introduction - Psydoc

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Philippe GENUIT
Psychologue S.M.P.R. Rennes ( Centre hospitalier Guillaume Régnier) .
A.R.T.A.A.S. ( Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions
Sexuelles sous main de justice) .
CONFERENCE DE CONSENSUS. FEDERATION FRANCAISE
DE
PSYCHIATRIE Novembre 2001 .
1
EXISTE – T’IL DES OUTILS PERMETTANT D’EVALUER LES RISQUES DE
RECHUTE ET QUELS SONT-ILS ?
INTRODUCTION
p1
I- RECIDIVE ET RECHUTE
p1à3
II- HETERONOMIE ET HOMOLOGIE DES CADRES D’EVALUATION
p4à6
III-RECHUTE – REPETITION – SERIALITE
p6à7
IV- IL N’Y A PAS D’OUTILS SANS OUVRIER
p8
CONCLUSION
p9à10
2
INTRODUCTION
Le sujet de l’intervention proposé faut-il l’avouer peut laisser perplexe dans un premier
temps. Existe t’il des outils d’évaluation de risque de rechute ? Plutôt que de répondre à cette
question , et en raison de la perplexité que suggère cette question , je répondrai : il existe des
thérapeutes qui utilisent des méthodes qu’ils pensent ou du moins prétendent être des outils
d’évaluation des risques de rechute ; ou plus exactement le terme utilisé est risque de récidive.
Il semble plus pertinent d’interroger cette intrication entre rechute et récidive sachant que les
études des thérapeutes jusqu’ici portent sur des programmes de traitements de prévention de
la récidive . Cette intrication rechute- récidive ne peut se départir d’une réflexion sur leurs
cadres de référence , juridique d’un côté , thérapeutique de l’autre , qui sous-tend l’explicite
de la réitération à savoir , la répétition .
I-
RECIDIVE ET RECHUTE .
Plusieurs difficultés inaugurent la réponse à la question : « Existe t’il des outils permettant
d’évaluer les risques de rechute et quels sont-ils ? » . Ces difficultés sont avant tout d’ordre
épistémologique et de méthodes heuristiques relatives à l’évaluation clinique
particulièrement dans le domaine des auteurs d’agressions sexuelles . ( Je me permets
d’ajouter le pluriel à agression sexuelle proposée comme titre pour cette « conférence de
consensus » tant la réalité socio- juridique et clinique montre le caractère réitératif des actes
de leurs auteurs ) . Ce côté réitératif est d’ailleurs inscrit dans le concept de rechute .
En ce qui concerne les difficultés épistémologiques , celles-ci se rencontrent au détour de
l’interférence des cadres sociétaux d’investigation et d’intervention . Bien entendu pour notre
étude il s’agit essentiellement des cadres juridique et thérapeutique , principalement au travers
des concepts juridiques de « récidive » et thérapeutique de « rechute » . Cela est si vrai que
dans les études les plus approfondies à ce jour provenant essentiellement des pays anglosaxons , particulièrement des U.S.A et du Canada , ( cf . Blanchette , K . (1996) . Evaluation ,
traitement et risque de récidive des délinquants sexuels : analyse de la documentation ) la
notion de récidive est dépendante , quant à l’évaluation du « risque » , de celle de rechute,
elle, liée aux programmes thérapeutiques . Il faut ajouter à cette intrication les liens des
programmes thérapeutiques aux programmes éducatifs où se côtoient , dans une prise en
charge normative , l’accompagnement social et le coercitif .
Avant même que d’interroger ce qui relève de la notion médicale de rechute , il convient de
remarquer les conclusions que nous offrent les études de nos collègues nord- américains
corroborées par l’étude de l’équipe du professeur MORMONT de l’université de Liège .
