pièce. Le découpage de la pièce est d’ailleurs révélateur : il n’y a ni scènes, ni actes pour interrompre la
chronologie de l’œuvre. Toute la pièce se déroule comme focalisée sur son point final, qui survient à la fin de
l’heure et demie avec la mort du roi et la destruction permanente du décor, signalant la dégradation mentale
et physique de celui-ci.
Les costumes, pompeux, riches, sont une référence de plus au théâtre antique tragique, et l’association
entre le roi en tant qu’individu et son royaume défaillant, lien indéfectible, n’est pas sans rappeler le
souverain des pièces jouées auparavant à l’Odéon. En effet, en la personne du monarque s’incarne le royaume
tout entier, et sa dégénérescence va de pair avec l’abandon de celui-ci.
« Le Roi, d’un pas assez vif, manteau de pourpre, couronne sur la tête, sceptre en main, traverse le
plateau en entrant par la petite porte de gauche et sort par la porte de droite au fond. »
Cependant, si l’unité de temps est respectée, cela ne suffit pas pour qualifier la pièce de tragédie. En
effet, le genre exclut totalement le mélange de divers registres ; or, le tragique ici succède au burlesque,
l’œuvre de Ionesco est en tout point destinée à faire rire au milieu de la fatalité, par une succession de
scènes improbables visant le décalage entre action produite et réaction des personnages.
En effet, le roi ne peut être pris au sérieux lorsque dans la première scène il se présente dans la salle du
trône suivi de son maigre cortège : ses deux femmes et pour seule cour sa femme de chambre et un garde.
Pendant que le héraut tente de sauver les apparences en décrivant les personnes arrivant de manière
pompeuse, la reine Marguerite, elle, se récrie contre la poussière et les mégots qui tapissent le sol,
éléments plutôt anachroniques dans un tel décor de royauté :
« MARGUERITE, à Juliette, en regardant autour d’elle : Il y a de la poussière. Et des mégots par terre.
JULIETTE : Je viens de l’étable, pour traire la vache, Majesté. Elle n’a presque plus de lait. Je n’ai pas eu le
temps de nettoyer le living-room.
MARGUERITE : Ceci n’est pas un living-room. C’est la salle du trône. Combien de fois dois-je te le dire ?
JULIETTE : Bon, la salle du trône, si sa Majesté le veut. Je n’ai pas eu le temps de nettoyer le living-room. »
Le décalage se poursuit à travers la personne du garde et de la femme de chambre qui ne se font plus
d’illusions quant à la nature du pouvoir souverain : il ne s’agit plus que d’une vaste supercherie, Juliette
nommant « living-room » une salle du trône miteuse, et le garde se plaignant du chauffage qui ne fonctionne
plus mais se désintéressant totalement du fauteuil royal qui tombe en ruine.
Ainsi la pièce est-elle construite sur un jeu de contrastes et de décalage permanent entre situation
tragique et protagonistes burlesques. Si cette étrangeté prête à rire, elle est également porteuse de
confusion, et laisse le spectateur dans un climat de perpétuelle remise en question, de doute et d’instabilité.
L’influence du théâtre de l’absurde
L’absurde se définit comme étant l’insensé, le déraisonnable, ce qui ne poursuit ni ne recherche aucun but.
Par « théâtre de l’absurde », on entend la mise en scène de personnages perdus dans un monde dont ils ne
reconnaissent pas le sens, les frontières, et qui demeurent en perpétuelle recherche d’un objectif, de
valeurs que bien souvent ils ignorent.
« LE GARDE : Le ciel est ouvert, les nuages n’ont pas l’air de vouloir se dissiper facilement. Le Soleil est
en retard. J’ai pourtant entendu le Roi lui donner l’ordre d’apparaître.
MARGUERITE : Tiens ! Le soleil n’écoute déjà plus. »