d’état de démence mais de nature à influencer le comportement et
donc à altérer le libre arbitre. Ces personnes étaient alors déclarées responsable mais
bénéficiaient parfois de circonstances atténuantes. Cette pratique des magistrats était issue de
la circulaire Chaumier de 1905 qui invitait les juges à adapter la notion de démence aux
progrès de la psychiatrie, en prenant en compte des troubles mentaux qui restaient en dehors
de son domaine d’application lors de la détermination de la peine. Toutefois, ce système était
fortement critiqué en raison de son caractère artificiel et arbitraire.
Les rédacteurs du nouveau code pénal ont donc modifié l’article 64 devenu l’article 122-1.
La notion de démence est alors abandonnée au profit de celle de « trouble psychique ou
neuropsychique » plus large. De même, toutes les infractions sont visées et est prévu
expressément la situation intermédiaire d’un trouble mental ayant seulement altéré et non
aboli le discernement.
L’article 122-1 du code pénal suppose trois conditions pour retenir l’irresponsabilité pénale:
un trouble mental, ayant aboli ou altéré le discernement, et enfin, un trouble mental existant
au moment des faits.
Un trouble mental d’abord, il est vu au sens large par le législateur consacrant ainsi
l’interprétation extensive que la jurisprudence en faisait. Il vise donc tous les troubles
mentaux quelque soit leur origine ou leur nature. Il peut s’agir de lésions congénitales,
psychiques ou accidentels entraînant des formes d’arriération mentale, la détérioration de
capacités mentales ou des troubles du comportement. Ce peut être aussi des maladies
mentales n’impliquant pas de lésions telles la schizophrénie, paranoïa et autres psychoses
maniaco dépressive. Enfin, il peut s’agir de troubles non pathologiques comme le
somnambulisme, un état alcoolique ou un comportement dû à la prise de stupéfiants.
Un trouble mental ayant aboli ou altéré le discernement ensuite.
Pour conclure à l’irresponsabilité totale selon l’alinéa 1, le trouble doit avoir aboli le
discernement ou le contrôle des actes. Selon messieurs Desportes et Le Gunehec cela signifie
la nécessité de perdre soit la capacité de vouloir, c’est-à-dire la capacité des contrôler ses
actes, soit la capacité de comprendre, c’est-à-dire la capacité d’interpréter ses actes dans la
réalité. Seul l’absence d’un de ces deux éléments suffit à engager l’irresponsabilité.
Le trouble mental peut avoir aussi simplement altéré le discernement ou entravé le contrôle
des actes. C’est alors l’alinéa 2 de l’article 122-1 du code pénal qui sera mis en œuvre, la
présence du trouble pourra alors être pris en compte dans le quantum de la peine. Il s’agit de
la situation intermédiaire dans laquelle le trouble mental n’a pas complètement privé
l’individu de discernement pour permettre l’irresponsabilité. Mais c’est aussi la situation la
plus difficile à qualifier pour l’expert notamment car, comment déterminer avec certitude la
frontière entre le délinquant normal et celui dont le discernement est simplement altéré
notamment dans le cas des intoxications volontaires telles l’alcool ou la drogue. L’absorption
de ces produits ne provoque pas une perte totale de contrôle mais entraîne une diminution des
inhibitions sociales et peuvent donc être considérés comme altérant le discernement. Si
l’article 122-1 alinéa 2 interprété à la lettre n’écarte pas la prise en compte de ces
comportements, l’intention du législateur est différente car il incrimine directement la
conduite sous l’empire d’un état alcoolique ou encore la prise de stupéfiants. Ce qui montre sa
volonté de ne pas faire bénéficier ces comportements d’une atténuation de la répression par
l’article 122-1 et la jurisprudence l’a bien compris puisqu’elle ne considère pas l’ivresse
comme entrant dans le cadre des troubles mentaux.
Enfin, le trouble mental doit avoir existé au moment des faits. Ce qui veut dire aussi qu’il doit
avoir une relation causale avec l’infraction, c’est à cause de lui que l’infraction a été
perpétrée.
A noter que si le trouble mental est postérieur aux faits alors que la procédure est en cours,
celle-ci est suspendue car l’individu se trouve alors dans l’impossibilité de se défendre.
L’instruction peut toutefois se poursuivre sauf s’il s’agit d’interroger le mis en cause. Si la
personne retrouve sa lucidité, la procédure peut alors reprendre.
La preuve de l’irresponsabilité pénale ou de l’atténuation de responsabilité se fera au moyen
de l’expertise psychiatrique.
L’irresponsabilité pour trouble mental pourra être constatée à tous les stades de la procédure.
Si elle intervient lors de l’instruction, une décision de non lieu sera prononcée par le juge
d’instruction. Si elle intervient lors du jugement l’intéressé fera l’objet d’une décision de
relaxe si c’est la tribunal correctionnel ou d’acquittement si c’est la Cour d’Assises. Le
parquet peut aussi décider de classer sans suite l’affaire et renoncer à engager des poursuites
tout en amont de la procédure.
En cas d’irresponsabilité totale, deux options s’offrent alors : soit la personne est remise en
liberté, soit, si elle présente un état de dangerosité suffisant, elle fera l’objet d’une procédure
d’hospitalisation d’office.
Dans le cas d’une responsabilité atténuée, la personne est supposée condamnée moins
sévèrement du fait du trouble mental, elle ira alors en prison s’il s’agit d’une peine privative
de liberté.
Dans tous les cas, la personne demeure cependant civilement responsable de ses actes et des
dommages et intérêts pourront être alloués aux victimes (article 489-2 CC).
Si le mécanisme de l’article 122-1 semble bien rodé, il n’en demeure pas moins qu’il fait face
aujourd’hui à de nombreuses difficultés.
Difficultés qui ont conduit ces dernières années à un phénomène de pénalisation de la
maladie mentale : des expertises psychiatriques en crise, un manque de prise en charge du
malade, un manque de considération des victimes, des prisons devenues des asiles… Le débat
s’est ainsi cristallisé autour de la responsabilité pénale du malade mental, ceux plaidant pour
la citoyenneté du malade et souhaitant le voir assumer ses actes s’opposant à ceux qui
trouvent intolérable de voir un psychopathe passer de longues années en prison alors que ses
actes et son discours paraissent infiltrés d’aliénation.
Voyons donc au travers de la procédure qui permet de mettre en œuvre l’irresponsabilité
pénale, comment celle-ci semble incapable de soustraire efficacement le malade mental de sa
responsabilité et provoquer ce phénomène de pénalisation de la maladie mentale. Ce sera
l’objet de notre grand (I).
Puis voyons quelles solutions ont été proposées aux défaillances du système, qui intéressera
notre grand (II). Solutions qui ont été énoncées au terme d’un rapport de 2005 intitulé « santé
justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive » dirigé par M. Burgelin.
Celui-ci fut lui même inspiré d’un rapport de 2003 de la direction des affaires criminelles et
des grâces relatif à une possible réforme des règles applicables en matière d’irresponsabilité
pénale.
Enfin, nous verrons si ces propositions permettront de tout régler.
I) Le constat d’une pénalisation contemporaine de la maladie mentale au travers de la
procédure de traitement du malade mental délinquant.
A- L’expertise psychiatrique en crise
1- La pratique de l’expertise psychiatrique déterminante à l’établissement de
l’irresponsabilité pénale.
L’existence d’un trouble mental constituant une cause d’irresponsabilité n’est jamais
présumée, il doit être prouvé.
