L’ILLUSION
I ] INTRODUCTION
Etymologiquement l’illusion vient du mot illudere : se jouer de. Ce mot apparaît donc comme l’état de celui qui
est trompé (par le sujet lui-même ou par l’extérieur.)
L’illusion appartient donc :
au domaine de la perception : l’illusion des sens.
Au champ de l’esprit et de la raison qui croit à l’illusion.
A PRELIMINAIRES
Dans un premier élan, l’homme établit un rapport spontané de confiance avec le monde et ce qui l’entoure :
Nous prenons le monde pour ce qu’il se donne.
Nous croyons autrui.
Nous nous fions à nos sentiments, à nos impressions.
Or, l’expérience de l’illusion vient contrarier cette confiance naturelle, elle s’en trouve ébranlée. La sentence « je
peux me tromper », montre que l’illusion comme simple possibilité porte atteinte par avance à toute prétention
d’atteindre la vérité, à toute possibilité de s’appuyer sur quelque certitude possible.
Faut-il dès lors suspendre tout jugement ? S’abstenir de tout ? doit-on être désabusé de tout ?
Plus grave encore : l’illusion n’interdit-elle pas toute philosophie ?
Car enfin, la philosophie est la recherche du vrai. Elle a pour but une lucidité envers soi-même et le monde. A ce
titre l’illusion ne ferme pas la porte de la philosophie, mais l’ouvre sur la notion de l’illusion elle-même. En
effet, l’illusion est un fait. Ainsi est-il normal de s’interroger sur la nature de l’illusion, sur ses mécanismes, ses
origines, sa fonction.
B DEFINITION
L’illusion est une erreur de perception causée par une mauvaise interprétation des données des sens.
La philosophie moderne a voulu voir dans l’illusion deux aspects :
Un aspect négatif : Un défaut de savoir, une absence de vérité. Le sujet est trompé par une personne, par
soi même, bref, par l’apparence.
Un aspect positif (!) : Le sujet de l’illusion est de bonne foi dans ce qu’il affirme. Il croit et il est
sincère. Et de cette croyance, il tire en général une énergie, voire un certain acharnement à affirmer son
idée fausse.
L’illusion se définit donc à partir de l’ignorance. Mais celle-ci est double, car ce n’est pas un simple défaut de
connaissance. En plus, ce défaut est méconnu. L’illusion est double dans le sens où elle ignore la vérité ; et de
surcroît, le sujet ignore qu’il ignore, ce qui le pousse à affirmer quelque chose de faux.
L’illusion est donc une ignorance qui s’ignore…
Nous pouvons noter 3 exemples distincts d’illusion :
- L’illusion donnant l’impression de voir des choses extraordinaires : la magie de l’illusionniste.
- L’illusion sensitive (d’optique par exemple : le bâton dans l’eau, le trompe l’œil, etc…)
- L’illusion de la paysanne attendant qu’un jour un prince charmant viendra l’enlever : manque de
réalisme.
C DISTINCTIONS
A ce stade, l’illusion se distingue de :
1) L’erreur.
Laquelle est un acte de l’esprit posant vrai ce qui est faux. L’erreur relève d’un processus actif, car elle est le
fruit d’une recherche même minime-. Alors que l’illusion est passive, comme une sorte d’évidence
préalable à la déduction, antérieure à la démonstration. L’illusion est plus primitive que l’erreur.
L’illusion est un défaut de réalité, quand l’erreur est un défaut de vérité (il ne faut pas oublier de distinguer
la réalité qui est ce qui est, de la vérité qui est l’expression de cette réalité.)
Parmi les 3 exemples, aucun n'appartient à l’erreur. Dans le premier et le second, on sait bien que ce que
l’on voit n’est pas la réalité (car si on y croyait, on serait alors dans l’erreur.) L’illusion précède le jugement.
Dans le troisième, il s’agit d’une « éventualité » imaginaire (si elle y croyait fermement : folie ou son
amorce…) Cette croyance vient d’une affection liée à la réalisation d’un désir, à quelque chose de positif, se
dégage donc une fonction de positivité… ?
Souvent, l’erreur est provoquée par l’illusion, elle en est le prolongement.
Le gros problème de l’illusion par rapport à l’erreur, est que celle-là n’est pas corrigible. En effet, on peut
corriger l’erreur car c’est un défaut du jugement ou du raisonnement (cf. l’erreur mathématique.) Mais
l’illusion est difficile à corriger voire impossible : le bâton apparaîtra toujours cassé…- d’où la question :
L’illusion est-elle naturelle est inévitable ? Nous avons beau savoir, nous continuons à voir.
2) Le mensonge.
L’illusion n’est pas mensonge, car celui-ci est intentionnellement fait pour tromper et laisser dans cet
état de tromperie. L’illusion elle, est de bonne foi, elle est innocente.
3) La chimère.
La chimère est un être fictif reconnu comme tel. Dans ce cadre, on peut tout de même s’interroger sur la
situation du spectateur ou du lecteur. N’est-il quand même pas dans l’illusion ? Certes il sait que ce qui
s’offre à lui est faux. Mais il connaît souvent une attirance ou une répulsion : aimant le héros, détestant
le méchant (qui n’existent pas), pleurant sur telle situation émouvante, riant sur telle fait, etc…
Pour conclure l’introduction, l’illusion est donc un leurre, une tromperie dont nous sommes les victimes.
Fondamentalement, par quoi sommes-nous trompés ? Nous avons donc dégagé 2 axes sur lesquels repose tout le
problème de la notion d’illusion :
L’illusion reposant sur un défaut de connaissance. Que ce soit les sens (Platon, Descartes) ou la Raison
Pure (Kant), l’illusion pose le problème des limites de notre nature qui n’est pas maîtresse de la vérité ;
et un problème structurel : Dès lors pouvons-nous remédier à l’illusion ?
L’illusion reposant sur nos désirs et nos intérêts (« prendre ses désirs pour la réalité »), qui dégage une
certaine capacité à se mentir à soi-même pour satisfaire nos aspirations. Mensonge particulier, car au
fond nous savons que la « vérité est ailleurs »… Ici en effet, le sujet de l’illusion n’a pas le dessein de se
tromper lui-même (ce qui le différencie du mythomane.)
II ] ILLUSION ET CONNAISSANCE
A L’IDEALISME DE PLATON
1) L’allégorie de la caverne
Platon imagine que l’homme connaissant est comme un être prisonnier et attaché dans une
caverne. Ses chaînes sont telles qu’il ne peut que regarder la paroi du fond et sur laquelle se profilent
des ombres. Il croit que ces dernières sont la réalité, car c’est la seule chose qu’il puisse voir. Mais en
réalité, ses figures ne sont que les ombres d’une autre réalité, réalité qui existe au dehors de la grotte, et
dont il ne soupçonne même pas l’existence. Ces réalités sont les Idées et les ombres, les choses qui nous
entourent et que nous percevons.
2) Conséquences
Ainsi, si on reste au niveau des apparences, l’illusion est indépassable pour Platon. L’illusion
est donc dangereuse pour la connaissance si elle n’est pas reconnue comme telle : car alors le sujet
ignore son ignorance et il prend les ombres pour la réalité.
Le premier degré de sagesse est donc de savoir que cette réalité est illusoire ! Puis il faut
abandonner cette illusion en tournant la tête pour prendre conscience de ce qui se passe derrière. Or,
l’homme est attaché solidement : c’est la force de l’illusion. Comment tourner la tête ? Platon n’y
répond pas.
C’est que pour Platon, on ne veut pas sortir de la caverne, car on s’y sent en sécurité. Sortir
serait éblouissant et aveuglant. Par-là, Platon veut montrer le pouvoir de séduction de l’illusion
(annonce moderne de Nietzsche et Freud.)
3) Analyse
Nous voyons que pour Platon, l’illusion est primitive. Elle est connaturelle à l’homme. Elle est
l’origine et la cause de toute erreur. Une sorte de tromperie installée dès le départ et compromet notre
accès à la vérité. A ce titre, l’erreur est moins grave que l’illusion, car l’erreur à la différence de
l’illusion ne compromet pas la sûreté du jugement. L’illusion est une contamination initiale.
Comment parvenir à la vérité dès lors ? Comment lever cet écran qu’est l’illusion et qui
s’interpose entre nous et la réalité ?
Notre vie n’est-elle ainsi formée que d’illusions ? Suffit-il de dénoncer ces apparences
illusoires pour retrouver une réalité authentique ?
Retenons que pour Platon l’illusion est une ignorance. Il faut remonter au monde des Idées
pour connaître la Vérité. Idées que nous avions connues dans une vie antérieure : c’est la théorie de la
réminiscence. Savoir c’est se souvenir.
B LE RATIONALISME DE DESCARTES
Il est principalement reproché à Descartes de ne pas s’intéresser à la positivité de l’illusion et de l’expulser
du champ du savoir (aspect positif cher à la philosophie moderne.) Nous allons voir que le principal problème de
Descartes est de revenir sur l’idéalisme platonicien et d’approcher la notion d’illusion avec une vision
rationaliste.
1) L’illusion du rêve
Pourquoi douter de tout ? Parce que l’univers entier est comme un piège d’artifices et d’illusions. Pour
Descartes, nos sens nous abusent, le sensible nous égare.
Il faut donc douter des réalités les plus immédiates. Voire même s’interroger sur notre présence ici et
maintenant, sur ce lieu concret qui s’offre à moi. Car enfin qu’est-ce qui prouve que je rêve ou je que suis
éveillé. Quand nous rêvons, nous croyons à la réalité du rêve ! Donc qu’est-ce qui me prouve que je ne suis
pas sorti de ce rêve ? « Il semble bien à présent que ce n’est point avec des yeux endormis que je regarde ce
papier, que cette tête que je remue n’est point assoupie ; ce qui arrive dans le sommeil ne me semble point si
clair ne si distinct de tout ceci. Mais, en y pensant soigneusement, je me souviens d’avoir été souvent trompé
lorsque je dormais, par de semblables illusions » Méditations métaphysiques.
Dès lors, plus que de savoir si notre vie n’est pas pleine d’illusions, notre vie ne serait-elle une
gigantesque illusion ?
Car immenses sont les pouvoirs de la tromperie, du rêve bref de l’illusion.
2) Le Malin Génie
L’univers entier n’est qu’artifices illusoires. Les objets qui se présente à nous sont destinés à tromper
nos sens et donc notre esprit, donc à nous tromper. Descartes imagine un Malin Génie très puissant qui
cherche à égarer les esprits.
Pour nous dégager de ses illusions, il faut douter de tout ! C’est le doute méthodique et hyperbolique
(certes provisoire.) En effet, il faut expulser l’illusion du champ du savoir pour se démettre du rêve et de la
tromperie de ce Malin Génie.
Là aussi se pose la question : Est-ce que vraiment, en dénonçant ces apparences illusoires nous
trouverons la réalité authentique ?
3) Explications
Pour Descartes, le postulat est donc que les illusions perceptives portent sur les sens. Vaudrait-il mieux
se référer à une connaissance intellectuelle ? En effet, celle-ci permet de détruire l’erreur. Mais ne suit-elle
pas nécessairement la connaissance sensible ? Sur quoi repose réellement le « cogito » ?
Si l’illusion trouve sa cause profonde dans la condition humaine, comment s’en libérer ?
Pour Descartes (comme pour Platon), il faut suivre 3 pistes :
- S’attaquer à la certitude de l’illusion, car la force de l’illusion majeure est de croire qu’on sait.
- Trouver là où la Vérité n’est pas suspecte (le cogito comme vérité 1ère, ou le monde des Idées.)
- Maîtriser l’illusion en distinguant la réalité de l’apparence.
Or le domaine de l’apparence est celui de sens. Dès lors il est facile de distinguer l’illusion pour Descartes. Il
réduit le problème de l’illusion à celui de l’erreur sensitive. Si l’illusion ne peut être dissipée puisqu’elle
dépend des sens, au moins sa menace est neutralisée : l’illusion est démasquée ! L’illusion serait-elle un abus
de confiance ?
4) Analyse
A quoi servent donc les sens ? Tel est le gros problème que soulève une telle théorie. Descartes
répondra qu’ils n’ont de valeur que pour l’adaptation au monde extérieur (ceci ne résout rien et, en plus
« apporte de l’eau à notre moulin », car s’adapter c’est d’une certaine manière connaître.)
Avec une telle position le monde extérieur et physique n’est plus objet de science mais d’opinion et
savoir devient croire. C’est cette équivalence que la philosophie n’a jamais cessée de dénoncer. La
philosophie étant la recherche de l’être, elle est recherche de vérité. Il faut donc passer de l’opinion au
savoir !
Si nous préférons croire que juger ou raisonner ce monde perceptible, alors nous nous condamnons
nous-même à l’illusion. Pour simplifier, disons que Descartes n’a pas vu qu’en soi les données des sens sont
forcément vraies. Le problème se rapportant au jugement que nous posons ensuite sur cette perception.
Ex : Le bâton apparaît bel et bien cassé. En ce sens l’œil ne se trompe pas ! Si je crois qu’il est cassé, alors
là je suis dans l’erreur, prisonnier de l’effet d’optique.
Le réalisme est nécessaire mais difficile ! Ne l’abdiquons pas. Certes la réalité n’est pas si évidente,
sans quoi l’illusion n’aurait pas de prise sur elle. Ne tombons pas dans la facilité du « c’est comme ça. »
C) KANT : L’ILLUSION VIENT DE LA RAISON
Kant est radicalement différent de Platon et Descartes puisque pour lui la raison est cause de l’illusion. En effet,
l’illusion appartient au fonctionnement de notre pensée. La raison est productrice d’illusions.
Il reconnaît que l’illusion ne peut être réduite à l’erreur, elle ne peut être redressée par le savoir ou la
connaissance.
1) Exposition de la théorie kantienne
a) L’illusion : un leurre qui subsiste.
L’illusion est l’état mental de celui qui est abusé et trompé. Kant est un des premiers à
trouver une certaine positivité dans l’illusion par rapport à l’erreur.
Pourquoi ? Parce qu’elle produit du réel. La croyance (en tant qu’illusion), possède
une fonction, un contenu ; d’où que l’illusion une fois connue comme tel demeure et se
perpétue, alors que l’erreur elle, disparaît.
b) La raison productrice d’illusion.
L’illusion selon Kant, appartient à la structure de mon esprit. La raison produit
l’illusion. En effet, il y a une illusion naturelle à l’esprit humain qui croit qu’on connaît le réel
lui-même ; alors qu’en vérité on ne saisit que des phénomènes relatifs à notre constitution.
Et même quand je reconnais que la chose intelligible en elle-même est inconnaissable,
l’illusion de la raison humaine continue. Le leurre se poursuit indéfiniment. Exemple : Je
continue de m’élever jusqu’à l’idée de Dieu … ce Dieu que je ne puis saisir.
L’illusion est enracinée en moi, dans la structure de ma raison, laquelle crée des idées
métaphysiques inconnaissables et qui s’attache à cette même raison de façon profonde. Ainsi,
les idées (telles que Dieu, le monde, l’âme, etc…) sont des illusions impossibles à éviter.
2) Explication
En fait Kant part du principe suivant : Les propos scientifiques sont vérifiables tôt ou tard alors
que la métaphysique est objet de controverses sans fin.
Dès lors, ces grandes vérités qui nous détenons ne sont-elles pas des illusions puisque jamais elles
n’emportent l’adhésion ? Comment se produisent ces illusions ? Pourquoi survivent-elles ?
Kant se montre révolutionnaire en refusant d’expliquer l’illusion par le conflit entre le désir et
la raison comme nous allons le voir quelques lignes plus bas-.
Pour Kant l’illusion véritable est métaphysique, et celle-ci dérive de la raison pure elle-même. Avant
d’aller plus loin, retenons bien sa distinction :
* Phénomène : ce qui apparaît aux sens. Ce n’est pas la chose en soi. Le phénomène n’est ni vrai, ni
faux en soi, puis que c’est le donné sensible avant tout jugement. Le phénomène est la matière première
de la science objective.
* Illusion : Elle suppose toujours un jugement.
- Soit, elle suit le donné sensible (le bâton dans l’eau est cassé)
- Soit, elle est métaphysique (on ne peut pas prouver l’existence ou l’inexistence de Dieu), elle est
invérifiable, d’où qu’elle est objet de discussions sans fin. Ces illusions métaphysiques viennent de
la raison elle-même car elles ne peuvent s’empêcher de poursuivre au-delà de toute expérience. Les
dogmes de la métaphysique (il nomme ainsi l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme, etc…) sont
des idées produites par la raison qui ne peuvent ni se prouver, ni se réfuter.
- L’erreur qui dérive du raisonnement logique (exemple du sophisme), n’est pas illusion,
puisqu’elle disparaît après démonstration contraire.
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