Troubles mentaux et irresponsabilité pénale, quelles évolutions

Troubles mentaux et irresponsabilité pénale, quelles évolutions depuis la réforme de 2008 ?
Vendredi, 13 Novembre 2009 14:30 - Mis à jour Mercredi, 25 Novembre 2009 10:05
Que signifie cette notion d’irresponsabilité pénale pour cause de troubles mentaux ? En
application du droit français et plus spécifiquement du code pénal : toute personne sous
l’emprise de troubles mentaux au moment des faits (c'est-à-dire lors de la réalisation de
l’infraction comme des coups et blessures ou un homicide) peut être déclarée irresponsable
en application de l’article 122-1 du code pénal.
« Parmi les causes d’irresponsabilité pénale, il faut distinguer les faits justificatifs des causes
de non imputabilité. Les faits justificatifs sont des causes objectives de non responsabilité : ils
proviennent de circonstance extérieure à l’auteur de l’infraction. Ils sont l’ordre ou
l’autorisation de la loi, le commandement de l’autorité légitime, la légitime défense et l’état
de nécessité. Les causes de non imputabilité sont des causes subjectives d’irresponsabilité :
elles trouvent leur origine dans la personne même de l’auteur des faits incriminés. Il s’agit
des troubles psychiques, de la minorité et de l’erreur de droit. » (1) .
Ainsi, le dit article précise les dispositions suivantes: « N'est pas pénalement responsable la
personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique
ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.
La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique
ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ;
toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en
fixe le régime. »
1. Du non lieu à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour
cause de troubles mentaux
Le premier alinéa de l’article 122-1 déclare pénalement irresponsable la personne qui, en
raison d’un trouble psychique ou neuropsychique, était, au moment des faits, privée de
discernement ou avait perdu le contrôle de ses actes (abolition de toute capacité de
discernement). En revanche, si au moment des faits la personne présente un trouble de ses
capacités de discernement mais conserve même que partiellement sa capacité de
discernement, elle répond pleinement de ses actes devant les juridictions de jugement
(tribunal correctionnel pour les délits ou la Cour d’assise pour les crimes.)
Comme le mentionne l’article 122-1 du code pénal, la personne atteinte d’un trouble
psychique ou neuropsychique est irresponsable, dès lors que cet état a aboli son
discernement au moment de l’action. Le discernement est la capacité à apprécier avec
justesse et clairvoyance une situation, des faits. Il y a donc une distinction entre abolition du
discernement et altération. L’abolition suppose la suppression totale de tout discernement, la
personne ne comprend nullement les gestes qu’elle accomplit, elle a perdu la raison. En
revanche, lorsque la personne a au moment des faits une altération de ses capacités
c'est-à-dire une affection des troubles psychiques mais qu’elle a conscience de ses actes, elle
reste pénalement responsable de ses actes et donc passible d’une sanction pénale à l’issue
d’un procès.
Jusqu’à la réforme intervenue en 2008, la procédure pénale prévoyait en cas d’abolition de la
capacité de discernement le prononcé d’un non lieu par le juge d’instruction. Une telle
décision était alors psychologiquement « violente » pour la partie civile. Sans qu’il y ait une
audience, un non lieu était alors prononcé. C’était pour la partie civile très difficile d’accepter
une telle situation puisque la notion même employée laisse à penser que les faits ne s’étaient
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pas produits. Cette décision était d’autant plus difficile pour la partie civile qu’elle n’avait pas
toujours la possibilité de s’expliquer sur ce qu’elle avait vécue. C’était comme si rien ne
s’était passé. Les victimes ou familles des victimes avaient des difficultés à comprendre ce
terme de non lieu psychiatrique et à admettre ce non lieu sans même qu’il y ait la moindre
audience.
Comment dès lors assurer la protection de la société contre un comportement pouvant être
répété et comment répondre aux attentes de la victime ?
Rarement constatée par le procureur de la République par un classement sans suite,
l’irresponsabilité pénale résultait le plus souvent d’une ordonnance ou d’un arrêt de non lieu
rendus par le juge d’instruction ou par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel.
L’ordonnance de non-lieu ensuite décidée par le juge d’instruction, motivée par l’état mental
de la personne mise en examen, était susceptible d’appel par la partie civile, lequel est alors
examiné par la Chambre de l’instruction au cours d’une audience publique avec comparution
personnelle de la personne poursuivie si c’était possible et sur demande de la partie civile, et
avec audition des experts.
Le débat sur le problème de l’irresponsabilité pénale a été relancé suite à une terrible affaire :
le décès d'une infirmière et d'une aide soignante dans un établissement psychiatrique. La
question de l’irresponsabilité pénale a été remise en cause et notamment le fait que la
procédure ne laisse pas de place à la victime, aux parties civiles de pouvoir s’exprimer. En
effet, dans cette affaire, le patient atteint de graves troubles psychiatriques a été déclaré
irresponsable suite aux rapports des experts psychiatriques qui ont tous conclu dans le même
sens : abolition de ses capacités de discernement au moment des faits. Dés lors que la
personne est déclarée irresponsable la procédure est terminée.
