Tableau 5-3 : Les cinq stratégies « anti

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D’après le tableau 5-2 ci-dessus, nous constatons que les études menées sur la base
d’une analyse de « niveau 1 », c’est-à-dire les études qui portent sur le mode de dynamique
intrajournalière propre à la microstructure du marché des changes, sont essentiellement de
nature empirique. Cependant, rares sont celles qui analysent les flux d’échanges réels que
gèrent les cambistes interbancaires sur le marché, à l’exception des études de Lyons (1995,
1996, 1998), et de Yao (1997a, 1997b). Ces deux auteurs suivent chacun, pendant plusieurs
jours, l’évolution continuelle de la position gérée par un grand (en termes de volume de
transactions réalisées) cambiste interbancaire à New York sur le « sous-marché » du dollarmark. Ce type d’étude « personnalisée » est pourtant confrontée à une limite essentielle : en
effet, si nous soulignons de nouveau la présence d’une hétérogénéité entre cambistes sur le
marché des changes, les résultats obtenus à partir de ces études s’avèrent spécifiques, et ne
peuvent être généralisés sur l’ensemble du marché.
A cet égard, les résultats issus des autres études intrajournalières semblent plus
légitimes au regard de leur « représentativité » vis-à-vis des résultats de Lyons et de Yao. En
effet, ces études s’appuient essentiellement sur trois catégories de données tirées des
activités enregistrées sur les réseaux électroniques de Reuters, données pour l’instant les plus
accessibles aux chercheurs. La première catégorie de données concerne les prix cotés du
marché communiqués sur les pages FXFX de Reuters. La seconde est représentée par une
compilation des chaînes de cotations entreprises directement entre cambistes interbancaires
sur le réseau R2000-1. Quant à la troisième, elle relève les informations relatives aux
transactions réalisées sur le réseau R2000-2, un système récent de courtage électronique qui
commence à prendre la place des courtiers traditionnels sur le marché des changes. Comme
ces réseaux de Reuters sont largement utilisés par les cambistes interbancaires sur le marché,
le recours aux données tirées de ces réseaux peut être considéré comme une collection
implicite des informations recensant toutes les activités qui ont lieu, au cours d’une certaine
période, sur un certain segment du marché interbancaire des changes. Ces informations ne
reflètent pas, certes, l’ensemble des activités opérées sur le marché des changes. Mais elles
s’avèrent beaucoup plus représentatives au niveau du marché, que les données relatives aux
transactions réalisées par un seul cambiste, données utilisées par Lyons et par Yao.
Cependant, la présence de deux problèmes liés à la qualité des données de Reuters
discrédite en partie la pertinence des résultats de ces études en termes de représentativité. Le
premier problème repose sur la nature approximative de ces données. Comme nous l’avons
déjà souligné dans la sous-section VI-3 du chapitre 4, la nature des cotations communiquées
sur le réseau électronique de télécommunications a tendance à être référentielle plutôt que
Chapitre 5
157
ferme, en raison de leur rapidité et de leur fréquence au regard aux cotations traditionnelles
réalisées via le réseau vocal téléphonique. En conséquence, les données de Reuters ne sont
pas des informations reflétant les transactions réelles réalisées sur le segment du marché
concerné. Quant au second problème, il s’agit du fait que seules les données en termes de prix
sont disponibles dans ces bases de données. Aussi, leurs utilisateurs sont-ils obligés de
chercher des substituts adéquats pour mesurer le volume des transactions réalisées, afin de
pouvoir analyser correctement le processus intrajournalier d’échange sur un sous-marché des
changes. Toutes ces lacunes méthodologiques montrent que les analyses microstructurelles du
marché des changes au « niveau 1», malgré leur abondance relative, par rapport aux études
menées aux deux autres « niveaux », restent encore à approfondir, sans parler de leur faiblesse
sur la plan théorique.
IV. La dynamique du spread interbancaire à court terme : analyse théorique
Dans la section précédente, nous avons établi un bilan concernant les études
microstructurelles du marché des changes dans la littérature économique. Comme nous
l’avons constaté dans ce bilan, ces études microstructurelles se réalisent essentiellement dans
une optique de court terme, voire de très court terme, c’est-à-dire dans un cadre d’analyse au
« niveau 2 » et au « niveau 1 ». Contrastant avec les analyses au « niveau 1 », les analyses au
« niveau 2 » semblent avoir témoigné d’une « stagnation », en particulier depuis le milieu des
années 90. C’est dans cet esprit que nous visons, dans cette section et la section suivante, à
développer une étude microstructurelle à base du « niveau 2 », à la fois théorique (section IV)
et empirique (section V), du marché des changes. Cette étude met au point, dans son analyse,
essentiellement la dynamique journalière du processus de formation des prix, et son résultat,
sur un sous-marché (où s’échangent un couple spécifique de devises) interbancaire des
changes. Elle nous permettra de mieux appréhender les facteurs clés dans la détermination
du spread interbancaire à court terme sur ce marché, ainsi que les liens entre eux.
IV-1. La gestion des flux d’ordres : question centrale de l’analyse microstructurelle
Sur la plan théorique, nous avons, dans la première section du présent chapitre, mis en
évidence que la question relative à la gestion des flux stochastiques d’ordres, détaillants et
interbancaires, constitue le « noyau dur » d’une étude théorique de la microstructure du
Chapitre 5
158
marché des changes. C’est la raison pour laquelle nous commençons notre analyse, en nous
intéressant à cette question fondamentale.
Pour un cambiste interbancaire typique qui travaille sur un sous-marché des changes,
l’évolution journalière de sa gestion des flux d’ordres peut être résumée par le biais de la
figure 5-2 ci-dessous. Commençant sa « journée » par un solde de zéro 1 (I = 0 dans la figure)
de ses « inventaires » sous forme de devises, le cambiste est confronté, tout au long de la
journée, aux flux d’ordres de nature aléatoire. Ces derniers, quelle que soit leur caractéristique
(achat ou vente de devises, ordre donné par un client ou par un confrère), sont représentés,
dans cette figure, par les flèches noires. Comme l’objectif primordial du cambiste consiste à
servir d’intermédiaire sur le marché, sans courir un risque de change trop important, il doit,
non seulement rééquilibrer le niveau de ses inventaires à zéro à la fin de la journée, mais
également revoir l’encours actualisé de ses réserves de devises, au bout d’un certain temps au
sein de la journée, afin d’éviter qu’une importante position ouverte dure trop longtemps. En
d’autres termes, la gestion journalière des flux d’ordres par un cambiste est caractérisée par
des « cycles » qui décomposent une journée typique en plusieurs périodes (les T périodes dans
la figure ci-dessous).
