Commission européenne

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Commission européenne
Le modèle social européen et l'avenir du travail
Xavier PRATS MONNE
Directeur pour I'Emploi, la Stratégie de Lisbonne et les relations internationales
DG EMPL, Commission européenne
[email protected]
Colloque
LA SÉCURISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS
- FONDATION FERCIS Paris, le 30 octobre 2007
1
Le premier chapitre de cet article1 traite brièvement de la diversité dans les réalités sociales européenne
et des différents « Modèles sociaux européens » dans le contexte de la mondialisation. Le second
chapitre souligne les quatre influences majeures qui auront vraisemblablement des répercussions
importantes sur les marchés de l’emploi et du travail de l’Union. Pour finir, le troisième chapitre étudie
des implications politiques de ces tendances en Europe.
1. LE MODÈLE SOCIAL EUROPÉEN DANS UN CONTEXTE DE MONDIALISATION
Trois, quatre, cinq modèles sociaux européens…
Le concept de « Modèle social européen » résonne – fortement dans certains états membres, un peu
moins dans d’autres – comme une suite d’objectifs et de valeurs globaux de l’UE, tels qu’ils ont été
peut-être le mieux définis dans l’article 3 de l’avant-projet du Traité constitutionnel. La pertinence
politique et opérationnelle de ce concept ne doit cependant pas être exagérée. En effet, si, par « modèle
social », nous entendons protection sociale et État(s)-providence, l'opinion générale dans la littérature
théorique est qu’il n’existe pas un modèle social européen unique (ou une division nette entre l’UE
continentale et le Royaume-Uni), mais plusieurs variations autour des quatre ou cinq grands régimes
scandinave, anglo-saxon, continental et méditerranéen. Certains auteurs ajoutent un cinquième régime
pour les pays d’Europe centrale et orientale2.
... tous flexibles, avec des avantages et des imperfections
Ces «modèles sociaux européens» ou régimes de protection sont des systèmes complexes. Ils reflètent
les manières radicalement différentes dont les pays européens se sont organisés tout au long du
vingtième siècle, par exemple en termes de structure et de volume des prestations : conditions
d’attribution (utilitarisme et appropriation de son pouvoir par la personne de Bentham, ou droits de
citoyenneté et capital social), subsidiarité de la distribution, politiques familiales, etc. Ces régimes sont
également assez flexibles - et ils se sont révélés peu convergents dans le temps - car les changements
structurels dans les sociétés européennes proviennent essentiellement de facteurs endogènes tels que
les changements technologiques et sociétaux (technologies de l’information et de la communication,
émancipation des femmes et déclin des structures de la famille traditionnelle – voir le chapitre suivant).
Chacun de ces modèles sociaux ou régimes de protection présente ses propres avantages et
insuffisances, et répond différemment aux conséquences de la mondialisation et de la démographie.
Par exemple, le Royaume-Uni affiche d’une part des taux de chômage très faibles (en dessous de 5 %)
et des taux d'emploi élevés (plus de 70 %), et d’autre part une productivité par travailleur et par heure
relativement faible (toujours légèrement inférieure à la moyenne des 25 de l’UE), un écart entre les
hommes et les femmes et des taux de pauvreté élevés (par exemple, malgré les efforts politiques
récents du Royaume-Uni, il y a presque deux fois plus d'enfants dans des foyers dont les parents ne
travaillent pas au Royaume-Uni que la moyenne de l’UE). Inversement, les régimes continental et
méditerranéen doivent relever des défis différents : en Espagne, par exemple, l’usage largement
répandu de contrats temporaires et de courte durée a permis de relancer l’emploi et de réduire le taux
de chômage (de moitié depuis 1993 : il est aujourd’hui identique à celui la zone Euro - soit moins de 8 %,
et inférieur à la moyenne des 25 de l'UE), mais ils ont également contribué à retarder la productivité, à
une innovation médiocre et à une faible mobilité3.
Il faut également noter que les comparaisons statistiques entre les différents « modèles sociaux »
peuvent être trompeuses. Aux Pays-Bas, par exemple, les taux de chômage sont en dessous de 6 %,
mais la proportion d'emplois à temps partiel est très élevée (plus de 45 %), et presque un million des 16
millions de personnes que compte la population sont handicapées, ce qui semble indiquer pour le moins
que la définition de «personne handicapée1» est assez élastique. Les comparaisons transatlantiques
omettent parfois que le nombre de citoyens adultes en prison (et qui n'entrent donc pas dans les
statistiques sur l'emploi) est systématiquement de 7 à 10 fois plus élevé aux États-Unis (2,15 millions,
c’est-à-dire 2 pour cent de la population active d’après certains calculs) que dans l'UE.
1
Les idées exprimées dans cet article ne reflètent pas l’opinion officielle de la Commission européenne.
2
Pour une discussion sur les régimes de protection, voir les travaux de G. Esping-Andersen ; A. Giddens a également débattu
énormément des conséquences et des implications politiques de la mondialisation sur les sociétés européennes
néo-modernes.
3
Par exemple, deux tiers des nouveaux 900 000 emplois créés en Espagne dans l'année jusqu'au mois de juin 2005 étaient des
contrats de 6 mois au maximum. Depuis, la politique du gouvernement s’est concentrée sur la réduction de cette segmentation du
marché du travail.
2
Les systèmes de protection des États membres de l'UE ne doivent pas être analysés exclusivement en
termes de croissance économique, de marché du travail ou de niveaux des dépenses publiques, bien
que ce type de mise en relief soit mieux adapté à l’approche utilitariste anglo-saxonne du
«Welfare-to-work». Il serait par exemple singulier de faire face au problème du vieillissement de la
population sans prendre en compte l'impact des régimes de protection sur la fécondité. Il n’y a
également pas de corrélation automatique entre la taille relative de l'état-providence et la croissance ou
l'efficacité économique (le modèle scandinave par exemple), et la croissance seule n'augmente pas
nécessairement le nombre d’emplois : ce qui détermine les taux d'emploi, c’est la combinaison de
politiques d'emploi et de marché du travail actives.
Comme l’ont souligné Esping-Andersen et d’autres, la distinction significative en matière de politique
n’est pas entre les modèles sociaux européens, mais entre les pays ayant des politiques actives de
marché du travail fortes et ceux qui n'en ont pas. Les pays scandinaves peuvent ainsi combiner des
niveaux élevés de dépenses publiques et de protection sociale avec des taux d'emploi élevés,
principalement grâce à des politiques actives d'encouragement à retourner sur le marché du travail. En
outre, ce sont des politiques actives qui expliquent les performances positives récentes en matière
d’emploi de pays (modèles) tels que les Pays-Bas, l’Irlande ou l'Espagne.
