"Souffrance"
Mini symposium à l'occasion du départ de M.J.J.F Visser
Ministère de la Santé, du Bien-être et des Sports
Index
"On ne peut quand même pas laisser une personne mourir comme ça !"
Hans Van Delden 2
"Docteur, puis-je compter sur vous quand..."
Marian Verkerk
Cette publication réunit les textes des interventions prononcées lors du mini symposium à
l'occasion du départ de Jaap Visser, le 22 janvier 2004.
"On ne peut quand même pas laisser une personne mourir comme ça !"
Plaidoyer en faveur d'une réévaluation de la fin de vie dans le débat sur l'euthanasie
Hans Van Delden
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1. Introduction
La décision de recourir à l'euthanasie est normalement précédée d'un processus intense où
le temps joue un rôle essentiel. En effet, d'un côté nous souhaitons que la prise de décision
ne soit pas précipitée, garantissant tout le soin que le médecin y a apporté et le caractère
mûrement réfléchi du souhait du patient. Mais de l'autre, il peut arriver que l'on se retrouve
dans une situation d'urgence où l'action s'impose.
Non seulement il existe une conception (généralement implicite) du timing idéal dans le
processus d'euthanasie, mais également de la place de ce processus dans la vie du patient.
Force est de constater que l'interruption de la vie et l'aide au suicide sont des phénomènes
qui interviennent surtout en fin de vie quand il ne reste au patient relativement peu de temps
à vivre. Et pourtant, la fin de vie n'a jamais été acceptée comme critère moral pertinent, du
moins pas dans le cadre du débat public sur l'euthanasie aux Pays-Bas. En Belgique, ce
critère est en revanche pris en compte dans la loi sur l'interruption de la vie. Ma contribution
à ce symposium porte donc sur ce point : la fin de vie ne devrait-elle pas être considérée
comme un critère moral pertinent ? Quelles en seraient les conséquences pour les
Commissions régionales de contrôle de l'euthanasie dans l'exercice de leur contrôle ?
2. Deux cadres décisionnels pour l'euthanasie
Avant d'étudier le processus décisionnel menant à l'acte d'interruption de la vie du point de
vue normatif, intéressons-nous aux cadres décisionnels existants. Une des justifications
morales de l'euthanasie généralement invoquée est la notion d'autodétermination. J'entends
par là la dignité que l'homme attache à la possibilité de prendre lui-me les décisions
importantes le concernant en accord avec ses propres conceptions d'une bonne vie et la
possibilité d'agir en accord avec ces décisions. La mise en œuvre de cette notion permet aux
hommes de vivre selon leurs conceptions de la bonne vie/goede leven dans le respect de
règles juridiques naturellement et dans la mesure où leur liberté n'empiète pas sur la liberté
d'autrui. Ce faisant, les hommes assument la responsabilité de leur vie et de la personne
qu'ils sont devenus. Dans cette conception, c'est là un élément important de dignité
humaine.
On est en droit de se demander si le droit à l'autodétermination englobe également le droit
de choisir de mourir. L'importance que l'on attache au droit de disposer de soi-même tel que
nous l'avons brièvement entrevu ci-dessus, n'entraîne pas nécessairement que l'on ait la
liberté d'abandonner cette liberté en choisissant de mourir. Ce sujet pourrait sans doute faire
l'objet de profondes spéculations philosophiques mais qu'il suffise, dans le cadre de cette
intervention, de constater que de nombreuses personnes ressentent le besoin de contrôler et
de préserver leur dignité dans les derniers temps de leur vie. Pour ces personnes, la
garantie d'une certaine qualité de vie est devenue plus importante que la prolongation de
leur existence. Il est impossible de déterminer objectivement le moment où la qualité de vie
se dégrade à ce point que la personne décide de mourir. C'est précisément parce que le
droit à l'autodétermination est une valeur fondamentale et que le moment de la décision
1
Hans van Delden est professeur d'éthique médicale au Centre Julius au Centre Universitaire Médical d'Utrecht.
