LES FORCES D'INERTIE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LA MÉCANIQUE d'après Pierre Simonet dans Technologie et Formation N°34 Rappel de mécanique newtonienne - Il existe un temps universel - Les masses sont invariantes. - Les actions mécaniques, donc les forces, sont invariantes dans tout changement de repère. - La position, la vitesse et l'accélération d'un corps est connu à un tout instant dans un repère donné. - Il existe des repères de mouvement dits galiléens dans lesquels la loi fondamentale est vérifiée. = m - La loi des actions mutuelles est vérifiée. 1/2 = – 2/1 - La loi de Newton entre deux corps massifs s'applique. Error! 1/2 Error! = Error! 2/1 Error! = G.m1.m2.d – 2 avec G la constante de gravitation universelle. Introduction de la notion d'inertie Le mouvement d'une particule est donné par rapport à un repère R non galiléen. L'expression du vecteur accélération galiléenne de ce mouvement par rapport à un repère galiléen RG est : = r + e + c avec r : accélération relative dans le repère R e : accélération d'entraînement c : accélération de Coriolis c = 2 e r avec e : vecteur rotation du mouvement de R par rapport à RG r : vitesse relative dans le repère R La loi fondamentale s'écrit : = m m (r + e + c)soit : m . r + m . e + m . c L'introduction des forces d'inertie consiste à faire passer les deux derniers membres dans le premier membre de l'équation vectorielle. + ( – m . e ) + ( – m . c ) m . r Le principe fondamental de la dynamique se trouve applicable à un repère non galiléen à condition d'ajouter à la force , les forces d'inertie d'entraînement ( – m . e ) et de Coriolis ( – m . c ). Pour soutenir que les forces d'inertie ne sont pas des forces et donc n'existent pas, on peut avancer les arguments suivants : - Dans l'équation fondamentale le fait de déplacer la grandeur (m . e) ne la transforme pas en force. Deux grandeurs peuvent avoir la même dimension MLT-2 et être différentes (ainsi le moment d'un couple et le travail) ; - Admettre que les forces d'inertie sont des forces aboutit à considérer que le principe fondamental est vrai dans un repère non galliléen… or ce principe dit le contraire ; - de même considérer que, selon le repère choisi, les forces appliquées sont différentes, est en contradiction avec l'invariance des forces. Pour soutenir l'existence des forces d'inertie, on peut relever les citations d'ouvrages suivantes - Dans "Mécanique 1" par H.Gié et JP.Sarmant chez JB Baillère en 1984 « … il est légitime de considérer les forces d'inertie comme des forces "à part entière". … L'exemple de l'ascenseur en chute libre nous a montré que les forces gravitationnelles peuvent être exactement compensées par les forces d'inertie. Ceci est bien connu dans les vaisseaux spatiaux lorsque les passagers sont en état "d'impesanteur". … Il semble donc il y avoir identité de nature entre les forces d'inertie et les forces de gravitation. Mais plutôt qu'identité, il vaut mieux dire équivalence. Des différences existent, en effet, entre les deux types de forces …» Dans "Le cours de mécanique" de Georges Bruhat, on peut y lire à propos de la force centrifuge mise en évidence lorsqu'on fait tourner rapidement un corps attaché à un fil (fronde) : « … il est naturel de dire que le fil est tendu parce que le fil est soumis à une force de nature nouvelle, liée au mouvement, la force d'inertie. … La force d'inertie nous apparaît ainsi comme ayant un sens physique au même titre que les autres forces ; mais il est essentiel de bien voir qu'elle n'existe que parce que l'on impose au mobile d'avoir d'accélération non nulle. Elle nous apparaît comme une réalité physique si nous appliquons à l'état de mouvement les définitions dont nous avons l'habitude en statique ; elle nous apparaît comme une force fictive si nous n'étendons pas ces définitions à la dynamique et si nous considérons au contraire l'existence d'une accélération comme la preuve qu'il n'y a pas équilibre entre les forces agissantes… » En définitive les forces d'inertie renvoient au concept d'action mécanique qui garde toujours ses mystères : on constate des effets mais on ne sait pas définir les actions mécaniques. Tout comme les forces de gravitation dont on ne connaît pas comment elles naissent et se transmettent. Physiciens et techniciens ont une vision et une approche différente de la mécanique en général et de des actions mécaniques en particulier. Les physiciens travaillent surtout à partir de modèles : modèles mathématiques des actions mécaniques, travaux pratiques et problèmes issus de réalités déjà modéliser; Les techniciens confrontés à la diversité de mécanismes réels doivent analyser les actions mécaniques avant de les modéliser. Le premiers admettent volontiers l'existence de forces d'inertie comme modèles nouveaux et commodes. Les seconds sont plus réticents et considèrent que les forces d'inertie ne sont décidément pas des forces comme les autres. Les