Figure 5-2 : La gestion journalière des flux d’ordres par un cambiste interbancaire
p = 1,
2,
3,
…
t, …
p=T
achat de devises
vente de devises
I >0
I =0
I <0
1
Rappelons que ce solde s’apparente à la définition de la « position couverte » qui peut se différer d’un
cambiste à l’autre.
Chapitre 5
159
Au sein de chaque période p, le cambiste réajuste son niveau d’inventaires (I), en
achetant ou vendant des devises sur le marché interbancaire. Ces achats ou ventes sont, dans
la figure 5-2, représentés par les flèches grises. Si nous nous référons de nouveau au schéma
5-1, lequel a montré que l’ordre de transaction reçu par un cambiste interbancaire vient, soit
du marché clientèle (les demandeurs ou les offreurs initiaux de devises), soit du marché
interbancaire (les autres cambistes qui jouent le rôle de « client » sur ce marché), ces achats
et ventes qui ont pour objectif de rééquilibrage de la position peuvent alors être considérés
comme des mesures « anti-choc » face aux flux aléatoires d’ordres en provenance de ces
deux marchés, où se génèrent des « chocs » qui affectent la « gestion de position » d’un
cambiste. Cependant, ces « chocs » sont non seulement aléatoires, mais également
hétérogènes. En conséquence, le cambiste doit choisir une stratégie adéquate au moment de
chaque « choc ». Selon la circonstance, il a le choix entre cinq stratégies « anti-choc »
possibles, résumées dans le tableau 5-3 ci-dessous.
Tableau 5-3 : Les cinq stratégies « anti-choc » pour un cambiste interbancaire
stratégies
avantages
inconvénients
contact direct avec un autre
cambiste interbancaire pour
donner un ordre
rapidité et certitude de la conclusion
de la transaction « anti-choc »
payer la moitié du spread ; prix éventuellement défavorable ; révélation
implicite des informations privées
recours aux courtiers
prix souvent favorable ;
discrétion – éviter toute révélation
des informations privées
exécution relativement longue et
incertaine de l’ordre posé ; payer les
commissions aux courtiers
ajustement parallèle du prix
« bid » et du prix « ask »
mécanisme automatique pour le
rééquilibrage de la position
révélation explicite de la position ;
risque d’une position non désirée
recours à d’autres marchés
tels que celui des swaps de
change
flexibilité du réajustement de position
dans une optique « dynamique » ;
utile en cas de manque de liquidité du
marché à court terme
payer les frais supplémentaires
pour l’opération de change réalisée
spéculation
tirer des profits supplémentaires en
cas de tendance favorable des prix
augmenter le risque de position
pour le cambiste interbancaire
Les éléments dans le tableau 5-3 montrent, en fait, un troisième aspect concernant
l’hétérogénéité (les deux premiers ont été abordés dans la première section du présent
chapitre) dans la gestion de position par cambistes interbancaires. En effet, ces agents
peuvent, au gré de la nature de chaque « choc » auquel ils sont confrontés, avoir les divers
modes d’arbitrage en termes d’avantages et d’inconvénients, entre ces cinq stratégies « antichoc ». En ce qui concerne la première stratégie, elle consiste à donner un ordre d’achat (de
vente) à un confrère, suite à la réception d’un ordre d’achat (de vente) donné par un client ou
Chapitre 5
160
un cambiste jouant le rôle de client. En d’autres termes, il s’agit d’une transmission
immédiate du « choc » à un confrère sur le marché interbancaire. C’est pourquoi, dans la
littérature économique, cette stratégie est également caractérisée par le terme « hot-potato
trading » (ou transaction de nature « hot-potato ») pour mettre en valeur sa nature liée à une
situation où l’on est impatient de se débarrasser des problèmes épineux. Il faut souligner que
parmi les cinq stratégies « anti-choc », cette stratégie s’avère la moins risquée, car, grâce à
une obligation implicite de la cotation réciproque imposée aux cambistes sur le marché,
l’ordre donné à un confrère sur le marché interbancaire est toujours exécutable par
anticipation. En conséquence, le « risque de position » résultant du choc sous la forme de flux
d’ordres est éliminé par le biais de cette stratégie. Cependant, le cambiste doit payer la moitié
du spread1 au confrère qu’il contacte, d’autant que cette opération est susceptible de révéler
ses informations privées, si elles existent, via l’ordre qu’il passe.
C’est pourquoi, lorsqu’un cambiste est confronté à un « choc » qui lui apporte des
informations importantes sur la tendance du marché, il a intérêt à privilégier la seconde
stratégie « anti-choc » par rapport à la première, pour éviter de perdre les avantages
informationnels dont il peut profiter sur le marché. En effet, le recours au service offert par les
courtiers sur le marché garantit la discrétion de la transaction « anti-choc » destinée à
rééquilibrer la position du cambiste. Il ne peut garantir, en revanche, l’exécution de cette
transaction. Même si cette dernière est réalisée, la procédure entière peut s’avérer beaucoup
plus longue que celle qu’implique la première stratégie.
La troisième stratégie, l’ajustement parallèle des prix (la hausse ou la baisse
synchronisée des prix « bid » et « ask » côtés), fonctionne essentiellement sur la base d’une
logique2 de rééquilibrage en termes de quantité, par le prix. Il faut souligner que cet
ajustement des prix n’affecte pas le niveau du spread : les prix sont modifiés, mais l’écart
entre eux reste inchangé. Pourtant, en cas d’ajustement des prix trop radical (forte hausse ou
baisse des prix) par rapport au niveau des prix proposés sur le marché, cette stratégie risque de
produire deux incidences défavorables pour le cambiste concerné. D’une part, via la cotation
des prix réajustés, les autres cambistes sur le marché peuvent aisément détecter l’existence
ainsi que le contenu des informations qu’implique la position « anormale » de ce cambiste. A
1
Du fait que le spread est défini comme l’écart entre le prix « ask » et le prix « bid », le « coût » pour une
opération (achat ou vente de devises) de nature « hot-potato » est seulement la moitié de cet élément, à savoir
l’écart entre le prix « ask » et le prix « central » ou entre le prix « central » et le prix « bid ».
2
Cette logique a déjà été éclairée, dans la section III du chapitre précédent, lorsque nous présentions les
principales conclusions obtenues de l’étude d’Amihud & Mendelson (1980).