Le point fondamental est que les disparités entre les «réalités sociales», les paramètres institutionnels
et les niveaux de développement social et économique des 27 États membres - et par conséquent les
implications politiques de l'Union européenne qui est passée de 15 à 27 - sont souvent sous-estimées.
Ces disparités entre les pays de l’UE sont déjà énormes, en ce qui concerne des aspects aussi
essentiels de la «réalité sociale» que le volume des dépenses sociales (entre 13 % et 33 % du PIB), le
taux d’emploi des femmes ou des travailleurs âgés (entre 40 % et 75 %) ou le pourcentage de
travailleurs dans les secteurs de « matière grise ». Posée simplement, la réponse à la mondialisation
dans les sociétés post-industrielles est fatalement très différente de, disons, celle en Bulgarie, où le
seuil de pauvreté établi est un revenu de 80 € par mois, où le secteur primaire restera la principale
source d'emplois pendant encore plusieurs années, où le taux d'emploi est de 15 points en dessous de
la moyenne de l'UE et où le revenu par habitant en PPA est d'environ un tiers de celui du Chili.
2. LES QUATRE TENDANCES MAJEURES QUI INFLUERONT SUR L’AVENIR DU TRAVAIL
La réalité sociale des États membres de l’UE est ainsi très diverse. Elle sera également influencée par
de nombreux facteurs déterminants, complexes et étroitement liés, tels que l’approvisionnement
énergétique ou le changement climatique. Toutefois, les tendances dans quatre secteurs principaux en
particulier auront certainement des conséquences importantes sur l’avenir du travail en Europe : la
démographie, la technologie, la mondialisation et les changements sociétaux. Les travailleurs et
les employeurs devront s’adapter à ces tendances, et la politique générale devra également réagir en
conséquence, en partie en anticipant et en gérant le changement et en aidant les parties prenantes à
parvenir à un consensus.
Faire des prévisions sur ces quatre tendances et leurs interactions est très difficile. La relation entre les
variables démographiques et les issues socio-économiques peut être cependant analysée en détail, et
il est moins difficile de faire des prévisions dans quelques domaines tels que la structure des âges de la
population : nous pouvons par exemple anticiper le nombre de femmes européennes qui seront fertiles
en 2025 d'une manière assez précise, étant donné qu’elles sont déjà en vie aujourd’hui.
Pour résumer, l'analyse des tendances de l’emploi et sociales au sein de l'UE indique : une diminution
continue du volume et du poids relatif de l'emploi dans les secteurs primaire et de la fabrication ; une
poussée des services et des opportunités d'emploi haut de gamme et des besoins en compétences ; et
une augmentation considérable des emplois rudimentaires peu qualifiés et faiblement rémunérés, la
plupart d'entre eux étant liés au changement des structures démographiques de l'Europe.
Il semble de plus en plus évident que l'économie fondée sur la connaissance et le progrès
technologique favorisent tous les deux les travailleurs hautement qualifiés et capables de s’adapter,
des compétences polyvalentes et des parcours professionnels complexes, et représentent donc une
pression importante vers une inégalité des salaires4. Les marchés de l’emploi européens semblent ainsi
évoluer vers une polarisation (un « marché du travail en sablier »), avec un éventail large d'emplois
haut de gamme professionnels et techniques hautement qualifiés, un large éventail d’emplois inférieurs
peu qualifiés (dans les services) – mais beaucoup moins d’opportunités d’emploi et financières pour les
compétences et les emplois de niveau moyen entre les deux5.
4
5
Commission européenne (2005, Employment in Europe. Chapitre 4, Commission européeenne (2007 ; à paraître), Employment
in Europe. Chapitre 5
Le Prof. Rob Wilson de l'université de Warwick dirige une analyse complète des tendances de l'emploi à long terme dans l'UE.
3
Par ailleurs, dans seulement dix ans, le vieillissement de la population européenne entraînera une
diminution des nombres absolus d’européens en âge de travailler, même si la durée moyenne de la vie
active augmentera grâce aux politiques visant à prolonger la vie active.
2.1. Démographie
Une tendance déterminante : le vieillissement de la population…
Bien que son rythme et sa vitesse puissent varier considérablement d'un pays à l'autre, le vieillissement
de la population est une tendance structurelle déterminante dans les 27 de l’UE, qui reflète l’interaction
entre trois facteurs principaux6 :
•
des taux de fécondité faibles – en moyenne, autour de 1,5 enfant par femme dans les 25 de l'UE
aujourd'hui -, bien au-dessous du taux de remplacement de 2,1 requis pour stabiliser la
population en l'absence de flux migratoires. Une augmentation marginale jusqu'à 1,6 est
escomptée pour les 25 de l'UE d'ici 2030 ;
•
la baisse de la fécondité, qui a suivi le renouveau de la natalité d’après guerre et qui provoque
aujourd’hui une augmentation croissante des classes âgées. Ce passage à l’âge adulte de la
génération du baby-boom provoquera une augmentation considérable du nombre relatif de
personnes âgées, dont les dépenses de sécurité sociale devront être prises en charge par une
population en âge de travailler de moins en moins nombreuse.
•
l’espérance de vie : après avoir augmenté de huit ans dans la seconde moitié du vingtième
siècle, l’espérance de vie à la naissance augmentera probablement d’au moins cinq années de
plus d'ici la moitié du vingt-et-unième siècle. Cette augmentation aura le plus gros impact sur les
générations les plus âgées, puisque les Européens qui auront 65 ans en 2050 auront une
espérance de vie de quatre à cinq fois plus longue que les personnes âgées de 65 ans
aujourd'hui : le nombre d’Européens âgés de 80 ans ou plus sera beaucoup plus important.
Si on prend en considération ces trois facteurs, la population totale de l’Union européenne devrait
baisser légèrement d'ici 2050, mais le nombre de personnes actives devrait diminuer d'environ 50
millions. En conséquence, la proportion de personnes dépendantes7 dans la population augmentera
d'environ ¼ aujourd’hui à ½ d'ici la moitié du vingt et unième siècle. A court terme, les politiques de
l’emploi destinées à encourager la participation de la population active, ainsi que les tendances
sociétales telles que des taux d’emploi des femmes plus élevés, devraient contrebalancer la baisse du
nombre de personnes en âge de travailler, et le nombre total de personnes travaillant dans l’Union
européenne continuera à augmenter à peu près jusqu’en 2017. Plus des deux tiers de cette
main-d’œuvre proviendra de l’augmentation du nombre de femmes au travail, l’autre tiers étant expliqué
par l'augmentation escomptée du taux d'emploi des travailleurs âgés (entre 55 et 64 ans).