Cette preuve se fera au moyen de l’expertise psychiatrique qui au terme de l’article 156 du
CPP pourra être ordonnée par toute juridiction d’instruction ou par toute juridiction de
jugement soit à la demande du ministère public, soit d’office ou à la demande des parties.
L’officier de police judiciaire peut également ordonner une expertise psychiatrique en cas
d’enquête de flagrance, elle se fera le plus souvent au cours de la garde à vue. En d’autres
termes, peuvent ordonner une expertise, en matière de crime et de délit, l’officier de police
judiciaire lors de l’enquête de flagrance, le juge d’instruction, la chambre de l’instruction et le
parquet lors de la phase préliminaire, puis le président de la chambre correctionnelle ou le
président de la cour d’assises lors de la phase de jugement. L’expertise psychiatrique est
d’ailleurs obligatoire en matière criminelle. Enfin, en matière contraventionnelle, une
expertise peut être ordonnée par le tribunal de police pour des contraventions de 5ème classe,
mais celles-ci sont rares.
Les éléments qui poussent le magistrat ou la juridiction à recourir à l’expertise psychiatrique
ont souvent trait aux circonstances qui entourent l’infraction ou son contexte. Ce peut être par
exemple l’absurdité du but et des moyens de l’infraction, l’absence de précautions prises par
l’auteur pour échapper aux recherches et aux sanctions ou encore la discordance entre la
conduite du moment et le comportement antérieure.
Quoi qu’il en soit lorsqu’il est désigné par le magistrat, l’expert se doit de remplir sa mission
principale qui sera d’établir ou non l’existence de troubles mentaux chez l’intéressé au
moment des faits afin de conclure ou non à la responsabilité de celui-ci.
En pratique, seront posées à l’expert par le magistrat des questions telles que : la présence ou
non de troubles mentaux chez l’individu, la relation entre ces troubles et les faits reprochés,
s’il existe une abolition ou une altération du discernement, si la personne présente ou non un
état dangereux, son accessibilité à une démarche de soins ou une sanction pénale…
De manière très concrète l’expertise psychiatrique se déroule en trois étapes : l’examen du
dossier pénal, l’examen du sujet et la rédaction du rapport.
L’examen du dossier pénal peut se révéler intéressant pour l’expert en ce qu’il va lui donner
des indications précieuses sur la personnalité de l’individu. Cela pourra être des demandes
fréquentes de changement d’avocat ou encore le ton et le style des courriers personnels, les
enquêtes de personnalité ou expertise médico-légale déjà effectuées, mais aussi des pièces
faisant état des incidents survenues, le cas échéant, au cours de la détention provisoire comme
des violences ou des crises.
Cependant, l’acte le plus important de l’expertise psychiatrique procède de l’examen du sujet.
L’expert en est totalement maître, il n’a, en principe aucune limite de temps pour l’effectuer
et peut rencontrer le sujet autant de fois qu’il le désire. De même il peut choisir le lieu
d’examen mais l’individu étant souvent incarcéré au titre de la détention provisoire, celui-ci
se déroule le plus souvent en prison autrement dit dans des conditions précaires : locaux et
horaires inadaptés, bruit… D’autant plus que l’examen psychiatrique est souvent mal compris
par l’inculpé : choc de l’incarcération, incertitude de son sort, troubles mentaux tout
simplement, privant l’individu de discernement au moment de l’expertise, et enfin parfois le
manque d’information même de l’expert à l’intéressé sur les raisons de sa présence et les
conséquences de l’examen, alors qu’en principe cette information est une obligation.
L’entretien avec le sujet ne se limite pas à l’interrogatoire et à l’observation de celui-ci mais
met en avant la relation médecin malade. Le but pour le psychiatre est d’établir un diagnostic
par la notation de signe précis et de symptômes. L’expert posera pour se faire différentes
questions à l’individu : relativement à son état d’esprit pendant et avant les faits, au vécu de
celui-ci, à son activité sentimentale. Il examinera aussi son comportement lors de l’entretien.
L’appréciation de ces différents éléments est essentielle, car ils fournissent de précieuses
indications quant aux causes du passage à l’acte et permettent de l’expliquer. A noter toutefois
que l’expliquer ne voudra pas dire l’excuser pour l’expert qui ne choisira pas forcément de
conclure à l’irresponsabilité.
L’expert peut aussi faire un examen clinique de l’individu à la recherche de cicatrices,
malformations, ou un examen toxicologique à la recherche d’alcool, drogue, médicament et
faire le lien avec certaines pathologies.
Enfin, l’expert, pour déterminer s’il existait des troubles mentaux au moment de l’acte, devra
déterminer si l’impulsivité qui y a conduit était normale ou pathologique, autrement dit si
l’auteur avait conscience ou non du caractère illicite de sa conduite. Le psychiatre n’admettra
pas l’irresponsabilité quand l’état pathologique a été volontairement provoqué. Il en sera ainsi
de l’individu qui s’enivre ou consomme des produits stupéfiants avant de commettre
l’infraction, ou encore le sujet qui connaît sa maladie mentale mais qui arrête son traitement
puis commet une infraction.
Un rapport à destination du magistrat sera rédigé par le psychiatre afin de rendre compte de
ses investigations. Il devra y certifier avoir personnellement examiné l’intéressé. Le
psychiatre y fera un rappel des faits puis un compte rendu des entretiens avec l’intéressé. Il
présentera le sujet, ses antécédents familiaux, une sémiologie du comportement avant et après
les faits, son activité psychique actuelle et les anomalies de la personnalité constatées.
L’expert envisagera alors l’existence d’un lien de causalité directe ou indirecte entre les faits
reprochés et l’état mental et se prononcera sur l’état dangereux et le placement de l’individu.
Puis l’expert psychiatre rendra ses conclusions, souvent la seule partie lue par les magistrats,
et contenant la réponse sur l’existence ou non de troubles mentaux au moment des faits mais
aussi l’aptitude ou non du sujet à intégrer la sanction et les possibilités de réinsertion. La
première intéressera juge d’instruction et procureur afin de savoir s’ils doivent poursuivre ou
non le dossier, la seconde sera examinée par le tribunal pour déterminer les possibilités de
jugement.
Le rapport sera alors remis au greffe du tribunal accompagné de la feuille d’honoraires.
L’expert psychiatre pourra être amené à expliquer son contenu au magistrat instructeur ou lors
de l’audience.
En principe les conclusions de l’expert ne lie pas le juge. Le pouvoir d’appréciation et de
décision est donc conservé par le juge. Le psychiatre ne doit jouer qu’un rôle de technicien
qui est chargé d’éclairer la juridiction sans se substituer à elle. Mais la faiblesse de ce système
est évidente car il se révèle qu’en pratique le juge suit quasi systématiquement les conclusions
de l’expert psychiatrique. En effet, le juge, n’ayant pas les compétences d’un psychiatre,
pourra difficilement évaluer seul l’existence des troubles mentaux. Il ne peut donc se fier qu’à
l’avis du psychiatre. A tel point que certains ont parlé d’un phénomène d’emprise du pouvoir
médical sur le pouvoir judiciaire puisque l’avis rendu par l’expert vaut presque condamnation,
le psychiatre devenant la bonne conscience du juge.