Il est également praticien hospitalier à l'hôpital longs séjours de Rosendael. Il a participé à la toute première
étude nationale empirique sur les décisions médicales sur les cas de fin de vie pour la commission Remmelink. Il
est membre de la commission régionale de vérification pour l'euthanasie d'Arnhem.
diffère pour chaque individu qu'il est primordial que le choix d'interrompre la vie revienne à
l'individu souffrant. Les deux raisons majeures de considérer que l'euthanasie est justifiée
sont le souhait librement exprimé du patient de mourir et le fait qu'il ait jugé que ses
souffrances sont devenues insupportables. A ce stade, il faut accepter que le médecin ne
soit qu'un exécutant.
On peut également estimer que la seule demande d'interruption de la vie du patient ne suffit
pas à justifier (moralement) l'euthanasie. Dans cette vision l'euthanasie ne peut être justifiée
qu'en empruntant des arguments au principe de charité/weldoen (Van Delden, 1999). En
d'autres termes : si le souhait de continuer de vivre émis librement est une condition
suffisante pour honorer la demande, Il n'en est pas de même pour le souhait de mourir. C'est
alors tout au plus une condition nécessaire. Il n'existe pas de "droit à mourir" contraignant qui
serait fondé sur le droit à l'autodétermination. Dans le même sens, Kuitert estime que les
raisons qui poussent un médecin à respecter le souhait de mourir d'un patient est à
rechercher dans son évaluation professionnelle de la situation (Kuitert, 1993). C'est sur cette
base qu'il lui est possible de comprendre le patient et d'accéder à sa demande. Un médecin
n'ampute jamais un membre parce qu'un patient le lui demande mais parce qu'il y a une
nécessité médicale. A cet égard une phrase du rapport de la Commission Remmelink (1991,
p.32) mérite d'être citée : [aussi bien dans le cas de l'interruption de la vie sur demande ou
sans demande] la justification ultime de l'acte est une souffrance intolérable". On peut même
penser que l'existence des critères de rigueur implique que le droit à l'autodétermination ne
peut pas être le seul fondement de l'euthanasie. Une des caractéristiques d'un droit est que
son exercice n'est pas subordonné à un contrôle : mes décisions sont valables non pas
parce qu'elles sont justes mais simplement parce que je les ai prises. Aucun critère
supplémentaire d'appréciation n'est requis. Au contraire dans le cas d'une demande
d'euthanasie, il existe des critères supplémentaires. Un médecin ne peut accepter une
demande d'euthanasie, même sérieuse et constante, que si les souffrances du patient sont
insupportables et sans perspectives d'amélioration. Le médecin ne peut donc en aucun cas
se limiter à l'invocation du droit à l'autodétermination du patient. On lui demande de porter un
jugement professionnel sur le caractère insupportable des souffrances du patient mais
surtout sur les perspectives d'amélioration des souffrances.
Selon moi, ce second cadre de référence décisionnel se caractérise par un double
fondement (les principes de liberté de choix et de charité) et par le fait qu'il implique un
jugement professionnel de la part du médecin. C'est pourquoi je parlerai ici de vision
médicalisée, sans que le terme "médicalisée" ne soit en rien péjoratif.
Si l'on observe la relation entre euthanasie et temps à partir de ce cadre médicalisé, force
est de constater que le facteur temps ne joue plus uniquement un rôle dans le jugement par
le médecin du caractère mûrement réfléchi de la demande du patient mais également lors de
l'appréciation professionnelle de la situation par le médecin. Il est possible que le médecin
estime que les souffrances du patient peuvent encore être traitées, c'est-à-dire qu'elles ne
sont pas encore sans perspective d'amélioration. Il dira alors à son patient que "ce n'est pas
encore le moment de parler d'euthanasie". Les études montrent d'ailleurs que c'est le motif
souvent invoqué par les médecins en pratique pour refuser une demande d'euthanasie
(Haverkate, 1991). Il peut également arriver qu'un traitement alternatif soit envisageable
mais le délai dans lequel il pourrait produire des effets est tellement long qu'il s'agit en fait
d'une solution déraisonnable. Il peut même arriver que le médecin estime que l'urgence de la
situation nécessite une intervention immédiate. En tout cas, la décision du médecin est
motivée par un jugement professionnel qui le conduit à penser que les souffrances du patient
ont atteint le seuil de l'intolérable et ne doivent donc pas être prolongées. Le protocole
d'euthanasie du Centre Universitaire Médical d'Utrecht exige en outre que le médecin prenne
sa décision dans les 24 heures. Quoi qu'il en soit, dans cette vision de l'euthanasie, le degré
de la souffrance du patient et l'impossibilité d'y remédier joue un rôle important. Il appartient
au médecin de porter un jugement professionnel sur ces facteurs et le facteur temps joue un
rôle indéniable dans ce processus.