Cependant, les taux d’emploi élevés offriront un répit qui ne sera que temporaire : même si l'objectif de
la «stratégie de Lisbonne» de l'Union est atteint - soit un taux d'emploi global de 70 % - le nombre total
de personnes travaillant devrait diminuer de 30 millions entre 2010 et 2050. Si les politiques ne
changent pas (améliorations de la qualité de la main-d’œuvre car une population plus jeune mieux
éduquée remplace les travailleurs âgés qui partent à la retraite par exemple), les dépenses publiques
liées au vieillissement dans les 25 de l'UE augmenteront en moyenne de 3 à 4 pour cent de points du
PIB d’ici 2050, c’est-à-dire d’environ 10 % ; cette tendance se fera sentir dès 2010, et deviendra
particulièrement marquée entre 2020 et 2040.
Ces tendances démographiques sont un défi considérable pour la viabilité des finances publiques et
des systèmes de protection sociale dans la plupart des États membres de l'UE. Ces dernières années,
beaucoup de gouvernements de l’UE ont introduit des réformes qui commencent à porter leurs fruits,
particulièrement en ce qui concerne les retraites du secteur public et les systèmes d'emploi et
d’enseignement, comme l’a montré l’augmentation rapide du taux d’emploi des travailleurs âgés depuis
l’année 20008. Des réformes plus profondes seront pourtant nécessaires, et un des domaines clés
devant être développé en matière de politique est le prolongement de la vie active.
6
Voir Commission européenne : The demographic future of Europe - from challenge to opportunity (2006) ; et Europe's
demographic future : facts and figures (2007).
7
Rapport entre le nombre de personnes âgées de plus de 64 ans et la population en âge de travailler (entre 15 et 64 ans).
8
Voir Commission européenne (2007 ; à paraître), Employment in Europe, Chapitre 2.
4
...avec une composition de la main-d’œuvre qui change...
La composition de la main-d’œuvre de l’Europe continuera à changer, en conséquence de la
modification de la structure des âges. L’accroissement temporaire de la fécondité après la seconde
guerre mondiale - qui a produit un dividende de la productivité lorsque la génération du baby-boom est
arrivée sur le marché du travail - posera bientôt un problème, la génération du baby-boom commençant
à prendre sa retraite et augmentant la proportion de dépendants dans la population. Il est toutefois
important de noter qu'une population active plus âgée et des durées d'emploi plus longues peuvent être
une opportunité plutôt qu'un désavantage, et ne signifient pas une main-d’œuvre moins productive. Les
travailleurs ne sont pas nécessairement moins productifs ou novateurs avec l'âge : la baisse des
facultés physiques et mentales varie considérablement, en fonction des personnes concernées et de
l'efficacité des politiques sanitaires de prévention. Ce qui est plus important, c’est que les pertes de
productivité peuvent être compensées par l’expérience plus grande des travailleurs, des modifications
dans l’organisation du travail et une utilisation plus efficace des technologies de l’information et de
communication (TIC, voir la section suivante). En outre, les générations futures de travailleurs âgés
bénéficieront de niveaux de formation plus élevés 9, réduisant ainsi le risque d’un développement plus
lent des nouvelles technologies avec le vieillissement.
Les jeunes générations arrivant sur le marché du travail sont déjà beaucoup moins nombreuses suite à
la baisse de la fécondité. Le nombre d’enfants âgés de 0 à 14 ans dans l’Union européenne a baissé
constamment depuis 1975, chutant d'environ 100 millions à un nombre estimatif de 66 millions en 2005.
Paradoxalement, ces chiffres de recul en eux-mêmes ne facilitent pas forcément l'accès des jeunes au
marché du travail : une bonne formation et des compétences adéquates seront encore plus essentielles
pour assurer la stabilité de l'emploi. Notamment, un bon départ dans la vie restera primordial, les
désavantages accumulés pendant l'enfance tendant à persister et ne pouvant être corrigés que
partiellement par le biais de mesures destinées à y pallier 10. La diminution du nombre de personnes
arrêtant tôt l’école est un défi politique important pour l’UE, l'abandon des études étant associé à des
perspectives d'emploi médiocres, un risque de chômage plus élevé et des emplois à faible productivité
et de qualité restreinte.
... et des flux migratoires en augmentation
L’Europe est déjà la destination des principaux flux migratoires en provenance des pays tiers. En 2004,
l’Union européenne a enregistré 1,8 millions d’immigrés, comparé à juste 500 000 dix ans auparavant.
Ceci est plus que les Etats-Unis par rapport à la population totale, bien que la population d’origine
étrangère de l’UE (9 %) soit toujours inférieure à celle des USA (12 %) et bien sûr du Canada et de
l’Australie (20 %). Concernant le marché du travail, deux nouveaux emplois sur 10 créés au sein de l’UE
entre 1995 et 2005 étaient justifiés par les immigrés des pays tiers.
L’immigration ne peut compenser que partiellement les tendances de répartition des classes d'âge de la
population européenne, parce-que les populations immigrées deviennent âgées à la même vitesse que
les populations locales, et aussi car, au fil du temps, elles adoptent les mêmes modèles de fécondité
que la société d’accueil. La plupart des études indiquent que les conséquences de l'immigration sur le
marché du travail global dans les économies développées sont positives mais que leur étendue est
limitée. Par ailleurs, même actuellement, 40 % seulement des immigrants des pays tiers entrent dans
l’UE pour des raisons d'emploi, les autres immigrant au titre du regroupement familial ou étant des
demandeurs d'asile.
Cependant, l’immigration – en améliorant la mobilité de la main-d’œuvre à l'intérieur même de l'UE pourrait aider à rendre le marché du travail plus souple et à soulager les pénuries de main-d’œuvre.
Dans le contexte des sociétés européennes vieillissantes et de la demande croissante de services
personnels (dans les soins médicaux par exemple), l’immigration peu ou moyennement qualifiée va
vraisemblablement augmenter : Eurostat prévoit qu’environ 40 millions de personnes vont immigrer
vers l’Union européenne entre aujourd’hui et 2050. La plupart de ces immigrants étant en âge de
travailler, ils font baisser l'âge moyen de la population. Néanmoins, les répercussions à plus long terme
restent incertaines, puisqu'elles dépendent également de la nature plus ou moins restrictive des
politiques de regroupement familial et des tendances en matière de fécondité des populations
migrantes. Dans ce contexte, alors que les tentatives de micro-gestion à court terme des marchés du
travail de l’UE par le biais de l’immigration ne peuvent pas manquer d'échouer, un élément important
pour l'avenir sera le développement d'instruments politiques et d’indicateurs statistiques plus
performants, pour analyser la migration et concevoir des mesures destinées à répondre aux besoins du
marché du travail à long terme.