Chapitre 5
161
cet égard, l’emploi de cette stratégie « anti-choc » est équivalent à une diffusion volontaire et
gratuite des informations privées qu’a le cambiste, si elles existent. D’autre part, les flux de
demande et d’offre sur le marché des changes étant complexes et aléatoires non seulement au
niveau d’un cambiste mais également au niveau du marché, le fonctionnement de cette
stratégie ne suit pas nécessairement, en pratique, sa logique de base de manière rigoureuse. Si,
par exemple, l’offre globale d’une devise sur un sous-marché est à un moment donné
beaucoup plus importante que sa demande globale, la mise en place d’une stratégie de baisse
parallèle des prix « bid » et « ask », stratégie visant au départ à rééquilibrer une position
longue, peut risquer de ne faire appel qu’à plus de devises indésirables.
La quatrième stratégie « anti-choc » qu’un cambiste interbancaire peut adopter
concerne sa gestion de position dans une optique dynamique, car il s’agit du recours au
marché à terme, où sont possibles des échanges intertemporels de devises, tels que les swaps
de change, voire les contrats de futures ou d’options sur devises dans une optique plus large.
Le principal intérêt de cette stratégie consiste à accorder aux cambistes une plus grande
flexibilité au regard de leur gestion de position en termes de dimension temporelle. C’est
pourquoi cette stratégie peut s’avérer particulièrement utile lorsque la liquidité du marché à
court terme est faible.
La cinquième stratégie « anti-choc », la spéculation, est sans doute la stratégie la plus
risquée. Contrairement aux stratégies précédentes dont l’objectif est d’empêcher toutes
positions ouvertes, cette stratégie crée délibérément une position ouverte (longue ou courte),
en espérant qu’elle servira ultérieurement à produire des gains spéculatifs lors d’une tendance
favorable des prix sur le marché. La stratégie spéculative a depuis longtemps fait l’objet d’un
débat où l’on accuse la spéculation excessive menée par les cambistes sur le marché des
changes d’être la cause primordiale de la volatilité du taux de change. Pourtant, d’après les
études de Yao (1997a, 1997b) et de Lyons (1998), la spéculation est loin d’être une « affaire »
profitable pour les cambistes interbancaires : leurs principales sources de profits sont, en fait,
issues de la gestion « classique » des flux d’ordres par le biais des quatre premières stratégies
« anti-choc ». Des activités spéculatives peuvent, certes, rapporter des gains occasionnels.
Mais dans une optique temporelle plus longue, les profits résultant de la spéculation
deviennent quasi négligeables. Selon ces auteurs, la volatilité sur le marché interbancaire des
changes est essentiellement un « phénomène logique » résultant du fait que l’adoption de la
stratégie « anti-choc » la moins risquée, à savoir du « hot-potato trading », prédomine au sein
de ce marché. En présence du « hot-potato trading » mutuel entre cambistes interbancaires, la
nature des flux d’ordres interbancaires devient plus complexe, en raison d’une multiplication
Chapitre 5
162
spectaculaire du volume d’échanges sur le marché, ce qui peut expliquer ainsi pourquoi le
marché des changes constitue le marché le plus grand du monde, étant donné son volume de
transactions qui s’avère plusieurs fois plus important que celui qui existe dans le domaine du
commerce international.
La présence de stratégies multiples au regard de la gestion des flux d’ordres par les
cambistes implique qu’une modélisation généralisée de la dynamique microstructurelle du
marché des changes soit quasi invraisemblable, en particulier si nous parlons d’analyses
menées au « niveau 1 », à savoir des modélisations de nature intrajournalière. C’est ainsi que
nous nous contentons, dans les analyses suivantes, de ne porter notre attention que sur la
dynamique microstructurelle du marché des changes à base journalière. En effet, en présence
de la « concurrence à la Bertrand » résultant de la pratique de cotation réciproque obligatoire
entre cambistes sur le marché interbancaire, l’ampleur de l’hétérogénéité au sein de ces
derniers sera atténuée, face à une convergence naturelle des prix au niveau du marché au bout
d’une journée d’interactions entre ces agents.
IV-2. Un modèle à base journalière : modélisation générale
La construction de notre modèle théorique s’inspire essentiellement de Black (1991) et
de Hartmann (1998b), mais souligne davantage le rôle que jouent les flux d’ordres, à la fois
clientèles et interbancaires, dans la détermination du spread à court terme sur le marché
interbancaire. Comme nous venons de l’évoquer ci-dessus, la concurrence à la Bertrand a
tendance à régner sur ce marché en raison de l’obligation de cotation réciproque entre
cambistes, il en résulte donc :
lim St, i = St, m , i = 1, 2, … n .
(5.1)
En d’autres termes, au cours du jour t, les spreads proposés par les n cambistes i présents sur
un marché interbancaire des changes (plus précisément, sur un « sous-marché » où s’échange
un couple de devises), convergeront vers le spread du marché, St, m. En cas de non respect de
cette « loi » de la part d’un cambiste, sa gestion des flux d’ordres deviendra difficile en raison
d’une liquidité insuffisante offerte par les autres cambistes sur le marché.
Nous supposons que la position d’un cambiste représentatif commence toujours à zéro
au début de chaque jour t, et redevient zéro à la fin, ce qui implique ainsi que le volume
journalier total de ses achats de devises égale le volume journalier total de ses ventes de
devises. Ce volume représente, en fait, le « volume des échanges » qu’il réalise au cours de ce
Chapitre 5
163
jour t représentatif. D’après le schéma 5-1, la figure 5-2 et le tableau 5-3, cet élément
comprend, en fait, trois groupes de transactions : celles liées aux ordres donnés par clients,
celles liées aux ordres donnés par confrères interbancaires, et enfin celles liées aux
transactions « anti-choc » visant à un rééquilibrage de la position affectée par les deux
premiers groupes de transactions. Supposons, tout d’abord, qu’il n’existe pas d’innovations
d’informations sur le marché au cours du jour t. Le volume d’échanges pour chaque groupe de
transactions correspond donc purement au volume d’échanges anticipé sur la base des
informations du passé (entre autres, du jour t – 1), et reflète, en fait, l’équilibre anticipé entre
les flux de demande et les flux d’offre pour le jour t. Ensuite, nous supposons qu’il existe une
certaine répartition constante entre les trois groupes de transactions au sein du volume
anticipé total à ce jour t, désigné par Vt.
