Cours de chimie Organique - G. Dupuis - Lycée Faidherbe de Lille Acides carboxyliques Nomenclature Définitions Les acides carboxyliques forment une classe de composés caractérisés par la présence du groupe fonctionnel carboxyle CO2H. Le nom de ce groupe caractéristique rappelle qu'il est constitué formellement d'un groupe carbonyle CO et d'un groupe hydroxyle OH. Cependant l'interaction entre ces deux groupes est telle qu'on ne peut pas les considérer individuellement. Plusieurs composés sont considérés comme des dérivés d'acides. Les groupes caractéristiques de ces fonctions dérivées sont donnés dans le tableau ci-dessous. Acide Ion carboxylate Halogénure d'acyle Anhydride d'acide Cétène Ester Amide Nitrile Même si le lien de parenté avec les acides carboxyliques est patent, leurs propriétés chimiques sont différentes de celles des acides, ce qui justifie une étude séparée. Acides On distingue les séries acyclique et cyclique : Série acyclique Le nom est formé en ajoutant le suffixe oïque au nom de l'hydrocarbure correspondant à la chaîne principale. L'atome de carbone du groupe carboxyle porte le numéro 1 qui n'est pas mentionné. Acide butanoïque Acide 3-méthylpentanoïque Acide hexanedioïque Acide 3-méthylpent-2-énoïque Série cyclique On fait suivre le mot acide du nom de l'hydrocarbure auquel on ajoute le suffixe carboxylique. L'atome de carbone du carboxyle ne fait pas partie de la chaîne principale. Acide benzènecarboxylique Acide cyclopentanecarboxylique Ions carboxylate Les noms des ions carboxylate sont formés à partir de ceux des acides parents en remplaçant le suffixe oïque par oate ou le suffixe ique par ate. Pentanoate d'ammonium Cyclohexanecarboxylate de sodium Etat naturel Acides gras Les acides dont la molécule est constituée d'une longue chaîne d'atomes de carbone sont appelés acide gras. On peut en effet les obtenir par saponification des graisses qui sont des esters de ces acides et du glycérol appelés triglycérides. L'acide hexadécanoïque ou palmitique est un acide gras possédant 16 atomes de carbone. Le triester qu'il forme avec le glycérol est la palmitine. L'acide stéarique constitue un autre exemple d'acide gras qui entre dans la fabrication des bougies. On trouvera un résumé de ses principales propriétés à la référence [29]. L'acide arachidonique est un acide gras insaturé possédant 20 atomes de carbone. Il est représenté ci-dessous dans une conformation repliée de la chaîne. Cela met en évidence la relation entre sa structure et celle de la prostaglandine PGF2 dont il est un précurseur. Les prostaglandines sont des acides gras insaturés dont le squelette possède 20 atomes de carbone. Elles ont un rôle d'hormones locales. La synthèse de la prostaglandine PGF2 représentée ci-dessous a été réalisée par plusieurs équipes. Les grandes étapes de la synthèse de G. Stork ont été vues dans le chapitre consacré aux composés conjugués. Hydroxy-acides Les fonctions acide et alcool sont présentes dans de nombreux composés d'origine naturelle. Ces composés sont des hydroxy-acides. L'acide mévalonique est un hydroxy-acide qui possède une grande importance biochimique. C'est en effet le précurseur d'une grande famille de composés naturels : les terpènes. Ces composés présents dans les huiles essentielles des plantes ont une structure dans laquelle on retrouve la répétition d'unités isoprène. L'acide cholique a une structure voisine du cholestérol dont il dérive. Les groupes polaires OH sont situés du même côté de la molécule ce qui permet de distinguer deux faces aux propriétés physico-chimiques différentes : la face regroupant les groupes polaires est hydrophile, l'autre est lipophile. En milieu biologique, il est combiné à un acide aminé comme le glycocolle dans la bile. L'acide lactique est un hydroxyacide qui possède un intérêt industriel croissant. Il permet