9
10
Voir par exemple, Commission européenne (2007 ; à paraître), Employment in Europe, Chapitre 4.
Commission européenne (2007), Investing in Youth: from childhood to adulthood.
5
2.2. Technologie : la transition vers une économie fondée sur la connaissance
Ces dix dernières années, le rôle de plus en plus important des technologies de l'information et de la
communication (les TIC) sur le lieu de travail et dans toutes les situations de la vie a entraîné l’essor de
ce qu'on appelle la « nouvelle économie » ou « économie de l'information ». Même si la diffusion des TIC
va accélérer les synergies croissantes avec d'autres technologies prometteuses, l'« économie de
l'information » ne doit pas être confondue avec l’« économie fondée sur la connaissance », qui est
apparue bien avant la croissance significative de la production et de la diffusion des TIC dans les
sociétés européennes. Cette économie fondée sur la connaissance a des répercussions de plus en
plus importantes sur la structure, le contenu et l’organisation du travail.
Le niveau de scolarité est de plus en plus élevé...
Les niveaux de scolarité se sont élevés continuellement en Europe depuis 30 ans maintenant, et cette
tendance va probablement continuer. Sur le marché du travail, l'accroissement des professions
hautement qualifiées – dû notamment à la croissance du secteur des services et au déclin du fordisme
– a été accompagné d’une élévation significative du niveau scolaire de la main-d’œuvre11.
Cette élévation est particulièrement visible dans les états-membres de l’Europe du sud (Portugal,
Espagne, Malte, Chypre, Italie et Grèce), où la population âgée de 45 à 54 ans a en moyenne un niveau
d’éducation faible comparé à la tranche d'âge 25-34 ans ; dans la plupart de ces pays, moins de 50 %
de la population âgée de 45 à 54 ans a terminé des études secondaires du deuxième cycle. La
différence entre le niveau d’éducation de la tranche d’âge 25-34 ans et celui des 45-54 ans est
également évidente en France et dans d’autres États membres comme la Belgique, l’Irlande et le
Luxembourg.
Malgré cette tendance, la réforme de l’enseignement est encore trop lente et ceci menace la
compétitivité de l’Europe12. L’enseignement de base est et restera un élément déterminant fondamental
des issues du marché du travail. Dans l’Union européenne, plus on est éduqué, plus on a de chances
de trouver un travail (bien payé) : les taux d’emploi moyens des travailleurs ayant reçu un
enseignement supérieur dans les 25 États membres sont compris entre 81 % et 89 %, tandis que les
taux d'emploi de ceux qui ont suivi une scolarité de base diffère considérablement entre les pays (de
moins de 25 % à plus de 70 %), mais sont en moyenne de 40 %13 seulement. En France, par exemple,
les travailleurs ayant un diplôme universitaire gagnent environ 15 % de plus que les autres.
D’une perspective spécifique au sexe, la hausse relativement récente mais considérable du niveau
scolaire des femmes a accentué l’écart entre les niveaux d’éducation formels des travailleurs jeunes et
âgés : dans la plupart des pays, la disparité dans la proportion de la population ayant suivi au moins des
études secondaires de deuxième cycle dans les classes d'âge 25-34 ans et 45-54 ans est supérieure
pour les femmes. Les travailleurs âgés, et particulièrement les femmes, qui sont arrivés sur le marché
du travail sans une éducation solide ont dû faire face à la concurrence directe des nouveaux arrivants
qui sont, en moyenne, mieux éduqués.
La technologie et les activités à forte intensité de connaissances créent également des emplois qui ne
demandent pas des qualifications formelles élevées, mais même ces emplois requièrent des
compétences plus variées. La tendance dans la demande de main-d’œuvre contribuera ainsi à
désavantager les personnes peu qualifiées, particulièrement les jeunes.
... la connaissance a un rôle économique de plus en plus important...
L’élévation du niveau scolaire des trente dernières années s’est produite de concert avec le partage
croissant du capital incorporel dans la croissance économique de l’UE. Le capital incorporel entre dans
deux catégories principales : l’investissement dans la production et la diffusion de la connaissance
(formation, éducation, recherche et développement) et l'investissement dans le capital humain physique
(éducation, formation et santé). Les disparités en termes de productivité et de croissance entre les États
membres de l’UE sont étroitement liées à la capacité de créer de la connaissance et des idées, et à les
intégrer avec succès dans le processus de production.
11
Voir par exemple, Commission européenne (2007 ; à paraître), Employment in Europe. Chapitre 4, Commission européenne
(2006), Employment in Europe. Chapitre 4.
12
Commission européenne (2007), Report on progress towards the Lisbon objectives in the field of education and training.
13
Commission européenne (2007), Europe's demographic future: facts and figures.
6
Une étude de l’OCDE souligne la croissance soutenue dans le secteur de l’investissement dans la
connaissance ces dix dernières années14. En 2002, l’investissement dans les activités de connaissance
– définies comme la somme de la recherche et du développement, de l’éducation supérieure et des
logiciels - s'est élevé à 5,2 % du PIB dans la zone OCDE. Les Etats-Unis sont le pays qui investit le plus
dans la connaissance (6,6 %), suivis du Japon (5,0 %) et de l’Union européenne (3,8 %). En 2005, un
peu plus de 40 % de la main-d’œuvre dans les 15 de l’UE était employée dans les secteurs « de matière
grise » (fabrication technologique de niveau élevé à moyen plus les services fondés sur la
connaissance), la Suède atteignant le niveau le plus élevé (54 %) et le Portugal le moins élevé (26 %)15
Cette tendance vers davantage d'investissement dans la connaissance ne doit pas éclipser l'importance
croissante des activités liées à la science et à la technologie, qui sont également centrales pour les
nouveaux secteurs donnant une impulsion à la croissance économique. Les professions scientifiques et
techniques se sont développées beaucoup plus vite que l'emploi global, à un taux annuel moyen de
2,7 % dans les 15 de l'UE entre 1995 et 2004. L'emploi dans les professions scientifiques et techniques
a progressé même dans les pays où l'emploi global déclinait (Pologne, République tchèque et
République slovaque)16.
Le développement des activités à forte intensité de connaissances est également dû à celui de
certaines activités matérielles, essentiellement les TIC, qui ont fourni une base de poids pour la
croissance de la productivité. La révolution numérique a contribué à pousser la croissance de la
productivité particulièrement dans le traitement de l’information, le stockage et l’échange des données,
un domaine clé de l'économie fondée sur la connaissance 17. Étant donné leur convergence croissante
avec d’autres technologies clés comme la nanotechnologie et la biotechnologie, les TIC vont
certainement continuer à se développer.