Lourde tâche donc qu’est l’expertise psychiatrique pour l’expert. Car rappelons-le, si
l’expertise conclut à l’existence d’un trouble mental abolissant tout discernement au moment
des faits, la personne poursuivie sera déclarée irresponsable et ne relèvera plus du droit pénal
ni des tribunaux répressifs. Rien du crime ou du délit ne va plus subsister, à part peut-être une
inscription au fichier des personnes déclarées irresponsables (article 706-53-2 4° CPP). Il
sera considéré qu’aucune action ne se sera jamais produite et aucun recours ou presque ne
sera possible contre l’auteur de l’infraction. Les victimes peuvent en effet, dans les 15 jours
suivants la notification des conclusions de l’expertise, déposer des observations ou faire une
demande de complément d’expertise ou de contre-expertise. La contre-expertise sera alors
effectuée par deux experts (article 167-1 CPP). Il existe d’autres recours mais que l’on
développera un peu plus loin. Donc lourdes conséquences aussi pour la partie civile qui verra
l’auteur ne pas être sanctionné pour son infraction, mais aussi pour la société toute entière qui
verra une personne atteinte d’un trouble mental ayant déjà perpétrée une infraction et donc
potentiellement dangereuse être remise en liberté.
L’expert peut aussi conclure à l’existence d’un trouble mental n’abolissant pas totalement le
discernement mais simplement l’altérant. Dans ce cas, c’est l’alinéa 2 de l’article 122-1 du CP
qui est mis en œuvre et la personne déclarée responsable verra cette altération du
discernement prise en compte lors du jugement dans la fixation du quantum de sa peine.
Enfin, l’expert peut conclure à l’existence d’aucun trouble mental au moment des faits et la
personne poursuivie sera jugée selon les procédures classiques.
Les conclusions de l’expertise psychiatrique, si elles aboutissent à l’irresponsabilité entraînent
d’importantes conséquences pour l’expert qui se verra en quelque sorte responsable de la mise
en liberté d’un individu potentiellement dangereux. Ainsi, depuis plusieurs années on assiste à
une tendance de celui-ci à conclure de plus en plus à la responsabilité atténuée ou
responsabilité de l’auteur afin d’éviter tout risque de récidive faisant de nos prisons des asiles.
Cette tendance s’explique par de nombreux problèmes affectant l’expertise psychiatrique
pénale aujourd’hui en crise.
2- Des expertises psychiatriques concluant de plus en plus à la responsabilité du
malade mental.
Ce sont des professionnels de la justice notamment des magistrats que viennent les principales
critiques des expertises.
Ils dénoncent des expertises rédigées à la hâte, ou rendues en retard, reproduites toujours sur
le même modèle, procédant d’une analyse clinique rapide, peu précise et souvent incomplète.
Les experts ne se prononcent pas suffisamment sur l’abolition du discernement, sur la
dangerosité de l’intéressé, ou encore font l’impasse sur le devenir de l’expertisé. Il devient
alors difficile pour le magistrat de prendre sa décision.
De leur côté les experts soulignent la surcharge de travail et la dégradation des conditions
matérielles de travail notamment du point de vue de la rémunération.
Surcharge de travail d’abord par la multiplication désordonnée des missions d’expertise
demandées. Depuis quelque années en effet la frénésie législative a conduit à
considérablement accroître les possibilités pour l’autorité judiciaire de recourir à une expertise
psychiatrique. Elle est ainsi possible à tous les stades de la procédure : pendant l’enquête,
l’instruction, lors du jugement ou après la sentence. Ce peut être l’expertise psychiatrique
avant jugement, celle qui nous intéresse aujourd’hui, mais aussi, l’expertise médicopsychologique de pré-libération conditionnelle, l’expertise des auteurs d’infractions sexuelles
ou encore l’expertise de la victime.
S’ajoute à cela la création de procédures rapides telles que la comparution immédiate, ou la
limitation de la durée maximale des gardes à vue impliquant la restitution des rapports à très
brève échéance du psychiatre, qui ne dispose pas alors du temps nécessaire à une évaluation
de qualité des troubles mentaux.
Enfin, lorsque l’expertise psychiatrique est ordonnée, les magistrats sollicitent souvent les
mêmes praticiens, par habitude et par connaissance de leur méthode de travail, ce qui explique
la surcharge de travail de ces derniers qui rendent ainsi des expertises parfois incomplètes.
Pour finir, la dégradation des conditions de rémunération n’incite plus les experts à travailler
pour l’autorité judiciaire qui voit son nombre de psychiatre disponible se réduire ou rendre
des expertises de qualité inférieure. Ajoutés à des disparités géographiques entre les régions,
tous ces facteurs concourent aux difficultés de l’expertise.
Des difficultés structurelles tout aussi prégnantes sont mises en avant tant par les
professionnels de la justice que par les experts.
De leur côté les magistrats dénoncent des expertises souvent contradictoires lorsqu’il y en
existe plusieurs, posant ainsi le problème de la formation initiale de l’expert psychiatre. En
effet, il existe une grande variété de diplômes et tous les praticiens ne suivent pas la même
formation notamment du point de vue de la psychopathologie clinique. Cela a de l’incidence
sur le recrutement des experts par la justice qui voient son nombre de psychiatres inscrits sur
les listes diminuer, au profit des psychologues. Cependant, les psychiatres s’inquiètent de voir
des expertises psychiatriques réalisées par des psychologues, la psychiatrie nécessitant des
connaissances plus étendues et plus précises ainsi qu’une méthode de travail différente de la
psychologie. Ce manque de lisibilité quant aux compétences de l’expert et aux méthodes de
travail expertale a une incidence directe sur les conclusions des expertises qui souvent
divergent entre elles pour une même affaire.
Enfin, rappelons, comme il nous l’a été expliqué dans le précédent exposé relatif à l’expert,
que les expertises psychiatriques, faisant appel à une science de l’empirisme par excellence,
souffrent des querelles entre praticiens et d’un manque de consensus sur l’évolution même de
la psychiatrie aujourd’hui.
Quant aux experts, la principale critique résulte de la difficulté de leur pratique et de la
sollicitation de l’autorité judiciaire qui va au delà de leur compétence de psychiatre.
D’abord, s’agissant de la difficulté de leur pratique, l’examen de la personne poursuivie par
l’expert peut se faire plusieurs semaines après les faits, voire plusieurs mois ou même
plusieurs années en cas de contre-expertise. Il devient alors délicat pour celui-ci, et
notamment dans l’hypothèse d’un trouble mental intermittent, de savoir s’il existait au
moment de l’acte un trouble ayant aboli ou altéré le discernement. Ils peuvent aussi être
confrontés à des simulateurs, situation relativement fréquente chez certains pervers ou
psychopathes particulièrement intelligents. L’analyse suppose donc du temps, temps dont ils
ne disposent pas comme on l’a vu.
Ensuite, le mouvement sécuritaire de la justice d’une société contemporaine portée par ses
peurs souhaite de l’expert qu’il analyse la dangerosité de l’individu de manière sûre. Or cela
suppose de l’expert qu’il élargisse son analyse à des aspects psycho criminologiques qui par
définition sont multidisciplinaires et mettent en œuvre à la fois des facteurs sociaux,
environnementaux, culturels, ethniques, religieux et psychologiques…L’expert ne possède
souvent pas les compétences et le temps nécessaire à une telle analyse.
Ainsi, les difficultés de l’expertise, nombreuses et omniprésentes, sont loin d’être réglées.