La composition de ces trois groupes de transactions est la suivante. Dans un premier
temps, la part du volume d’échanges relatifs aux stratégies « anti-choc » est de l dans Vt , et la
part du volume d’échanges initiaux, à savoir des transactions de nature « choc », est par
conséquent de 1 – l. Dans un second temps, au sein de ces transactions initiales, (1 – l)Vt , la
part des transactions réalisées avec les clients (ordres clientèles) est de c, et celle des
transactions réalisées avec les confrères (ordres interbancaires) est donc de 1 – c. Cette part c
mesure ainsi l’importance de la base clientèle du cambiste et de la banque commerciale dont
il dépend, par rapport à celle de ses « clients interbancaires » sur le marché des changes.
Cependant, à cause de la nature aléatoire de ces ordres, à la fois clientèles et interbancaires,
leur arrivée est rarement synchronisée de manière parfaite, c’est-à-dire qu’il est a priori peu
vraisemblable qu’un ordre d’achat soit tout de suite exécuté grâce à l’arrivée immédiate d’un
ordre de vente correspondant. C’est dans ce contexte que se crée le volume de transactions de
nature « anti-choc », permettant d’atteindre l’objectif principal du cambiste : la « bonne » (au
sens où le risque de change lié à une position ouverte est minimisé) gestion de sa position. A
cet égard, la part l représente le niveau moyen de « non-synchronisation » des flux d’ordres
sur le marché, et l/(1 – l) représente une sorte de « multiplicateur » de transactions « antichoc » générées par les transactions « choc » dont la réalisation crée très souvent une position
ouverte pour le cambiste.
Il faut pourtant faire remarquer que cette « non-synchronisation » résulte
essentiellement de la microstructure spécifique du marché interbancaire des changes, à savoir
du mode d’échange de gré à gré entre cambistes interbancaires, si bien que ces derniers
doivent prendre du temps pour exécuter les ordres passés. A cet égard, la part l peut être
Chapitre 5
164
également interprétée comme l’ampleur de la volatilité anticipée, ou encore comme l’inverse
du degré de « liquidité systématique » de ce sous-marché des changes.
Grâce à cette répartition constante des trois composants de transactions dans le volume
d’échanges total journalier, nous pouvons écrire le profit journalier anticipé pour le cambiste
représentatif, par le biais de l’équation suivante :
Pt = [St, m(1 + b)]c(1 – l)Vt + St, m(1 – c)(1 – l)Vt – St, m lVt – Ft .
(5.2)
Notons tout d’abord que le spread du marché est utilisé pour calculer le profit du cambiste,
étant donné l’effet qu’a la concurrence à la Bertrand en vigueur, effet décrit dans (5.1), sur le
marché. Ce profit est composé de quatre éléments. Le premier élément concerne les recettes
issues des transactions avec les clients. Comme la banque commerciale, pour laquelle travaille
le cambiste, bénéficie d’un certain degré de pouvoir monopolistique vis-à-vis de ces clients,
le spread est majoré, dans cet élément, de b (nous supposons que 0 < b < 1) qui reflète le
niveau de ce pouvoir local. Il faut faire remarquer d’ailleurs que, comme le volume Vt égale à
la fois le volume des achats de devises et le volume des ventes de devises (condition de
position zéro pour le début et pour la fin du jour t), et que le spread représente l’écart entre le
prix ask et le prix bid, le spread multiplié par le volume de transactions clientèles donne donc
le gain total qu’en tire le cambiste. Les second et troisième éléments concernent les
transactions réalisées sur le marché interbancaire. Le second s’apparente au spread gagné
grâce à la demande de liquidité venant des confrères, alors que le troisième s’apparente, au
contraire, au spread payé (donc avec un signe négatif) aux confrères dans les transactions
stratégiques « anti-choc ». Il est pourtant nécessaire de signaler que l’entrée de St, m dans cet
élément pour servir au calcul du prix unitaire de toutes les transactions « anti-choc » implique
que nous y supposions une similitude de coût pécuniaire nécessaire pour mener ces opérations
« anti-choc ». Cette condition semble toutefois raisonnable, car, comme le montre le tableau
5-3, la différence des « coûts » entre ces opérations est qualitative (arbitrage entre leurs
avantages et leurs inconvénients) plutôt que quantitative.
Enfin, le dernier élément, Ft, caractérise tous les coûts opérationnels engendrés au
cours du jour t, pour le cambiste représentatif. Certes, certains de ces coûts sont de nature
variable (avec le volume de transactions), comme des frais divers généraux. Mais ils sont a
priori peu importants, par rapport aux coûts opérationnels de nature fixe. En effet, ces
derniers sont beaucoup plus importants, car ils sont liés à la mise en place des systèmes de
télécommunications de transactions, tels que l’abonnement au réseau électronique comme
Chapitre 5
165
R2000-1, ou le forfait de communications téléphoniques internationales. Nous avons donc
inclus seulement les coûts opérationnels fixes dans le calcul du profit.
Le marché interbancaire étant un marché concurrentiel, le profit du cambiste
interbancaire a tendance à converger vers zéro à cause de la présence permanente de l’entrée
de nouveaux confrères sur le marché. Cette tendance suggère ainsi qu’à l’équilibre :
St, m = Ft / [(1+ bc– 2l – lbc)Vt] .
(5.3)
D’après cette équation, nous pouvons constater que :
St, m = f (Vt , l, c, b, Ft ) .
–
+ – –
(5.4)
+
La relation négative entre le volume total d’échanges et le spread peut s’expliquer de deux
façons. D’une part, un plus grand volume d’échanges a pour effet d’amplifier la répartition
des coûts opérationnels au sein des transactions réalisées, ce qui réduit donc le coût unitaire
de transaction que représente le spread pour la réalisation de l’échange entre devises. D’autre
part, ce volume mesure le niveau global de liquidité, laquelle s’apparente au « dynamisme »
des activités présentes sur le sous-marché. Comme une plus grande liquidité signifie une
meilleure « synchronisation » potentielle des ordres passés, le coût de transaction représenté
par le spread en conséquence diminue. Inversement, l représentant le niveau de « nonsynchronisation » des ordres sur le marché, la relation entre l et le spread est donc positive.
