1
LA SOLIDARITE TERRITORIALE ENTRE LA FLANDRE ET LA
WALLONIE : les fondements économiques, politiques et culturels de la
problématique.
.
Professeur Michel Quévit
Université Catholique de Louvain-la-Neuve ( UCL)
2
Abstract :
Comment ont évolué depuis la création de l’Etat belge jusqu’à ce jour, les relations de solidarité économique et
financière entre les deux Régions les plus importante du pays ? Par une approche interdisciplinaire qui allie la
démarche historique, les apports de la science politique et de l’économie, cet article tente de clarifier un des
enjeux cruciaux du conflit communautaire belge. L’analyse des principaux dossiers d’intervention de l’Etat
dans le domaine économique donne un éclairage novateur sur les rapports de solidarité entre les deux entités
régionales: la Wallonie, qui a été une région industrielle particulièrement prospère durant plus d’un siècle a
contribué à la richesse de la Belgique et à l’essor économique de la Flandre. Toutefois, comme toutes les
régions européennes de tradition industrielle (RETI), la Wallonie a été confrontée à la crise particulièrement
grave de la sidérurgie européenne des années 1960. C’est alors que le rapport de forces économiques entre les
deux Régions a basculé et que la Wallonie aurait du compter sur la solidarité de la Flandre. L’analyse tente de
mettre en évidence les déterminants économiques, politiques et culturels qui ont sous-tendu cette évolution.
Introduction
La problématique de la solidarité économique entre les Régions est au cœur du débat politique
belge. Elle est tout à fait primordiale pour l’avenir de l’Etat fédéral à un moment les
transferts financiers entre les régions sont au centre du débat politique sur la réforme
institutionnelle et au cœur de l’aspiration flamande à plus d’autonomie, voire au séparatisme
pour les plus radicaux. Elle est également cruciale pour l’Europe pour qui la solidarité entre
les territoires constitue un principe fondamental dont dépend la cohésion territoriale. Elle l’est
d’autant plus que l’Union européenne n’est pas à l’abri des tendances nationalitaires
centrifuges qui émergent dans de nombreux Etats membres.
En Belgique la question ressemble de plus en plus à un nœud gordien. Pourtant, sous des
apparences inextricables, la problématique s’explique par un ensemble de facteurs
identifiables. Les plus couramment évoqués sont le facteur linguistique et la dépendance
économique de la Wallonie, surtout depuis que des responsables politiques flamands
cherchent à accréditer l’idée tant en Flandre qu’au niveau international que la Wallonie « vit
au crochet » de la Flandre depuis la création de l’Etat belge. Ces allégations s’appuient sur
l’existence de transferts financiers notamment en matière de sécurité sociale (chômage et
santé). Elles éludent totalement la question de l’impact des interventions de l’Etat belge dans
le champ économique sur le développement régional.
L’analyse des interventions de l’Etat belge pour soutenir le développement économique
depuis 1830 et la comparaison des performances régionales de la Flandre et de la Wallonie
3
aux autres régions européennes, offrent un regard surprenant sur la question. Tel est l’objet de
cet article.
1
1. LA PROBLEMATIQUE DE LA SOLIDARITE TERRITORIALE DANS L’UE ET
SES IMPLICATIONS SUR LES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT
REGIONAL.
La cohésion territoriale et la solidarité financière : clés de voûte du projet européen.
La solidarité financière entre les différentes composantes territoriales d’un Etat est un
principe essentiel à la cohésion territoriale et est indispensable à la pérennité des Etats
modernes et démocratiques. En effet, afin de maintenir une cohésion sur leur espace national,
les gouvernements tentent de réduire au maximum les disparités entre leurs entités
territoriales par des politiques publiques de rattrapage économique et social en faveur des
territoires les moins développés. L’importance de la solidarité financière entre entités
territoriales pour le maintien de l’unité de l’Etat, n’a pas échappé aux fondateurs de l’Union
européenne qui, dès l’origine, ont placé la cohésion économique et sociale, aujourd’hui
appelée cohésion territoriale, au centre du processus d’intégration européenne. Ils en ont fait
une compétence majeure de l’Union, en l’inscrivant à l’article 2 du Traité de Rome qui définit
les principes directeurs de la politique européenne. Dès son préambule, le Traité stipule
explicitement que la Communauté Economique Européenne doit « assurer le développement
harmonieux en réduisant les écarts entre les gions et en comblant le retard des moins
favorisées ».
2
Cette référence primordiale à la cohésion territoriale est donc étroitement liée au
principe de solidarité entre les régions. Tel qu’appliqué dans l’Union européenne, le concept
se réfère à la notion d’équité sociale, une notion à ne pas confondre avec celle d’égalité.
Les politiques de solidarité financière entre les régions s’inscrivent dans l’optique d’une
« justice redistributive » en offrant une égalité de chances aux collectivités territoriales et, à
travers elles, aux citoyens [J.C. Beghuin, P. Charlot et Y. Laidié.(2005), p. 109].. Dans la
plupart des Etats fédéraux, cette solidarité est réalisée au travers de mécanismes de
péréquation automatique réadaptables en fonction de l’évolution économique des Etats
fédérés. En Belgique, faute d’accord de la Région flamande, de tels mécanismes n’ont pu être
1
Le contenu de cet article est plus largement développé dans l’ouvrage : Quévit M. [2010], Flandre-Wallonie,
Quelle solidarité ? De la création de l’Etat belge à l’ Europe des Régions, Edition Couleur livres, Charleroi.