Elles poussent, comme on l’a vu, les experts à conclure de plus en plus à la responsabilité de
l’intéressé. L’individu ira alors le plus souvent en prison. Si toutefois l’expert conclu à
l’irresponsabilité, l’individu échappe alors à tout procès pénal et fera l’objet d’une
hospitalisation d’office s’il présente un état dangereux. Cependant, ces deux procédures vont
aussi poser des difficultés.
B- Les difficultés afférentes à l’hospitalisation d’office et le malaise des prisons asiles
1- l’ hospitalisation d’office face à la désinstitutionalisation de l’hôpital psychiatrique
Si les autorités judiciaires décident de l’irresponsabilité pénale de l’individu, elles informent
le préfet soit de l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction, soit de la décision
de relaxe ou d’acquittement rendue par la juridiction de jugement (article L 3213-7 CSP). Le
préfet peut alors prendre un arrêté d’hospitalisation d’office dans le secteur psychiatrique
dont relève le sujet. Il est important de noter qu ‘en France, le juge ne peut pas décider des
mesures de sûreté, tant pour la durée que pour la nature des soins. Il est dessaisi d’office au
profit de la juridiction administrative qui peut prononcer ou non un internement. En effet,
l'autorité administrative est juridiquement indépendante de l'autorité judiciaire qui a conclue à
l'irresponsabilité pénale.
Le préfet prendra un arrêté d’hospitalisation d’office en se fondant sur un avis médical
circonstancié portant sur l’état actuel du malade, document qui doit être rédigé par un
médecin extérieur à l’établissement d’accueil. Cela peut être une expertise psychiatrique si
celle-ci est récente. Le préfet doit agir dans les plus courts délais et doit motiver son arrêté.
Le préfet avise ensuite le procureur de la république, le maire de la commune de résidence du
patient et la famille de ce dernier de l’hospitalisation d’office, de tout renouvellement de la
mesure et de toute sortie. Concrètement, ce patient va faire l’objet de soins psychiatriques en
HO pour une durée non déterminée correspondant à son état clinique. La durée des HO est
souvent très longue.
Cette disposition du CSP (article L 3212-7) issue de la loi de 1990 n'a fait qu'inscrire dans
notre droit une pratique déjà communément suivie: précédemment le procureur ou le juge
d'instruction avisait officieusement le préfet avant que ne soit rendue la décision relative à
l’irresponsabilité pour lui permettre de préparer l'arrêté d'internement. Toutefois, il pouvait
arriver que l'individu déclaré irresponsable soit remis en liberté au lieu d'être confié au préfet
alors qu'il présentait un état dangereux. Même si cette situation s'avérait rare la loi de 1990 y a
mis définitivement un terme.
Au cours de l'hospitalisation d'office, la personne concernée peut bénéficier de sorties d'essai
décidées par le préfet pour une durée de 3 mois renouvelable (article L 3211-11 du CSP). Un
suivi médical est maintenu.
La mesure d’ HO ne pourra être levée qu’après avis concordants de deux psychiatres experts,
extérieurs à l’établissement d’accueil du patient. Ces deux expertises doivent conclure que la
personne n’est plus dangereuse, ni pour elle-même, ni pour autrui (article L 3213-8 code de la
santé publique). La mainlevée de l’HO est accordée par arrêté du préfet.
Toutefois, l’article L 3211-12 CSP prévoit la possibilité pour la personne hospitalisée sans
son consentement, son conjoint, un parent ou son représentant légal, à tout moment d’adresser
une requête au JLD, qui peut, après débat contradictoire et vérifications nécessaires, ordonner
en référé, s’il y a lieu la sortie immédiate. Le procureur de la république peut aussi saisir
d’office le JLD. Le JLD peut se saisir d’office à tout moment pour ordonner qu’il soit mis fin
à l’hospitalisation sans consentement.
La procédure d’HO est néanmoins loin d’être parfaite, les premiers problèmes que l'on peut
dégager concernent l'information du préfet par le magistrat de la déclaration d'irresponsabilité
pour troubles mentaux, l'un d'entre eux étant résolu depuis peu.
Tout d'abord, la loi ne prévoyait pas jusqu'à peu l'obligation pour l'autorité judiciaire d'aviser
le préfet d'un classement sans suite pour irresponsabilité pénal ou état mental déficient. En
conséquence, ces personnes se retrouvaient en liberté sans être prises en charge et sans
recevoir les soins appropriés. Certains objectiveront que ce type de classement sans suite
n'intervient que lorsqu'il s'agit d'infraction peu grave avec un individu présentant un état limité
de dangerosité et donc ne justifiant pas une HO. Cependant, d'autres énoncent que c'est
justement à ce stade que doit être pris en charge la personne à titre préventif, avant qu'elle ne
commette une infraction plus grave. La loi sur la récidive du 12 décembre 2005 a mis un
terme à cette situation en renforçant l'information du préfet par le procureur de la république
sur la situation judiciaire des personnes reconnues irresponsables.
Un autre problème qui s'est révélé est l'information parfois tardive des magistrats au préfet de
la décision d’irresponsabilité pour troubles mentaux. Les intéressés remis en liberté entre
temps deviennent donc parfois plus difficiles à rechercher pour le préfet afin de mettre en
oeuvre la mesure d'HO, sans parler du risque encourue de remettre en liberté une personne
présentant un état dangereux. Cette difficulté s'explique principalement par l'encombrement
de la justice.
De manière générale, ces problèmes relèvent d'un manque d'articulation entre autorité
judiciaire et administrative qui rappelons-le prennent leur décision l'une pour
l'irresponsabilité, l'autre pour l'HO indépendamment l'une de l'autre. C'est pourquoi certains
ont proposé de confier la décision d'HO et des mesures de sûreté à l'unique autorité judiciaire
pour rendre plus efficace le système. D'ailleurs, c'est de cette façon que procèdent la plupart
des pays.
D'autres difficultés sont apparues notamment lors des sorties définitives des individus
irresponsables placés en HO.
D'abord les expertises délivrées pour une levée d'HO ne se révèlent être que des avis dont le
préfet n'est pas lié pour prendre sa décision, alors que le texte parle de "deux décisions
d'experts". Ces imprécisions emporte une insécurité juridique quant à la responsabilité de la
décision de levée de l'HO par le préfet.
De plus, s’agissant de la procédure de levée d’HO par le JLD, la CEDH a déjà condamné la
France dans un arrêt Delbec contre France du 18 juin 2002 pour le manque d’effectivité de ce
recours en référé pour le malade mental. Forte de cette condamnation la jurisprudence
française a rectifié le tir notamment dans un récent arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 17
juin 2004. Ici une personne internée avait exercé un recours en référé pour la levée de son HO
devant le JLD, celui-ci refusant de statuer immédiatement comme l’exige le référé pour
procéder à de plus amples vérifications et ce malgré les avis positifs concordants de trois
médecins psychiatres.
La CA de Paris donne alors raison à l’interné en rappelant que le JLD saisi au terme d’une
procédure d’urgence qu’est le référé se doit de statuer dans un délai raisonnable, les trois avis
concordants des médecins suffisant à l’exigence de « vérifications nécessaires » prévues par la
loi.
Ce rappel des juges du fond à l’heure où prévaut la « tolérance zéro » semble bien salutaire au
regard d’une démocratie.
Enfin, soulignons qu’un changement de politique de soins des malades mentaux participe
indirectement à la pénalisation de la maladie mentale. En effet, notre pays connaît depuis
quelques années un phénomène de désinstitutionalisation douce de l’hôpital psychiatrique.