La plupart des États membres de l’UE vont dépenser encore plus dans la recherche et le
développement au cours des prochaines années, ce qui reflète la reconnaissance grandissante du
progrès technologique comme facteur essentiel de la compétitivité 18. Augmenter l'effectif des
travailleurs hautement qualifiés sur le marché du travail sera une priorité pour soutenir les activités de
recherche et développement, leur proportion étant notamment toujours faible comparée aux Etats-Unis.
.., ayant pour conséquence de nouvelles formes d’organisation du travail
Les exigences d’une économie fondée sur la connaissance encouragent les entreprises à introduire de
nouvelles formes d'organisation du travail telles qu'une autonomie plus grande des travailleurs pour
définir le rythme et les méthodes de travail, et l’atténuation des structures hiérarchiques. Cette dernière
peut favoriser des pratiques de travail comme le travail en équipe, la rotation des tâches ou la
polyvalence. L’adoption des TIC par les entreprises a également des conséquences considérables sur
les pratiques d'organisation du travail et, inversement, les TIC affectent en priorité les entreprises au
sein desquelles les compétences ont été améliorées et/ou des changements d’organisation ont été
introduits19.
Les nouvelles pratiques d’organisation du travail sont souvent accompagnées de politiques de gestion
des ressources humaines complémentaires, telles que dispenser davantage de formation et des
régimes de rémunération avec intéressement. En outre, les formes d'organisation du travail
caractérisées par de hauts niveaux d'autonomie dans le travail combinés à de hauts niveaux
d'apprentissage, la résolution des problèmes et la complexité des tâches sont souvent associées à des
performances élevées en matière d’innovation. Enfin, les nouvelles pratiques d’organisation et les
accords sur le temps de travail ont un effet positif sur la satisfaction au travail, dans la mesure où elles
atténuent les structures hiérarchiques et permettent de concilier plus facilement travail et vie de famille.
14
OCDE (2005), Tableau indicateur de la science. de la technologie et de l’industrie de l’OCDE 2005.
15
Voir par ex. Commission européenne (2007), Europe's social reality.
16
OCDE (2005), Tableau indicateur de la science, de la technologie et de l’industrie de l’OCDE 2005
17
Voir par ex. Commission européenne (2004) – Revue d’économie européenne, chapitre 4.
18
Communication de la Commission 'More Research and Innovation — A Common Approach' (2005).
19
Pour une discussion sur l’organisation du travail et ses conséquences, voir Commission européenne (2005, 2006 et 2007),
Employment in Europe. Chapitre 4.
7
Puisqu'elles améliorent la satisfaction des travailleurs et la productivité des entreprises, les rythmes
d’exécution de ces nouvelles formes d’organisation du travail vont probablement continuer à s’accélérer
au cours des prochaines années. Cependant, les nouvelles pratiques de travail s'appliquant plus
souvent aux travailleurs hautement qualifiés et flexibles qu’aux travailleurs peu qualifiés, elles tendent
également à favoriser les compétences. En outre, ces nouvelles formes d'organisation du travail
peuvent également entraîner une aggravation des conditions de travail (par exemple, risque d'accidents
et de maladies plus élevé, rendant le travail plus intensif et les habitudes de travail instables) 20. Le
dialogue social et la confiance entre les employés et les employeurs sont décisifs dans l'adoption et
l'acceptation de nouvelles pratiques de travail.
2.3. La mondialisation
Les défis de la mondialisation ont attisé des débats publics animés souvent centrés, dans les sociétés
développées, sur les menaces de pertes d’emploi : les coûts (la délocalisation par exemple) sont
perçus plus facilement comme des avantages potentiels (productivité par exemple) qui restent
largement répandus.
Les deux éléments moteurs principaux caractérisant la mondialisation21 ont des répercussions
importantes sur l’emploi et les compétences et continueront à influer sur l'avenir du travail en Europe :
Le déclin et la fragmentation de l’industrie manufacturière...
La part déclinante de l'industrie manufacturière dans le PIB des pays développés est une tendance
structurelle à long terme qui a incontestablement été affectée par la libéralisation du commerce. Les
services représentent aujourd'hui 70 % du PIB de l’Union, et l’Europe est à la tête du marché mondial
des services (27 % contre 15 % pour les produits manufacturés).
La concurrence des nouveaux fournisseurs, particulièrement ceux à faibles coûts, a ébranlé la capacité
des producteurs locaux à être concurrentiels et a entraîné la baisse de la part de marché et du marché
de l'emploi de l’UE dans les secteurs les plus exposés à la compétition internationale. La spécialisation
internationale s’applique de plus en plus aux segments du cycle de production plutôt qu’à la finition des
produits, et la part croissante des produits intermédiaires dans le commerce mondial met en évidence
une fragmentation (ou désintégration verticale) de plus en plus importante de la fabrication, qui s'étend
maintenant aux services.
Les TIC ont été un catalyseur essentiel de la négociabilité accrue des produits et des services : elles
permettent de codifier, standardiser et numériser la connaissance, et ainsi la fragmentation de nombre
de produits et services en composants pouvant être localisés à l'étranger afin d'exploiter les écarts de
coûts et les économies d’échelle. En conséquence, beaucoup d'emplois dans les services considérés
jusqu’à récemment comme non négociables sont dorénavant exposés à la concurrence internationale
et risquent d’être délocalisés : les services audiovisuels, culturels et d’affaires, les services
d’enseignement supérieur et de formation, financiers, de la santé et liés à l’Internet, etc.
En fin de compte, c'est le besoin d'une présence humaine physique et du contact qui empêche la
délocalisation des emplois, mais la technologie et les TIC réduisent ce besoin de manières inattendues :
un médecin généraliste qui rend visite à ses patients est moins susceptible d’être exposé à la
sous-traitance qu'un radiologue dans un hôpital urbain de pointe.
La sous-traitance pouvant en fait nécessiter moins de ressources que l’externalisation de la fabrication,
ce processus risque de s’accélérer rapidement. Par ailleurs, tandis que l’externalisation de la fabrication
a affecté en premier les emplois d'ouvrier et a entraîné une inégalité plus grande entre les professions
d'ouvrier et les emplois de bureau, l'externalisation des services se répercute sur les emplois de bureau
et risque d’entraîner une inégalité plus grande au sein même de ces professions.
... et l'intégration rapide des économies de marché émergentes
La combinaison du progrès technologique et de la libéralisation des marchés rend l’activité économique
de plus en plus spécialisée et dispersée à travers les pays et les continents. Ce qui est le plus
remarquable, c’est l’émergence sur la scène mondiale d’économies comme la Chine et l’Inde, qui
représentaient tout juste 5 % de la production mondiale en 1980, déjà 20 % en 2005, et une prévision de
25 % en 2015.
