À la recherche d’une théorie de Tout ou Les physiciens en quête du GRAAL « Ce qui est incompréhensible, c’est que l’Univers soit compréhensible » Albert Einstein prix Nobel de Physique 1921 « Je pense que nous ne parviendrons jamais à expliquer les principes fondamentaux de la Science » Steven Weinberg prix Nobel de Physique 1979 Depuis qu’une étincelle d’intelligence a jailli dans le cerveau du genre Homo, ce dernier n’a jamais cessé de vouloir comprendre le monde qui l’entoure. Les explications qu’Il s’est donné ont varié à mesure que les observations s’accumulaient. Pour tenter de se faire une idée très simplificatrice de cette évolution au cours des millénaires, on pourra retenir les grandes étapes suivantes : la période naïve ou magique de l’Homme préhistorique qui associait un esprit à tous les objets: par ex. l’esprit soleil, l’esprit lune, ou l’esprit fleur... la période mythique ou religieuse avec une description qui s’est faite plus complexe: par ex. les univers babylonien ou égyptien ou chinois ... la période rationnelle ou scientifique engendrée principalement par la pensée grecque selon laquelle la raison humaine doit être capable d’appréhender les lois naturelles. Cette dernière approche qui est la notre aujourd’hui, s’est considérablement développée, enrichissant savoir et connaissance et engendrant aussi des applications dans toutes sortes de domaines. Ainsi la Science est devenue une reine au point que rien ne semble plus devoir lui résister. Grisé par les conquêtes éblouissantes de cette fin du millénaire, l’Homme n’ambitionne pas moins que de bâtir une théorie à partir de laquelle tout ce que recèle l’Univers et l’Univers lui-même, pourraient s’expliquer de façon logico-déductive. Ainsi, Stephen Hawking n’a t-il pas hésité à intituler sa lecture inaugurale à la chaire de Newton à Cambridge: « A-t-on en vue la fin de la Physique théorique ? » Cette théorie a été baptisée Théorie du Tout, expression inventée dans les années 60 par un écrivain polonais du nom de Stalisnas Lem qui marquait ainsi son scepticisme. Depuis, les théoriciens font des efforts gigantesques pour y parvenir, convaincus pour certains que l’objectif est à portée. Et pourtant.....!! Les points faibles des théories récentes Durant le siècle dernier, la Physique théorique et expérimentale a connu des développements spectaculaires . Trois grandes théories ont constitué des percées majeures: La théorie de la relativité restreinte (1905) puis généralisée (1915) C’est l’oeuvre d’Albert Einstein. Ses principales conclusions sont les suivantes : pour la version « restreinte » : * L’espace et le temps ne sont plus des grandeurs absolues et indépendantes comme le supposait implicitement Newton; ils sont liés et dépendent du mouvement * La scène de la physique est ainsi un espace-temps dynamique à 4 dimensions. . * Il y a équivalence entre la masse et l’énergie : E = mc2 selon la formule bien connue. pour la version « généralisée » : * Le champ gravitationnel, créé par une masse, déforme l’espace-temps à son voisinage : il y a courbure de l’espace et ralentissement du temps. * La trajectoire de rayons lumineux dans cet espace courbé est une géodésique (ou chemin le plus court, équivalent à la droite dans un espace plan). Voir figure ci-contre. * la courbure et la matière (ou l’énergie) sont reliées par des équations, dites équations d’Einstein, qui sont à la base de la cosmologie contemporaine. · Points faibles : * La relativité ne prend en compte que la force de gravité. Elle ignore les autres forces fondamentales qui agissent dans la Nature (voir ci-dessous). * Elle cesse d’être valable en deçà de ce qu’on appelle le mur de Planck,soit 10-43 sec après le Big Bang, là où la température est gigantesque, 1032 °K, mur qui se dresse donc pour nous barrer le chemin vers la connaissance de l’origine de l’Univers. La mécanique quantique C’est une oeuvre collective développée aux alentours des années 1920 par Niels Bohr (Copenhague), Werner Heisenberg (Munich), Paul Dirac (Cambridge), Erwin Schrodinger(Zurich)...C’est une théorie du monde subatomique dont les points importants, déroutants pour notre bon sens, sont les suivants : * Une particule possède une double nature: elle peut être à la fois onde et corpuscule: c’est la dualité onde-corpuscule énoncée pour la première fois par le Français Louis de Broglie. * La localisation spatiale d’une particule est de nature probabiliste. * On ne peut connaître simultanèment avec la plus grande précision souhaitée deux grandeurs caractéristiques d’une particule, par ex. sa position et sa vitesse: ce sont les relations d’incertitude d’Heisenberg. Point faible : La mécanique quantique prend en compte les forces fondamentales, sauf la gravité. La physique des particules Eucippe et son disciple Démocrite ont été les premiers à suggérer au IV e siècle av. J.