Pour ce qui est des relations négatives entre le spread et c, et entre le spread et b, elles
montrent qu’une augmentation des recettes tirées du marché clientèle sert à « financer » les
activités sur le marché interbancaire. En conséquence, la hausse de c ou de b a pour effet de
compenser une partie des coûts de transaction engendrés sur le marché interbancaire, ce qui
réduit donc le niveau global du spread en tant que coût global de transaction pour l’échange
de devises. Enfin, la relation positive entre le spread et les coûts opérationnels fixes implique
qu’un progrès technologique servant à la réduction des coûts opérationnels fixes (des coûts de
télécommunications, par exemple) favorisera une baisse générale du spread sur le marché
interbancaire. Il faut pourtant signaler que l’équation (5.3) suggère une condition nécessaire à
la présence d’un spread positif sur le marché :
l < (1+ bc)/(2 + bc) .
(5.5)
Du fait que 0 < b < 1, et 0 < c < 1, le niveau maximal de l se situe donc entre 1/2 et 2/3. Cette
condition confirme ainsi que la présence des transactions « choc » est primordiale pour qu’un
sous-marché des changes fonctionne normalement.
Chapitre 5
166
IV-3. Détermination du spread en présence d’innovations d’informations
Le modèle que nous venons de construire se fonde pourtant sur une hypothèse selon
laquelle des innovations d’informations sur le marché sont absentes. Pour mieux
appréhender la dynamique de la détermination du spread interbancaire à court terme, nous
devons l’approfondir, en y ajoutant les « événements » nouveaux qui ont lieu au cours de ce
jour t, et qui affectent les flux d’ordres, à la fois clientèles et interbancaires, sur ce sousmarché représentatif. D’abord, nous supposons que l’arrivée de « nouvelles informations »
affecte le sous-marché à deux niveaux.
D’un côté, elle modifie le volume d’échanges qui est, soit augmenté, soit diminué,
selon le contexte sous-jacent des informations. Nous désignons a pour mesurer l’ampleur de
cet ajustement en termes de volume d’échanges. Si Vt représente, comme dans le modèle
précédent, le volume total (transactions « choc » et « anti-choc ») anticipé d’échanges qui se
crée sur la base des informations du passé, et de la microstructure essentielle du marché des
changes, aVt représente le volume d’échange non anticipé qui modifie le niveau du volume
total de transactions faisant suite à l’arrivée des nouvelles informations. Il faut cependant
signaler que 0 < a < 1 lorsqu’il s’agit d’une baisse de volume d’échanges, car le maximum de
cette baisse se limite au volume anticipé du marché. Il n’existe pas, en revanche, de limite
pour a lorsqu’il s’agit d’une hausse : cet élément est simplement un nombre positif.
De l’autre, les nouvelles informations n’étant pas nécessairement interprétées de la
même manière par les participants au marché, elles provoquent un désaccord sur les prix (les
taux de change), ce qui crée un déséquilibre temporaire du marché, à savoir une présence
d’offre excessive ou de demande excessive, selon le contexte des informations ainsi que les
interprétations. Ce déséquilibre se traduit, d’une part, par la présence immédiate d’une
position ouverte pour le cambiste, et d’autre part, par une hausse de volatilité sur le marché,
volatilité qui reflète le déroulement d’un processus d’ajustement faisant suite au « choc
informationnel ». Nous désignons, dans le modèle suivant, d, 0 < d < 1, pour mesurer
l’ampleur de l’impact net qu’a ce désaccord sur les prix.
Sur la base du modèle statique résumé par (5-1) – (5.5), nous analysons la
détermination du spread interbancaire lorsqu’il existe des innovations d’informations sur le
sous-marché, en étudiant respectivement les deux cas suivants : des innovations
informationnelles qui augmentent le volume d’échanges anticipé d’une part, et des
innovations qui diminuent celui-ci d’autre part.
Chapitre 5
167
Nous examinons d’abord le premier cas où l’arrivée des nouvelles informations a pour
effet d’augmenter le volume d’échanges. En suivant la logique de (5.2), nous pouvons écrire
le nouveau profit représentatif pour le cambiste :
Pt = (1 + a – ad/2)[St, m(1 + b)]c(1 – l)Vt
+ (1 + a – ad/2)St, m(1 – c)(1 – l)Vt
– (1 + a – ad/2)St, m l(1 + d)Vt
– r(St, m/2)[(1 – l) + l(1 + d)] adVt – Ft .
(5.6)
Du fait que Vt représente, comme dans l’équation (5.2), le volume total anticipé d’échanges,
le terme (1 + a – ad/2) mesure, dans les deux premiers éléments, le nouveau volume de
transactions de nature « choc ». Nous supposons que le désaccord net sur les nouveaux prix
du marché ne concerne que la partie non anticipée du volume d’échanges (aVt). La demande
ou (selon le contexte des informations nouvelles) l’offre excessive nette qui se crée est donc,
par exemple dans les transactions clientèles, seulement de adc(1 – l)Vt, dont d mesure la part
de ce déséquilibre dans cette partie de volume augmenté. Il faut noter que, comme seule la
moitié du spread est « gagnée » dans cette partie de transactions (demande ou offre
excessive), une part de ad/2 est déduite de ce terme.
Le troisième élément dans (5.6) représente le nouveau volume de transactions « antichoc », suite à l’ajustement du volume d’échanges sur les marchés clientèle et interbancaire.
En supposant que le désaccord sur les nouveaux prix du marché ait pour effet de susciter plus
de transactions « anti-choc » pour rééquilibrer la position du cambiste, nous majorons ce
volume d’une part de d.
Du fait que l’arrivée des nouvelles informations a pour effet de créer une demande ou
une offre excessive temporaire sur le marché des changes, le cambiste doit chercher à
résoudre ce problème, par le biais d’un ajustement du taux de change pour susciter des flux
d’ordres, en particuliers des ordres venant des spéculateurs sur le marché, afin d’atteindre un
nouvel équilibre du marché, ce qui rééquilibre sa position. Cet ajustement du cours de change
engendre, outre le spread, un coût supplémentaire à payer. Nous supposons que le coût total
unitaire de cette opération de rééquilibrage est de rSt, m/2, dont r représente un multiplicateur
(à cet égard, a priori, r > 1) du spread, qui mesure le niveau du prix que les « spéculateurs »
sont prêts à acheter ou à vendre des devises excessives. A cet égard, le paramètre r reflète le
degré de leur aversion pour le risque. Du point de vue du cambiste, ce paramètre mesure, en
revanche, le « coût » maximal qu’il est prêt à supporter en vue d’un rééquilibrage de la
position. Enfin, le dernier terme dans (5.6), Ft , représente toujours les coûts opérationnels
fixes pour le cambiste.
