Le Roi se meurt - Documents pour réviser le Bac de Français

Le Roi se meurt
1. Présentation
Publiée en 1962, la pièce Le Roi se meurt de Ionesco met en scène la déchéance et la mort d’un vieux
monarque acariâtre et refusant d’admettre comme perdu d’avance son combat contre la vieillesse. Dans un
palais les objets de pouvoir perdent de leur symbolique, serviteurs et conseillers ne semblent déjà
plus le considérer comme vivant, Ionesco nous montre comment la mort peut être appréhendée de
différentes manières.
2. Résumé
C'est en 1962 que Ionesco, qui s'est d’abord fait connaître grâce à son théâtre de l'absurde, compose Le
Roi se meurt. Dans un contexte de Guerre Froide et seulement quelques années après la Seconde Guerre
mondiale, le dramaturge rompt quelque peu avec l’image à laquelle il doit sa renommée pour produire un écrit
plus classique. À travers cette pièce il pose l'intemporelle question de la condition humaine, cette condition
de mortel propre à effrayer tout homme.
Les reines Marie et Marguerite doivent annoncer sa mort au roi Bérenger Ier, prédite et certifiée par le
médecin (qui est aussi astrologue, bactériologue, chirurgien et même bourreau). Les deux femmes sont
terriblement attristées par la nouvelle et appréhendent le moment venu. La mort n’apeure pourtant pas le
concerné pourtant conscient que c'est le sort réservé à tout être. Et bien que sa première femme
Marguerite, aidée du docteur, tente de lui faire entendre que ses heures sont comptées (« Tu vas mourir
dans une heure vingt-cinq minutes »), le roi est convaincu d'être en bonne santé. De plus, sa seconde femme,
follement amoureuse et dévouée, le fait espérer car elle désire le protéger. Mais lorsqu'il tente de prouver
sa suprématie, Bérenger se rend compte qu'il n'a plus aucun pouvoir sur quoi que ce soit : rien ni personne
n'obéit à ses ordres.
Petit à petit le roi réalise que son heure est venue, et entre ainsi dans un état de panique. Il implore qu'on
lui laisse encore le temps de réfléchir à sa mort, chose qu'il a toujours remise à plus tard. Il appelle à l'aide,
supplie : « Non. Je ne veux pas mourir. Je vous en prie, ne me laissez pas mourir. Soyez gentils, ne me
laissez pas mourir. Je ne veux pas. » Il ressemble à un enfant et en est presque grossier.
Marguerite, dont la lucidité et l'efficacité sont à la limite de la rigidité, s'attendait à une attitude digne de
la part de son mari et non à un spectacle ridicule. De son côté, Marie est prise de pitié et excuse le roi qui
réagit comme tout homme face à son destin (« Il pleure comme n'importe qui »). Elle est soutenue par
Juliette, femme de ménage et infirmière de la famille royale, qui n'hésite pas à donner son avis, même si son
avis est changeant. Cette scène déjà pathétique est commentée par le garde qui fait office de détente
comique.
Désormais Bérenger Ier est plein de regrets après une vie pourtant longue, et justifie ses actes passés
souvent blâmables. Il avoue ensuite rapidement qu'il est condamné mais c'est pour exiger qu'il ne soit
jamais oublié, qu'il soit le seul à avoir existé ; puis il doute de cette immortalité et continue de s'apitoyer
sur son sort. Il préfère vivre dans la souffrance que de ne pas vivre du tout.
Il a ensuite recours à la religion. S'ensuit un dialogue entre lui et Juliette qui lui narre ses dures journées,
mais le roi n'entend pas les complaintes de la femme car selon lui la vie est belle par définition : « On ne
peut pas vivre mal. C'est une contradiction. » Il parle déjà au passé avec tristesse et mélancolie, tel un
philosophe.
Marie pense pouvoir le sortir de son désespoir en lui parlant d'amour ; hélas il sombre peu à peu dans la
folie, le trouble. Sa seconde épouse lui déclare son immense affection, le garde énumère toutes les œuvres
du roi ces éloges semblent le ranger parmi les dieux vivants.
Le roi a soudain vieilli, on parle de lui comme s'il n'existait plus, on fait ses louanges. L'infirmière doit même
l’asseoir sur une chaise roulante et lui apporter une bouillotte.
Finalement, tout se met à disparaître progressivement ; Marie lutte mais son époux perd définitivement la
vue. Cependant il affirme tout « voir », et surtout lui-même. Il doit prendre conscience de ce qui l'entoure
pour l'effacer, et ainsi parvenir à partir.