Ceci est dû principalement à l’émergence d’un principe de liberté du patient qui s’est
durablement imposé au fil du temps et réaffirmé par la loi du 4 mars 2002. Cette politique de
prééminence de la protection des libertés individuelles des malades mentaux a conduit à
préférer les soins ambulatoires à l’hôpital psychiatrique, où l’on soigne le malade mental à
son domicile en cherchant à le responsabiliser dans ses soins et à obtenir de lui un
consentement. Ainsi, le nombre de lits disponibles dans les établissements psychiatriques a
considérablement diminué, il a été divisé par 2 voire par 3 depuis 1987.
Cette politique a participé à la pénalisation de la maladie mentale en ce qu’elle a conduit les
psychiatres à limiter sensiblement les déclarations d’irresponsabilité, ceux-ci préférant voir le
malade en prison que libre faute de place pour lui dans un établissement adapté lors de la
décision d’HO.
S'ajoute à cela un problème de sécurité dans ces établissements ouverts qui hébergent des
individus parfois à forte pathologie et donc d'une dangerosité certaine et qui pourtant peuvent
assez facilement s'enfuir ou sortir de ces établissements. On se souvient de l’affaire de Pau qui
atteste parfaitement du manque de sécurité dans les hôpitaux psychiatriques.
Tous ces dysfonctionnements jouent un rôle important dans le phénomène de pénalisation de
la maladie mentale. En effet, le juge décide plus volontiers de la responsabilité, ou de la
responsabilité atténuée de la personne atteinte de troubles psychiques, entraînant son
incarcération.
2- la recrudescence du nombre de malades mentaux en prison
Il arrive parfois qu’un auteur d’infraction aille en prison alors qu’il est atteint de troubles
mentaux. Tous ces détenus malades mentaux ne sont pas passés par le filtre de l’expertise
psychiatrique. En effet, le parquet est souvent réduit à ne pas ordonner d’expertise
psychiatrique lorsque la procédure présente un caractère d’urgence alors que celle-ci serait
nécessaire. Egalement, la pratique restrictive de l’art 122-1 al 1 du CP ne fait qu’accroître leur
nombre, tout comme l’interprétation répressive de l’al 2 du même article.
En effet, soucieux de satisfaire des victimes trop longtemps confrontés au simple non-lieu et
conscients des limites des capacités du système de soins, de plus en plus d’experts psychiatres
sont enclins à orienter le choix du juge dans le sens de la responsabilité pénale, quitte à
bafouer l’article 122-1. Ils préfèrent savoir les malades mentaux délinquants derrière les
barreaux que dans leur propre hôpital pour une durée souvent très longue. Pour éviter la
cohabitation avec les malades mentaux « inoffensifs » et dans la mesure où existent désormais
des services de psychiatrie pénitentiaires, l’incarcération paraît être la seule façon de
permettre la prise en charge des grands psychotiques reconnus comme dangereux.
En principe, l’altération du discernement doit emporter atténuation de la responsabilité.
Cependant, force est de constater que c’est l’effet inverse qui se produit et les peines
prononcées censées être plus légères du fait du trouble mental se révèlent au contraire plus
lourdes. Ce phénomène semble être attribué à la peur du malade mental en liberté et sa
possible récidive qu’on préfère alors envoyer plus longtemps en prison.
La CEDH, déjà saisie de cette situation la considère comme constitutive de traitements
inhumains et dégradants. Elle a condamné plusieurs pays dans ce sens comme le Royaume
Uni et la Belgique dans les arrêts Aerts contre Belgique du 30 juillet 1998 et Keenan contre
Royaume Uni du 3 avril 2001.
Cette situation n’est pas satisfaisante à un double titre. D’une part, du point de vue de
l’intéressé, l’univers carcéral ne constitue pas le cadre le plus propice pour favoriser la
réduction des pathologies; d’autre part, du point de vue de la sécurité de la société, la durée de
la peine n’est pas nécessairement en phase avec l’évolution de la dangerosité de la personne.
En effet, il n’y a pas de structures suffisantes en prison pour faire soigner convenablement les
malades mentaux. D’ailleurs, il faut déjà pouvoir dépister les maladies mentales.
Pour la prise en charge psychiatrique dans les prisons, il existe des secteurs de psychiatrie en
milieu pénitentiaire, ce sont les SMPR crées par une loi de 1985. Ils sont implantés dans les
plus grandes maisons d’arrêt. Ils s’occupent des soins ambulatoires en prison mais disposent
aussi de « lits d’hospitalisation » permettant le suivi plus intensif durant la journée des
personnes ayant des troubles mentaux et consentants aux soins spécialisés. Ce système
permet une bonne prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux. Le problème
est que ces SMPR ne sont pas en nombre suffisant pour « gérer » la maladie mentale en
détention. En effet, il existe seulement 26 SMPR pour 187 établissements.
S’il n’existe pas de SMPR, c’est l’équipe du secteur psychiatrique où est situé l’établissement
pénitentiaire qui doit y assurer les soins psychiatriques mais il est clair que les prestations
psychiatriques dans ces établissements pénitentiaires ne permettent que rarement une prise en
charge de qualité.
En effet, ces derniers jonglent avec les vacations des psychiatres de secteur ( quelques demijournées par semaine au mieux). Résultat: la visite, en principe obligatoire à l’incarcération,
n’est pas systématique, et le repérage ou le suivi des malades est très aléatoire…Quand
l’incarcération n’aboutit pas carrément à une rupture de soins.
Si le détenu n’est pas consentant et qu’il présente des troubles psychiatriques majeurs rendant
impossible son maintien en détention, il peut être fait application de l’article D 398 du Code
de procédure pénale qui prévoit qu’un détenu malade mental peut être hospitalisé d’office sur
le secteur psychiatrique. Pour ce faire, le préfet devra prendre un arrêté motivé.
Concrètement, l’hospitalisation d’office peut être demandée par un psychiatre du SMPR ou du
secteur de psychiatrie intervenant dans l’établissement pénitentiaire.
Le détenu sera dirigé vers un centre hospitalier habilité ou vers une unité pour malades
difficiles.
Dans les faits, plusieurs problèmes se posent : il n’y a pas souvent de lits disponibles et il n’y
a pas de garde policière. Or la plupart des services de psychiatrie sont ouverts à part les UMD
mais qui ne sont qu’au nombre de 4 et ne comptent qu’un peu plus de 400 places. Par
conséquent, les responsables de ces secteurs ont des réticences à accepter les détenus et
parfois n’acceptent de les garder que pour une période trop courte qui permet au mieux
l’amélioration des symptômes mais pas la stabilisation et encore moins la guérison. Le
comportement de ces psychiatres renforce encore la pénalisation de la maladie mentale.
La procédure actuelle de traitement d’une personne atteinte d’un trouble psychique montre
bien des faiblesses. Faiblesses qui ont conduit comme on l’a dit à une pénalisation de la
maladie mentale. En 2003 et 2005 ont donc été lancées des réflexions afin de réformer la
procédure d’irresponsabilité pénale pour trouble mental. Voyons donc en quoi consistent ces
propositions qui, on le verra sont loin de tout régler et laisse le débat perpétuel.
II) Les solutions proposées pour la mise en œuvre effective des principes
d’irresponsabilité et de responsabilité atténuée, un débat toujours inachevé.
A- Une refonte de la procédure souhaitée
1- la volonté d’améliorer les conditions d’expertise.
