Qu’est-ce qui aujourd’hui encore alimente
cette crise ? Que faire pour ne pas la
cautionner ?
Selon le prof. Leibovitz, c’est la
professionnalisation de l’étude de la Torah
qui est à l’origine de l’assimilation
1
décimant notre peuple depuis environ 200
ans.
Il s’appuie, semble-t-il, entre autres
nombreuses sources, sur l’opinion du
Rambam qui affirme que celui qui reçoit
de l’argent en contrepartie de son étude
« profane le nom de Dieu, fait honte à la
Torah et prive de tout éclat la religion »
(Hilkh’ot Talmoud Torah 3, 10; voir aussi
Avot 4, 5
2
).
Pourtant, tant dans la Torah écrite qu’orale,
le soutien de l’étude comme de ceux qui la
transmettent revêtent la plus grave
importance. Ainsi lisons-nous :
« Maudit soit celui qui ne soutient
pas les paroles de la Torah pour
les faire, et que tout le peuple dise
‘amen’ » Deut. 27, 26
A l’inverse, celui qui soutient la Torah est
« béni
3
» (voir à ce sujet Vayiqra Rabba,
25).
1
Entretien avec Agnon rapporté par Leibovitz et retranscrit en
français dans Israël et Judaïsme, ma part de vérité, Editions DDB
2
Voir la traduction française du commentaire du Rambam sur
cette michna du chapitre du Traité des Pères, aux éditions
Verdier. Dans une série d’entretiens sur Pirquei Avot, voir les
trois chapitres sur Torah im Derekh’ Erets dans lesquels
Y.Leibovitz expose les deux opinions contraires des tanaïm sur
cette question
3
« Baroukh’ » : source de stimulation vers l’abondance
L’enseignement est clair : il faut soutenir la
Torah. Mais comment faut-il soutenir la
Torah ?
Rabbi Yoh’anan dit :
« quiconque verse de la
marchandise dans la poche d’un
disciple des Sages a le mérite de
siéger dans la ‘Yechiva d’en
Haut’ »
Psah’im 53b
Le Netsiv explique bien qu’il n’est pas dit
qu’il faille subvenir aux besoins du
disciple des Sages, le salarier, mais lui
fournir de la marchandise. Afin,
manifestement, que ce disciple des Sages
la revende et nourrisse sa famille. La
mitsva consiste, semble-t-il à alléger la
charge de travail du disciple des Sages afin
qu’il puisse mieux étudier et enseigner
davantage (Shéar Israël, chap. 10, 11, 12
4
).
Il convient de mentionner que d’autres
décisionnaires ont permis le fait de
percevoir de l’argent en contrepartie de
l’étude
5
. Et c’est ainsi que nombre d’entre
nous entretenons les collelim et certaines
yéchivot qui préparent à ces collelim ; alors
que d’autres yéchivot préparent leurs
élèves à mener de front étude de la Torah
et pratique d’un métier.
Il est pourtant étonnant que l’on n’explique
si peu la position du Rambam, même si son
opinion n’est pas retenue par la majorité
des décisionnaires. Habituellement, quand
4
Etude sur l’antisémitisme du dernier maître de la grande
yéchiva de Volhozin. Dans cette étude, le rav semble établir un
lien entre l’antisémitisme, l’organisation de la société juive et le
soutien de la Torah. Il cite la guemara et préconise une
participation financière au travail des disciples des sages, en
excluant l’interprétation selon laquelle la mitsva de hah’zaqat
hatorah / soutien de la Torah s’effectuerait par le don ou la prise
en charge personnelle de ces mêmes sages. Financer du travail,
pas des personnes.
5
Par exemple le Rav Yossef Caro dans le Choulkh’an Aroukh’.
il existe une controverse, quand on veut
être honnête, on rend compte de l’opinion
des deux interlocuteurs, puis on explique
pour quelles raisons on a tranché selon
l’une d’entre elles. Or actuellement, nous
fuyons souvent, nous n’examinons et
n’approfondissons pas les motivations du
Rambam.
*
Nous l’avons dit, selon le prof. Leibovitz la
professionnalisation de l’étude de la Torah
est à l’origine de l’assimilation qui décime
depuis deux cents ans notre peuple
6
.
Pourquoi ? Si l’on reprend les termes du
Rambam, le fait de recevoir de l’argent en
contrepartie de l’étude enlève tout éclat à
la religion et couvre la Torah de
dénigrement. Suffisamment pour fuir la
Torah et s’assimiler. Citons le Rambam :
« Or, les enfants d’Israël qui vivaient à leur
époque [des tanaïm] n’étaient ni cruels ni
dénués de générosité ; et nous n’avons pas
non plus l’exemple d’un seul sage dont le
sort était misérable dénigrant les gens de sa
génération parce qu’ils ne l’enrichissaient
pas –loin d’eux une telle attitude ! Mais ils
étaient gens intègres, croyant en la rité
pour elle-même, croyant en l’Eternel et en
la Torah de Moïse notre maître, grâce à
laquelle l’homme accède au monde éternel,
et ils ne se sont jamais permis de demander
de l’argent aux hommes. Ils voyaient en
cela, en effet, une profanation du Nom au
yeux du peuple car les gens auraient alors
pensé que la Torah est une profession
comme une autre qui sert à nourrir son
homme, et elle en serait devenue
méprisable à leurs yeux ; et à celui qui
aurait agi ainsi s’appliquait le verset : « Il a
méprisé la parole de l’Eternel » (Nb 15,
11)
Il y a donc une façon de s’investir dans la
Torah et dans l’étude qui détruit la Torah
et l’étude, qui fait fuir « les gens » de la
6
Dans cet entretien avec Agnon, Leibovitz n’insiste pas sur
l’influence de la haskala, de la modernité ou de l’esprit des
Lumières, ni sur l’émancipation des juifs.
Torah et de l’étude. En revanche, plusieurs
dizaines de générations de juifs ont su
rester attachées à la Torah jusqu’au
sacrifice de leurs vies même si peu d’entre
eux étudiaient. Aujourd’hui par contre,
l’étude se répand mais le peuple juif
disparaît en s’assimilant. C’est toute la
différence entre l’étude désintéressée et
l’étude intéressée : l’une inspire un tel
respect que l’on est prêt à tout donner pour
elle, l’autre écarte les juifs de l’acceptation
du joug de la Torah et des mitsvot. Notons
que Leibovitz ne voit pas dans le
mouvement du retour à la religion et
l’ultra-orthodoxie « la continuité de la
grande histoire du peuple juif ». « Le
judaïsme du Beith Hamidrach s’est séparé
du peuple juif il y a environ deux cents
ans
7
» dira-t-il par ailleurs.
Avraham YECHAYAHOU
19 Kislev 5765
2 déc. 04
7
Sans doute dans la façon d’étudier. Leibovitz a developpé ce
point dans son cours sur le Messilat Yecharim. La yéchiva et le
beith hamidrach existent bien évidemment depuis longtemps. Ce
qui serait nouveau, outre la façon d’étudier - le developpement
du pilpoul, serait le fait que les étudiants, les talmidim, ne soient
plus accueillis dans des familles mais dans des internats. Ce
point qui reste à justifier ne permettrait-il pas d’établir un lien
avec ce que Jean-Claude Milner relève dans sa critique des
penchants criminels de l’Europe démocratique, à savoir que ce
que l’Europe refuse dans le judaïsme, c’est le rapport
homme/femme/parents/enfants ? Ce refus là se serait niché au
cœur même de l’étude juive contemporaine. Etude « moderne » .
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