Seule personne à rester près de lui, la reine Marguerite aide son mari à se libérer de ce dont il n'a pas
besoin pour mourir : il doit être lui-même sans quelconque artifice (« Cela t'égare encore, cela te
retarde. […] Marche tout seul, n'aie pas peur. Vas-y. ») Après une légère résistance, le roi Bérenger Ier
parvient à partir de lui-même, seul et sans tenir compte de ses souvenirs et sentiments.
Ionesco reprend donc l'idée que Montaigne avait exprimée quatre siècles plus tôt à travers la phrase
« Philosopher, c'est apprendre à mourir » c'est-à-dire se familiariser avec l'idée de la mort pour aspirer à
la vie.
Le Roi se meurt est aujourd'hui un classique car il s’agit d’une œuvre théâtrale métaphysique où l’auteur a su
mêler tragédie et comédie.
3. Présentation des Personnages
Le roi Bérenger Ier
Il est le personnage principal de la pièce. À la tête d’un empire qui dépérit en même temps que lui, le
monarque, trop âgé, n’en a plus que pour une heure et demie à vivre, le temps que va durer la pièce.
Présenté au début de la pièce comme refusant d’admettre sa mort prochaine, l’homme tente de conserver
une apparence souveraine et digne de son rang. En effet, c’est en grande pompe qu’on le voit tout d’abord
apparaître, vêtu d’un long manteau pourpre, paradant dans la salle du trône escorté par ses deux épouses. Le
monarque refuse obstinément de croire à la ruine de son royaume, qui va cependant de pair avec son état de
santé. Mis devant l’évidence du fait accompli, il demeure incapable de reconnaître son incapacité évidente à
gouverner et à maintenir à flot son domaine. L’entêtement le pousse même à renier le diagnostic des
médecins et des chercheurs qui lui affirment pourtant sa fin prochaine.
Le roi est donc représentatif d’un refus borné de mourir, d’une incapacité totale à accepter l’évidence
d’une mort due au grand âge et à sa dégénérescence. Il est donc le symbole puéril de celui qui ferme les
yeux face à un destin naturel, qui se produira en dépit de sa volonté. Sa confusion devant cette incapacité à
contrôler cet évènement se reflète dans ses paroles, lorsqu’il affirme qu’il ne mourra pas car il n’a pas
encore choisi sa fin :
« LE ROI : Je mourrai, oui, je mourrai. Dans quarante ans, dans cinquante ans, dans trois cents ans. Plus
tard. Quand je voudrai, quand j’aurai le temps, quand je déciderai. »
Ainsi, il devra accomplir une sorte de parcours initiatique pour finalement accepter cette mort, ne plus la
considérer comme une ennemie et s’en aller en paix.
Marie
Marie est la seconde épouse du roi, mais peut-être celle qu’il affectionne le plus. Coquette, aimant à se
parer de bijoux, elle est l’image même de la superficialité. renger Ier trouve un écho à son caractère
impétueux et puéril dans cette reine qui refuse également de croire à sa mort prochaine, et à la chute
parallèle du royaume. Ainsi, elle conforte le roi dans son isolement et dans son refus absurde consistant à
continuer de se croire en bonne santé, se pensant simplement le témoin d’une période un peu difficile
économiquement.
Marie est donc en constante rivalité avec les médecins et la première reine, qui lui apportent la preuve de
la décadence du roi. Cependant, elle continue d’apporter des arguments en faveur de celui-ci, justifiant tous
les maux dont les personnes plus réalistes accusent le royaume par d’autres facteurs le déresponsabilisant.
Elle a, de plus, une influence néfaste sur le roi. Refusant de le voir sombrer, elle tente avec acharnement
de le détourner de l’autre reine et de ses conseillers, considérant ceux-ci comme indignes de recevoir son
attention. Elle pense ainsi le maintenir dans un meilleur état que celui dans lequel les membres de la cour
affirment qu’il se trouve.
Marie est donc le symbole de la frivolité, de la superficialité face à la maladie du roi qui semble pour elle
n’être qu’un embêtement, aisément contournable si l’on se donne la peine de l’oublier. Ainsi, elle entretient la
maladie et l’obstination du roi plutôt qu’elle ne l’aide, et adopte le comportement de celle qui se voile la face
en tournant le dos au réel par son indifférence et sa désinvolture.
Marguerite
Marguerite est la première femme du roi, la véritable souveraine du royaume. Elle n’est pas cependant la
plus chérie : la dénomination que donne le garde à Marie, « première dans son cœur », ne s’applique qu’à elle
et elle seule, et n’inclut pas Marguerite dans ce titre.
Si l’affection du roi pour celle-ci est moindre, c’est sans doute du fait de la présence d’esprit et de la
lucidité dont fait preuve la première reine. Beaucoup moins apprêtée, moins portée sur l’apparence et ne
faisant pas fi de tout problème, Marguerite sait se confronter aux ennuis du royaume. Ainsi, lorsqu’elle
assiste à la décadence du roi, elle convoque à son chevet son médecin personnel, qui fait également office de
« chirurgien, bactériologue, bourreau et astrologue à la Cour ». Elle connaît donc les ressources dont le roi
dispose, sait comment utiliser les services mis à sa disposition, commande et règne sur le palais dans l’espoir
de redonner à celui-ci un peu de tenue. Elle s’attache à garder une image digne du royaume quand il
s’effondre, sans pour autant tomber dans une logique de maquillage et de paraître.
Ainsi, le roi refuse de l’écouter lorsqu’elle lui expose le désastre de la situation actuelle. Elle peut
paraître froide, cruelle, n’écoutant pas le désir du roi de vouloir demeurer encore un peu en vie. Cependant,
malgré ce manque apparent d’assistance, c’est en réalité un service qu’elle lui rend en ne lui laissant pas
bénéficier de la surprotection donnée par Marie. En effet, sa lucidité lui permet petit à petit d’aider le roi à
se résigner.
Ainsi, Marguerite incarne la raison, l’esprit cartésien. Malgré son manque de sentiments apparent, elle est
en fait une aide précieuse au roi et fait preuve de tempérance en sachant dissocier sentiments personnels
et raison d’État.
4. Axes de Lecture
La hantise de la mort
La pièce d’Ionesco a pour but de présenter les différents comportements humains face à la mort. En
effet, si les trois personnages que nous venons de présenter incarnent chacun une facette différente de ce
que l’on peut ressentir face à une mort certaine et imminente (refus obstiné pour le roi, contournement
désinvolte pour Marie, acceptation stoïque pour Marguerite), l’évolution même du personnage du roi est
intéressante à étudier en ce qu’elle rassemble, dans le même être, une réaction en chaîne qui justifie
l’omniprésente peur de la mort que Ionesco semble croire présente en chacun de nous.
« LE ROI : Il n’est pas naturel de mourir, puisqu’on ne veut pas. Je veux être. »
Le roi Bérenger passe par différentes étapes dans le cheminement qu’il parcourt jusqu’à la mort. Tout
d’abord, lorsque le diagnostic du médecin tombe, il se rebelle, se met en colère, vitupère contre son auteur.
L’émetteur du diagnostic est cependant un homme de confiance, mais cela ne suffit pas à calmer le roi : cet
homme de science affirme, par la connaissance et la raison que son métier lui confère, quelque chose sur
quoi le roi, même avec son statut tout-puissant, ne peut influencer. Cette rage dans laquelle il rentre traduit
un sentiment d’injustice et surtout d’impuissance face à cet évènement. La mort est quelque chose qui vole
au quotidien sa régularité, qui oblige à s’adapter, et cette notion n’est pas supportable pour le roi.
L’impuissance qu’il ressent, cette incapacité à contrôler sa situation, le sentiment que sa propre vie lui
échappe se traduisent donc premièrement par la colère qu’il éprouve, puis se transforment à la fin de la
pièce en une crainte primitive de l’homme face à son destin.
« LE ROI : Ô Soleil, aide-moi, soleil, chasse l’ombre, empêche la nuit. Soleil, soleil, éclaire toutes les
tombes, entre dans tous les coins sombres et trous et les recoins, pénètre en moi. Ah ! Mes pieds
commencent à refroidir, viens me réchauffer, que tu entres dans mon corps »
La conséquence de l’impuissance se manifeste ici par le comportement du roi qui s’effraie de ce qu’il ne
peut contrôler. Le désir de dominer les évènements traduit en effet une peur constante de l’inconnu, du
néant qui peut se trouver derrière ce que l’on n’a pas prévu, dans ce qui se trouve hors du cadre de notre
action.
Ainsi, en reconnaissant que nous sommes impuissants face à la mort, nous nous livrons à la volonté de
quelque chose qui nous dépasse en courant le risque que ceci nous plonge dans un inconnu dont nul ne peut
prédire la nature.
« LE ROI : Des milliards de morts. Ils multiplient mon angoisse. Je suis leurs agonies. Ma mort est
innombrable. Tant d’univers s’éteignent en moi. »
Ionesco, par le biais du combat émotionnel qui se livre en le roi Bérenger, nous montre ainsi le chemin qu’il
est nécessaire de parcourir afin de justifier cette peur de la mort que nous ressentons tous. Une fois ce
chemin analysé, nous nous rendons donc compte qu’il a pour source la peur et le désir de contrôler notre vie.