la synthèse d'un lactide dont la polymérisation conduit à un polymère biodégradable, appelé polylactide (PLA). Céto-acides On trouve dans leur molécule un groupe carbonyle et un groupe carboxyle. Le plus important de ces composés sur le plan biochimique est l'acide pyruvique. L'acide pyruvique est l'acide 2-oxopropanoïque. Au laboratoire, on peut le préparer par déshydratation et décarboxylation de l'acide tartrique. Acides importants sur le plan industriel Acide formique L'acide méthanoïque (formique) est préparé par réaction entre la soude et le monoxyde de carbone à chaud. Le traitement par l'acide sulfurique du formiate de sodium fournit l'acide formique. Acide acétique La meilleure préparation industrielle de l'acide éthanoïque est la carbonylation du méthanol. Ce procédé, mis au point par Monsanto en 1971, utilise du trichlorure de rhodium comme catalyseur [23]. Il permet la préparation de plus d'un million de tonnes d'acide éthanoïque par an. Il sert à préparer notamment l'acétate de vinyle. Acide téréphtalique L'acide téréphtalique est produit par oxydation du 1,4méthylbenzène par l'oxygène de l'air en présence d'un catalyseur au cobalt. Il utilisé dans la synthèse du polyéthylènetéréphtalate. Propriétés physiques Acides carboxyliques Le nom d'un acide carboxylique s'obtient en remplaçant la terminaison e de l'alcane qui possède le même nombre d'atomes de carbone et en la remplaçant par oïque. Les premiers termes de la série sont surtout nommés par leur nom trivial qui rappelle leur origine naturelle. Ces composés ont été parmi les premiers à être identifiés par les chimistes organiciens. Ils sont en effet abondants à l'état naturel et facilement isolables et purifiables par l'intermédiaire de leurs sels qui sont solubles en solution aqueuse. Voici quelques exemples : l'acide formique existe à l'état naturel chez les fourmis (du latin : formica) ; l'acide valérique (du latin : valere) est présent dans la valériane, abondante dans le Massif-Central. Cette plante était réputée donner de la force aux valeureux guerriers Gaulois ; l'acide butyrique (du latin : butyrum) peut être extrait de la butyrine qu'on trouve dans le beurre. Formule Nom systématique Nom trivial TF (°C) TE (°C) HCO2H méthanoïque formique 8 100,5 CH3CO2H éthanoïque acétique 17 118 CH3CH2CO2H propanoïque propionique 22 141 CH3CH2CH2CO2H butanoïque butyrique 5 163 CH3(CH2)3CO2H pentanoïque valérique 35 187 CH3(CH2)4CO2H hexanoïque caproïque 2 205 Les températures d'ébullition des acides carboxyliques sont supérieures à celles des alcools de masse molaire comparable. Alcool TE (°C) Acide TE (°C) CH3CH2OH 78,5 HCO2H 100,5 CH3CH2CH2OH 97,2 CH3CO2H 118 CH3CH2CH2CH2OH 117,7 CH3CH2CO2H 141 Ce résultat s'explique par l'existence de liaisons hydrogène plus fortes que chez les alcools. La liaison OH est davantage polarisée et elle peut s'établir à partir du groupe carbonyle plus riche en électrons que l'atome d'oxygène d'un alcool. A l'état solide ou à l'état liquide, les acides sont associés sous forme de dimères dans lesquels il existe deux liaisons hydrogène. Une telle disposition géométrique, qui place les atomes d'hydrogène et d'oxygène dans le même alignement, rend ces liaisons hydrogène particulièrement solides. Structure des ions carboxylate L'expérience montre que les atomes de carbone et d'oxygène d'un ion carboxylate sont dans un même plan. Pour l'acide méthanoïque et l'ion méthanoate, on relève les valeurs suivantes : acide méthanoïque d(C=O) = 0,123 nm d(COH) = 0,136 nm ion méthanoate d(COa) = 0,127 nm d(COb) = 0,127 nm Dans l'ion carboxylate, les longueurs des liaisons CO sont égales et leur valeur est intermédiaire entre celle de la liaison C=O et de la liaison CO dans l'acide. Ce résultat peut être interprété en utilisant le modèle de la mésomérie. Les formes suivantes ont le même poids statistique