Des réflexions ont été menées pour déterminer les modalités d'évolution de ce principe
d’irresponsabilité pénale. Une loi a donc été publiée le 25 février 2008 (2) et a créé, entre
autre, un changement sémantique notable puisque qu’on ne parle plus de « non lieu
psychiatrique » mais « d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » et une
audience permet aux parties civiles de rencontrer et entendre l’accusé et les experts, si elles
en font la demande.
2. Les changements sur le plan de la procédure
Le décret du 16 avril 2008 (3), dans son article codifié D 47-27, définit le trouble mental
comme "ce qui nécessite des soins et compromet la sécurité des personnes ou porte atteinte,
de façon grave, à l'ordre public". Une décision d’irresponsabilité pour troubles mentaux ne
peut être rendue que dans le strict respect de la procédure définie par la loi. Deux phases de
la procédure peuvent être distinguées : la phase de l’instruction et celle de jugement.
2.1 La phase de l’instruction
Un débat public intervient devant la Chambre de l’instruction sur deux éléments :
la réalité des charges pesant contre la personne mise en examen
l’existe d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli le discernement de la
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personne mise en examen et entraînant de ce fait son irresponsabilité pénale.
Lors de cette audience, le président ordonne soit d’office, soit à la demande du ministère
public, de la partie civile ou du mis en examen lui-même, la comparution personnelle de la
personne mise en examen si son état de santé lui permet. Si elle est présente la personne est
interrogée, puis les magistrats procèdent à l’audition des experts et le cas échéant des
témoins.
L’article 706-122(4) indique que les experts « doivent être entendus », les témoins ne l’étant
que si cela est « nécessaire pour établir s’il existe des charges suffisantes » contre la
personne mise en examen ou pour déterminer son état mental.
« Cinq questions sont traditionnellement posées :
a) L’examen psychiatrique et physiologique du sujet révèle-t-il chez lui des anomalies
mentales ou psychiques ?
b) L’infraction qui lui est reprochée est-elle ou non en relation avec de telles anomalies ?
c) Le sujet présente-t-il un état dangereux ?
d) Le sujet est-il accessible à une sanction pénale ?
e) Le sujet est-il curable ou réadaptable ?
L’expert a donc la redoutable mission de diagnostiquer la maladie mentale éventuelle de
l’auteur présumé de l’infraction : Soit une psychose dont la schizophrénie, la paranoïa, la
psychose maniaco-dépressive ou la psychose hallucinatoire ; soit un défaut de développement
des facultés mentales.
Il doit déclarer irresponsable toute personne ayant, au moment des faits, soit perdu toute
capacité à comprendre ses actes, soit toute capacité à les contrôler. Si la conscience ou la
volonté font défaut, la personne poursuivie est irresponsable» (5).
Les débats devant la chambre de l’instruction sont publics et l’arrêt est rendu en audience
publique. La seule restriction concerne les cas de huis clos, qui peut être demandé dans les
conditions prévues par l’article 306 du Code de procédure pénale notamment si la publicité
est « dangereuse pour l’ordre ou les mœurs » (6).
La chambre de l’instruction rend alors l’une des trois décisions suivante :
soit elle estime qu’il n’existe pas de charges suffisantes contre la personne mise en
examen d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés et elle prononce un non-lieu de
droit commun (du fait de l’absence d’infraction à la charge de la personne présumée).
soit elle estime qu’il existe des charges suffisantes contre la personne mise en examen
d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés mais que la personne ne souffre pas de
troubles ayant aboli son discernement et dans ce cas elle la renvoie devant la juridiction
de jugement compétente pour être jugée.
soit elle considère que les charges sont suffisantes mais que le premier alinéa de l’article
122-1 du Code pénal est applicable, elle rend un arrêt de déclaration d’irresponsabilité
pénale pour cause de trouble mental par lequel elle déclare qu’il existe des charges
suffisantes contre la personne d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés et que la
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personne est irresponsable pénalement du fait de l’existence de trouble psychique ou
neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des
faits.
Dans ce cas, la chambre de l’instruction ne statue pas sur la responsabilité civile de
l’individu. Elle renvoie l’affaire devant le tribunal correctionnel compétent, si la partie civile le
demande, pour qu’il se prononce sur la responsabilité civile de la personne, conformément
aux dispositions de l’article 489-2 du Code civil, et qu’il statue sur les demandes de
dommages et intérêts. L’article D. 47-6-3 du code de procédure pénale précise que le juge
délégué aux victimes peut être désigné par le président du tribunal de grande instance « pour
présider les audiences du tribunal correctionnel statuant après renvoi sur les seuls intérêts
civils ».