Pour en échapper, il faut donc rendre au hasard ce qui lui appartient, en admettant que la mort ne dépend
pas de nous. L’auteur semble donc nous livrer les utopiques clés de la guérison d’une obsession si présente en
chacun.
Le mélange des genres
Le théâtre d’Ionesco se caractérise par son originalité, sa verve, son dynamisme, et surtout sa capacité à
se rendre inclassable en épousant divers genres théâtraux.
Le Roi se meurt présente une dose évidente d’éléments empruntés au théâtre antique. En effet, la pièce
respecte l’unité de temps en conservant l’heure et demie restante accordée au roi comme durée réelle de la
pièce. Le découpage de la pièce est d’ailleurs révélateur : il n’y a ni scènes, ni actes pour interrompre la
chronologie de l’œuvre. Toute la pièce se déroule comme focalisée sur son point final, qui survient à la fin de
l’heure et demie avec la mort du roi et la destruction permanente du décor, signalant la dégradation mentale
et physique de celui-ci.
Les costumes, pompeux, riches, sont une référence de plus au théâtre antique tragique, et l’association
entre le roi en tant qu’individu et son royaume défaillant, lien indéfectible, n’est pas sans rappeler le
souverain des pièces jouées auparavant à l’Odéon. En effet, en la personne du monarque s’incarne le royaume
tout entier, et sa dégénérescence va de pair avec l’abandon de celui-ci.
« Le Roi, d’un pas assez vif, manteau de pourpre, couronne sur la tête, sceptre en main, traverse le
plateau en entrant par la petite porte de gauche et sort par la porte de droite au fond. »
Cependant, si l’unité de temps est respectée, cela ne suffit pas pour qualifier la pièce de tragédie. En
effet, le genre exclut totalement le mélange de divers registres ; or, le tragique ici succède au burlesque,
l’œuvre de Ionesco est en tout point destinée à faire rire au milieu de la fatalité, par une succession de
scènes improbables visant le décalage entre action produite et réaction des personnages.
En effet, le roi ne peut être pris au sérieux lorsque dans la première scène il se présente dans la salle du
trône suivi de son maigre cortège : ses deux femmes et pour seule cour sa femme de chambre et un garde.
Pendant que le héraut tente de sauver les apparences en décrivant les personnes arrivant de manière
pompeuse, la reine Marguerite, elle, se récrie contre la poussière et les mégots qui tapissent le sol,
éléments plutôt anachroniques dans un tel décor de royauté :
« MARGUERITE, à Juliette, en regardant autour d’elle : Il y a de la poussière. Et des mégots par terre.
JULIETTE : Je viens de l’étable, pour traire la vache, Majesté. Elle n’a presque plus de lait. Je n’ai pas eu le
temps de nettoyer le living-room.
MARGUERITE : Ceci n’est pas un living-room. C’est la salle du trône. Combien de fois dois-je te le dire ?
JULIETTE : Bon, la salle du trône, si sa Majesté le veut. Je n’ai pas eu le temps de nettoyer le living-room. »
Le décalage se poursuit à travers la personne du garde et de la femme de chambre qui ne se font plus
d’illusions quant à la nature du pouvoir souverain : il ne s’agit plus que d’une vaste supercherie, Juliette
nommant « living-room » une salle du trône miteuse, et le garde se plaignant du chauffage qui ne fonctionne
plus mais se désintéressant totalement du fauteuil royal qui tombe en ruine.
Ainsi la pièce est-elle construite sur un jeu de contrastes et de décalage permanent entre situation
tragique et protagonistes burlesques. Si cette étrangeté prête à rire, elle est également porteuse de
confusion, et laisse le spectateur dans un climat de perpétuelle remise en question, de doute et d’instabilité.
L’influence du théâtre de l’absurde
L’absurde se définit comme étant l’insensé, le déraisonnable, ce qui ne poursuit ni ne recherche aucun but.
Par « théâtre de l’absurde », on entend la mise en scène de personnages perdus dans un monde dont ils ne
reconnaissent pas le sens, les frontières, et qui demeurent en perpétuelle recherche d’un objectif, de
valeurs que bien souvent ils ignorent.
« LE GARDE : Le ciel est ouvert, les nuages n’ont pas l’air de vouloir se dissiper facilement. Le Soleil est
en retard. J’ai pourtant entendu le Roi lui donner l’ordre d’apparaître.
MARGUERITE : Tiens ! Le soleil n’écoute déjà plus. »
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