( Giovanelli , D ; Cornet, J.P ; MORMONT , C . Etude comparative dans les 15 pays de
l’union européenne : les méthodes et les techniques d’évaluation de la dangérosité et du risque
de récidive des personnes présumées ou avérées délinquants sexuels . )
Les conclusions canadiennes sont que :« l’étude de la récidive chez les délinquants sexuels,
de ses corrélats et du pouvoir thérapeutique du traitement constitue un défi de taille pour les
chercheurs . La détermination des causes de la récidive et des éléments qui l’influencent
dépend de facteurs complexes , tels que la période de risque passée dans la collectivité le
degré de surveillance et tout un tas de variables . ( Plus la période post- carcérale est longue ,
plus le taux de récidive est élevé – Et à ce jour les études françaises ne nous donnent pas assez
de recul pour une évaluation optimale – N.D.A -- ). Les études réalisées dans ce domaine
concordent rarement sur les taux de récidive relevés , en partie à cause du nombre de
définitions données au terme « récidive » . ( BLANCHETTE . K . Opus – cit .) .
3
L’équipe du professeur MORMONT ( Op . cit) constate identiquement parmi les études
consacrées , en Europe ,à l’évaluation de la récidive chez certaines populations , et notamment
chez les auteurs d’agressions sexuelles , une disparité des taux obtenus . « Cette variation des
résultats s’explique en grande partie par les définitions divergentes de la notion de récidive
qui président à ces études » .
Selon les pays , selon l’obédience professionnelle , selon l’obédience théorico- clinique , le
même vocable va recouvrir des contenus sémantiques et des réalités sociales différents . De ce
fait l’option méthodologique et les « outils » d’évaluation qui y affèrent sont largement
susceptibles d’influer sur les résultats obtenus .
Aussi notre étude ne sera pas exhaustive . ( En ce qui concerne l’exhaustivité des
techniques nous renvoyons le lecteur à l’étude très approfondie et documentée de l’équipe du
professeur MORMONT ( Op . cit) ) .
Epistémologiquement il nous paraît fondamental de désintriquer les notions de
« réitération » , « récidive » , « rechute » et celle de « sérialité » . Cela nous amènera à
interroger les cadres de « savoir » auxquels ces notions se raccrochent d’une part , et d’autre
part à dissocier ce qui est de l’ordre du « phénoménal » et ce qui est de l’ordre du
« processuel » . Un processus peut se manifester sous différentes formes , et des phénomènes
apparemment identiques peuvent dépendre de processus différents .
Une autre difficulté est relative à l’hétérogénéité du groupe « auteurs d’agressions
sexuelles » . Autant il est difficile de mettre d’accord les cliniciens sur la question de la
récidive , autant il y a unanimité sur l’hétérogénéité clinique des A.A.S . Les délinquants et
les criminels sexuels différent les uns des autres, de part leurs antécédents personnels et
judiciarisés , les circonstances qui ont précédé les infractions commises , l’âge et le sexe de
leurs victimes , les attitudes et convictions sur lesquelles s’appuient leurs comportements
déviants , ainsi que le degré de violence qu’ils ont fait subir à leurs victimes , et d’autre part
par les structures de personnalité différentes . Comme le font remarquer GORDON . A et
PORPORINO au Canada et tout spécialement BALIER . C en France , cela revient à dire que
les auteurs d’agressions sexuelles forment un groupe hétérogène dont les besoins en terme
d’évaluation et de traitement sont variés . Cependant si les cliniciens sont d’accord en ce qui
concerne l’hétérogénéité des A.A.S . leurs obédiences théorico – cliniques et les stratégies de
soins et d’évaluation divergent . Ceci a pour conséquence de constater que comme tout
humain le clinicien diverge de ses semblables et qu’une étude scientifique , si elle est possible
à acter , doit tenir compte de l’hétérogénéité de la population des sujets étudiés , mais aussi de
l’hétérogénéité de la population des cliniciens , ceci afin d’éviter au mieux d’être ce que Boris
CYRULNIK appelle des « abuseurs sémantiques » . ( cf . mémoire de singe et parole
d’homme . Poche pluriel . Paris ) .
L’hétérogénéité clinique s’éprouve dans la diversité des catégories psychopathologiques et
des typologies des A.A.S . Cette hétérogénéité clinique se retrouve dans la non concordance
des taux de récidive précédemment évoquée et surtout dans les méthodes heuristiques
d’investigation et d’évaluation .
En ce qui concerne les A.A.S , les études nord- américaines , bien que de loin les plus
nombreuses et les plus construites , font surtout référence à une construction « cognitivocomportementaliste » qu’il est difficile à retranscrire comme telle en France où les
élaborations cliniques notamment sous l’influence indéniable de C. BALIER s’étayent sur une
conception psychodynamique du sujet avec pour référence une psychanalyse pragmatique ,
qui correspond mieux à notre art de vivre ( ou notre way of life) .
4
A ces considérations sur les obstacles épistémologiques et méthodologiques s’ajoutent
l’intérêt pour les populations jusqu’ici peu étudiées en France et qui si elles ne bouleversent
pas fondamentalement les études actuelles n’en demandent pas néanmoins un
approfondissement de la clinique des A.A.S , à savoir les femmes et les adolescents .
En ce qui concerne les adolescents , l’augmentation de la judiciarisation de leur actes
sexuels violents , sans que l’on puisse se prononcer sur l’augmentation de commissions
d’actes , nous renseignent sur la précocité de ceux-ci . Ceci bat en brèche l’idée d’une
spécificité adulte incestueuse ou pédophilique de l’agression sexuelle . Par contre la
spécificité de la dynamique groupale décrite depuis longtemps dans les analyses sociopsychologiques des jeunes , se retrouve dans les agressions sexuelles telles que ce qui est
convenue d’appeler les « Tournantes » .
La femme , elle , a longtemps été considérée plus comme une victime qu’une personne
capable d’agression sexuelle , hormis dans une vision de complicité passive .
Les études anglophones ou francophones , certes beaucoup moins nombreuses , battent en
brèche cette représentation . Ce qui , au vue des dernières données cliniques et statistiques ,
vient pointer l’essentiel de la particularité de l’agression sexuelle féminine est le cadre
domestique . Ce cadre domestique ou familial rend compte à sa manière de la place de la
femme dans la société , fut- ce à travers des comportements morbides . L’actuelle mutation
sociale avec ses corrolaires de crise de la paternité et de la masculinité , permet de supposer
qu’à l’instar de l’implication professionnelle et égétique des femmes ainsi que de leur plus
grande liberté d’alliance sexualisée , les comportements féminins morbides vont se
transformer en rapport avec celle-ci .
Statistiquement les données dont nous disposons , semblent montrer un taux de récidive
important chez les adolescents hommes et faible chez les femmes adultes .
II-
HETERONOMIE ET HOMOLOGIE DES CADRES D’EVALUATION
Comme la clinique épistémologique nous y invite , nous devons scientifiquement
désintriquer le manifeste de l’acte déjudiciarisé du processus qui le rend possible et surtout
observable .
Ainsi que le fait remarquer Gaston BACHELARD ( 1986 . la Formation de l’esprit
scientifique . VRIN . Paris) nous n’observons que ce que nous concevons théoriquement au
préalable .
Chaque cadre de formalisation construit donc son objet . Ceci implique la nécessité de
désintriquer ce qui apparaît comme une manifestation unitaire , à savoir la réitération de l’acte
(potentiellement judiciarisable) en une pluralité d’objets d’évaluation .
Ainsi la notion de récidive renvoie au cadre juridique , celle de rechute au cadre
thérapeutique . A noter que la notion psycho-dynamique de « répétition » (énoncée par la
psychanalyse) interroge l’analogie implicite et structurale , qui s’exprime dans les diverses
réitérations d’acte .
La question de la rechute suppose donc dialectiquement être analysée en tenant compte de la
diversité et donc de la différence des cadres et de leurs objets tout autant que de leur
fonctionnement analogue . C’est cette analyse dialectique à laquelle nous incite Pierre
BOURDIEU ( in Questions de sociologie , Paris , Les éditions de minuit , 1980 ) en ce qui
concerne les taxinomies sociologiques ; autrement dit les modes de classement , catégories ,
typologies . D’un côté les champs sociologiques , ici juridique et thérapeutique , sont
autonomes et ne peuvent se comprendre si on ne connaît pas les règles implicites et explicites
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qui les structurent séparemment . Mais il existe une propriété plus fondamentale qui lie les
champs entre eux , à savoir une « homologie structurale » entre chaque champ , autrement dit
un fonctionnement analogue .
Pour nous résumer chaque champ construit sa propre cohérence interne , son autonomie ,
et pour autant cette hétéronomie des champs , à prendre en compte au risque sinon d’émettre
des confusions préjudiciables à une analyse scientifique , est à mettre en perspective avec une
homologie structurale entre ces différents champs .