Un appel peut être formé contre l’ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble
mental rendue par un juge d'instruction ou contre l’ordonnance de renvoi rendue par le même
magistrat, dès lors que cet appel est formé par une personne mise en examen qui demande le
bénéfice des dispositions de l'article 122-1, alinéa 1er, du Code pénal (c'est-à-dire
l'irresponsabilité pénale).
2.2 Les juridictions de jugement
La question de l’irresponsabilité pénale prévue à l’article 122-1 du code pénal peut encore
être opposée devant la juridiction de jugement si elle n’a pas été soulevée au cours de
l’instruction ou dans le cas d’une personne pour laquelle l’irresponsabilité pénale n’a pas
été retenue par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction.
Quant au déroulement du procès, la loi de 2008 n’apporte pas de modification notable.
Simplement, la Cour d’assises ou le tribunal correctionnel rendra non plus une décision de
relaxe ou d’acquittement, mais une décision de déclaration d’irresponsabilité pénale pour
cause de trouble mental si elle est retenue par le tribunal ou la cour.
La nouvelle loi n’a donc pas supprimé l'irresponsabilité pénale d'un individu souffrant d'un
trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement. La modification porte
essentiellement sur la sémantique mais qui a toute son importance. Pour la victime ou la partie
civile il semble moins difficile d’entendre ordonnance d’irresponsabilité pour cause de trouble
mental en lieu et place de cette notion niant complètement l’existence des faits « le non lieu ».
3. Les mesures de sûreté pouvant être prononcées
La décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental peut être complétée selon
les besoins d’une ou plusieurs mesures de sûreté. Ainsi, innovation de la loi du 25 février
2008, il est désormais possible au juge judiciaire de prononcer l’hospitalisation d’office d’une
personne reconnue irresponsable pénalement en hôpital psychiatrique. De plus, le nouveau
texte prévoit d’autres mesures pouvant être prononcées.
3.1 L’hospitalisation d’office
Avant la loi du 25 février 2008, lorsque la déclaration d'irresponsabilité concernait une
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personne susceptible d'être dangereuse pour la collectivité, les autorités judiciaires devaient
aviser le préfet, qui devait prendre « sans délai toute mesure utile » comme par exemple
décider une hospitalisation.
Désormais le juge judiciaire peut prendre directement cette mesure. Le but étant de réduire au
maximum les délais de transfert d’information qui pouvaient être préjudiciables. Le législateur
a encadré cette mesure et pose trois conditions dites cumulatives :
un arrêt ou un jugement d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, prononcé
par la chambre de l'instruction ou par la juridiction de jugement
une expertise figurant au dossier de la procédure établissant que les troubles mentaux de
l'intéressé nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent
atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Ces critères sont identiques à ceux prévus par
l'article L. 3213-1 du Code de la santé publique pour justifier une hospitalisation d'office à
l'initiative du préfet
une décision motivée.
Le régime juridique de l'hospitalisation d'office reste strictement identique au droit en vigueur.
Seule l’autorité qui décide de la mesure change. Par la suite l’autorité administrative retrouve
sa compétence en la matière. Une copie de l’ordonnance d’hospitalisation d’office est
immédiatement adressée par le procureur de la République ou le procureur général, afin que
ce dernier procède sans délai à l'hospitalisation.
La levée de l'hospitalisation peut être décidée par le préfet ou par le juge des libertés et de la
détention, d’office ou à la demande de la personne (7). Les conditions sont très strictes et
supposent l’avis de la direction des affaires sanitaires et sociales du département dans lequel
est situé l'établissement ainsi que des décisions conformes et concordantes de deux
psychiatres étrangers à l'établissement (choisis sur une liste établie par le procureur de la
République) établissant que « l'intéressé n'est plus dangereux ni pour lui-même, ni pour autrui
» (art. L. 3213-8 du Code de la santé publique).
D’autres interdictions peuvent être prises à l’égard des personnes déclarées irresponsables.
3.2 Les autres mesures de sûreté
La chambre de l'instruction ou la juridiction de jugement peut prononcer diverses mesures de
sûreté. Celles-ci s'inspirent de celles susceptibles d'être ordonnées dans le cadre d'un sursis
avec mise à l'épreuve et du suivi socio-judiciaire. Entre autre elle peut décider :
l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale spécialement désignée dans
l'exercice de laquelle ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise
sans faire l'objet d'un examen psychiatrique préalable déclarant la personne apte à
exercer cette activité notamment en rapport avec des mineurs.
la suspension du permis de conduire ou l'annulation du permis de conduire avec
interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis.
Ces interdictions doivent être « spécialement désignées » et leur durée, fixée par la juridiction,
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