Chapitre 5
168
L’équation (5.6) propose des relations entre le spread et ses principaux déterminants
dans ce nouveau modèle1 :
St, m = f (Vt , l, c, b, Ft , a, d, r) .
–
+ – –
+
(5.7)
* + +
Les relations entre le spread et les cinq premiers facteurs sont identiques à celles décrites dans
(5.4). La nouveauté réside dans deux relations positives entre le spread et le désaccord sur les
nouveaux prix du marché (ou la volatilité non anticipée), et entre le spread et le degré
d’aversion pour le risque des « spéculateurs », et dans une relation qui peut s’avérer ambiguë
dans certains cas, entre le spread et l’ajustement non anticipé du volume d’échanges. D’après
la note 1 ci-dessous, la condition suivante est nécessaire pour que cette dernière relation soit
sans ambiguïté positive :
rd(1 + ld) > 2(1+ bc) .
(5.8)
En d’autres termes, l’impact positif qu’a le volume non anticipé sur le spread dépend, en
grande partie, du niveau de r, étant donné que 0 < d < 1, 0 < l < 1, et r > 1. Enfin, la
détermination d’un spread positif (G > 0, voir également la note 1 ci-dessous) dans ce
nouveau modèle nécessite l’accomplissement de deux conditions :
r < (2 + 2a – ad)(1 + bc – 2l – lbc– ld)/[ad(1 + ld)] ,
l < (1 + bc)/(2 + bc + d) .
(5.9)
(5.10)
Du fait que 0 < b < 1, 0 < c < 1, et 0 < d < 1, le niveau maximal de l se situe entre 1/3 et 2/3.
Quant au maximal imposé à r, il montre que le prix que le cambiste peut payer pour résoudre
le problème de demande ou d’offre excessive temporaire a sa limite.
Après avoir examiné le cas d’une hausse du volume d’échanges faisant suite à l’arrivée
de nouvelles informations sur le marché des changes, nous étudions ensuite le second cas,
c’est-à-dire une baisse du volume total de transactions, qui se réalise en raison d’innovations
d’informations. Rappelons, tout d’abord, que 0 < a < 1 dans ce cas, car le volume en baisse ne
peut excéder le volume initial anticipé.
Le profit représentatif du cambiste devient dans ce cas :
1
Comme dans le modèle statique où nous supposons que le profit du cambiste converge vers zéro lors de
l’équilibre du marché, nous avons ici : St, m = 2Ft /(VtG), où G = [2 + a(2 – d)](1 + bc – 2l– lbc– ld) – adr(1 + ld),
ainsi que ∂St, m/∂l = [2Ft /(VtG²)]{[2 + a(2 – d)](2 + bc + d) + ad²r} > 0, ∂St, m/∂d = [2Ft /(VtG²)][2l + abc(1 – d) +
a(1 + r + drl – 2l)] > 0, étant donné que r > 1 et 0 < 2l < 2, et ∂St, m/∂a = [2Ft /(VtG²)]{[4l + lbc(2 – d) + d(1 – ld)
+ bcd] + (dr + d²rl – 2 – 2bc)}. Notons que le signe de ∂St, m/∂a ne peut être déterminé sans ambiguïté, car le
terme (dr + d²rl – 2 – 2bc) n’est pas sans ambiguïté positif.
Chapitre 5
169
Pt = (1 – a + ad/2)[St, m(1 + b)]c(1 – l)Vt
+ (1 – a + ad/2)St, m(1 – c)(1 – l)Vt
– (1 – a + ad/2)St, m l(1 + d)Vt
– r(St, m/2)[(1 – l) + l(1 + d)] adVt– Ft .
(5.11)
Le terme (1 – a + ad/2) pour calculer le nouveau volume des trois groupes de transactions est
symétrique de celui de (5.6). La seule différence consiste en la part d’ajustement qui figure
dans les transactions de nature « anti-choc » : nous supposons que l’arrivée des nouvelles
informations augmente systématiquement le niveau de « non-synchronisation » des ordres, et
donc l’importance des transactions stratégiques, d’où (1 + d) au lieu de (1 – d) dans le
troisième élément de (5.11). Enfin, comme le recours aux « spéculateurs » en raison d’une
demande ou d’une offre excessive, présente sur le marché, reste inchangé, quelle que soit la
direction du changement du volume d’échanges, le quatrième élément est identique à celui
dans l’équation (5.6). Le dernier élément représente toujours les coûts opérationnels fixes
pour le cambiste.
De manière similaire, nous pouvons établir des relations entre le spread et ses
principaux déterminants d’après l’équation (5.11)1 :
St, m = f (Vt , l, c, b, Ft , a, d, r) .
–
+ – –
+
(5.12)
+ * +
D’ailleurs, d’après la note ci-dessous, la condition suivante est nécessaire pour que la relation
entre le spread et le désaccord sur les nouveaux prix du marché (ou la volatilité non anticipée)
soit sans ambiguïté positive :
r > 1 + bc .
(5.13)
Comme r est a priori plus que 1, et comme 0 < b < 1 et 0 < c < 1, l’accomplissement de la
condition (5.13) semble en conséquence très probable, ce qui implique que la relation entre le
spread et la volatilité non anticipée puisse être considérée étant positive dans la plupart des
cas. Cependant, dans une optique stricte, il faut que r > 2 pour que cette relation soit sans
ambiguïté positive.
1
St, m = 2Ft /(VtH), où H = [2 – a(2 – d)](1 + bc – 2l– lbc– ld) – adr(1 + ld), d’où ∂St, m/∂l = [2Ft /(VtH²)][(4 +
2bc + 2d)(1 – a) + ad(2 + bc) + ad²(1 + r)] > 0, ∂St, m/∂d = [2Ft /(VtH²)][2l + abcl + 2adl(1 + r) + a(r – 1 – bc)], et
∂St, m/∂a = [2Ft /(VtH²)][(2 – d)(1 + bc – 2l– lbc– ld) + dr(1 + ld)] > 0 du fait que 1 + bc > 2l + lbc + ld en vertu
de la condition (5.15). Notons que seule la condition r > 1 + bc peut garantir que le signe de ∂St, m/∂d soit sans
ambiguïté positif.
Chapitre 5
170
Enfin, d’après la note ci-dessus, les deux conditions suivantes sont nécessaires pour que
le spread déterminé dans ce troisième modèle soit positif :
r < (2 – 2a + ad)(1 + bc – 2l – lbc– ld)/[ad(1 + ld)] ,
(5.14)
l < (1 + bc)/(2 + bc + d) .