ce qui témoigne d'une résonance importante : La délocalisation de la charge négative dans l'ion carboxylate explique : le faible caractère électrophile de l'atome de carbone ; une basicité beaucoup plus faible que pour un ion alcoolate. Savons Les sels de sodium et de potassium des acides gras à longue chaîne carbonée en C12 et au delà, constituent les savons. On les obtient par la réaction de saponification des graisses qui fournit en même temps le propane-1, 2, 3-triol ou glycérol. Grâce à leur structure particulière constituée d'une longue chaîne carbonée hydrophobe et d'une tête polaire hydrophile, les savons sont capables d'émulsionner les graisses en formant avec elles des micelles. L'efficacité des savons est limitée en présence d'ions calcium du fait du caractère peu soluble des carboxylates de calcium qui précipitent. Une méthode de mesure de la dureté d'une eau consiste à mesurer l'épaisseur de la couche de mousse qu'elle forme avec une solution aqueuse de savon de concentration connue. Pour la même raison, on peut former facilement des précipités colorés en ajoutant des solutions ioniques de cuivre (II), de fer (II) ou de fer (III) à une solution aqueuse de savon. Spectroscopie Spectroscopie infrarouge le groupe OH se manifeste par une bande intense entre 2600 cm1 et 3200 cm1 suffisamment large pour englober la bande d'absorption des vibrateurs CH. le groupe carbonyle présente une absorption à 1700 cm1. Spectroscopie de RMN Du fait de la forte électronégativité du groupe carboxyle, le proton lié à ce groupe est très déblindé. Le déplacement chimique apparaît souvent au delà de = 11 ppm. Du fait de la mobilité protonique et du phénomène d'échange avec le solvant, la position du pic correspondant dépend des conditions expérimentales. Comme dans le cas des alcools, l'addition d'eau lourde fait intervenir l'équilibre : Le phénomène d'échange qui en résulte, fait disparaître le pic dû au proton du carboxyle car le deutérium ne résonne pas dans le même domaine de fréquence que l'hydrogène. Les protons portés par l'atome de carbone en du groupe carboxyle sont déblindés vers = 3,5 ppm en raison du caractère électronégatif de ce groupe. Décarboxylation Réactions de Piria et de Ruzicka La décarboxylation des sels de calcium des acides carboxyliques est réalisable à température élevée. Cette réaction a été découverte par le chimiste Italien R. Piria. Elle fournit des cétones. Ainsi, la propanone était préparée autrefois par pyrolyse de l'acétate de calcium ce qui explique son nom courant : l'acétone. La réaction est surtout intéressante pour la synthèse des cétones cycliques mais la température assez élevée qu'elle nécessite limite son emploi aux molécules peu fragiles. La réaction est possible avec des diacides. On a alors à la fois déshydratation et décarboxylation. La formation de cycles à 5 ou 6 chainons est favorisée comme l'illustre l'exemple suivant extrait de la synthèse historique du terpinéol (W. H. Perkin 1904). Lors de sa remarquable étude de la structure de la civétone, le chimiste suisse d'origine croate L. Ruzicka [24] a mis au point une réaction du même type à partir de sels de thorium. Cette méthode, qui n'a plus qu'un intérêt historique, a permis à son auteur la synthèse des premières cétones à grands cycles [36]. Elle est illustrée ci-dessous par la synthèse de la cyclopentadécanone (exaltone), utilisée dans la chimie des parfums pour remplacer les composés d'origine naturelle. Naguère, ceux-ci étaient extraits à partir d'animaux comme la civette ou le daim musqué qui sont désormais protégés. Les cétones macrocycliques peuvent être préparées par d'autres méthodes dont l'importante réaction de condensation acycloïne des esters. Réaction de Hunsdiecker La décarboxylation des carboxylates d'argent en présence de dibrome, constitue une méthode de passage des acides carboxyliques aux dérivés bromés. La découverte de cette réaction est attribuée au chimiste et musicien russe A. Borodine en 1861. Elle est plus connue sous le nom de réaction de Hunsdiecker. Sa force motrice est la formation de composés stables CO2 et AgBr. La réaction de Hunsdiecker procède vraisemblablement d'un mécanisme radicalaire : Voici un exemple d'application de la réaction de Hunsdiecker [28] : Une réaction très comparable consiste à partir de l'acide et à utiliser le dibrome en présence d'oxyde de mercure [30]. Décarboxylation des -cétoacides La décarboxylation des -cétoacides s'opère dans des conditions de température modérées entre 50 °C et 60 °C. La formation d'une liaison hydrogène intramoléculaire permet la création d'un état de transition cyclique. La réaction fournit un énol. L'équilibre de tautomérie conduit au composé carbonylé plus stable. Décarboxylation des -cétoacides En milieu biologique, la décarboxylation de l'acide pyruvique en éthanal et CO2 est une étape de la fermentation alcoolique. Elle s'effectue avec le concours d'une enzyme : la pyruvate décarboxylase. L'éthanal libéré est ensuite réduit en éthanol grâce au système nicotinamide adénine dinucléotide (NADH) intervenant dans le couple NAD+/NADH. Réaction de Kolbe En 1849 alors qu'il étudiait l'électrolyse de solutions aqueuses de sels d'acides carboxyliques, Kolbe mit en évidence la formation d'hydrocarbure à l'anode. Le mécanisme proposé est le suivant : anode ; cathode ; Le bilan de ces réactions s'écrit : Un exemple d'application de l'électrolyse de Kolbe est la synthèse de l'hexacosane à partir de l'acide tétradécanoïque (acide myristique) [6]. Elimination-décarboxylation Les ions carboxylate des acides -halogénés sont facilement décarboxylés par chauffage. L'ion carboxylate et l'atome de brome doivent être dans une position anticoplanaire pour que l'élimination se produise. Cette réaction constitue une méthode de synthèse des alcènes. Son principal attrait est son caractère stéréospécifique. Cette stéréospécificité s'interprète par la position anticoplanaire des liaisons CC et CBr dans l'état de transition. Propriétés acido-basiques Acidité Les acides carboxyliques sont des acides au sens de Brönsted. Ils réagissent avec l'eau pour donner des ions carboxylate et des ions oxonium. La réaction conduit de façon extrêmement rapide à un état équilibre. La position de cet équilibre est fonction de la constante d'acidité Ka du couple acide-base qui ne dépend que de la nature du couple et de la température. En solution aqueuse diluée, on peut confondre l'activité des espèces avec leur concentration molaire volumique. Ka = [RCO2].[H3O+]/[RCO2H].C0 (C0 = 1 mol.L1) Plus Ka est élevée, plus l'acide est dissocié. Pour éviter d'avoir à manipuler des puissances de dix, on pose généralement : pKa = log Ka A une température donnée, pour une série d'acides, les valeurs des pKa des couples dépendent des caractéristiques structurales de l'acide carboxylique, de la base conjuguée et de leur interaction avec le solvant eau. Voici quelques valeurs numériques concernant les couples impliquant des acides linéaires de C2 en C4 à 298 K : Acide HCO2H CH3CO2H C2H5CO2H C3H7CO2H pKa 3,75 4,75 4,88 4,82 Ces résultats sont difficiles à rationaliser car plusieurs phénomènes se superposent : les effets électroniques et les effets de solvant. Dans l'ion carboxylate, la charge négative est stabilisé par résonance. Celle-ci se traduit par l'existence de deux formes mésomères de même poids statistique. Un ion carboxylate est une base beaucoup plus faible qu'un ion alcoolate. L'ion formiate est une base plus faible que ses homologues. Cela est interprété généralement par l'effet donneur + I des groupes alkyles liés au carboxylate qui déstabilisent la charge négative de cet ion. Cet effet est sensiblement le même