-C. que la matière pouvait être décomposée en atomes (du grec a-tomos: qu’on ne peut briser). Depuis, le zoo des particules s’est considérablement enrichi. Elles sont classées en groupes et familles au sein d’un modèle dit standard. Pour ne citer que l’essentiel de cette classification, nous mentionnerons : * le groupe des fermions (en souvenir du physicien italien Enrico Fermi, père de la première pile atomique) comportant notamment les électrons et les quarks qui sont les constituants ultimes de la matière observés expérimentalement. Par ex: le noyau le plus simple, celui de l’hydrogène ou proton, est constitué de 3 quarks. * le groupe des bosons (en souvenir du physicien indien S.Bose et de ses contributions à la théorie quantique). Ces particules ont un statut spécial: ce sont des particules d’échange, on dit aussi messagères, car le modèle suppose que c’est par leur intermédiaire que s’exercent les forces d’interaction entre les particules de matière , ces forces étant au nombre de 4 : deux forces intranucléaires dites faible (qui gouverne la radioactivité), forte (qui lie les quarks entre eux), la force électromagnétique (qui se manifeste sous la forme de l’électricité, du magnétisme et des ondes en général), et la force de gravitation (qui s’exerce à l’échelle de l’univers). Interactions et bosons messagers F.électromagnétique Interaction faible Interaction forte photon bosons W±, Z0 gluons portée infinie, avec la distance portée 10-16cm portée 10-13 cm, avec la distance Gravitation graviton ? portée infinie, avec la distance Point faible * Il y en a plusieurs mais pour rester simples, nous n’en citerons qu’un: on ne comprend pas pourquoi les particules ont une masse ni pourquoi telle particule a telle masse. Il y a bien un mécanisme qui a été suggéré par l’Écossais Peter Higgs en 1963 mais ce mécanisme met en jeu un boson particulier , le boson de Higgs qui n’a pas encore été observé; c’est l’un des premiers objectifs du LHC (Large Hadron Collider) du CERN qui doit être mis en service en 2007. * Plus généralement les théories précédentes ont un point faible commun: c’est qu ’elles utilisent des paramètres dans les lois qu’elles expriment mais elles sont incapables de prédire la valeur de certains de ces paramètres, qui n’est obtenue que par l’expérience : par ex. la masse et la charge de l’électron, la constante de gravitation etc... il y en a en tout une quinzaine. En conclusion, on voit que ces constructions merveilleuses, dotées d’une capacité d’explication et de prévision extrêmement puissantes, ne sont en définitive pas entièrement satisfaisantes : * d’une part, elles ne sont pas auto-suffisantes c’est à dire qu’elles ont besoin de données empiriques. * d’autre part, deux d’entre elles sont incompatibles quant à leurs domaines d’application et à leurs fondements : - la relativité ne prend en compte que la force de gravité, est déterministe et s’applique aux grandes échelles d’espace. - la mécanique quantique ignore la force de gravité, est indéterministe et constitue la physique du microcosme. Vers la théorie de tout Pour tenter de concilier ces multiples aspects, les physiciens ont un « fil rouge »: ils recherchent des principes plus fondamentaux , plus organisationnels, sous-jacents aux différents modèles qui en découlent alors logiquement. C’est ainsi que se construit l’édifice scientifique par une sorte d’unification de plus en plus profonde: par ex. la loi de la gravitation universelle que Newton publia en 1687 est le premier grand exemple d’unification de phénomènes différents (la pesanteur et le mouvement des astres), exprimés par des lois différentes et qui, en fait, sont les deux facettes d’une même interaction. La supersymétrie Les 3 interactions fondamentales dont nous avons parlé, hors la gravitation, sont décrites dans le modèle standard d’une façon très similaire, de sorte qu’il est vraisemblable qu’elles puissent, elles aussi, être unifiées: les calculs montrent qu’elles convergent à très haute énergie, vers 1015 Gev, soit 1028 °K (le Gev est une unité des atomistes qui vaut environ 1013°K). Cette conviction s’appuie aussi sur le succès obtenu par les Américains Sheldon Glashow et Steven Weinberg (de l’Université Harvard) et le Pakistanais Abdus Salam (de l’Imperial College de Londres) qui développèrent entre 1961 et 1967 la théorie dite « électrofaible » qui unifie la force électromagnétique et la force faible en une seule force, la force électrofaible, lorsque la température est de 1015 °K. Au début des années 70, les théoriciens réalisèrent qu’un nouveau principe fondamental pouvait exister: en vertu de ce principe, les particules devaient s’associer par paires de sorte que les particules de matière (les fermions) et les particules d’interaction (les bosons) s’appariaient. On nomma ce principe « supersymétrie ». Chaque particule aurait une partenaire supersymétrique que l’on désigna naturellement par le vocable de « sparticule »: ainsi le sélectron pour l’électron, le squark pour le quark, le photino pour le photon, le gluino pour le gluon, etc. À première vue, la supersymétrie semblait compliquer les choses car elle requiert toute une série de nouvelles particules dans un zoo déjà bien encombré. Mais Glashow et Howard Georgi (de Harvard) n’hésitèrent pas à transposer cette notion dans un domaine d’énergie (ou, ce qui revient au même, de température) supérieur de plusieurs ordres de grandeur avec ce que l’on avait exploré jusque là et, avec Weinberg et Quinn, ils prouvèrent qu’en associant la supersymétrie au modèle standard, on parvenait à expliquer la convergence des 3 forces non gravitationnelles ; cette convergence a été baptisée grande unification (GUT). Mais il faut souligner qu’à ce jour, aucune sparticule n’a été observée (c’est aussi un des objectifs du LHC) et que nous ne savons pas si la supersymétrie est vraiment une propriété de notre Univers. Cordes et Supercordes C’est aussi au début des années 70 qu’apparut un nouveau concept selon lequel les particules élémentaires, considérées jusque là comme ponctuelles, pouvaient être constituées d’éléments encore plus fondamentaux. L’idée germa d’abord à propos des gluons de l’interaction forte, sur la base des travaux d’un jeune théoricien du CERN, Gabriele Veneziano, qui conduisirent à modéliser ces derniers par des cordes - des sortes d’élastiques - qui liaient les quarks entre eux, les empêchant d’être libres. À l’instar des cordes d’un violon qui émettent des sons en vibrant, les « cordes de Veneziano » sont aussi des cordes vibrantes qui ont alors été généralisées hardiment à toutes les particules élémentaires : chaque particule est maintenant une corde dont les vibrations en amplitude et en fréquence déterminent ses propriétés. Ces cordes sont infinitésimales, leur longueur est égale à la longueur dite de Planck, soit 10-33 cm, ce qui explique que les particules nous apparaissent ponctuelles. Les différentes particules élémentaires sont ainsi les « notes » d’une corde fondamentale et l’Univers qui est composé d’une infinité de ces cordes, apparaît comme une véritable « symphonie cosmique de cordes ». Que nous apporte cette nouvelle vision de l’infiniment petit? 1. Du fait que les cordes constituent « l’étoffe » de l’Univers, toutes les particules, qu’il s’agisse de la matière (fermions), ou des forces (bosons), procèdent du même principe fondamental, ce qui constitue un principe unificateur fabuleux. La nouvelle théorie incorpore donc la supersymétrie et les cordes deviennent ainsi des supercordes. 2. Un des modes vibratoires s’apparente au graviton : la théorie apparaît donc capable de concilier la théorie de la gravitation (la relativité généralisée) et la théorie quantique, ce qui, nous l’avons souligné, constitue la pierre d’achoppement de la physique actuelle. 