Dans la conception médicalisée de l'euthanasie, le médecin doit non seulement porter un
jugement sur la souffrance mais également sur le moyen d'y mettre un terme : l'interruption
active de la vie. L'acte doit être proportionnel, c'est-à-dire qu'il doit y avoir un équilibre entre
les moyens choisis et le but. Le facteur temps joue une fois encore un rôle important dans
l'appréciation de cette proportionnalité. Il est possible que le médecin en soit venu à la
conclusion que le temps de l'euthanasie est passé. Imaginons le cas d'un patient dont les
souffrances ne justifient pas une intervention immédiate et à qui il reste si peu de temps à
vivre qu'une mort naturelle est prévue très rapidement. L'interruption active de la vie peut
dans ce cas paraître tout à fait disproportionnée. Une complication peut survenir du fait que
le patient ou sa famille comptaient sur l'interruption de la vie alors que le médecin juge qu'il y
a moins de raisons au vu de la nouvelle situation. Si le médecin s'était auparavant engagé
vis-à-vis du patient, il aura alors l'impression de manquer à sa parole en refusant
l'euthanasie alors même que d'après son jugement professionnel, cela n'est plus nécessaire.
Afin d'éviter ce genre de problèmes, il est souhaitable que les médecins aient une idée plus
claire du cadre médicalisé décisionnel et ne fassent pas des promesses qui leur retirent la
latitude de décision que ce cadre leur confère justement.
2. La fin de vie
Armé de l'analyse que nous avons faite au paragraphe précédent, nous pouvons désormais
nous intéresser de plus près à la notion de "fin de vie". Cette notion joue un rôle essentiel si
l'on estime que l'euthanasie doit rester limitée à une certaine période de la vie, à savoir celle
où la mort est imminente. Cette notion joue également un rôle important dans les débats sur
l'admissibilité de l'euthanasie au niveau international.
En passant, je viens de donner une description un peu plus précise de ce qu'est la fin de vie,
"une période où la mort est imminente". Bien sûr cela n'est pas suffisant et c'est pourquoi je
vais tenter de définir cette notion avant de commencer la discussion normative. Et de fait ce
n'est pas chose aisée car la notion est floue. Le Manuel des Soins Palliatifs emploie un
concept assez proche, celui de "phase terminale", dont il donne une définition : en phase
terminale, les signes de la mort sont visibles et inéluctables. En général, ajoute le manuel,
cela couvre une période de six semaines au maximum (Spreeuwenberg, 2002). Toujours
selon ce manuel, il s'agit de l'ultime étape de la phase palliative. En Grande-Bretagne, on
définit le terme "terminal illness" comme "an illness which is invevitably progressive (...) and
which will invevitably result in death within a few monthes at most
2
" (rapport de la Chambre
des Lords, cite in Keown, 1995 :100).
Il serait intéressant de pouvoir quelle est la pratique de l'euthanasie par rapport à cette
définition. Malheureusement, les rapports annuels des Commissions régionales de contrôle
de l'euthanasie ne nous fournissent pas de renseignements sur la mesure de l'abrégement
de la durée de la vie. Par contre nous disposons des données issues de trois grandes
études nationales réalisées autour de l'euthanasie et des autres décisions médicales autour
de la fin de vie (Van der Maas 1991, Van der Wal 1996, 2003). Dans chacune de ces études
on a demandé aux médecins participants de combien de temps leur décision a écourté la vie
du patient. Le tableau de la page suivante présente les résultats en pourcentage (emprunté
à Van der Wal, 1996, 2003).
2
Traduction : la "phase terminale" est "la maladie incurable (...) qui va inéluctablement entraîner la mort du
patient en quelques mois tout au plus".
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