Le rapport de la commission Santé-Justice de juillet 2005 met en exergue ces nombreux
problèmes de l’expertise psychiatrique et tente d’y apporter des réponses.
Parmi celles-ci, il souhaite un renforcement du statut des experts psychiatres notamment en
augmentant sensiblement leur rémunération. Cela améliorerait la qualité des expertises et
inciterait les psychiatres à travailler pour la justice pénale. Cependant le rapport ne dit pas
comment ce financement supplémentaire sera possible. Probablement par augmentation du
budget de la justice dont on sait déjà combien il est insuffisant.
Le rapport préconise aussi l’amélioration de l’enseignement en psychiatrie médico-légale et
en matière expertale tant pour les psychiatres que les psychologues et souhaite la mise en
place d’un dispositif de tutorat permettant à des psychiatres en formation de réaliser des
expertises conjointement avec des experts figurant sur les listes. Cela permettrait
d’harmoniser les formations et les méthodes de travail pour des expertises de meilleure
qualité. Il n’est pas à douter de la bonne intention de cette proposition mais qui pourrait
semble-t-il être freinée par les querelles entres praticiens sur l’approche de la psychiatrie.
Enfin, s’agissant des difficultés liées à la célérité de la justice, la commission souhaite mieux
cibler les situations où les examens psychiatriques sont nécessaires. Ainsi, en cas de
procédure rapide elle préconise que l’expert soit limité à un simple avis médicopsychologique sur la nécessité de soins immédiats ou d’une hospitalisation d’office et sur
l’opportunité ultérieure d’une expertise plus approfondie. Seulement cela semble instituer une
expertise, certes plus rapide, mais moins complète donc plus incertaine quant à ses
conclusions sur la responsabilité. D’autant plus qu’on est dans le cadre d’une procédure
rapide où l’individu aura encore moins de temps pour s’exprimer, au détriment des droits de
la défense, le trouble mental devenant encore plus difficilement détectable. Ainsi, en cas
d’avis négatif l’individu jugé selon les procédures rapides ira probablement en prison alors
qu’une expertise plus approfondie dès le début aurait conclu à l’irresponsabilité. D’autre part
en cas d’avis positif, une autre expertise est sollicitée ce qui ne fait que rallonger les délais de
procédure.
Ainsi, les difficultés de l’expertise, nombreuses et omniprésentes, sont loin d’être réglées.
Elles poussent, comme on l’a vu, les experts à conclure de plus en plus à la responsabilité de
l’intéressé. Voyons maintenant les solutions apportées par ce même rapport concernant l’HO.
2- Le souci d’une meilleure réglementation de l’HO.
Le rapport Burgelin estime d’abord qu’une meilleure coordination doit être mise en œuvre
entre les préfectures, les autorités judiciaires et sanitaires ainsi que les établissements
hospitaliers. Il souhaite notamment que soient fichées toute personne sortant d’HO même
provisoirement.
Par contre, la judiciarisation de l’ensemble de la procédure d’HO c’est –à- dire octroyer le
pouvoir de décision d’HO au juge, système adopté par la plupart des pays européens, n’est pas
une préconisation du rapport. Pour lui, la décision d’ordonner une HO ou la levée d’une HO
doit impérativement rester aux mains du préfet, ceci en raison de ses attributions en matière
de protection de l’ordre public et de sûreté des personnes.
En revanche, de nouvelles attributions pourraient être confiées au JLD comme par exemple la
possibilité de prononcer d’éventuelles mesures de sûreté après la sortie du patient de l’hôpital.
Enfin, le rapport souhaiterait que les victimes soient informées de toute demande de sortie de
l’hôpital de l’auteur de l’infraction, il va même jusqu’à proposer de recueillir l’avis des
victimes sur la demande de sortie.
Le rapport de 2003 propose aussi que des obligations puissent être imposées à l’auteur déclaré
irresponsable comme l’interdiction d’entrer en contact avec les victimes, l’interdiction de se
rendre en des lieux déterminés… Le rapport de 2005, quant à lui, propose d’imposer des
mesures de sûreté à la personne sortant d’HO ou de prison et considérée encore dangereuse
d’un point de vue criminologique, ceci dans le but de prévenir la récidive. Ces mesures
peuvent être un placement sous surveillance électronique, un suivi de protection sociale, ou un
placement dans un centre fermé de protection sociale. Mais il semble difficile de justifier
intellectuellement et judiciairement des obligations à la charge d’une personne déclarée
irresponsable ainsi que des mesures de sûreté de la sorte. Tout ceci serait incompatible avec le
principe de l’irresponsabilité pénale de la personne privée de son libre arbitre.
3- la préoccupation d’une réelle intégration de la responsabilité atténuée limitant la
durée des incarcérations.
Pour tenter de remédier à la mauvaise prise en charge des détenus malades mentaux, la loi
Perben de 2002 a prévu de créer en 2008 19 unités hospitalières spécialement aménagées
(UHSA), fortes de 700 lits. Ce seront des unités hospitalières gardées par les pénitentiaires
pour des détenus en HO. Aujourd’hui, l’hôpital peine à entrer en prison. Avec les UHSA,
c’est la prison qui entrera à l’hôpital. Nicolas Sarkozy a d’ailleurs appelé récemment, fin
janvier 2007 à développer de toute urgence l’hôpital- prison. Selon lui, de telles structures
permettraient « de mettre dans des établissements d’un nouveau type des femmes et des
hommes qui ont besoin d’être soignés et qui peuvent présenter un danger à la fois pour la
société et pour leur co-détenus. »
Mais avant tout il faudrait diminuer le nombre de détenus malades mentaux, question non
traitée par le rapport, en revanche le rapport Burgelin souhaite une meilleure intégration de
l’atténuation de la responsabilité pénale pour troubles mentaux dans le prononcé de la peine
en matière criminelle. A cette fin il propose que les magistrats de la Cour d’assises expliquent
aux membres du jury que l’altération du discernement de l’accusé doit en principe aboutir à
une diminution de la peine prononcée. Il préconise aussi la création d’une question
supplémentaire posée au jury quant aux modalités de prise en charge du condamné ainsi que
la rédaction par la cour d’assises de recommandations sur les modalités de cette prise en
charge.
Dans cette perspective, certains préconisent une peine réduite suivie d’obligations de soins
pour les personnes dont le discernement a été altéré.
S’il est vrai que beaucoup de malades mentaux se retrouvent en prison, reste encore des cas
où il est conclu à l’irresponsabilité. L’individu échappe alors à tout procès pénal, ce qui,
comme on l’a déjà évoqué, pose de nombreux problèmes. C’est pourquoi des solutions ont été
proposé et parmi elles l’instauration d’une juridiction ad hoc.
B- Vers une judiciarisation de la maladie mentale
1- la mise en place d’une juridiction ad hoc palliant l’absence de procès du malade
mental.
Comme il a déjà été dit, les conclusions de l'expert ne lient pas la juridiction, la question de
l'irresponsabilité pénale relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond. D’ailleurs, la
cour de cassation n'exerce aucun contrôle sur cette appréciation sauf en cas de contradiction
de motifs (voir arrêt crim 21 janvier 1992).
Lorsque le juge d’instruction décide l’irresponsabilité du sujet, aucun procès n’a lieu,
l’individu est alors remis en liberté jusqu'à une éventuelle décision d’hospitalisation d’office.
Si cette décision d’irresponsabilité intervient au stade du jugement le procès s’éteint
automatiquement.
