le fondateur « d’une grande nation » ; il sut « réunir, diriger et maîtriser les forces
particulières et opposées, bâtir des villes (…), créer à tous une communauté d’intérêt
(…) ; il reconstitua l’unité du pouvoir et le gouvernement central ; il recueillit les
restes de la civilisation et les anima d’une vie nouvelle ». L’héritage de Pépin III et de
Charlemagne est galvaudé par ses successeurs en deux générations. « Bientôt
disparurent pour longtemps, la tranquillité publique et la sécurité personnelle,
l’autorité royale, les institutions et les lois. La confusion devint générale, et le droit fut
remis à la force. Fallait-il donc passer par cette anarchie pour arriver à la
Renaissance, et la route qu’y avait tracée Charlemagne n’y conduisait-elle pas d’une
manière plus prompte et plus sûre ? »
.
Souveraineté de l’État, unité de la Nation, égalité devant la Loi, le programme
politique qui figure à l’agenda du pouvoir carolingien d’après Guérard est résolument
contemporain, dans la France de la monarchie de Juillet, gouvernée par l’historien
François Guizot. Comme l’écrivait Richard Sullivan à propos du Carolingian Age, ces
conceptions, qui traversent toute l’historiographie de l’époque carolingienne jusqu’à
nos jours, sont associées à une vision de l’histoire en mouvement, tendant à
démontrer quand et comment des forces ont transformé une société fragmentée,
désorganisée et anarchique en structures unifiées, en fondements institutionnels et
culturels, en une civilisation holistique
.
Ces représentations font partie intégrante de la mémoire transmise d’une génération
d’historiens à l’autre, durant le XIXe et la moitié du XXe siècle. Dès le début du XIXe
siècle, les éléments principaux d’une grande narration, plaçant la « renaissance »
carolingienne entre deux longues phases de régression, sont en place. « Quand le
mal fut arrivé à son comble mais aussi à son terme », écrit Jacques Flach à propos
du Xe siècle, dans ses Origines de l’ancienne France (1893), « quand les invasions
furent refoulées ou triomphèrent, il s'opéra une nouvelle prise de possession du sol ;
il s'introduisit dans les campagnes un régime nouveau »
. Flach est le premier
historien français à présenter aussi clairement l’hypothèse d’une grande mutation de
l’an Mil, précédée par la misère généralisée et le chaos.
Guérard (1844), Polyptyque de l’abbé Irminon, t. 1, pp. 199-205.
Sullivan (1989), The Carolingian Age.
Flach (1893), Les origines de l’ancienne France, Paris, p. 75.