2
De plus, l’article 158 (ex- 130A) du Traité de Nice précise que « la Communauté vise à réduire l’écart entre les
niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions ou îles les moins favorisées, y compris
les zones rurales ».
4
mis en place. Cependant une forme de péréquation financière est opérée grâce au maintien au
niveau fédéral de compétences dans le domaine social : allocations de chômage, soins de
santé, pensions, etc… et partiellement par le biais du financement des régions. Ce double
mécanisme fait actuellement l’objet d’une contestation de la part de partis politiques flamands
qui préconisent la scission du pays.
Des régions contributrices et des régions débitrices pour équilibrer les disparités
territoriales.
Pour combattre leurs déséquilibres de développement internes, tous les Etats européens
mettent en place des mécanismes financiers de solidarité entre leurs entités territoriales, en
application du Traité de Rome. Cependant, les disparités de développement sont fortement
liées à l’évolution des facteurs de compétitivité au niveau mondial. Il en résulte que selon les
périodes, dans un même espace national, certaines régions produisent davantage de richesses
que d’autres. Elles sont contributrices par rapport aux régions les moins développées
considérées comme débitrices. Dans tous les Etats européens, des situations similaires se
rencontrent. Ainsi, en Espagne, la Communidad de Madrid et la Catalogne sont contributrices
au profit de régions telles que l’Extremadure ou la Galice. Au Royaume-Uni, Londres est une
région contributrice notamment en faveur du Pays de Galles. En France, l’Ile-de-France est
contributrice alors que des régions comme le Nord-Pas-de-Calais ou le Limousin, sont en
position débitrice, etc…
3
Toutefois, le positionnement des régions peut changer dans le
temps, voire s’inverser. Tel fut à titre d’exemple, le cas en Allemagne, où la Bavière, région à
dominante rurale, débitrice dans les années 50 est passée actuellement au statut de région
contributrice, grâce à son essor économique et technologique. De même, l’Espagne, le
Pays basque, région contributrice riche de son développement industriel dans la première
moitié du XXème siècle est devenue débitrice par la crise de la sidérurgie dans les années 60
pour redevenir une région parmi les plus prospères du pays par les mutations technologiques
de son tissu industriel.
3
Voir à cet égard, l’analyse des résultats des transferts financiers interpersonnels mesurés en Belgique, en
Allemagne, en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni et en France par les chercheurs du CERPE de la FNDP :
Meunier,O,. Mignolet et Mulquin, M-E.[2007], « Les transferts interrégionaux en Belgique », CERPE, Cahiers
de recherche Série Politique Economique, n°19-2007/9, FNDP.
5
2. LES ORIGINES STRUCTURELLES DES DISPARITES ENTRE LA FLANDRE
ET LA WALLONIE DE 1830 A 1970.
La complexité des rapports de solidarité entre la Flandre et la Wallonie ne peut être
appréhendée sans se référer au contexte économique dans lequel a été créée et s’est
développée, la Belgique depuis 1830.
A cet égard, les travaux de l’économiste français, Lucien Karpik sur l’évolution des grands
ensembles économiques mondiaux conduisent à distinguer trois macroévolutions structurelles
du système économique qui correspondent chacune à un mode de fonctionnement spécifique
du capitalisme [ Karpik,L.(1971), pp.1-34] :
le capitalisme marchand qui prévalu du XVIIIème siècle au début du XIXème, se
caractérise par la prédominance d’entreprises industrielles de type familial. Celles-ci
prennent progressivement le relais d’une aristocratie foncière dominant le
fonctionnement de l’activité économique. L’espace territorial de cette forme
d’entrepreneuriat familial est principalement circonscrit au niveau local.
le capitalisme industriel qui voit émerger de grandes entreprises dans des secteurs
clés de l’activité économique, tout spécialement le charbon, la principale source
d’énergie à l’époque et l’acier. Ce mode de développement a connu son plein essor
dès la seconde moitié du XIXème siècle. Avec lui, l’organisation économique s’étend
sur un espace territorial élargi à l’espace national, au point qu’il devient un moteur de
la consolidation des Etats-Nations en Europe.
le capitalisme technologique plus récent, est fondé sur la relation étroite entre
l’activité industrielle et le veloppement de la science et s’appuie sur des
partenariats internationaux hors des frontières des Etats-nations, générant ainsi une
nouvelle forme d’organisation de l’économie, cette fois à l’échelle du globe. C’est
l’émergence de ce que l’on nomme actuellement, la globalisation de l’économie.
Précisément, l’Etat belge a été créé dans le contexte de l’émergence du capitalisme industriel.
Il en est un produit, voire même un prototype. Son évolution économique jusqu’en 1970 est
profondément marquée par la croissance puis le déclin de cette phase du capitalisme dont
l’impact a marqué différemment la Wallonie et la Flandre. Depuis l’origine de la Belgique,
Flandre et Wallonie n’ont pas connu la même évolution du capitalisme industriel.
1 / 41 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !