
Une interprétation extensive de la loi fin de vie s’est alors développée selon laquelle il serait
désormais légitime d’interrompre alimentation et hydratation de certains patients dès lors
qu’ils n’ont pas (je cite la formule de la loi Leonetti invoquée) « d’autre effet que le seul
maintien artificiel de la vie ».
Pour définir un acte médical relevant d’une obstination déraisonnable, la loi Leonetti a en
effet dégagé trois critères : « inutile, disproportionné et n’ayant d’autre effet que le maintien
artificiel de la vie. »
Cette troisième notion a révélé toute son ambigüité à l’occasion de l’affaire Vincent Lambert
(à ne pas confondre avec Vincent Humbert) : ce patient est actuellement en état pauci-
relationnel ou neurovégétatif à la suite d’un accident. Il est le sujet d’un conflit familial, son
épouse demandant l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation par gastrostomie contre l’avis
des parents du patient. Le Conseil d’Etat français a pris parti dans le sens préconisé par
l’épouse et le médecin chef du service où il est pris en charge, mais les parents ont saisi la
Cour Européenne des Droits de l’homme qui devrait statuer en janvier 2015...
Notre Comité consultatif national d’éthique a reconnu à l’occasion de cette affaire que de
nombreux traitements ou soins appropriés n’ont d’autre but que de préserver la vie sans
aucun espoir d’amélioration. Je le cite : « le seul fait de devoir irréversiblement et sans espoir
d’amélioration dépendre d’une assistance nutritionnelle pour vivre, ne caractérise pas à soi
seul (…) un maintien artificiel en vie et une obstination déraisonnable ».
Notre président actuel, François Hollande, avait inscrit en 2012 dans son programme électoral une
mesure 21 concernant la fin de vie : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée
ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique
insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et
strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. » Il a pris
soin de ne jamais parler d’euthanasie, et s’est contenté, jusqu’à ce jour de confier à plusieurs
personnalités ou institutions des missions successives. A titre personnel, il semble réservé sur ce
sujet, insistant sur la promotion – en paroles – des soins palliatifs, bien que le plan de
développement qu’il avait promis dans ce domaine n’ait pas été mis en œuvre. Nous estimons à
500 millions d’euros le besoin de financement sur 5 ans.
La dernière initiative présidentielle a consisté à demander à Jean Leonetti (pourtant député UMP,
donc de l’opposition) de coordonner avec Alain Claeys, du parti socialiste, qui avait déjà travaillé avec
lui en 2005, une nouvelle mission pour proposer des aménagements à sa propre loi. Nous attendons
leurs conclusions le 1er décembre 2014. Ils nous ont auditionnés. Deux axes se dessinent : rendre plus
fermes – certains disent « opposables » – les directives anticipées et, surtout, instaurer un « droit à
la sédation profonde jusqu’à la mort » ou « sédation terminale ». Il peut s’agir à nos yeux d’une
« euthanasie masquée » dès lors qu’au contraire de la sédation en phase terminale, il s’agirait de
provoquer délibérément la mort, surtout si on accompagne une sédation d’un arrêt d’alimentation et
d’hydratation. Nous partageons l’analyse d’Emmanuel Hirsch – directeur de l’espace éthique des
hôpitaux de Paris – qui estime qu’il n’y a pas nécessité de légiférer et que la notion de sédation
terminale est ambigüe et dangereuse.