Mais il faut noter que la loi du 15 juin 2000 a donné la possibilité au président de la Cour
d’assises de poser aux jurés une question spéciale sur l’irresponsabilité pénale (article 349 du
CPP). Le législateur a donc déjà prévu la possibilité de faire comparaître devant une cour
d’assises les personnes atteintes d’un trouble mental tout en les exemptant de peine (article
363 CPP).
C’est dans cette perspective que le rapport Burgelin de 2005 propose d’étendre ce système au
cas d’une ordonnance de non lieu prononcée par le juge d’instruction, avec l’instauration
d’une juridiction ad hoc. En effet lorsqu’un non lieu pour trouble mental est rendu par le juge
d’instruction aucun procès n’est engagé ce qui provoque un fort sentiment d’injustice pour les
victimes qui ne voient pas leur statut être reconnu. Cette juridiction aurait donc pour fonction
de permettre un débat judiciaire sur l’imputabilité des faits alors même que l’individu aurait
été déclaré irresponsable pour trouble mental.
C’est d’ailleurs sous la pression des associations de victimes telle l’APEV que des réflexions
avaient été engagées en ce sens d’abord en 2003 puis en 2005 avec le rapport Burgelin.
Ce système est déjà pratiqué par tous les pays européens à l’exception, pour le moment, de la
France. En effet, l’irresponsabilité pénale est reconnue par tous les pays mais la France est la
seule à ne pas faire comparaître tous les criminels devant une juridiction pénale.
La juridiction ad hoc consisterait donc en la tenue d’une audience spécifique composée du
président du TGI et de deux assesseurs, l’un d’une chambre civile, l’autre d’une chambre
correctionnelle.
La juridiction ad hoc serait saisie par le juge d’instruction. Cette saisine pourrait être
obligatoire en matière criminelle et facultative dans les autres cas. Dans cette dernière
hypothèse, les parties devraient en faire la demande expresse. Le mis en cause ne
comparaîtrait que si son état mental le permet avec l’assistance obligatoire d’un tuteur et d’un
avocat.
La juridiction ad hoc serait chargée de statuer uniquement sur la réalité des faits et leur
imputation à l’auteur atteint de troubles psychiques, c’est-à-dire à l’attachement causal entre
les faits et l’auteur de ceux-ci. Elle statuerait également sur l’irresponsabilité médicalement
constatée de l’auteur des faits, sur la fixation des dommages et intérêts dus aux victimes et sur
l’opportunité d’ordonner des mesures de sûreté et différentes obligations.
Toutes les décisions de la juridiction seraient susceptibles d’appel devant une chambre
spécialisée de la Cour d’appel.
En définitive, la juridiction ad hoc permettrait à la procédure de ne plus se terminer par un
non-lieu mais par une véritable décision juridictionnelle.
Cependant, l’instauration d’une juridiction ad hoc a suscité un vif débat, débat que nous allons
essayer de vous présenter sous la forme d’un petit contradictoire.
Flore sera pour l’instauration de cette juridiction et je serai contre.
3- l'opportunité d'instaurer une juridiction ad hoc.
a)l’opportunité au regard de la victime.
1) POUR :
Les victimes souhaitent un débat pour ainsi pouvoir entendre reconnaître en justice, avec toute
l’autorité et le respect de la chose jugée, les circonstances à l’origine de leurs dommages en
même temps que les réparations qui s’imposent.
D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que notre droit intègre une telle technique qui met au
premier plan la victime, puisque elle est déjà utilisée dans le système de la faute non
intentionnelle et de l’amnistie où on opère une distinction entre la responsabilité pénale et les
faits envisagés dans leur simple matérialité.
En effet, s’agissant de l’amnistie, elle est facteur d’irresponsabilité pénale pour celui qui en
bénéficie car exempté de sanction, mais elle n’a pas pour conséquence de détruire les faits sur
lesquels se greffait la qualification pénale. Ce qui laisse entière la responsabilité civile tirée
des prétentions des victimes.
Pour le système de la faute non intentionnelle, le principe est le même puisque aujourd’hui
l’absence de faute pénale ne prive plus la victime d’une indemnisation fondée sur la faute
civile. La loi permet donc tout en reconnaissant l’imputabilité des faits à un auteur de les
dépouiller de toute connotation répressive. Ainsi, bien que le droit pénal ne reconnaît aucune
culpabilité, il est alors possible de l’admettre sur le plan de la réparation aux victimes.
2) CONTRE :
La création d’une procédure ad hoc destinée à imputer les faits à un malade mental dans le
seul intérêt de la partie civile est inutile puisque l’application rigoureuse des textes existants
par les juridictions d’instruction devrait permettre de répondre à la légitime attente des
victimes. En effet, la loi du 8 février 1995 et celle du 9 mars 2004 ont renforcé les droits des
victimes.
Par exemple, l’article 167-1 du CPP impose la notification orale à la partie civile des
conclusions de l’expertise psychiatrique qui reconnaît l’irresponsabilité pénale de la personne
mise en examen, avec droit de demander une contre expertise qui ne peut être refusée. A ce
moment, en présence de l'avocat, beaucoup d'explications peuvent être apportées, alors
qu'elles ne pouvaient pas l'être dans une lettre recommandée. En outre la contre- expertise est
entourée par une garantie supplémentaire parce qu'elle doit obligatoirement être réalisée par
un collège de deux experts.
De plus, en cas d’appel devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel (prévu par
l’article 186 al 2 CPP) d’une ordonnance de non-lieu motivée par l’irresponsabilité pénale du
premier alinéa de l’article 122-1 du CP, l’article 199-1 CPP prévoit des débats en séance
publique devant la chambre de l’instruction avec audition des experts et avec la possible
présence de l’intéressé si son état de santé le permet et si la partie civile en fait la demande, ce
qui permet à la victime de faire valoir ses observations.
Enfin, l’article 177 CPP prévoit depuis la loi Perben II du 9 mars 2004 que lorsque
l’ordonnance de non-lieu est motivée par l’existence de l’une des causes d’irresponsabilité
pénale, elle précise s’il existe des charges suffisantes établissant que l’intéressé a commis les
faits qui lui sont reprochés.
3) POUR :
La procédure actuelle que vous me décrivez est pourtant loin d’être satisfaisante :
Le président de la chambre de l’instruction ne peut pas, par exemple, décider de faire
comparaître à son initiative la personne mise en examen.
En outre, les informations communiquées aux victimes sur les circonstances de l’infraction
sont parfois incomplètes, les investigations du magistrat instructeur étant généralement moins
approfondies voire inexistantes dès lors que l’article 122-1 al 1 du CP paraît susceptible de
s’appliquer. En effet, l’ordonnance de clôture de l’information intervient plus rapidement et
comporte souvent une motivation plus succincte sur le déroulement des faits, provoquant une
véritable frustration des victimes parfaitement compréhensible. La juridiction ad hoc
obligerait le juge d’instruction à expliciter le déroulement des faits de manière plus précise
sachant qu’ils seront examinés lors de l’audience.
4) CONTRE :
Mais de toute façon, libre au juge d’instruction de poursuivre les investigations afin de
clarifier les faits et de clore le dossier s’il le souhaite.
