« Qu’est-ce que le postmodernisme ? » in Le postmoderne expliqué aux enfants, LYOTARD Jean-François, éditions Galilée, Paris, 1988 -2005. Introduction Biographie 11 Jean-François Lyotard est un philosophe français de la seconde moitié du XXe siècle. Né en 1934 et décédé en 1998, il fréquenta la Sorbonne puis parti enseigner la philosophie en 1952 au lycée de Constantine, où il fait l'expérience du colonialisme. Il y rencontre l'historien Pierre Souyri et entre à Socialisme ou barbarie où il participe à la critique du totalitarisme. Enseignant en France aux universités de la Sorbonne, de Nanterre et de Vincennes, Lyotard poursuivit une seconde carrière universitaire aux États-Unis à l'université d'Emory (Atlanta). Il participa à la création du Collège international de philosophie en 1981. Au niveau de sa pensée philosophique, après s’être inscrit dans le sillage de la phénoménologie de Merleau-Ponty, il s'en éloigne et écrit Discours, figure (1971), qui marque un écart irréductible entre le dire et le voir. Avec les années 1980, marquées par l’apparition de nouvelles philosophies du langage, Lyotard, à partir d’une relecture de la Critique du jugement de Kant, invente un nouveau criticisme et découvre ce qui sera la catégorie de sa pensée : le Différend (1983). Le différend est un conflit qui ne peut pas être tranché équitablement faute d’une règle de jugement applicable aux deux argumentations en présence. Sa pensée le conduit par la suite à une reprise de la réflexion sur le sublime (Leçons sur l'analytique du sublime, 1991) : on voit donc qu’il s’intéresse beaucoup à la philosophie kantienne et cela aura une répercussion dans sa vision de l’art. Lyotard prend acte de la faillite des grands récits de l'émancipation, et, à partir d'Auschwitz, de la course sans fin du développement ainsi que de l'idolâtrie du consensus. C’est alors que reprenant à son compte le terme de postmodernité, il dresse le constat de l'étrangeté de notre temps dans la Condition postmoderne (1979), puis, dans les Moralités postmodernes (1993), élabore les formes de répondant qui sont celles de l'expérimentation et qui se joue dans une oscillation constante entre apparition et disparition (Que peindre ?, 1987). Enfin, Jean-François Lyotard prend acte des formes nouvelles de différend, qui ne se fait plus entendre dans les luttes sociales et politiques, mais demeure dans le domaine de l’esthétique qui sait témoigner de ce qui ne trouve pas à se dire. On va retrouver la plupart de ces notions dans l’extrait qui nous intéresse. Postmodernisme Le livre dont fait partie notre extrait, est un recueil de lettres écrites par Lyotard de 1982 à 1985 à l’occasion de l’affaire postmoderne. Cette affaire date de 1979 avec la publication de son ouvrage, La Condition postmoderne. Pour lui, le postmodernisme est avant tout une remise en cause des « méta-récits » de la modernité qui sont ceux des Lumières et notamment celui que l’histoire à une fin universelle, et que le savoir amène à l’émancipation, à la pleine réalisation de l’homme. Va alors éclater une querelle autour ce cette question de l’abandon des méta-récits, dont les protagonistes seront J.-F. Lyotard, Jürgen Habermas et Richard Rorty. Elle a pour enjeu principal la question de la possibilité d'une sortie effective de la : Presque la totalité de cette biographie est issue de l’article de Joël SCHMIDT, « Jean –François Lyotard », Encyclopaedia universalis. Certaines phrases ont été modifiée mais beaucoup ont été reproduites telles qu’elles. 1 modernité. Les trois philosophes s'accordent pour reconnaître qu’une manière absolue et globalisante d'envisager l'histoire, comme le voulaient les idéologies et les philosophies modernes de l'histoire, est devenue irrecevable. En effet, nos connaissances actuelles et surtout la mise en place de « l’hégémonie technoscientifique » ne nous permettent plus de continuer à penser de la même manière que les Lumières. De plus, selon Lyotard, les évènements eux-mêmes remettent en cause l’universalité de l’histoire : il en est ainsi de la shoah ou des révoltes sociales. Cependant, le déclin des métarécits n’empêche pas les petits récits de continuer à exister : cela crée une perte de référence unique et nous précipite vers une « crise normative » qui abouti forcément à la fin de la modernité et de son objectif d’universalité. Ainsi, malgré l’entente sur ce point, les trois philosophes s'opposent quant à l'interprétation à donner d'une telle sortie de la modernité : c’est ce qui crée l’affaire postmoderne. Malgré cette sortie de la modernité, il faut tout de même souligner que le postmodernisme ne se situe pas