Considérons une autre problématique que celle de l’agression sexuelle à savoir
« l’alcoolisme » : les définitions , évaluations et modes d’interventions rendent compte de
l’autonomie du champ juridique par rapport au champ thérapeutique . En France le champ
juridique stigmatisera l’alcoolisme en fonction des limites des « infractions » définies par la
loi . La notion de récidive concernera le fait du contrevenant par exemple à être contrôlé
plusieurs fois sous conduite avec une alcoolémie positive .Or cette alcoolémie positive peutêtre occasionnelle sans être rattachée à une addiction ou une toxicomanie . Ce qui définit la
récidive dès lors est le rapport à la définition de l’infraction . Le même justiciable peut-être
châtié juridiquement pour conduite en état alcoolique ( C.E.A) et parallèlement pour
infraction à la loi sur les stupéfiants (I.L.S) sans qu’il soit considéré en état de récidive légale .
Cela est encore plus prégnant entre les délits aussi différents que l’agression sexuelle et le vol
commis par un même individu .
Pour le champ thérapeutique la question de la répétition sous manifeste addictif ou
toxicomaniaque analysera la problématique de l’alcoolisme non plus en fonction d’une
infraction mais de comportements répétitifs , fussent-ils plurimodaux , liés à une structure de
personnalité dépendante . La notion de rechute dans le cas de l’alcoolisme ne se confond pas
avec celle de récidive . D’autre part comme le montre le Professeur L.M . VILLERBU . dans
la problématique des A.A.S le vol peut-être un passage à l’acte exutoire d’une potentialité
sérielle mise en acte par ailleurs dans le viol ( Recherche A.P.P.A.G.S . Accompagnement
psycho-pénal des agresseurs sexuels – Rennes C.E.R.E.C.C. Fév . 2000 – Non édité ) .
La problématique de l’agression sexuelle pose un problème particulier du fait , qu’hormis
se faire prendre ou non dans les rêts de la justice , que la possession sexuelle de l’autre sans
son consentement , ou profitant d’une vulnérabilité , inclut de fait une victime et est
judiciarisable . De ce fait les prises en charge thérapeutiques et juridiques seront liées peu ou
prou et se confronteront dans des visées contradictoires de confusion des genres ou / et de
conflits de distinction et de discrétion liés à l’autonomie de chaque champ . Nous entendons
par distinction l’autonomie renvoyant chaque champs socio- professionnel à sa déontologie et
ses territoirs et par discrétion ce qui se réfère à l’éthique de son exercice , ici tout
particulièrement le secret (professionnel) médical .
L’homologie structurale entre le juridique et le thérapeutique se dénote en ce que le
comportement acté réitératif n’est reconnu que s’il est défini par le cadre de référence . Ainsi
analogiquement au « nullum crimen sine lege » de la justice , qui fait qu’une infraction et par
extension la récidive n’existe que si elle a été préalablement définie légalement . La rechute
n’existe que si un comportement s’inscrit dans la nomenclature médicale , autrement dit pas
de récidive ou rechute sans prise en charge préalable . D’autre part cette homologie structurale
rend compte d’une inscription sociétale analogue , où comme le font remarquer Jean
GAGNEPAIN ( Du vouloir dire . Traité d’épistémologie des sciences humaines . Volume II :
De la personne . De la norme , Paris , Livres et communication 1991 ) sous le concept de
situation curatelle (au sens étymologique de « cura sui » , ou Michel FOUCAULT sous celui
d’Epimélie (melein : s’occuper de) ( l’Herméneutique du sujet – cours au collège de France .
1981- 1982 . Gallimard – Seuil – mars 2001 ) , la personne prise en charge est dans une
situation de procuration et de dépendance à l’institution.
6
Au juridique et au thérapeutique s’ajoute dans cette unité sociétale le didactique (ou
pédagogique) .
Tableau récapitulatif :
Homologie structurale des champs sociétaux d’intervention :- situation de curatelle
- épimélie .
Champ sociétal
CADRE
INSTITUTIONNEL
Objet
d’investigation
REITERATION
Sujet d’évaluation
Prescriptivité
PERSONNE
PRISE EN CHARGE
Didactique
Pédagogique
Ecole
Redoublement
élève
Enseignement
Informatif
Formatif
Thérapeutique
Médical
Hôpital
.