quel que soit le nombre d'atomes de carbone de la chaîne. Le solvant joue un rôle très important du point de vue énergétique mais aussi entropique dans l'organisation des molécules de solvant autour des ions. Lorsqu'on étudie les pKa des différents acides chloroéthanoïques, on observe une décroissance du pKa du couple avec l'augmentation du nombre d'atomes de chlore. Les résultats expérimentaux sont donnés ci-dessous à 298 K : Acide CH3CO2H ClCH2CO2H Cl2CHCO2H Cl3CCO2H pKa 4,75 2,87 1,20 0,52 Il est naturellement tentant de mettre en relation la force des acides avec la fragilisation de la liaison OH dûe à l'effet inductif I exercé par les atomes de chlore. Cela a souvent été écrit dans le passé. Il importe de bien distinguer la situation en phase gazeuse et celle qu'on rencontre dans un solvant comme l'eau où la solvatation des espèces chargées joue un rôle essentiel. Des mesures faites en phase gazeuse en utilisant une technique de résonance cyclotronique ionique montrent une diminution du pKa du couple quand le nombre d'atomes d'halogène augmente. De plus, pour un même nombre d'atomes d'halogène, le pK diminue quand on passe du fluor à l'iode. On en déduit que l'effet prédominant est la répartition de la charge de l'ion carboxylate sur une structure de plus en plus volumineuse. Cette charge est ainsi de mieux en mieux supportée. En solution aqueuse, on a pu montrer que les effets entropiques liés à l'organisation du solvant autour des ions sont plus importants que les effets électroniques qui interviennent dans les termes enthalpiques [14]. Basicité L'étude par cryoscopie montre que dans l'acide sulfurique concentré, l'acide éthanoïque est complètement protoné. Compte-tenu du pKa voisin de 6 pour le couple acide base correspondant, la protonation ne peut avoir lieu qu'en présence d'acides concentrés dont les couples ont un pKa < 0. La protonation s'effectue de façon préférentielle au niveau de l'atome d'oxygène du groupe carbonyle qui est le plus basique. On peut justifier ce résultat dans le cadre de la théorie des orbitales moléculaires : l'atome d'oxygène du carbonyle est celui pour lequel le coefficient dans la plus haute OM occupée est le plus grand. On peut également rendre compte de la tendance des acides a être protonés sur le carbonyle, en remarquant qu'on obtient ainsi des formes de résonance de même poids statistique. Chez les acides présentant un encombrement stérique très important comme l'acide mésitoïque, la protonation s'effectue sur le groupe OH. Ce phénomène joue un rôle important dans l'estérification de ce type d'acide par un mécanisme inhabituel (AAC1). Propriétés nucléophiles des ions carboxylate Acylation des ions carboxylate Les ions carboxylate sont de bien meilleurs nucléophiles que les acides carboxyliques. La réaction d'un ion carboxylate sur un chlorure d'acyle permet de préparer des anhydrides symétriques ou mixtes. Alkylation par un dérivé halogéné On peut aussi alkyler les ions carboxylate en utilisant un halogénure d'alkyle primaire ou secondaire. On prépare ainsi des esters. Avec un halogénure tertiaire on observe essentiellement une réaction d'élimination. L'exemple suivant constitue un exemple de réaction utilisant une catalyse par transfert de phase. Méthylation par le diazométhane Une méthode particulièrement douce pour méthyler les ions carboxylate consiste à les faire réagir avec le diazométhane. Le seul sous-produit de la réaction est le diazote qui s'échappe du milieu réactionnel. Cette réaction nécessite des précautions particulières sur le plan expérimental car le diazométhane est un agent méthylant extrêmement toxique. L'exemple suivant est extrait d'une synthèse de la chaîne latérale du taxol. La réaction s'effectue en deux étapes : le diazométhane est une base forte qui arrache l'atome d'hydrogène de l'acide pour donner