Et même si demain, une instruction ne se termine plus par un non-lieu mais qu'une juridiction
ad hoc se réunit pour déterminer l'imputabilité des faits, la question de l'insuffisance
éventuelle de l'information préalable ne sera pas pour autant réglée. Ce n’est pas cela qui
changera les habitudes du magistrat instructeur. D’autre part les problèmes d’insuffisance des
investigations ne se rencontre pas que dans le cas des irresponsabilités, elle existe aussi pour
des affaires classiques.
On pourrait imaginer une modification législative, et prévoir l'obligation d'accomplir un
certain nombre d'actes d'instruction avant que le juge ne statue sur la question de la
responsabilité pénale. Ainsi, les victimes n'auraient pas le sentiment d'un inachèvement de la
procédure pénale.
5) POUR :
Il faudrait tout de même combler les lacunes présentes dans l’actuelle procédure et pour ce
faire je pense que la tenue d’un procès serait une bonne idée. Il permettrait que la personne
qui a commis le crime soit désignée nommément et permettrait aux victimes de faire leur
deuil et de surmonter le drame en obtenant une explication plus détaillée sur les faits et en
étant reconnues publiquement en leur qualité de victime. Le procès aurait ainsi une vertu
thérapeutique pour les victimes.
6) CONTRE :
Au contraire, moi je pense plutôt que cela renforcerait le traumatisme des victimes. Les
victimes seraient confrontées à des auteurs dans l’incapacité de s’exprimer sur leurs actes ou
leur responsabilité. Il est parfois très dur d’être en face de quelqu’un qui ne comprend rien et
qui a un regard complètement hagard et vide.
Selon l’expert psychiatre Michel Dubec, « on vit sur la magie supposée d’une audience qui
guérirait tout le monde. S’il n’y a pas de sanction, le procès ne sert à rien, on dénature la
fonction judiciaire et les victimes seront encore plus effondrées ».
De plus, selon l’INAVEM, « les victimes peuvent comprendre une décision de non lieu dès
lors qu’elle est bien expliquée. Si certaines ont malgré tout besoin de voir leur statut de
victime reconnu, elles peuvent demander des indemnités à la commission d’indemnisation des
victimes d’infraction […]. » En effet, le plus important réside dans la reconnaissance du statut
de victime et l'explication par la justice de l'abandon des poursuites pour cause
d'irresponsabilité. Et tout cela peut être réalisé dans le cadre du droit actuel comme je l'ai déjà
souligné.
7) POUR :
Mais de toute façon tout procès d’assises est traumatisant. Pourquoi le comportement du sujet
serait-il plus dévastateur pour les victimes d’actes « d’irresponsables » que celui manifesté, le
jour du procès, par certains meurtriers récusant la gravité de leurs actes ou narguant leur
victime ?
8) CONTRE
D’accord, mais on remarque que peu de non lieux pour cause d’irresponsabilité pénale sont
prononcés, ce qui montre que le plus souvent, la demande de procès public est satisfaite,
même lorsque l’auteur des faits est manifestement atteint de graves troubles mentaux.
b)l’opportunité au regard de l’auteur de l’infraction.
1) POUR :
L’existence d’une juridiction ad hoc permettrait peut-être le prononcé de plus de non lieux
psychiatriques, la protection des victimes étant davantage assurée. Certains experts seront
peut-être plus enclins à conclure à une abolition du discernement s'ils peuvent la justifier lors
d'une comparution publique.
2) CONTRE :
Certes, mais il est choquant de vouloir inventer une juridiction ad hoc pour les personnes
déclarées irresponsables. L’instauration d’une telle juridiction va à l’encontre des fondements
même de l’irresponsabilité pénale. En effet, comment un individu privé de tout discernement
et ne comprenant pas la portée de ses actes pourrait-il être jugé au terme d’une audience ? car
quoi qu’on en dise cette juridiction fictive est bel et bien une forme de jugement du malade
mental pourtant supposé irresponsable.
3) POUR :
Je ne suis pas d’accord : la juridiction ad hoc n’est pas destinée à juger un irresponsable, elle
est simplement destinée à lui imputer des faits. De plus, elle n’est pas du tout inutile pour
l’auteur puisque le passage devant une juridiction de jugement pourrait permettre à celui-ci de
prendre pleinement conscience de la gravité de son acte. D’ ailleurs, pour certains psychiatres,
il n’y a pas de soins possibles et efficaces sans la reconnaissance des faits. Le passage devant
la juridiction ad hoc permettrait cette reconnaissance. D’ailleurs, les experts concluent pour
certains délibérément à la responsabilité de l’individu pour obtenir un jugement et donc la
reconnaissance des faits par celui-ci, utile à sa guérison.
Avec la juridiction ad hoc, les experts concluront sûrement moins souvent à la responsabilité
de l’auteur sachant l’existence de ce procès malgré tout et de ses vertus thérapeutiques.
4) CONTRE :
Mais pourquoi vouloir reconnaître à la justice un pouvoir thérapeutique qu’elle n’a pas ? Le
rôle de la justice n'est pas d'assurer une thérapie. Le procès pénal est une institution. Il ne peut
revêtir un caractère expiatoire pour l’auteur, au risque de devenir une mascarade. Nous
risquons d'avoir des procès quasi fictifs qui ne serviront à rien.
5) POUR :
En tout cas elle aurait ici un pouvoir « d’humanisation » : faire un procès aux malades
mentaux, sans oublier qu’ils sont irresponsables, permettrait la personnalisation et
responsabilisation des malades mentaux, la reconnaissance du malade mental en tant que sujet
et être humain, en tant que citoyen. Certains parlent même de "mort psychique" pour ceux
qui, relégués à l'hôpital sans jugement, seraient de ce fait littéralement privés de leur condition
d’être humain.
6) CONTRE :
Certes, ces préoccupations humanistes sont importantes mais n’en oublions pas les droits de la
défense. En effet, les malades mentaux sont le plus souvent incapables de comprendre la
procédure et de se défendre. Pour l’avocat Didier Liger, « juger quelqu’un qui ne comprend
pas le sens de son acte ni de son procès serait absurde. Un procès suppose que la personne
jugée ait la possibilité effective de présenter une défense. La présence d’un avocat et d’un
tuteur ne saurait suffire car le premier droit de la défense est de pouvoir s’exprimer soi-même,
débattre, être confronté aux témoins et à l’accusation ».Comment ce procès pourrait -il être
jugé équitable, si les droits de la défense ne sont pas respectés, au sens de l’article 6 de la
CEDH et de l’article préliminaire du CPP selon lequel « la procédure pénale doit être
équitable et contradictoire et préserver les droits des parties » En plus, l'instauration d'un
audience ad hoc compliquerait la procédure, l'allongerait, mobiliserait des moyens que l'on
sait déjà insuffisants.
On le voit, la juridiction ad hoc suscite le débat. De notre avis, une juridiction ad hoc semble
une bonne solution à bien des égards. Il faudrait cependant peut être solliciter le consentement
de la victime à un tel procès puisqu’on l’a vu il peut être très destructeur pour celle-ci. D’autre
part, il semble que malgré les gardes fous institués, les droits de la défense soit quelque peu
bafoués car une personne atteinte de troubles mentaux ne peut quoi qu’on en dise être sur le
même pied d’égalité que les autres parties au procès. Cependant cela permettrait peut être de
conclure un peu plus à l’irresponsabilité des malades mentaux à condition bien sûr qu’on
instaure une prise en charge adaptée du malade mental.
Toutes les réformes proposées par le rapport Burgelin sont aujourd’hui restées lettre morte
puisque aucune proposition de loi n’en a découlé. Le débat reste donc entier.
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