Comment parle t-on de la poésie à l'époque ? Petit traité de la poésie française de Banville, 1872:
Banville dit que la poésie, c'est la rime, c'est le jeux des voyelles, des coupes, c'est la composition
condition formelle du poème
Leconte de Lisle, Poèmes antiques, Préface, 1852 :
La Préface du premier des recueils poétiques de Leconte de Lisle, ses Poèmes antiques, énonce
clairement l'une des ambitions essentielles que le poète partage avec ses contemporains de la
génération réaliste : réconcilier l'art et la science.
Concrètement, dans le livre, cette réconciliation prend l'allure d'une mise de poésie et de ses
moyens au service de la "restauration" de civilisations perdues (grecque et hindoue principalement)
que les progrès de l'histoire et surtout de l'archéologie rendent de nouveau accessibles. Appuyé sur
une documentation livresque impressionnante et fort de ses talents de traducteur, Leconte de Lisle se
livre ainsi à l'exploration et à l'expression poétique de "tout ce qui constitue la raison d'être, de croire, de
penser, d'agir, des races anciennes".
Mais on pourra préférer à nombre de "poèmes-musées", aussi parfaits soient-ils dans leur
exécution, la réussite la plus authentique, plus personnelle, de certains des derniers poèmes du recueil,
comme le célèbre "Midi", où s'exprime (et c'est rare chez ce pessimiste-né) une sorte de sérénité
contemplative devant la nature dans sa plénitude mystérieuse.
"Midi", p 369
C'est un travail de l'alexandrin dans la majesté et dans l'assouplissement jusqu'à épouser la
vision.
v.15 "Une ondulation majestueuse et lente"
v.21 " Homme, si, le coeur plein de joie ou d'amertume"
Baudelaire, qui fréquenta un moment le groupe du Parnasse contemporain, avant de prendre
ses distances par rapport à cette esthétique plasticienne, conserva une admiration durable pour la
maîtrise de l'expression chez Leconte de Lisle, dont il saluait en ces termes le talent dans un article
publié en août 1861 dans la Revue fantaisiste : " Leconte de Lisle possède le gouvernement de son idée ;
mais ce ne serait presque rien s'il ne possédait aussi le maniement de son outil. Sa langue est toujours
noble, décidée, forte, sans notes criardes, sans fausses pudeurs; son vocabulaire, très étendu; ses
accouplements de mots sont toujours distingués et cadrent nettement avec la nature de son esprit. Il
joue du rythme avec ampleur et certitude, et son instrument a le ton doux mais large et profond dans
l'alto. Ses rimes, exactes sans trop de coquetterie, remplissent la condition de beauté voulue et
répondent régulièrement à cet amour contradictoire et mystérieux de l'esprit humain pour la suprise et
la symétrie." Baudelaire admire Leconte de Lisle pour sa science de la poésie. Cette idéologie
marquera même les plus grands, c'est une doctrine avec crédo durable.
Leconte de Lisle, Poèmes barbares (1862), "Le rêve du jaguar", p 370 :
Pour Leconte de Lisle, est "barbare" tout ce qui ne relève pas de la civilisation grecque et de sa
tradition polythéiste. Les Poèmes barbares, son deuxième recueil, constamment enrichi de 1862 à 1878,
s'ouvrent ainsi, par-delà l'Inde, à l'évocation des civilisations du Pacifique et, en deça de la Grèce, à
celles de l'Europe en ses siècles maudits des croisades espagnoles et du catholicisme médiéval, violent
et inquisiteur. Sombre vision que celle d'un poète repérant partout, après la mort des dieux antiques,
l'intolérance et la barbarie des cultures monothéistes, l'Islam et la Chrétienté !
Mais là encore, on pourra préférer à nombre de poèmes "épaissis" par une érudition
philosophique ou théologique encombrante, les "croquis" d'un exotisme superbe, qui ce grand poète
animalier nous donne à plusieurs reprises : "les Eléphants", "le Sommeil du condor" , "La Panthère
noire" ou le très suggestif "Rêve du jaguar". Les figures de ce bestiaire splendide, dominé par les
grands carnassiers, sont les vraies métaphores du pessimisme et de l'angoisse d'un écrivain hanté par
la violence de la "jungle" humaine.
On voit beaucoup de couleurs, dans ce paysage où l'on a le sentiment d'une floraison, d'une
luxuriance : c'est un poème qui travaille la rime riche.
Théodore de Banville, Les Stalactites (1846), p 366