Juridique
Pénal
Prison
Rechute
malade
Soin
Préventif
Curatif
Récidive
délinquant
Peine
Prévention
Sanction
Analyse psychopathologique
Processus de répétition et mise en acte sérielle .
Ce qu’évoque Michel FOUCAULT de la relation maître-élève se retrouve dans la relation
thérapeute- patient tel qu’en parle Claude BALIER ou la relation Magistrat- justiciable
évoquée par Denis SALAS et Xavier LAMEYRE .
Il y a une influence respective des attitudes des thérapeutes et de la réceptivité des
délinquants sur l’efficacité des soins par rapport aux actes violents sexualisés . Les
thérapeutes qui traitent leurs patients avec respect mais sans connivence leur proposent des
défis tout en étayant dans leur démarche , et font preuve d’empathie à leur égard ont été , de
l’avis , même , de thérapeutes cognitivistes , à l’origine de modifications plus importantes de
comportements que les thérapeutes plus autoritaires , qui confrontent leurs patients et ne leur
témoigne aucune empathie .
Est-il audacieux de poser un constat identique en ce qui concerne le didactique et le
juridique ? Et de postuler que l’appropriation , qu’elle soit de l’enseignement , de la peine ou
du soin , est une démarche prioritaire et fondamentale ?
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III-
RECHUTE – REPETITION – SERIALITE
La question relative aux outils permettant d’évaluer les risques de rechute , une fois émis
l’analyse sur l’homologie structurale et l’interférence des questions liées à la rechute et à la
récidive , nous invite à nous recentrer sur le cadre thérapeutique .
Le mérite de la démarche psychanalytique est de proposer un essai de compréhension d’un
phénomène et de chercher le processus qui le sous-tend, quand beaucoup se bornent à
constater le manifeste . L’obédience cognitivo- comportementaliste se penche sur le problème
de la rechute mais sans la dissocier de la récidive en ne lui attribuant que la portée du résultat
d’un cumul d’évènements identifiés sans s’interroger sur son identifiabilité .
L’intérêt de l’analyse de cliniciens comme C.BALIER ou S. BARON- LAFORET est de
dégager de l’explicite de la rechute , l’implicite de la répétition en ce qu’elle revêt pour le
sujet un caractère contraignant : « Le caractère contraignant d’une force émanant de
l’inconscient nous fait basculer dans le champ de la répétition , même s ‘il s’agit d’une
« impulsion » en apparence unique , mais dont l’incompréhensibilité autant que
l’irrésistibilité témoignent du risque à recommencer » .Faisant référence à Thanatos , la
pulsion de mort introduite par FREUD dans « Au-delà du principe de plaisir » ( 1920) C.
BALIER ( 1996) rend compte du caractère répétitif de l’acte lié à un « retournement » de
l’acte comme « lutte contre l’angoisse d’anéantissement » (l’acte vient permettre la survie
psychique ) . A. CIAVALDINI ( 1999) dans une analyse proche propose l’hypothèse selon
laquelle le passage à l’acte vise à apaiser le sujet de l’excitation dû à une tension interne .
Mais cet apaisement est ponctuel. Et cette ponctualité peut dans certains cas expliquer que le
sujet progresse dans la recherche de l’intensité de l’apaisement . Ce qui se traduit alors par
une progression de la gravité des atteintes à l’autre . Cette progression dans la gravité des
infractions est souvent constatée chez les récidivistes .
La question de la répétition est pour nous fondamentale dans l’évaluation des risques de
réitération d’actes qui peuvent très bien ne pas être judiciarisés voir même judiciarisables tout
en démontrant la potentialité d’une vulnérabilité psychique d’un agresseur . Ceci est d’autant
plus remarquable que la vulnérabilité psychique de l’agresseur rencontre le plus souvent la
vulnérabilité psychique d’une victime .
L’évaluation des risques de rechute suppose une clinique thérapeutique du passage à l’acte ,
non pas pour réduire la personne à son acte délinquant ou criminel , mais pour analyser quelle
signification il prend dans l’histoire du sujet et son fonctionnement psychique . Si l’on tient
compte de la dynamique implicite ou inconsciente on s’aperçoit que la répétition ne se
manifeste pas que dans les actes judiciarisés .
A travers ou à partir de questionnement et recensement de manières d’être , tels que le
questionnaire d’investigation clinique pour auteurs d’agressions sexuelles
( A. CIAVALDINI – 19996 Psychopathologie des agresseurs sexuels – Paris : Masson –P.
GENUIT le Q.I.C.P.A.A.S. Journées de réflexion 1998 publ . ARTAAS) nous le permet , on
voit que la répétition se manifeste en d’autres lieux que ceux de l’infraction . Cela relève fort
souvent un potentiel de sérialité morbide dans laquelle l’acte judiciarisable n’est qu’une des
modalités de mise en acte . Une telle démarche permet de poser des hypothèses cliniques à
mettre en vérification- réfutation ( cf . K. POPPER , conjectures et réfutations – La croissance
du savoir scientifique , Payot , Paris , 1985 )par d’autres outils cliniques .
D’autres outils cliniques , tel que le Make .A. Picture .Story (M.A.P.S ) (P. GENUIT Le
MAPS comme média d’évaluation et d’accompagnement thérapeutique dans la clinique des
auteurs d’agressions sexuelles . Journées de réflexion 1998 . ARTAAS) , cherchent à
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déterminer des facteurs déclenchant ( lieu , évènements, rencontres) des vascillements
induisant des mises en acte révélant la crainte d’effondrement sous-jacente . Développant ce
que C.OLIEVENSTEIN énonce en ce qui concerne la toxicomanie : la rencontre de 3
variables le produit , la structure de personnalité , l’environnement . L’évaluation des risques
de rechute doit prendre en compte la vulnérabilité intra- psychique , autrement dit : le
vascillement potentiel , la vulnérabilité inter- psychique et la détermination de facteurs
déclenchants . Cela suppose chercher à déterminer un potentiel implicite de sérialité morbide
et des conditions explicites de mise en acte de cette dernière .
Il convient ici de signaler que la répétition et le potentiel implicite de sérialité n’est pas le
monopole des auteurs d’agressions sexuelles , ni ne sont en soi pathologiques . Ce n’est donc
pas la répétition en soi qui doit être interrogée mais la morbidité qui s’y attache .
IV-
IL N’Y A PAS D’ OUTILS SANS OUVRIERS .
Au stade actuel de notre réflexion , il nous paraît important avant que d’évoquer la
proposition des outils d’évaluation du risque de rechute de reprendre certains constats
cliniques fussent-ils dans l’indistinction de la récidive et de la rechute ne serait-ce que par
l’intérêt que nous leur portons et les pistes qu’ils nous suggèrent . En fait les taux de récidive
varient non seulement selon les auteurs , les pays etc … mais aussi en fonction des typologies
des délinquants et criminels .
Les typologies tiennent compte de l’intra ou de l’extra- familial , de l’âge , du sexe de la
victime .
D’un côté cela nous oblige à une grande réserve , du fait de l’évolution de nos cliniques . Le
cas des « pères incestueux » en est un exemple . Ceux-ci sont dans la majorité des études
statistiques considérés comme moins récidivistes . La clinique « incisive » promulguée par
C.BALIER et les études notamment de S. BARON-LAFORET viennent porter quelques
coups de boutoirs à cette analyse . D’une part parce que la typologie des pères incestueux est
à revoir , en ce sens ou nombre de ceux-ci nous ont révélé être parallèlement des pédophiles
extra-familiaux . D’autre part s’il semble vrai qu’ils ne récidivent pas une fois punis
juridiquement , il n’en reste pas moins que les faits de la sanction liés au suivi thérapeutique
ne gomment pas la potentialité implicite de sérialité morbide précédemment actée.
Les études canadiennes semblent montrer l’intérêt à affiner les catégories cliniques afin de
pouvoir proposer des stratégies thérapeutiques efficientes . Ainsi ( cf BLANCHETTE . K .
1996) « les études ont montré que les délinquants les plus dangeureux ou qui montrent le
plus grand risque profitent d’avantage des programmes longs et intensifs , tandis que les
délinquants à risques moins élevés réagissent à des programmes moins intensifs »
( FISCHER 1995 – NICHOLAICHUK 1996 ) .La recherche effectuée permet également de
croire que les programmes qui réduisent la récidive chez les agresseurs d’enfants ont peu
d’effet sur les violeurs et les exhibitionnistes . ( MARSCHALL et BARBARREE 1990) .
Cependant d’autres paradigmes ont donné des meilleurs résultats pour les violeurs que les
agresseurs d’enfants (MARQUES , DAY , NELSON et WEST 1994). A noter aussi que les
jeunes détenus qui en sont à leur première peine d’emprisonnement de ressort fédéral
présentent généralement plus de risques de récidive . Ces informations corroborent les
analyses françaises ( cf . R . COUTANCEAU ) qui semblent montrer l’importance de la
précosité de l’arrêt de la réitération des actes et la mise en place d’un accompagnement
thérapeutique conjugué à un contrôle juridique .
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Nous ne pouvons honnêtement proposer des outils fiables d’évaluation des risques de
rechute analogiquement aux outils de la médecine somatique tels que les examens corporels ,
sanguins , scanner , I.R.M etc … Il nous paraît autrement plus efficient de profiter de
l’expérience des thérapeutes et de valoriser les échanges entre eux . Dans la perspective des
travaux de l’ A.R.T.A.A.S. nous suggérons d’optimaliser les études cliniques de façon
transdisciplinaire . Cela aussi suppose d’interroger nos acquis qui restent humbles , confronter
les spécificités et les analyses.
D’ailleurs même les tenants du cognitivo- comportementalisme n’agissent pas autrement
lorsqu’ils se déparent de la fétichisation des tests et joignent des méthodes aussi différentes
que les tests psychologiques , les tests physiologiques , l’étude de dossiers , les entrevues
cliniques individuelles et groupales , la consultation de tiers .
Il convient semble -t’il de personnaliser l’évaluation et de se détacher du manifeste afin de
réfléchir sur la subjectivité du fonctionnement psychique qui nous oblige à adapter nos
méthodes d’investigation en fonction du cadre temporo- spatial- environnemental et de l’intersubjectivité de la relation . Ainsi pour une conception uniforme de conscience déformée ou
distorsion cognitive , faut-il s’interroger sur les questions de reconnaissance des actes , du
vécu de la victime , de la différence entre conscience , empathie , et convictions (autrement dit
reconnaissance logique , reconnaissance sociale et reconnaissance morale) , qui ne rendent
pas compte quand elles défaillent des mêmes structures psychopathologiques , même si l’on
doit là aussi se poser la question de l’homologie structurale .
Autrement dit dans la relation clinique , fut-elle en son rôle évaluatif , l’important est le
clinicien qui définira ses outils au mieux et en lien avec d’autres cliniciens.
CONCLUSION
En l’état actuel des sciences humaines et tout particulièrement de la psychiatrie et de la
psychologie , nous ne pouvons proposer des outils , scientifiquement irréfutables , pour
l’évaluation des risques . Et paradoxalement cela est heureux , car le risque de croire qu’ils
puissent exister serait de tendre vers un néo- eugénisme . Il nous paraît plus opportun avant de
tester , de continuer à œuvrer de concert , de confronter nos analyses et interroger leur
validité. C’est pourquoi en désintriquant les concepts de récidive , rechute , réitération ,
répétition , sérialité nous avons tenter de montrer l’intérêt d’une clinique épistémologique ,
analogiquement au biologiste qui cherche à déterminer H²O plutôt que s’exclamer comme
Mac Mahon : « Que d’eau , que d’eau ! » .
Il nous paraît en premier lieu important de dégager les autonomies et homologies structurales
dans un mouvement réflexif , analysant simultanément le sujet et le cadre d’évaluation .
Aujourd’hui le cadre d’évaluation ne rencontre pas de clinique avérée permettant avec
certitude une analyse prédictive de la rechute qui correspond le plus souvent à un passage à
l’acte hétéroagressif judiciarisé . Cette correspondance elle même se manifeste judiciairement
dans la récidive . Ces correspondances posent la nécessité de l’articulation réfléchie , de la
santé et de la justice , et doit être respectueuse des déontologie et éthique afférentes à chaque
institution ou champ sociétal .
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BIBLIOGRAPHIE
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