repères de mouvement galiléens Un repère dit absolu lié au centre de masse du système solaire et à des axes dirigés vers des « étoiles fixes » est considéré comme galiléen et on montre que tout repère en mouvement de translation rectiligne et uniforme par rapport à un repère galiléen est lui-même galiléen. Les repères que l'on considère dans l'enseignement sont plus ou moins galiléen. Le repère géocentrique est galiléen pour tout ce qui se passe sur et autour de la terre, pour une durée de quelques jours. Le mouvement est sensiblement rectiligne et uniforme par rapport au repère absolu (365 jours pour faire le tour du Soleil). Le repère terrestre est moins galiléen car il y a mouvement de rotation, en 24 heures, autour de l'axe des pôles. En conséquence, contrairement à ce qui est enseigné en statique, un solide en équilibre (immobile par rapport à la terre) est soumis à un système de forces qui n'est pas en équilibre. Par exemple, un petit objet de masse m suspendu à un fil est soumis à l'action du fil et à l'attraction terrestre : m = m . e (et non ) = e est l'accélération galiléenne ou accélération d'entraînement due à la rotation de l'objet autour de l'axe des pôles. Les accélération r et c sont nulles. Pour affirmer que la somme des forces est nulle, on fait passer le produit m . e dans le premier membre : –m . e On pose ensuite que le poids de l'objet de masse m est : =–m . e d'où : Ainsi l'objet est soumis à deux forces directement opposées, mais la force de pesanteur est "impure", elle comporte une « force d'inertie ». La force de pesanteur paraît pourtant bien réelle, sans réserve et pour tout le monde. Elle est la somme d'une force "agissante" d'attraction et d'une force "d'inertie". Cela invite à penser qu'elle est bien réelle aussi ! En conclusion, le repère terrestre n'est pas galiléen mais, grâce à une force de gravitation "maquillée", il peut être considéré comme tel pour la plupart des études. Ceci constitue une formidable simplification pour l'enseignement de la mécanique, mais il faut montrer le maquillage le plus tôt possible pour justifier le changement de repère (repère géocentrique) nécessaire pour rendre compte des mouvements des satellites par exemple. Pourquoi utilise-t-on les forces d'inertie ? Par tradition et habitude, elles figurent dans les ouvrages sous le Principe de d'Alembert (XVIIIe siècle) qui étend la validité de la loi fondamental à un repère non galiléen par leur introduction. Dans les filières actuelles, l'intérêt de leur utilisation réside dans l'obtention de système en équilibre comme en statique, par un choix judicieux du repère. Des raisons pour ne pas les utiliser Une démarche de base en mécanique consiste à isoler un solide en mouvement, à faire l'inventaire des actions mécaniques puis les modéliser. La maîtrise de cette analyse s'acquiert lentement et avec effort. Introduire dans cette étude délicate d'autres forces, d'une nature différente et qui changent avec le repère, c'est poser des pièges aux débutants. Les forces sont réelles, ou ne sont pas, et ne changent pas avec le repère. Les forces d'inertie n'existent donc pas et ( – m . e ) + ( – m . c ) ne désignent jamais des forces. Dans le langage courant la force centrifuge est toujours bien réelle : ainsi elle plaque le passager contre la portière… mais elle ne figure pas dans l'inventaire des forces qui s'exercent sur le passager ! Quelques propositions pédagogiques Pour apporter aux débutants quelques simplifications, un peu plus de cohérence et de rigueur, il est préférable pour l'enseignement de la mécanique newtonienne d'adopter la démarche suivante. - Étude des actions mécaniques et de la statique. introduire les forces de pesanteur par la loi de gravitation. - Montrer qualitativement que le poids est légèrement différent de l'attraction terrestre à cause de la rotation de la Terre ; ainsi l'attraction terrestre est une force agissante "à part entière" et le poids ne l'est pas tout à fait. - Affirmer que pour la même raison le principe fondamental de la statique n'est pas tout à fait vrai, mais qu'il le devient si l'on, remplace la force d'attraction par le poids. - Renvoyer à plus tard une explication rigoureuse et quantitative mais ne pas les escamoter. - Cinématique et cinétique ne mettent en jeu ni les actions mécaniques, ni le caractère galiléen ou non des repères. - Dès que la loi fondamentale de la dynamique est donnée, compléter les explications amorcées sur les repères galiléens et la nature exacte des forces de pesanteur. - Utiliser la loi fondamentale dans un repère galiléen ou supposé tel ; donc expliciter les accélérations galiléennes par les moyens les plus rapides qui peuvent faire intervenir d'autres repères, et ne prendre en compte que les actions mécaniques agissantes. - Si l'on veut présenter le principe de d'Alembert ne jamais employer l'expression "force d'inertie" afin d'éviter les confusions avec les "forces agissantes".