3. Au voisinage du mur de Planck, la gravité a une intensité comparable aux 3 autres forces, ce qui fait penser qu’elle pourrait être unifiée avec celles-ci en une superforce. C’est bien ce que semblent indiquer des calculs récents. La théorie s’exprime dans un cadre spatio-temporel à 10 dimensions (9 dimensions d’espace et 1 de temps), à rapprocher des 3 dimensions d’espace qui nous sont familières (« avant-arrière »,« droite-gauche », « haut-bas »); les 6 dimensions d’espace supplémentaires sont des dimensions « cachées » de longueur égale à la longueur de Planck, qui ne se sont pas déployées et demeurent enroulées sur elles mêmes. De telles hypothèses sont, il faut bien en convenir, tout à fait déroutantes mais elles permettent de fournir une interprétation cohérente à beaucoup de faits observés. Nous n’irons pas plus loin afin de ne pas tomber dans l’ésotérisme. Qu’il nous suffise seulement de souligner que du fait de l’hypothèse de départ selon laquelle toute la matière qui compose notre monde ainsi que toutes les forces qui agissent sur elle résultent d’un unique principe fondamental, il parait naturel que nous pensions tenir là l’explication ultime. C’est ce pas que certains théoriciens n’ont pas hésité à franchir Mais il est aussi légitime de dire que beaucoup d’autres ne partagent pas cet optimisme : 1. La théorie des cordes, en effet, est loin d’être achevée : il en existe actuellement 5 versions dont chacune a son domaine d’application. Les spécialistes pensent qu’elles seraient englobées dans une théorie plus générale baptisée Théorie M (pour Mystérieux !) qui reste à construire. 2. Elle ne permet pas de déduire les caractéristiques particulières de notre monde, ou plutôt elle propose une multitude de solutions ; il faut alors faire des hypothèses « ad-hoc » pour orienter le choix, ce qui n’est pas très satisfaisant. 3. Depuis la proposition de Veneziano, elle a été bâtie morceau par morceau, découverte aprés découverte, mais un principe organisationnel central qui engloberait toutes ces découvertes dans un cadre souverain , manque toujours. Ce principe qui rendrait peut-être la théorie inévitable, existe-t-il ? Est-ce la théorie M ? Personne n’en sait rien. Réflexions autour d’un théorème Le rapide parcours que nous venons d’effectuer, laisse l’impression que beaucoup de chemin reste à parcourir pour parvenir à une théorie ultime. On peut, à juste titre, se demander si on y parviendra jamais .Vis à vis de cette question essentielle, il ne parait pas anormal de porter au débat quelques considérations qui ne sont pas de physique pure. Le théorème de GÖDEL ou théorème d’incomplétude En 1931, Kurt Gödel, logicien autrichien, a démontré un célèbre théorème selon lequel « dans un système aussi logiquement structuré que les mathématiques, il existe des propositions indécidables, c’est à dire que l’on ne peut déclarer ni vraies, ni fausses ». Une autre énoncé de ce théorème stipule « qu’il existe des propositions que les mathématiciens humains savent être vraies et que, pourtant, aucune procédure de calcul ne pourra jamais démontrer ». Le théorème constitue une application aux mathématiques des paradoxes engendrés lorsque on veut prouver une proposition qui se réfère à elle même, ce qu’on appelle les systèmes auto-référentiels. Pour comprendre ce que cela veut dire, considérons la proposition suivante: « Cette affirmation est un mensonge. » Si l’affirmation est vraie, elle est donc fausse ; en revanche, si elle est fausse, elle est vraie. Il est impossible de décider. Considérons maintenant cette expérience : admettons qu’il existe un ordinateur infaillible, muni d’un programme qui répond VRAI ou FAUX à une affirmation qu’on lui donne (c’est théoriquement possible).On lui soumet alors la proposition suivante: « La machine ne répondra jamais VRAI à cette phrase ». Que fait la machine ? si elle répond vrai, elle déclare que la proposition est une affirmation vraie, ce qui n’est pas le cas puisque elle vient justement de répondre vrai, c’est à dire le contraire .Comme la machine est infaillible, elle ne peut donc pas répondre VRAI. si elle répond faux, elle déclare que la proposition est une affirmation fausse (c’est à dire que la machine répondra vrai), ce qui n’est pas le cas puisqu’elle vient justement de répondre faux. Comme elle est infaillible, elle ne peut donc pas répondre FAUX. En conclusion, elle ne peut rien démontrer. Mais nous, nous pouvons répondre, car puisque la proposition indique qu’elle ne peut pas répondre vrai et que la machine ne répond pas vrai, nous pouvons en déduire que la proposition est effectivement VRAIE. Conséquences du théorème Le théorème de Gödel a eu des effets dévastateurs car il démontrait de façon irréfutable que tout n’est pas possible en mathématiques, même en principe. Il en est de même dans le domaine des sciences : les mathématiques constituent en effet le langage permettant d’exprimer les lois de la Nature. Pourquoi il en est ainsi est un des grands mystères de l’Univers que le physicien Eugène Wigner a souligné lorsqu’il a parlé de « l’efficacité déraisonnable des mathématiques dans les sciences naturelles ». Dès lors qu’il y a des propositions indémontrables en mathématiques, il y aura inévitablement des propositions indémontrables en physique, autrement dit, la chaîne de raisonnement fondant nos théories sera immanquablement affectée soit par des incohérences, soit par des incomplétudes. A propos des lois scientifiques La démarche scientifique s’appuie, pour expliquer un phénomène sur des lois exprimées sous forme mathématique auxquelles elle applique des conditions initiales. Par exemple, pour déterminer la trajectoire d’un obus et son point d’impact, les artilleurs utilisent la loi fondamentale de la dynamique de Newton (F=mγ) et les conditions initiales que sont l’angle de tir sur l’horizontale et la vitesse initiale de l’obus. Mais le pouvoir explicatif des lois repose sur certaines hypothèses. Elles sont supposées être : - universelles, c’est à dire qu’elles s’appliquent à tout l’Univers ; - éternelles, c’est à dire qu’elles sont indépendantes du temps ; - omnipotentes, c’est à dire que rien n’échappe à leur pouvoir ; - absolues, c’est à dire qu’elles ne dépendent ni de l’observateur ni de l’état du monde. On peut remarquer que ces qualités sont précisément celles que l’on attribue généralement à Dieu. Ce statut pose un problème: les mathématiques sont fondées sur un ensemble d’axiomes, c’est à dire de propositions premières admises sans démonstration, les théorèmes se déduisant par raisonnement logique à l’intérieur de ce système d’axiomes. Ce n’est pas le cas des axiomes qui ne peuvent être justifiés que de l’extérieur : ainsi par exemple, les axiomes d’Euclide qui sont à la base de la géométrie, ne peuvent s’expliquer par les théorèmes de la dite géométrie. Il en est de même pour les lois physiques fondamentales qui ne sont pas explicables de l’intérieur du système de l’Univers dont elles font partie (ainsi que nous-mêmes). En outre, les lois n’étant sûrement pas des inventions subtiles de scientifiques car très souvent elles débordent largement leur objectif initial d’explication d’un fait particulier en permettant des découvertes inattendues, elles semblent bien avoir une existence transcendante, quelque soit la définition que l’on veuille donner à ce mot. Les conditions initiales cosmiques, c’est-à-dire celles qui ont engendré notre univers, posent également le même problème, doublé du fait qu’elles doivent avoir été d’une précision époustouflante pour expliquer l’Univers tel que nous l’observons et pour permettre à la Vie d’apparaître sur notre planète. Remarque : L’idée de lois et de conditions initiales transcendantes est la version moderne du royaume éternel et immuable des Formes parfaites de Platon qui servait de modèle au Démiurge pour la construction du monde de nos perceptions. Esquisse d’un bilan La théorie des cordes a fait l’objet depuis une trentaine d’années d’un travail considérable. L’hypothèse sur laquelle elle est bâtie constitue une marche supplémentaire vers une unification encore plus fondamentale. Les physiciens ont un autre mot pour exprimer cette idée: ils parlent de symétrie sous jacente, c’est à dire que les propriétés d’un système ne changent pas lorsqu’on lui fait subir certaines transformations: par ex. l’eau liquide possède la symétrie de rotation car tous les points du liquide sont équivalents dans toutes les directions, ce qui n’est