l'ion carboxylate ; celui-ci joue le rôle de nucléophile dans la réaction de substitution suivante qui implique un atome de carbone primaire et un excellent nucléofuge : le diazote. Une réaction du même type permet la méthylation des alcools. En revanche la réaction entre le diazométhane et un chlorure d'acyle fournit une -diazocétone. Propriétés nucléophiles des acides Déshydratation des acides La déshydratation des acides en présence d'un déshydratant énergique comme P4O10 conduit aux anhydrides. La méthode par déshydratation à chaud est surtout intéressante pour les diacides lorsque le risque de décarboxylation ne se présente pas. On prépare ainsi l'anhydride maléique à partir de l'acide maléique. Dans les même conditions, l'acide fumarique dans lequel les groupes acides sont en trans l'un de l'autre ne fournit pas d'anhydride. L'anhydride maléique est un excellent diénophile dans les réactions de Diels-Alder. Il est préparé à l'échelle industrielle par oxydation du benzène. On obtient de la même façon l'anhydride phtalique à partir de l'acide phtalique. Une déshydratation de l'acide éthanoïque dans des conditions très drastiques conduit au cétène le plus simple. Mais la meilleure méthode de préparation des cétènes est l'élimination de HCl à partir des halogénures d'acyles sous l'action d'une base. Passage aux dérivés d'acides La réaction peut être effectuée en utilisant différents agents halogénants. Ces sont les mêmes que ceux qu'on utilise pour transformer les alcools en dérivés halogénés : Le chlorure de thionyle SOCl2 est utilisé en présence de pyridine. Le gros avantage de cette réaction tient au fait que les sous-produits de la réaction étant gazeux, sont faciles à éliminer du mélange réactionnel. La réaction est effectuée avec un excès de chlorure de thionyle et le produit est séparé par distillation fractionnée. Si la température du chlorure d'acyle est proche de celle du chlorure de thionyle, ce dernier est décomposé par l'acide formique : le trichlorure de phosphore PCl3 est un agent halogénant utile mais qui présente l'inconvénient de donner H3PO3 comme sous-produit qu'il faut ensuite séparer du milieu ; le pentachlorure de phosphore PCl5 n'est généralement utilisé que pour les acides aromatiques dont la réactivité est moindre. POCl3 est séparé du milieu réactionnel par distillation fractionnée. le chlorure d'oxalyle est un agent halogénant doux. On trouvera une méthode de préparation du chlorure d'acyle de l'acide oléique à la référence [32]. Réduction des acides Réduction par H2 La réduction du groupe carboxyle par le dihydrogène n'est réalisable que dans des conditions sévères de température et de pression en présence de catalyseurs tels que Ni, Pt ou Ru. On peut donc effectuer l'hydrogénation catalytique sélective d'une double liaison éthylénique en présence d'un groupe carboxyle en choisissant convenablement les conditions expérimentales. Réduction par LiAlH4 LiAlH4 réduit les acides en alcools. Expérimentalement, la transformation s'effectue en deux parties : la réaction entre LiAlH4 et l'acide est conduite dans l'éther anhydre. Il y a formation de dihydrogène par réaction entre les ions hydrure et les protons libérés par l'acide. L'hydrure est suffisamment réactif pour réduire l'ion carboxylate. l'alcoolate de lithium est ensuite hydrolysé en milieu acide. On obtient l'alcool. Le bilan de ces réaction est écrit ci dessous : Cette réaction présente plusieurs inconvénients : elle s'effectue avec dégagement de dihydrogène qui est un gaz dangereusement inflammable ; LiAlH4 est un hydrure qui ne présente aucune sélectivité. Il est souvent préférable d'estérifier la fonction acide et réduire ensuite l'ester obtenu. Réduction par le couple BH3, Me2S Les acides peuvent être réduits en alcools par le couple diborane-diméthylsulfure BH3, Me2S et BF3/Et2. L'un des avantages de cette réaction réside dans la chimiosélectivité du réactif. Une condition importante pour le succès de la réaction est l'absence de double liaison ou de triple liaison carbone-carbone. Celles-ci réagissent en effet avec BH3 pour donner des organoboranes. Dans l'exemple suivant la fonction acide est réduite en alcool. La fonction ester est inaltérée. Lorsqu'on réalise ce type de réaction, on doit prendre des précautions sur le plan expérimental car le complexe BH3, Me2S s'enflamme spontanément à l'air. Une application intéressante est la préparation de -aminoalcools. Cela est illustré par la réduction de la S-phénylalanine en S-phénylalanol. La réaction du S-phénylalanol avec l'anhydride acétique permet la synthèse de la (S)-4phénylméthyl-2-oxazolidinone. L'alkylation des oxazolidinones permet la préparation de composés énantiopurs par la méthode d'alkylation énantiosélective d'Evans. Additions nucléophiles sur le carbonyle Composés organolithiens L'une des réactions les plus importantes des acides carboxyliques avec les composés organométalliques, est celle avec les organolithiens qui conduit aux cétones. Dans un premier temps, le lithien réagit comme une base en arrachant l'atome d'hydrogène du groupe carboxyle. On obtient un carboxylate de lithium. L'organométallique, s'il est présent en excès, est suffisamment nucléophile pour réagir sur l'ion carboxylate. A la température de la réaction, qui est celle de reflux de l'éther, l'intermédiaire tétraédrique est assez stable pour ne pas se décomposer avant l'hydrolyse, le groupe OLi étant un très mauvais nucléofuge. L'hydrolyse fournit un diol géminé instable qui se transforme en cétone. Voici un exemple d'application de cette réaction [27] : Réactions avec les alcools primaires et secondaires La réaction entre un acide carboxylique et un alcool est appelée estérification de Fischer. Il s'agit d'une réaction lente et limitée nécessitant l'utilisation d'un catalyseur. L'équilibre peut être déplacé en utilisant un appareil de Dean-Stark. Le mécanisme AAC2 de cette réaction a été vu dans le chapitre consacré aux alcools. Les esters d'alcools tertiaires ne sont généralement pas préparés à partir des acides carboxyliques. Dans ce milieu acide, l'élimination prédomine et le rendement est généralement de l'ordre de 4 %. Les esters d'alcools tertiaires peuvent être préparés avec de bons rendement en mettant à profit la nucléophilie des ions alcoolate vis à vis des chlorures d'acyles. On peut aussi les préparer en utilisant des anhydrides d'acides en présence d'un catalyseur par un mécanisme de type AAL1. Les esters de tertiobutyle sont utilisés comme groupe protecteur du groupe carboxyle. Ils sont raisonnablement stables en milieu basique mais se clivent spontanément en milieu acide. Formation de lactones Avec un composé bifonctionnel comportant une fonction acide et une fonction alcool, l'estérification peut avoir lieu de façon intramoléculaire. L'ester cyclique obtenu est appelé lactone. L'équilibre de lactonisation est favorable pour les cycles possédant 5 ou 6 chaînons et les hydroxy-acides correspondants se cyclisent spontanément. La synthèse de composés bicycliques est possible dans les cas favorables comme dans cette étape de la synthèse du terpinéol. La réaction peut impliquer la forme énolique d'un céto-acide comme dans le cas de l'angelica lactone qui peut être obtenue par cyclisation de l'acide 4-oxopentanoïque (acide lévulique). La synthèse des lactones à grand cycle constitue un enjeu important car, comme on le verra dans le chapitre consacré aux esters, de nombreux composés intéressants commes les antibiotiques de type macrolide présentent de telles structures. Cette synthèse soulève plusieurs problèmes : la fonction acide n'est pas suffisamment réactive pour réagir de façon intramoléculaire sans activation préalable ; la réaction intramoléculaire est en concurrence avec la réaction intermoléculaire. Ainsi l'équilibre suivant est en défaveur de la lactone. Les réactions de macrolactonisation peuvent s'effectuer avec de bons rendements en activant la fonction acide sous forme d'anhydride et en utilisant de grandes dilutions de façon à minimiser les réactions intermoléculaires. Formation de lactide Dans l'acide lactique les fonctions acide et alcool sont trop proches pour qu'une cyclisation en lactone puisse avoir lieu. En revanche, deux molécules d'acide lactique peuvent réagir entreelles. On obtient un composé cyclique appelé lactide. La polymérisation de ce composé conduit à un polymère biodégradable appelé PLA, [31]. Mécanisme AAC1 L'estérification des acides qui présentent un encombrement stérique important au niveau du groupe carboxyle comme l'acide mésitoïque, ne suit pas le mécanisme classique AAC2 de l'estérification de Fischer. L'étude par cryoscopie de solutions d'acide 2, 4, 6-triméthylbenzoïque (mésitoïque) dans l'acide sulfurique concentré, montre un abaissement du point de congélation double de celui qu'on obtient avec l'acide acétique. On en déduit qu'il s'est formé 4 particules dans la solution. Les ions RCO+, sont appelés ions acylium. Ce sont des espèces très électrophiles. On les rencontre dans un autre contexte comme intermédiaires réactifs dans l'acylation des composés aromatiques. Le mécanisme est le suivant : Ammoniac et amines non tertiaires La réaction entre un acide carboxylique et une amine ou l'ammoniac conduit à la formation d'un carboxylate d'ammonium ou d'aminium au terme d'une réaction acido-basique. En série acyclique, la déshydratation des sels d'ammonium n'est utilisée que pour la formation des amides les plus simples comme l'éthanamide. La formation d'un sel d'aminium bloque le pouvoir nucléophile de l'amine qui n'existe qu'en petite quantité à l'état libre. Le rendement de la réaction est donc faible. Les plupart des amides acycliques sont préparés par acylation des amines ou de l'ammoniac en utilisant des dérivés d'acides. L'alkylation du phtalimide est à la base de la méthode de Gabriel de synthèse des amines primaires. Réactions au voisinage du carbonyle Réaction de Hell-Vohlardt-Zelinsky Les acides peuvent être bromés en présence de dibrome et de phosphore rouge. La réaction s'effectue en plusieurs étapes : la réaction entre le phosphore et le dibrome transforme une partie de l'acide en bromure d'acyle ; l'énol du bromure d'acyle est bromé dans une deuxième étape ; le bromure d'acyle -bromé réagit avec l'acide pour former un acide -bromé et régénérer le bromure d'acyle. Ce dernier a donc un rôle catalytique. Les acides -halogénés comme substrats Les acides -halogénés sont largement utilisés en tant que composés intermédiaire en synthèse organique. Ils constituent en effet des substrats de choix pour réaliser des substitutions nucléophiles, du fait de la grande mobilité de l'halogène en du groupe carboxyle. Voici quelques exemples : synthèse de l'acide 2-hydroxypropanoïque ou acide lactique ; synthèse de l'acide cyanoéthanoïque utilisé comme précurseur dans la préparation du malonate de diéthyle utilisé comme réactif dans la synthèse malonique ; synthèse de l'acide amino-2-propanoïque appelé de façon courante alanine. 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Rzepa [30] Bromocyclopropan by John S. Meek and David T. Osuga [31] Synthèse du PLA [32] Oleoyl Chloride by C. F. H. Allen, J. R. Byers, Jr., and W. J. Humphlett Articles [36] Ruzicka, Stoll and Schinz. Helv. Chim Acta, 9, 249 (1926) ; 11, 670 (1928). RETOUR AU MENU DU COURS Vous pouvez, si vous le souhaitez, utiliser le contenu de cette page dans un but pédagogique et non commercial. Texte, dessins, photographies : Gérard Dupuis - Lycée Faidherbe de LILLE novembre 2006