ADDICTION ET INTERSECTORIALITE 1 – Addiction carrefour des problématiques La problématique addiction est aux frontières du médicopsycho-social, du juridique et du politique. - du médico-psycho-social du fait que les difficultés présentées par la personne addicte sont souvent du registre somatique, psychopathologique pour le moins, psychiatrique pour le plus, et sociale par rapport à une desinsertion ou même à une absence d’insertion. - juridique et politique du fait du délit que représente l’usage de produits illicites, et du délit concomitant à cet usage comme le trafic, les C.E.A. (conduites en état alcoolique) ou les actes hétéro-agressifs comme les vols, les agressions ou tout autre acte répréhensible. Il est cependant nécessaire de préciser que l’addiction n’est pas synonyme de délinquance, nombre de personnes addictes n’ont jamais été confrontées à l’espace judiciaire, et nombre de personnes délictueuses ont eu des démêlés avec le judiciaire avant de présenter des comportements addictifs. Cet aspect d’implication de la délinquance (réelle souvent, fantasmée avec fréquence) l’implication d’une jeunesse avenir d’une société, fait que la question des addictions est un sujet souvent médiatisé, avec comme conséquence une implication du politique avec parfois des prises de positions aléatoires, qui sont des tentatives de réponse dans l’urgence et le factuel par rapport à une problématique qui nécessite permanence et compréhension du complexe en contrepoint de cette inquiétude sociétale. Il est parfois dérangeant de constater que la position de carrefour des compétences de la problématique addicte implique 1 l’affirmation de non possibilité et de non compétence par rapport à ce trouble du comportement. La psychiatrie pense que c’est du ressort du judiciaire, le judiciaire de celui de la psychiatrie et ainsi de suite. Combien de nos collègues psychiatres furent-ils interessés dans les années 70 par la question de la toxicomanie, ou de l’alcoolisme. La fonction des intersecteurs est dans un premier temps de pouvoir s’affirmer au carrefour de ces compétences, de permettre d’éviter autant que faire se peut, le processus de renvoi, d’établir des liens , tout en conservant une position de soignant. 2 – Historicité du soin en addictologie : L’histoire du soin en alcoologie et toxicomanie est marqué par une longue histoire de clivage. L’alcoologie issue d’une dimension hygiéniste et néphaliste du XIXè siècle se confronte à la dimension alternative des années 70, des soins auprès des toxicomanes. Dans ces deux espaces, la place des soignants en tant que telle est existante mais relative, souvent la dimension militante, idéologique est relativement marquée. Dans le secteur du soins aux toxicomanes peu de psychiatres des hôpitaux portent alors intérêt à ce type de population (malgré l’affirmation de soins relevant du secteur pour ces personnes dans les différentes circulaires) et seuls, 5 ou 6 intersecteurs toxicomanie sont créés. Les structures de soins présentent alors les caractéristiques : - d’être associatif, dans le secteur de soins en toxicomanie peu médicalisé, et dans le domaine du soin en alcoologie, de peu bénéficier de l’apport de la psychiatrie, même si les 2 personnes alcooliques sont souvent reçues dans les hôpitaux spécialisés. - En dehors des lieux d’hospitalisation, les espaces de soins sont principalement financés par des budgets d’Etat. - Le retour du médical en particulier avec le VIH, HVC, une réflexion progressivement commune sur les problématiques psychopathologiques et psychiatriques, une dimension sociopolitique érigée en dogme qui se fissure d’une façon marquée fait que : la notion d’addiction dans une compréhension d’ensemble émerge les financements sont transférés de l’Etat au médico social ou au sanitaire enfin, que l’intérêt des praticiens, des universitaires s’accroit par rapport à ce type de comportement pathologique. Le département des conduites addictives du C.H.G.R. de Rennes (maintenant le Pôle Addiction et Précarité) confirme cette évolution qui confine parfois à la révolution. - introduction de la substitution dans les années 90, prise en compte de la notion de réduction des risques. - Fermeture de son lieu de prise en charge en résidentiel de cure et de post-cure spécialisé en toxicomanie - Activité de liaison sur les hôpitaux, et les lieux sociaux augmentée - Activité en milieu carcéral consolidée - Rapprochement structurel avec des unités d’alcoologie pour créer le département des conduites addictives - Récemment, lors de la constitution des pôles, création d’un Pôle Addiction et Précarité, qui associe le Département des Conduites Addictives avec une équipe mobile en Psychiatrie. 3 L’évolution de nos compréhensions des mécanismes de l’addiction fait que notre intérêt se constitue autour de la question du jeu pathologique et des troubles des conduites alimentaires. 3 – De la clinique au thérapeutique : Dans une compréhension paradoxale, il nous parait que l’entité addiction est valide et qu’autour d’une identité prothèse, la nomination d’être toxicomane, alcoolique, joueur, boulimique, anorexique, doit être reconnue en tant que telle. Pris en compte comme temps nécessaire, d’une éventuelle démarche de soins et que c’est à partir de cette reconnaissance qu’un travail pourrait éventuellement se faire sur le sens de ce comportement. La difficulté de la demande est aussi une évidence. Les personnes addictes ont du fait de leur histoire, des capacités élaboratives souvent fragiles et peu existantes. La souffrance se traduit souvent par la mise en acte. Il s’agit donc de susciter cette demande, et d’aller vers, et de ne pas attendre au chaud dans nos institutions, un souhait souvent très ambivalent de prise en charge. Nous avons donc conceptualisé un travail de liaison, et d’implantation sur les lieux sociaux ou médicaux, où nos futurs patients sont en susceptibilité d’être rencontrés. Qu’il s’agit également autour de cette question de réaliser que les produits, le comportement sont une forme certes inadaptée mais existante de recherche auto-thérapeutique, moyen de ne plus penser, de gérer les tensions, que le déni souvent évoqué n’est pas uniquement un déni autour de la consommation mais aussi un déni du psychisme, qui a souvent éclaboussé même les équipes soignantes. Enfin, que les pathologies présentées par nos patients ne sont pas une pathologie du conflit au sens oedipien du terme, mais une pathologie du lien. 4 L’étayage, le soutien, la tolérance ferme, la permanence, la continuité entre la réduction des risques et le soin sont des obligations de ce contexte thérapeutique. Il découle de cet ensemble : - la difficulté de déterminer ce qui dans une consultation, par exemple, relève du médico-social ou du sanitaire - la possibilité de suivre le patient, quel que soit le lieu d’habitat ou l’absence d’habitat, et dans ce contexte de pouvoir associer des co-prises en charge somato-addictive, psychiatro-addictive, et parfois de l’ensemble. Le travail de liaison est sur ce point fondamental. - La nécessité de savoir adapter nos structures pour optimiser nos soins, en fonction de l’évolution de nos patients, et de leurs pratiques. L’exemple est ainsi donné par l’augmentation de l’usage d’héroïne non IV et des personnes concernées par cette forme d’usage. - Enfin de savoir multiplier nos liens, et d’éviter les écueils toujours présents d’une approche uniquement scientifique , où l’autre est l’objet de nos soins, ou d’une compassion qui nous affleure parfois, qui place l’autre en objet de charité et qui le dédouane de lui-même. Les usagers sont dans notre esprit toujours des sujets. 5