pas le cas d’un cristal de glace; ainsi, en faisant fondre de la glace, on obtient de l’eau qui présente une symétrie nouvelle, plus élevée. De même, l’unification de toutes les interactions fondamentales en une seule superforce offre le plus haut degré de symétrie possible. Une des leçons magistrales du siècle passé est que les lois de la physique sont associées à ces principes de symétrie. La théorie des cordes permet de rendre compte de tous les principes de symétrie associés aux forces fondamentales, ainsi que d’un nouveau, la supersymétrie, associée à toutes les particules. De ce point de vue, elle peut apparaître comme un pas essentiel vers la fameuse théorie du Tout . Mais à l’horizon, de nombreux nuages noirs sont présents: La théorie est loin d’être achevée et présente des versions multiples. Complexe et abstraite, elle nécessite un outil mathématique difficile. Les cordes ne sont pas non plus les seuls objets fondamentaux pris en compte : on introduit aussi des objets plus complexes appelés p-branes : ainsi une corde (monodimensionnelle) est une 1-brane, une membrane(bidimensionnelle) est une 2-brane, une goutte (tridimensionnelle) est une 3-brane etc... Aux énergies extrêmes auxquelles la théorie s’applique , il n’y a aucune possibilité de test direct. En revanche, des expériences sont envisagées pour mesurer des conséquences indirectes: par ex. d’éventuelles superpartenaires auprès du futur LHC. Enfin, comme on l’a vu, de très sérieux problèmes de logique se posent. Le lecteur parvenu au terme de cet article est sûrement perplexe. Qu’il soit rassuré car la communauté scientifique est également divisée . Comme c’est souvent le cas dans un débat d’importance, il y a les défenseurs et les détracteurs, en l’occurrence les procordistes et les anti-cordistes. C’est pourquoi j’ai pensé intéressant de terminer en citant les observations de quelques éminents spécialistes: Edward Witten (Princeton) : « J’ai l’impression que nous sommes si près du but avec la théorie des cordes, que, dans mes plus grands moments d’optimisme, je me dis que d’un jour à l’autre, la forme finale de la théorie pourrait tomber du ciel dans les mains de quelqu’un.[...] D’ici à quelques années, quand le XXIe siècle sera bien avancé et que je serai trop vieux pour avoir des choses intéressantes à dire sur le sujet, des physiciens plus jeunes décideront si nous avons ou non trouvé la théorie ultime. » Brian Greene (Columbia University) : « A mesure que notre entendement des propriétés de la théorie des cordes / théorie M avancera, nos capacités à sonder les implications de cette candidate au rang de théorie ultime, s’affineront peu à peu. Évidemment il est fort possible que de telles études démontrent qu’il existe une limite à l ’explication scientifique, mais il est également possible que cela marque le début d’une ère où l’on affirmera avoir finalement découvert l’explication fondamentale de l’Univers. » Steven Weinberg (prix Nobel cité en exergue) : « Je pense que nous finirons par aboutir à un ensemble de lois universelles simples, des lois que nous ne pourrons pas expliquer. » Stephen Hawking (Cambridge, également cité au début) : après avoir pronostiqué l’aboutissement prochain d’une théorie ultime, il est revenu sur sa conviction première: « J’ai changé de position. Je suis maintenant heureux que notre recherche pour comprendre ne se termine jamais ». Russel Stannard (Open University-GB) : « Une véritable théorie du Tout doit expliquer comment notre univers a vu le jour, mais encore pourquoi il est le seul type d’univers qui aurait pu exister, pourquoi il ne pouvait y avoir qu’un ensemble de lois physiques. Je crois cet objectif illusoire. Ce manque inhérent, inévitable, de complétude doit se refléter dans le système mathématique qui modèle notre univers quel qu’il soit. En tant que créatures appartenant au monde physique, nous ferons partie intégrante de ce modèle. Il s’ensuit que nous ne serons jamais à même de justifier le choix d’axiomes dans le modèle et en conséquence, les lois physiques auxquelles correspondent ces axiomes. Nous ne serons pas plus à même de justifier toutes les propositions qui peuvent être faites sur l’Univers ». Pierre LAHARRAGUE Juillet 2006