(5.15)
Pour le niveau maximal de l, il est identique à celui dans le modèle précédent (hausse du
volume d’échanges), tandis que le niveau maximal de r est seulement différent dans son
premier terme.
En l’absence de nouvelles informations au jour t sur ce sous-marché représentatif, à
savoir a = 0, d = 0 (et implicitement r = 0), les deux équations (5.6) et (5.11) deviennent
identiques à l’équation (5.2). En d’autres termes, le premier modèle développé dans la soussection IV-2 constitue, en fait, un cas spécifique de notre modélisation. Si nous regroupons les
résultats obtenus à partir de ces trois équations, nous pouvons établir une relation générale
entre le spread et ses principaux déterminants :
St, m = f (Vt , l, c, b, Ft , I, r) .
–
+ – –
+
(5.16)
(+) +
Dans (5.16), I, non négatif, représente la « présence nette » des innovations d’informations sur
le sous-marché des changes. En cas d’absence de ces dernières, I = 0 (et implicitement r = 0).
Comme l’influence qu’a cet élément sur le spread dépend à la fois de l’incidence que crée a et
de l’incidence que crée d, sur le spread, et comme le signe positif de la relation entre le spread
et ces deux variables (a et d) s’apparente aux conditions (5.8) et (5.13), la relation entre I et le
spread ne peut donc être déterminée totalement sans ambiguïté. Pourtant, dans une optique
globale, nous estimons que cette relation soit positive. C’est ainsi que nous mettons son signe
positif entre parenthèses. Dans l’analyse empirique ci-dessous, nous reviendrons à cette
relation afin de vérifier si elle est, de manière appropriée, fondée.
Avant de clore notre analyse théorique de la dynamique microstructurelle du marché
des changes à court terme, nous proposons, dans le schéma 5-2 ci-dessous, un bilan
synthétisant le lien entre les principaux éléments qui déterminent le spread interbancaire dans
une dimension temporelle de court terme. D’après ce schéma, nous constatons que les quatre
principaux déterminants du spread – le volume et la volatilité anticipés, et le volume et la
volatilité non anticipés – sont déterminés respectivement par les éléments différents sousjacents. En ce qui concerne le volume anticipé de transactions, il est composé des ordres
clientèles « réguliers » (donc anticipés), et des ordres interbancaires « réguliers » qui sont de
nature à la fois « choc » et « anti-choc ». Les « fondamentaux » de l’économie (les éléments
étudiés dans la théorie traditionnelle de la détermination des taux de change, tels que les taux
Chapitre 5
171
d’intérêt ou le niveau d’inflation) décident des caractéristiques qu’ont les ordres clientèles qui
représentent la demande et l’offre initiales de devises, alors que les spécificités
microstructurelles qui sont propres au marché des changes, spécificités récapitulées dans le
schéma 5-1, définissent la nature des ordres interbancaires présents sur un sous-marché
donné. Pourtant, ces spécificités qui rendent les flux d’ordres stochastiques et la gestion de
ces derniers complexe, ont également pour effet de faire apparaître la volatilité anticipée sur le
sous-marché des changes, en raison d’une « non-synchronisation » permanente de ces flux
d’ordres, clientèles et interbancaires.
Schéma 5-2 : Lien entre les déterminants du spread interbancaire à court terme
« fondamentaux »
de l’économie
ordres clientèles « réguliers »
microstructure
du sous-marché
ordres interbancaires « réguliers »
volume anticipé
de transactions
gestion des flux
stochastiques d’ordres
relation à long terme
(voir la section VI)
–
arrivée de
nouvelles informations
ordres clientèles et interbancaires
« idiosyncratiques »
volume non anticipé
de transactions
(+) : voir (5.8)
(+)
spread interbancaire
à court terme
de transactions
volatilité des
prix anticipée
+
(+) : voir (5.13)
volatilité des
prix non anticipée
Quant aux deux éléments « non anticipés », ils s’apparentent à l’arrivée de nouvelles
informations qui créent des ordres « idiosyncratiques », à la fois sur le marché clientèle, et sur
le marché interbancaire, ordres qui forment le volume non anticipé de transactions d’une part,
et suscitent la volatilité non anticipée d’autre part. L’impact qu’ont le volume et la volatilité
non anticipés sur le spread dépend partiellement des conditions (5.8) et (5.13) que nous avons
montrées dans l’analyse ci-dessus. Mais dans une perspective globale, l’impact net que créent
les innovations d’informations sur le sous-marché des changes réside dans une hausse du
spread. Nous examinerons, dans la section suivante, cette causalité spécifique par le biais
d’une analyse empirique.
Chapitre 5
172
V. La dynamique du spread interbancaire à court terme : analyse empirique
Après avoir mené, dans la section précédente, une analyse théorique relative à la
dynamique à court terme du spread sur le marché interbancaire des changes, élément clé de
l’étude microstructurelle au « niveau 2 » de ce marché, nous entamons ensuite, dans cette
section, une analyse empirique connexe. L’objectif principal de celle-ci consiste à examiner la
pertinence de la relation entre le spread et ses déterminants, relation définie dans l’équation
(5.16) et synthétisée dans le schéma 5-2 ci-dessus.
Comme nous l’avons évoqué dans la sous-section VI-3 du chapitre précédent, et mis en
lumière de nouveau dans la section III du présent chapitre, les recherches microstructurelles
du marché des changes sont souvent confrontées à un problème essentiel concernant la
disponibilité des données sur ce marché. En effet, à cause de la nature « opaque » de ce
dernier où des devises s’échangent de gré à gré entre cambistes interbancaires, des
informations précises sur les transactions réalisées par ces agents demeurent peu accessibles
aux chercheurs. En ce qui concerne les études microstructurelles au « niveau 2 », à savoir les
études qui portent sur la dynamique journalière de la microstructure d’un « sous-marché » des
changes, seules les données issues du « marché des courtiers » au sein du marché des
changes yen-dollar à Tokyo semblent les données les plus systématiques et les plus précises
de nos jours.