contre la modernité mais au contraire se veut tributaire et partie prenante du processus de modernisation : il ne fait que constater l’échec de la modernité et réfléchir à ce dernier. Enfin, selon Lyotard, le Postmodernisme est intimement lié au capitalisme qui rend tout changeant et déréalise la réalité : il pousse ainsi à l’expérimentation puisque la réalité n’est plus sûre. Introduction L’auteur explique donc dans ses lettres, adressées à des enfants, son opinion. J-F Lyotard a difficilement accepté leur publication, et la présentation de ces lettres est du fait des éditeurs. L’extrait qui nous intéresse se trouve dans la première partie du livre qui s’intitule : « Réponse à la question : qu’est-ce que le postmoderne ? ». Ce premier chapitre est constitué d’une seule lettre adressée à Thomas E. Carroll le 15 mai 1982 lorsque Lyotard se trouvait à Milan. Au cours de cette lettre l’auteur explique plusieurs notions qui sont un préalable à connaître et à comprendre : ce sont entre autres le réalisme et le rapport entre le sublime et l’avant-garde. A la fin de sa lettre, dans notre extrait, il expose et résume enfin ce qu’est le postmoderne en l’appliquant à l’art et à la littérature. Nous allons donc nous demander quelle définition du postmodernisme nous livre J-F Lyotard, et quel rapport, selon lui, il entretient avec le modernisme. Pour cela nous allons d’abord nous intéresser au rôle du sublime dans l’art qui créé un différend entre la modernité et la postmodernité, puis nous verrons le paradoxe auquel se heurte le postmodernisme. I. La distinction entre la modernité et la postmodernité réside dans le rapport sublime. 1. La théorie du sublime : rapport entre le présentable et l’imprésentable. La théorie du sublime appartient à la philosophie de Kant. Comme nous l’avons vu plus haut, J-F Lyotard c’est beaucoup intéressé à cette philosophie et cela se retrouve dans sa définition du postmodernisme : il consacre au sublime une partie de sa lettre. Le sublime selon Kant est une combinaison d’un sentiment de plaisir et de peine qui résulte de la confrontation entre le concevable et le présentable. Le concevable est ce que la raison humaine peut concevoir, inventer, comprendre. Le présentable est ce que l’imagination, le sentiment peut se représenter, peut voir. Le rapport sublime nait de la confrontation de ces deux notions qui aboutit à ce que l’homme se rend compte qu’il peut concevoir quelque chose mais qu’il ne peut pas se la présenter. Il en est ainsi de la notion d’infini : nous pouvons concevoir que l’infini existe, cependant nous ne pouvons nous le représenter ; notre esprit aura toujours tendance à mettre des bornes dans la représentation que nous nous feront de l’infini. Ainsi, le rapport sublime créé chez l’homme deux sentiments qui s’opposent : « le plaisir que la raison excède toute présentation, la douleur que l’imagination ou la sensibilité ne soient pas à la mesure du concept. » (l. 35-36). Or ce rapport sublime se joue particulièrement dans l’art puisqu’il présente quelque chose à nos yeux : la question est donc de savoir comment l’art va procéder pour représenter ce qui n’est pas présentable. Le choix que l’artiste opère pour cette présentation distingue justement l’art moderne de l’art postmoderne, l’artiste moderne de l’artiste postmoderne. 2. Mélancolie et novatio : modernité et postmodernité. Ainsi, l’art se déroule dans le rapport sublime du présentable au concevable. Mais l’accent peut être mis sur deux choses différentes dans la représentation du concept : soit « sur l’impuissance de la faculté de présentation » (l. 15-16) soit « sur la puissance de la faculté de concevoir » (l. 18). Il y a donc une vision optimiste qui produit le plaisir : c’est le côté novatio ; une vision pessimiste qui insiste sur l’impossibilité, sur « la nostalgie de la présence » (l.16) et donc sur l’aspect douloureux du sublime : c’est le côté mélancolie. Selon Lyotard : « l’esthétique moderne est une esthétique du sublime, mais nostalgique » (l. 30-31). C’est-à-dire, que l’imprésentable est un contenu absent, on n’essaye pas de le présenter, de le mettre en évidence. Mais la forme reconnaissable permet de continuer à fournir au spectateur matière à regarder et à présenter et donc fournit du plaisir. L’esthétique moderne contourne le problème de l’imprésentable en l’oubliant dans sa représentation : elle fournit « une consolation » grâce à la forme. Or la consolation ne fait pas partie des sentiments du sublime qui est une combinaison de plaisir et de peine. Ainsi, l’esthétique moderne n’est pas vraiment une esthétique du sublime. Le postmoderne à l’inverse serait ce qui « allègue l’imprésentable dans la présentation elle-même ; ce qui se refuse à la consolation des […] formes » (l.37-38). Il met en évidence l’impossibilité du présentable par rapport au concevable en inventant de nouvelles formes, de nouvelles présentations qui malgré leur nouveauté ne parviennent toujours pas à représenter l’imprésentable, le concevable. Le postmoderne décide donc de faire de l’imprésentable sa composante principale à l’inverse du moderne qui le cache. Ainsi, le moderne se contente des formes qu’il connait, il ne se remet pas en cause alors que le postmoderne, les avant-gardes, questionnent et inventent sans cesse. À l'encontre de la stabilité poursuivie par la modernité, le postmodernisme va donc chercher à produire non pas du connu, mais de l'inconnu, transformant le modèle de la légitimation en éloge de la différence. L’auteur donne quelques exemples afin de mieux comprendre sa théorie : il place les expressionnistes allemands Malevitch et Chirico du côté mélancolie et Picasso, Lissitsky et Duchamp du côté novatio. Cependant, tous ces exemples sont tirés des avant- gardes : Lyotard mais ainsi en évidence son affirmation selon laquelle les deux « modes » peuvent être très peu différents et peuvent coexister dans la même œuvre. En effet, Malevitch pourtant à la pointe de l’avant-garde est ici classé dans le mode mélancolie. L’auteur met aussi ainsi en évidence la filiation entre le postmodernisme et le modernisme puisqu’il classe Malevitch du côté mélancolie donc du côté moderne. II. Le postmoderne : un paradoxe. 1. Le postmoderne est tiré du passé. Lyotard nous donne l’étymologie du terme « postmodernisme » à la ligne 50. Il contient le préfixe « post- » qui exprime la postériorité, le futur, et le mot « modo » qui signifie « antérieur » : l’étymologie même du terme est donc un paradoxe. Le postmoderne serait donc à comprendre comme un paradoxe selon Lyotard. En effet, il appartient au moderne, il est compris dans celui-ci et même il le devance: « Une œuvre ne peut devenir moderne que si elle est d’abord postmoderne. Le postmodernisme ainsi entendu n’est pas le modernisme à sa fin, mais à l’état naissant […]» (l. 9-11). Le philosophe renverse donc ici la chronologie et fait du postmodernisme une chose passée et non plus un concept d’avant-garde. Il tire cette conclusion d’exemple du travail de générations d’artistes de la ligne 4 à la ligne 8 : chaque génération d’artistes réagit à la précédente et s’oppose, s’attaque à ses règles. Ainsi, Buren s’attaque au présupposé de l’œuvre de Duchamp, et qui existait déjà bien avant lui, que le lieu de l’œuvre est le musée. En effet, ce que nous appelons aujourd’hui modernité était à l’époque postmoderne puisqu’en réaction aux règles précédentes et donc proposant de nouvelles formes. De même, ce qui aujourd’hui est postmoderne, demain sera moderne puisque passé ou dépassé. C’est en effet ce que nous dit Lyotard aux lignes 3 et 4 : « Tout ce qui est reçu, serait-ce d’hier […], doit être soupçonné. ». Ainsi, le postmoderne est bien « un état constant » (l. 11) puisque c’est la course du temps que nous ne pouvons arrêter qui produit elle-même ce passage de la postmodernité à la modernité. 2. Le postmoderne tend vers le futur. Cependant, l’artiste postmoderne est aussi dans le futur, il créé le futur. En effet, il créé une œuvre en réaction aux présupposés précédents : il rompt donc avec ces présupposés et créé quelque chose de nouveau. Cette nouveauté n’est donc soumise à aucune règle ni catégorie puisque celles- ci n’existent pas encore. Les règles qui serviront à juger l’œuvre sont en fait tirées de cette même œuvre : le but de l’œuvre postmoderne est donc de créer ces nouvelles règles, les règles de ce qui « aura été fait » (l. 47). C’est donc là encore un paradoxe du postmodernisme qui apparait : l’utilisation et la mise en valeur par l’auteur du mode de conjugaison du futur antérieur correspond à l’étymologie du terme et à la réalité de l’œuvre. L’oeuvre est avant-gardiste, en avance sur les règles, mais en même temps sert, dès sa réception à établir les nouvelles règles qui la caractérise, et donc de ce qui « aura été fait ». L’œuvre ne reste donc pas « post-» longtemps et devient vite « moderne », soumise à des règles qu’elle contribue à créer. On comprend donc l’affirmation de Lyotard : les œuvres « arrivent trop tard pour leur auteur, ou, […] leur mise en œuvre commence toujours trop tôt. » (l. 48-49). Conclusion Le postmodernisme est donc un état constant, sans cesse renouvelé, sans cesse remplacé et qui devient donc vite le modernisme : paradoxe permanent. Le postmoderne se démarque du moderne par sa volonté de nouveauté, de remise en cause de la réalité, d’acceptation et de mise en valeur du sublime à l’inverse de la modernité qui reste dans le regret et tente de tout représenter par les formes qu’elle connait. Ce différend entre les deux modes est celui dans lequel se joue « le sort de la pensée » (l. 29). J-F Lyotard replace donc sa théorie du sublime dans l’art dans le contexte général, et l’applique à toute la pensée. Ainsi, il termine son texte par une mise en garde : la recherche d’unité, d’un consensus, d’une réalité qui équivaut en art et dans la pensée au modernisme est dangereuse car elle se fait au prix de la « terreur » (référence au totalitarisme). Cette recherche est constante et guette toujours, à toutes les époques. Ainsi le rôle du postmodernisme en art comme en pensée et d’offrir un barrage à ce danger en prônant la diversité, la nouveauté, la remise en cause des règles établies. Le rôle de l’art est donc de continuer à inventer des allusions au concevable qui ne peut être présenté pour bien montrer l’impossibilité du « tout » (l. 63). La pensée de Lyotard par sa négation d’un progrès et d’un aboutissement de l’homme comme fin de l’histoire s’oppose à celle de Giorgio Vasari, ainsi qu’à celle de Lessing qui prône l’universalité de l’art. De plus, sa vision de l’art postmoderne comme un art mettant en évidence l’imprésentable rompt ave toutes les idées de l’art d’imitation de la nature. En revanche, il s’accorde avec Klein qui lui aussi juge qu’il faut réexaminer les œuvres d’art auxquelles on ne peut plus accoler les règles et les normes antérieures. On peut aussi rapprocher la pensée de Lyotard de celle de Greenberg et de son processus d’auto purification de l’œuvre c’est-à-dire de suppression des conventions . « Qu’est-ce que le postmodernisme ? » in Le postmoderne expliqué aux enfants, LYOTARD Jean-François, éditions Galilée, Paris, 1988 -2005. Problématique : quelle définition du postmodernisme nous livre J-F Lyotard? Quel rapport le postmodernisme entretient avec le modernisme? Introduction I. La distinction entre la modernité et la postmodernité réside dans le rapport sublime. 1. 2. La théorie du sublime : rapport entre le présentable et l’imprésentable. Mélancolie et novatio : modernité et postmodernité. II. Le postmoderne : un paradoxe. 1. 2. Le postmoderne est tiré du passé. Le postmoderne tend vers le futur. Conclusion Bibliographie et sitographie BOISVERT, Y., Le monde postmoderne, analyse du discours sur la postmodernité, Paris, éditions de l’Harmattan, 1996. CANULLO, C., « Philosophie - postmodernisme », Encyclopaedia Universalis, [en ligne], (2007), http://domino-ip2.univ-paris1.fr:2052/article2.php?nref=NT02335, (consulté le 13 mai 2008). LYOTARD, J-F., Le Postmoderne expliqué aux enfants, Paris, éditions Galilée, 2005. LYOTARD, J-F., Que Peindre ? , Paris, édtions de la différence, 1987. SFEZ, G., « Jean-François Lyotard », Encyplopaedia Universalis, [en ligne], (2007), http://domino-ip2.univ-paris1.fr:2052/article2.php?napp=97312&nref=UN99037, (consulté le 13 mai 2008). Résumé début livre Projet moderne, modernité = celui des Lumières = « fin unitaire de l’histoire ». Demandes différentes selon personnes qui sont pour ou contre postmodernisme mais nombreuses demandes pour arrêter expérimentation artistique = liquidation héritage avantgardes. Refus des artistes à rééxaminer règles de l’art = conformistes. Ceux qui acceptent de mettre en doute ces règles sont sans audience garantie car pas crédible aux yeux amateurs soucieux de réalité à laquelle se conforme l’autre categ d’artistes. Contact beaux-arts avec cinéma et photo qui industrialisent art et réalismes pose donc défi à beauxarts = changer but pour se démarquer = mettre en cause règles que média de masse ne font pas. Avant-gardes = justement ceux qui interrogent ces règles, qui répondent au défi posé par réalisme industriel et mass médiatique comme le dit Thierry de Duve nouvelle question esthétique = « qu’est ce qui est de l’art ? » et non plus « qu’est ce qui est beau » ? qu’on a vu plus haut. Modernisme va quand pouvoir = parti mais depuis que pouvoir = capitalisme inversion et c’est le postmodernisme qui est adapté modernisme = réalisme = société ancienne quant pouvoir = politique = statisme ≠ Modernité époque ne va jamais sans « ébranlement de la croyance et sans la découverte du peu de réalité de la réalité, associée à l’invention d’autres réalités » = réalité repose sur règles édictées et reconnus par tous mais artificielle. Peinture moderne = peinture qui fait voir ce qu’on peut concevoir mais sans le voir ni le faire voir.