diffère pour chaque individu qu'il est primordial que le choix d'interrompre la vie revienne à
l'individu souffrant. Les deux raisons majeures de considérer que l'euthanasie est justifiée
sont le souhait librement exprimé du patient de mourir et le fait qu'il ait jugé que ses
souffrances sont devenues insupportables. A ce stade, il faut accepter que le médecin ne
soit qu'un exécutant.
On peut également estimer que la seule demande d'interruption de la vie du patient ne suffit
pas à justifier (moralement) l'euthanasie. Dans cette vision l'euthanasie ne peut être justifiée
qu'en empruntant des arguments au principe de charité/weldoen (Van Delden, 1999). En
d'autres termes : si le souhait de continuer de vivre émis librement est une condition
suffisante pour honorer la demande, Il n'en est pas de même pour le souhait de mourir. C'est
alors tout au plus une condition nécessaire. Il n'existe pas de "droit à mourir" contraignant qui
serait fondé sur le droit à l'autodétermination. Dans le même sens, Kuitert estime que les
raisons qui poussent un médecin à respecter le souhait de mourir d'un patient est à
rechercher dans son évaluation professionnelle de la situation (Kuitert, 1993). C'est sur cette
base qu'il lui est possible de comprendre le patient et d'accéder à sa demande. Un médecin
n'ampute jamais un membre parce qu'un patient le lui demande mais parce qu'il y a une
nécessité médicale. A cet égard une phrase du rapport de la Commission Remmelink (1991,
p.32) mérite d'être citée : [aussi bien dans le cas de l'interruption de la vie sur demande ou
sans demande] la justification ultime de l'acte est une souffrance intolérable". On peut même
penser que l'existence des critères de rigueur implique que le droit à l'autodétermination ne
peut pas être le seul fondement de l'euthanasie. Une des caractéristiques d'un droit est que
son exercice n'est pas subordonné à un contrôle : mes décisions sont valables non pas
parce qu'elles sont justes mais simplement parce que je les ai prises. Aucun critère
supplémentaire d'appréciation n'est requis. Au contraire dans le cas d'une demande
d'euthanasie, il existe des critères supplémentaires. Un médecin ne peut accepter une
demande d'euthanasie, même sérieuse et constante, que si les souffrances du patient sont
insupportables et sans perspectives d'amélioration. Le médecin ne peut donc en aucun cas
se limiter à l'invocation du droit à l'autodétermination du patient. On lui demande de porter un
jugement professionnel sur le caractère insupportable des souffrances du patient mais
surtout sur les perspectives d'amélioration des souffrances.
Selon moi, ce second cadre de référence décisionnel se caractérise par un double
fondement (les principes de liberté de choix et de charité) et par le fait qu'il implique un
jugement professionnel de la part du médecin. C'est pourquoi je parlerai ici de vision
médicalisée, sans que le terme "médicalisée" ne soit en rien péjoratif.
Si l'on observe la relation entre euthanasie et temps à partir de ce cadre médicalisé, force
est de constater que le facteur temps ne joue plus uniquement un rôle dans le jugement par
le médecin du caractère mûrement réfléchi de la demande du patient mais également lors de
l'appréciation professionnelle de la situation par le médecin. Il est possible que le médecin
estime que les souffrances du patient peuvent encore être traitées, c'est-à-dire qu'elles ne
sont pas encore sans perspective d'amélioration. Il dira alors à son patient que "ce n'est pas
encore le moment de parler d'euthanasie". Les études montrent d'ailleurs que c'est le motif
souvent invoqué par les médecins en pratique pour refuser une demande d'euthanasie
(Haverkate, 1991). Il peut également arriver qu'un traitement alternatif soit envisageable
mais le délai dans lequel il pourrait produire des effets est tellement long qu'il s'agit en fait
d'une solution déraisonnable. Il peut même arriver que le médecin estime que l'urgence de la
situation nécessite une intervention immédiate. En tout cas, la décision du médecin est
motivée par un jugement professionnel qui le conduit à penser que les souffrances du patient
ont atteint le seuil de l'intolérable et ne doivent donc pas être prolongées. Le protocole
d'euthanasie du Centre Universitaire Médical d'Utrecht exige en outre que le médecin prenne
sa décision dans les 24 heures. Quoi qu'il en soit, dans cette vision de l'euthanasie, le degré
de la souffrance du patient et l'impossibilité d'y remédier joue un rôle important. Il appartient
au médecin de porter un jugement professionnel sur ces facteurs et le facteur temps joue un
rôle indéniable dans ce processus.