D’un côté, grâce à une mesure prise par l’autorité japonaise qui demande aux courtiers
sur le marché de Tokyo de faire, chaque jour, un rapport sur les transactions qu’ils ont
réalisées, le volume agrégé des échanges réalisés par ces agents ainsi que les prix (bid, ask,
et central) au niveau du marché, sont tous présents dans les informations rendues publiques
par cette autorité. De l’autre, contrairement à la plupart des données utilisées dans l’étude
microstructurelle du marché des changes, en particulier celles fournies par Reuters, les
données du marché des courtiers à Tokyo sont tirées des transactions réellement réalisées,
et non pas de simples cotations qui n’aboutissent pas souvent à la réalisation de l’échange de
devises, en particulier dans le contexte de la généralisation des systèmes électroniques de
transactions mis en place sur le marché des changes.
Ces deux qualités inhérentes aux données tirées du marché des courtiers à Tokyo
doivent pourtant être nuancées. En effet, les activités sur ce marché ne représentent qu’un
petit segment de l’ensemble des échanges interbancaires du yen et du dollar à Tokyo.
D’ailleurs, comme nous l’avons montré dans la sous-section IV-1, le recours aux courtiers
constitue seulement l’une des cinq stratégies « anti-choc » qu’un cambiste interbancaire peut
Chapitre 5
173
adopter en vue de gérer des flux d’ordres, d’autant qu’il s’avère destiné, a priori, à la gestion
des ordres portant des informations privées. A cet égard, les analyses qui se réalisent par le
biais de ce type de données risquent de montrer la dynamique spécifique plutôt que
représentative de la microstructure du marché des changes étudié. Cependant, l’ampleur de
cette lacune s’atténue, si nous abordons cette spécificité sous un autre angle : elle nous
permet, en fait, de décrypter davantage le rôle que joue le phénomène d’asymétrie
d’information au regard du processus de formation des prix sur le marché interbancaire des
changes. C’est dans cet esprit que nous utiliserons ce type de données dans notre analyse
empirique ci-dessous.
V-1. Méthodologie générale
Les données que nous analyserons sont tirées de la banque de données de Datastream.
Quatre séries chronologiques constituent nos données de base : le volume journalier agrégé
d’échanges du yen et du dollar sur le marché des courtiers à Tokyo, le taux de change central
journalier déterminé sur le marché interbancaire à Tokyo, ainsi que les taux de change « ask »
et « bid » connexes. Sous la contrainte de la disponibilité des prix ask et bid dans cette banque
de données, notre échantillon couvre la période datant du 29 novembre 2000 au 31 mai 2001,
ce qui représente 123 jours où le marché est ouvert. Cependant, nous supprimons le jour du 26
décembre 2000 de notre échantillon. En effet, malgré un volume d’échanges extrêmement
faible (seulement 1225 millions de dollars) par rapport au volume moyen durant cette période,
les prix à ce jour restent inchangés par rapport aux jours précédent et suivant. Ce jour
représente donc un cas exceptionnel, où « l’anomalie » des activités sur le marché s’explique
par un « effet de Noël » : les principaux marchés occidentaux yen-dollar étant fermés ce jourlà, le marché des changes à Tokyo est de facto inactif. En d’autres termes, les transactions que
nous observons à ce jour ne sont que quelques échanges routiniers et sont donc peu
significatives en termes de dynamique microstructurelle journalière. Outre le jour du 26
décembre 2000, les deux premiers jours de notre échantillon servent essentiellement au calcul
et à l’estimation des variables en termes de différence première. L’échantillon final qui servira
à notre analyse suivante recense donc 120 observations, regroupées pour la période datant du
premier décembre 2000 au 31 mai 2001. Les principales statistiques descriptives de nos
données sont d’abord présentées dans le tableau 5-4 ci-dessous.
D’après ce tableau, nous constatons tout d’abord que la période que couvre notre
échantillon s’avère relativement « calme » sur le marché des courtiers à Tokyo, étant donné
Chapitre 5
174
une faible variation du taux de change yen-dollar. En ce qui concerne le spread, élément clé
de notre analyse, il est calculé par le biais de deux méthodes : le spread en termes de
pourcentage (le prix ask moins le prix bid, divisé ensuite par le taux de change central, puis
fois cent) d’une part, et le spread en termes de « points » (le prix ask moins le prix bid,
ensuite fois cent) d’autre part. Le calcul du spread par la seconde méthode permet de mettre
en évidence un « fait stylisé » relatif à la détermination du spread interbancaire sur le marché
des changes : un phénomène de regroupement (clusterling) des spreads autour de certaines
valeurs fixes. Comme le montre le tableau 5-4, les spreads en quatre, cinq, et dix points,
représentent plus de 90 % des spreads observés sur le marché des courtiers à Tokyo.
Tableau 5-4 : Les principales statistiques des données analysées1
variables
moyenne
écart type
maximum
minimum
volume d’échanges (VOL) : millions de dollars
taux de change central (TCC) : yen/dollar
taux de change « bid » (TCB) : yen/dollar
taux de change « ask » (TCA) : yen/dollar
variation du TCC en %
spread interbancaire en % (SC)
9042,02
118,63
118,59
118,67
0,07
0,06
2633,92
4,30
4,29
4,30
0,71
0,02
16237
126,67
126,62
126,72
2,07
0,09
3894
110,22
110,20
110,25
-2,24
0,02
spread en points (SP)
nombre d’observations
répartition en %
2
3
4
5
6
7
8
9
10
total
5
4,10
0
0
22
18,03
24
19,67
2
1,64
2
1,64
0
0
3
2,46
64
52,46
122
100
Note : 1 Les données comprennent 120 principales observations, plus 2 observations qui les précédent en vue
d’opérations en différence première.
Le phénomène de concentration de certaines valeurs de spread sur le marché
interbancaire peut être mieux perçu si nous nous référons au graphique 5-1 ci-dessous.
Contrairement au volume d’échanges et à la volatilité exprimée par la variation du taux de
change en pourcentage (graphiques 5-2 et 5-3), le mode de dynamique du spread interbancaire
au cours de la période s’avère un processus d’ajustement de nature discrète plutôt que
continue. Quant au graphique 5-4, il montre qu’au cours de cette période, le yen témoigne
d’une légère dépréciation vis-à-vis du dollar.
Ensuite, nous définissons les variables dont les relations feront l’objet de l’analyse
économétrique suivante. Si nous reprenons le bilan théorique de base établi dans la section
précédente, trois principales variables sont cruciales pour notre étude : le spread, le volume
d’échanges, et la volatilité du taux de change. Ces deux dernières nécessitent pourtant une
décomposition en partie anticipée et en partie non anticipée, afin d’appréhender l’impact
qu’a l’arrivée de nouvelles informations sur la dynamique du spread.
Chapitre 5
175
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