20
Voir par exemple, Commission européenne (2005), Employment in Europe. Chapitre 4, et Employment in Europe (2007 : à
paraître). Chapitre 3.
21
Voir par exemple, Commission européenne (2006), Employment in Europe, Chapitre 4.
8
Au cours des 15 dernières années, depuis la disparition de l’Union soviétique et l’ouverture de
l’économie chinoise, l'offre de main-d’œuvre mondiale a augmenté d’environ 1,5 milliard ; cet
accroissement explique partiellement la part des salaires déclinante dans le revenu national des
pays de l’UE.
Ces tendances devraient se poursuivre, de par l’émergence (ou l’arrivée à maturité) de grandes
économies sur la scène mondiale et la diminution du fossé numérique entre les pays développés et
les pays en voie de développement. Même si le décloisonnement de l'économie continuera à
produire des bénéfices pour la croissance et l'emploi, il impliquera en même temps des
transformations onéreuses pour les entreprises et les employés concernés. Les travailleurs les
moins qualifiés et les plus vulnérables seront toujours les plus affectés par le décloisonnement de
l'économie ; des mesures énergiques et une aide financière pour les travailleurs et les secteurs
affectés (par l'intermédiaire du Fonds social européen et du Fonds d’ajustement à la mondialisation
par exemple), demeureront une priorité majeure pour l'UE22.
2.4. Les changements sociétaux
Malgré leur diversité, les sociétés européennes subissent les répercussions des changements
sociétaux qui influent sur le monde du travail. Deux de ces changements sont les plus évidents :
d’une part, la montée du modèle du foyer à deux salaires et l'émancipation des femmes et, d'autre
part, l'apparition de nouveaux risques sociaux.
La montée du foyer à deux salaires et l’émancipation des femmes...
Un des changements sociétaux les plus importants des dernières décennies a été la participation
de plus en plus significative des femmes sur le marché du travail. Le foyer à deux salaires est
aujourd’hui la norme, généralement parlant, et remplace le modèle du « soutien de famille mâle ».
Le revenu familial et l'exposition aux risques dépendent aujourd’hui du potentiel de profit de chacun
des deux partenaires et de la stabilité à long terme de leur relation.
Faire en sorte que le modèle du « foyer à deux salaires » fonctionne avec succès sera le problème
central de la politique familiale en Europe. Tous les problèmes qui s’ensuivent, tels que l’équilibre
de la vie professionnelle et le partage des travaux ménagers, auront un impact sur la stabilité des
relations, l’égalité des sexes, l'atténuation de la pauvreté enfantine et sur la capacité des parents à
avoir le nombre d’enfants qu’ils souhaitent.
La proportion de femmes au travail varie encore d’une façon marquée entre les pays de l'UE, mais
il y a des signes de convergence graduelle : grâce à des niveaux d'éducation plus élevés et un plus
fort rattachement de la main-d’œuvre de la jeune génération, on prévoit que les taux d'emploi
féminins passeront de plus de 55 % en 2005 à presque 65 % en 2025. Cette augmentation
régulière de la participation de la main-d’œuvre féminine favorisera l'équilibre entre les hommes et
les femmes.
La majorité des femmes en âge de travailler (55,7 %) a maintenant un emploi rémunéré dans tous
les États membres, sauf en Italie, en Pologne, en Espagne et à Malte ; au Danemark et en Suède,
le taux d’emploi des femmes est supérieur à 70 %. L'écart entre les sexes en ce qui concerne
l’emploi continue à se resserrer dans toute l'Union européenne et est actuellement d'environ 15 %.
Plus de 40 % de toutes les femmes employées dans l’UE ont des emplois à temps partiel (bien que
les situations varient énormément selon les pays : d’environ 50 % aux Pays-Bas à 10 % au
Portugal et en Finlande).
Même si l’égalité des sexes est loin d’être atteinte – en termes d'opportunités de travail égales et
de partage égal de la responsabilité de la garde des enfants – l'émancipation des femmes a
avancé considérablement en Europe23. Resserrer les écarts entre les sexes en ce qui concerne
l'emploi et le salaire est non seulement une question d'égalité mais également d'efficacité et de
productivité : au cours des dernières décennies, l’élévation du taux de participation des femmes a
été un facteur majeur de l'augmentation de l'emploi général et de la productivité. L’égalité des
sexes n’est pas uniquement dans l’intérêt des femmes, mais également dans celui de la société
dans sa globalité.
22
Communication de la commission en 2005 : « Anticipating and accompanying restructuring in order to develop
employment: the role of the European Union ».
23
Voir les rapports annuels de la Commission européenne sur l’égalité des sexes dans l’UE.
9
... et de nouveaux risques sociaux
Au cours de leur vie, les femmes et les hommes européens connaissent de plus en plus de risques
qui ne sont pas couverts par les systèmes de protection traditionnels. L’individualisation croissante
des sociétés européennes, à laquelle s’ajoute une mobilité professionnelle et géographique
croissante, affaiblissent le maintien de la famille étendue en Europe.
La perte d’importance de la famille étendue peut placer les parents, et en particulier les femmes,
dans une tension plus grande, à cause de la demande pesant sur eux de s’occuper des enfants et
des personnes âgées tout en restant sur le marché du travail. Il faut remarquer que les taux de
natalité se sont le mieux maintenus – et la participation des femmes sur le marché du travail a été
la plus élevée - précisément dans les États membres de l'UE où l'accès aux services de garde des
enfants est le plus répandu et accessible.
Les transitions au sein du marché du travail et du travail vers les autres sphères de la vie sociale
(apprentissage, prise en charge, retraite) sont devenues plus fréquentes au cours de la vie, ce qui
requiert des politiques sociales appropriées et des transitions en douceur 24. La théorie des
« marchés du travail de transition » offre une voie prometteuse vers la gestion des risques sociaux
tout au long de la vie, visant à fournir des ponts sociaux qui compensent le risque plus élevé de
relations de travail non standard25.
Un moyen approximatif d’évaluer comment les risques sociaux évoluent est de mesurer les risques
de pauvreté et l'inégalité après les transferts publics. Les disparités entre les salaires se sont
accrues entre 1980 et la fin des années 90 au Royaume-Uni, en Allemagne, aux Pays-Bas et en
Suède. Ces écarts se sont cependant resserrés en France et en Finlande. Une comparaison des
indices d’inégalité de Gini entre le milieu des années 80 et le milieu des années 90 (qui mesure
comment la répartition des richesses s'éloigne de l'égalité théorique) indique que les inégalités se
sont accrues considérablement en Grande-Bretagne, en Italie et en Belgique, se sont accrues à un
degré moindre en Irlande, au Danemark, en Allemagne, en Suède et en Finlande, et ont diminué
en France, aux Pays-Bas et au Luxembourg.
Des universitaires (par exemple Esping-Andersen et T. Boeri pour le cas italien) ont soutenu que la
jeune génération supportera la plus grande partie des conséquences de la montée de l'inégalité en
Europe : elle doit faire face à une détérioration des salaires relatifs à tous les niveaux de
compétences, et elle est extrêmement surreprésentée parmi les personnes sans emploi et celles
ayant des contrats précaires à court terme.
Étant donné la diversité ethnique et culturelle croissante des sociétés européennes, il est
également important de reconnaître que la manière dont les immigrés sont traités, la plupart
d'entre eux étant maintenant des citoyens à part entière des États membres de l'UE, laisse encore
beaucoup à désirer. Malgré le progrès de la lutte contre le racisme et l’intolérance, il subsiste des
problèmes énormes de discrimination, de chômage et d'accès à des services publics décents tels
que le logement, la santé et les bonnes écoles. Les migrants de la seconde génération tendent
toujours à avoir de moins bonnes performances dans le système éducatif que les citoyens
« natifs ».
Lorsqu’on évalue les changements sociétaux en Europe, il est important de noter que, bien qu'il
s'agisse d'une des régions les plus riches du monde, les États membres de l'UE sont toujours très
loin d'avoir atteint l’objectif – stipulé par le Conseil européen en 2000 - de l'éradication de la
pauvreté. Les désavantages et la privation toujours présents au sein de l'UE sont largement
perçus comme socialement, moralement et économiquement non viables26 : 16 % de la population
européenne est exposée à la pauvreté, une personne sur cinq vit dans un logement insalubre,
10 % vit dans des foyers où personne ne travaille, le chômage à long terme approche les 4 %, et la
proportion de personnes arrêtant tôt l'école est supérieure à 15 % (et deux fois plus dans certains
pays).
24
Voir par ex. : Commission européenne (2007 ; à paraître), Employment in Europe, Chapitre 3.
25
Pour une discussion sur les marchés du travail de transition, voir G. Schmid : Social Risk Management through
Transitional labour Markets. Socio-Economic Review n° 4 (2006).
26
Voir la communication de la Commission : Modernising social protection for greater social justice and economic cohesion:
taking forward active inclusion of people furthest from the labour market. (2007).
10
3. LES QUATRE PRIORITÉS EN MATIÈRE DE POLITIQUE POUR L’AVENIR DU TRAVAIL EN
EUROPE
Le chapitre précédent faisait apparaître que l’avenir du travail dans l’UE serait influencé par quatre
tendances majeures, liées à la démographie, la technologie, la mondialisation et les changements
sociétaux. Alors que la situation et le point de départ des 27 États membres sont extrêmement
variés, les conséquences de ces quatre tendances sur l'emploi et le marché du travail indiquent que
l'UE et ses États membres doivent se focaliser sur quatre priorités majeures dans quatre domaines
politiques larges : l’éducation, la formation professionnelle continue, les relations au travail et
l’inclusion sociale :
3.1. Éducation : augmenter l'effectif des travailleurs instruits
Les niveaux scolaires de la main-d’œuvre détermineront de plus en plus la compétitivité des
économies européennes dans un monde global. Bien que le niveau d'éducation dans l'UE se soit
élevé au cours des dernières décennies, des défis importants restent à relever. En particulier, la
progression vers une société fondée sur la connaissance est entravée par un nombre insuffisant de
travailleurs instruits, notamment comparé aux États-Unis. Des efforts considérables doivent être
consacrés à la diminution du nombre encore excessif de personnes arrêtant tôt l'école au sein de
l'UE : une diminution réussie des taux d’abandon faciliterait les transitions de l’école au travail, ce
qui augmenterait les taux d'emploi et réduirait l'exclusion sociale. D’une manière plus générale, les
politiques en matière d’éducation doivent améliorer l’accès à - et la qualité de – l'enseignement
primaire et secondaire27 :
•
L’enseignement pré-primaire apporte les meilleurs résultats en termes de réalisation et
d’adaptation sociale des enfants. L’investissement dans l’enseignement pré-primaire est le
moyen le plus efficace d’établir la base d’un apprentissage plus approfondi, en empêchant
l'abandon de l'école, et en augmentant l’équité des résultats et les niveaux de compétence
globaux ; les résultats des systèmes d’enseignement d’un niveau plus élevé dépendent
beaucoup trop du contexte socio-économique des étudiants.
•
Les résultats en matière d'efficacité et d'équité des systèmes d'enseignement peuvent être
considérablement améliorés en se concentrant sur l'amélioration de la qualité des
enseignants, en recrutant davantage de professeurs parmi les communautés
désavantagées, et en concevant des systèmes d'enseignement ayant un degré
d'autonomie et de gestion plus élevé pour assurer des résultats encore meilleurs.
•
L’enseignement supérieur est un secteur clé dans l'économie fondée sur la connaissance. Il
est au cœur du « triangle de connaissances » que sont l’éducation, l’innovation et la
recherche. L’enseignement supérieur dans l’UE doit relever de nombreux défis, et l’accès
gratuit à l’enseignement supérieur ne garantit pas forcément l’équité : pour renforcer
l’efficacité et l’équité, les États membres devront créer des conditions et des incitations
adéquates pour générer un investissement public et privé plus important, également par le
biais de droits d'inscription combinés à des mesures financières d'accompagnement pour
les étudiants désavantagés. Les institutions d’enseignement supérieur devront proposer
une gamme plus différenciée de conditions et d'incitations pour répondre aux divers
besoins socio-économiques.
3.2. Exploiter le potentiel de la formation professionnelle continue
Quatre raisons principales justifient la nécessité de développer des politiques de formation
professionnelle continue plus solides et plus centrées au sein de l’UE 28.
• Tout d’abord, les travailleurs avec des niveaux de scolarisation et de revenus faibles sont
moins susceptibles que leurs pairs de participer à une formation professionnelle continue à
l’initiative de l’entreprise. Le constat est le même pour les immigrés et les minorités
ethniques. Ces groupes sont moins en mesure de développer leur capital humain et leur
capacité d’insertion professionnelle, ce qui augmente le risque d'exclusion sociale et
d'inégalité des revenus.
27
28
Communication de la Commission : Efficiency and equity in European education and training systems. (2006)
Pour une discussion plus approfondie, voir Commission (2007 ; à paraître) : Employment in Europe, Chapitre 4.
11
•
Les travailleurs âgés – qui sont entrés sur le marché du travail quelques décennies
auparavant, souvent avec des niveaux peu élevés de scolarisation – participent également
trop peu à la formation professionnelle continue. Ceci augmente le risque que la
main-d’œuvre quitte tôt le marché du travail, aggravant de cette façon la situation
financière des systèmes de protection sociale.
•
La formation professionnelle continue rend les marchés du travail internes plus
dynamiques en soutenant la flexibilité des fonctions - et la capacité de transfert des
compétences des travailleurs acquises pendant la formation est encore limitée, et le
marché de la formation professionnelle continue est dans une certaine mesure distinct du
marché du travail.
•
La formation est un moyen important pour les entreprises de promouvoir l'innovation
(comparée à d'autres outils comme la recherche et le développement intérieurs et
extérieurs). Pourtant, les micro- et petites entreprises dans la plupart des États membres
de l’UE enregistrent encore des taux extrêmement faibles de participation à la formation
professionnelle continue.
Les gouvernements de l’UE devront faire des efforts considérables pour accorder les incitations qui
conviennent pour que les entreprises investissent dans la formation professionnelle continue et
assurent un accès égal à celle-ci. Il sera particulièrement important de développer des mesures
visant à prolonger la vie active afin de répondre aux structures démographiques changeantes de
l'Europe. Plusieurs objectifs doivent être poursuivis par le biais de mesures ciblées sur la formation
professionnelle continue : réduire l’exclusion sociale et l’inégalité des revenus en augmentant le
capital humain des travailleurs exposés aux risques ; maintenir des systèmes de protection en
gardant les travailleurs âgés sur le marché du travail ; soutenir des politiques de « sécurité
flexible » en améliorant la flexibilité des fonctions et la mobilité d'un emploi vers un autre emploi
(voir le sous-chapitre suivant) ; et augmenter la capacité d'innovation des entreprises en
permettant aux travailleurs de mettre à niveau leurs compétences et de répondre plus rapidement
aux changements de conditions économiques.
3.3. Réorganiser les relations au travail : des stratégies de « sécurité flexible »
L’Europe doit améliorer sa capacité à anticiper et gérer les changements économiques et sociaux.
Ceci implique des modifications des relations au travail en modernisant ses marchés du travail et
en améliorant la capacité d’adaptation des entreprises et des travailleurs.
Dans ce contexte, les mesures suivant une « approche de sécurité flexible » (la « sécurisation
des parcours professionnels ») seront de plus en plus proéminentes au sein de l'UE et des
politiques des États membres dans la Stratégie européenne pour l'emploi, et dans les Lignes
directrices intégrées de la Stratégie de l’UE pour la croissance et les emplois, qui sont actuellement
étudiées pour la période 2008-2011.29
La capacité d’adaptation des entreprises peut être encouragée non seulement grâce à une
flexibilité externe (c'est-à-dire en ajustant les niveaux d'emploi), mais également par le biais
d'ajustements au sein de l'entreprise (la flexibilité interne). La flexibilité interne est souvent
associée à la mise en œuvre de nouvelles formes d'organisation du travail, qui permet la
réconciliation des besoins en flexibilité et de la sécurité de l'emploi. Par ailleurs, ces nouvelles
formes d’organisation du travail améliorent la productivité et l’innovation et l’adaptation au
changement de conditions économiques, comme il l’a été démontré dans le contexte des
Etats-Unis.
En plus de la capacité d’adaptation des entreprises, les forces qui organisent le travail requièrent
également une main-d’œuvre flexible. En particulier, pour faciliter et sécuriser des transitions de
carrière plus fréquentes entre les entreprises et les professions, les mesures relatives au marché
du travail doivent être basées sur des politiques flexibles intégrant les quatre composants suivants
et appuyées par un dialogue social fort :
29
•
des aménagements contractuels souples et fiables au moyen d’un droit du travail,
d’accords collectifs et d’une organisation du travail modernes ;
•
des politiques de marché du travail actives et efficaces permettant aux gens de faire face à
un changement rapide, de réduire les périodes de chômage et de faciliter les transitions
vers de nouveaux emplois ;
Pour une discussion d'ensemble sur les politiques de sécurité flexible, les principes et les sentiers communs de l’UE, voir
la communication récente de la Commission « Towards Common Principles of Flexicurity ». Ref: : COM (2007) 359 ,
27.07.2007)
12

des systèmes de sécurité sociale modernes fournissant une aide au revenu adéquate,
qui encouragent l’emploi et qui facilitent la mobilité sur le marché du travail ;

des stratégies de formation continue générales, qui assurent la capacité d’adaptation
continuelle et la capacité d'insertion professionnelle des travailleurs, notamment des
plus vulnérables.
3.4. Promouvoir la cohésion sociale et l’inclusion sociale
Amener les gens à travailler est la meilleure politique d’inclusion sociale, et ceci doit rester un
objectif stratégique clé de l'UE. En même temps, la croissance économique et la création d'emplois
n’amènent pas nécessairement à une réduction des inégalités entre les revenus, de la pauvreté
dans le monde du travail ou des disparités régionales. La cohésion sociale est l’élément clé du ou
des « modèle(s) social(ux) européen(s) » : identifier et aider les personnes qui sont en marge de la
société et du marché du travail est une priorité économique autant que sociale. Il n’existe pas de
contradiction intrinsèque entre une économie dynamique efficace et une économie qui place la
justice comme son élément central : l’accomplissement de la première repose sur cette dernière.
La description rapide dans cet article des éléments moteurs qui influent sur l’avenir du travail en
Europe suggère que la montée actuelle de l’intensité des compétences sur le marché de l’emploi
continuera dans le futur.
Une politique sociale doit rester l’élément clé de l’intégration européenne, avec trois priorités
principales : l’inclusion active ; la réduction de la pauvreté des enfants (incluant l’accès à un
enseignement de qualité, en se focalisant sur la scolarisation pré-primaire et les départs
prématurés de l'école) ; et l'intégration des immigrés et des minorités ethniques 30. En particulier,
des politiques d'inclusion actives sont essentielles, et leur efficacité dépend de la combinaison de
trois éléments : un lien vers le marché du travail grâce à des opportunités d’emploi ou la formation
professionnelle continue ; une aide au revenu d'un niveau suffisant pour avoir une vie digne ; et un
meilleur accès aux services pouvant aider les individus et les familles à entrer dans la société
traditionnelle, à prendre en charge leur réinsertion dans le monde du travail (par le biais de
l’orientation professionnelle, des soins médicaux, du logement, de la garde des enfants, de la
formation continue, de la formation aux technologies de l’information et de la communication,
etc.)31.
L’investissement dans l’enseignement et les compétences fournit des résultats importants en
matière de croissance, de productivité et d'emploi, mais implique également des choix difficiles
entre l'efficacité et l'équité. En l’absence d’une intervention politique vigoureuse au niveau
européen aussi bien que national, la situation des travailleurs peu qualifiés et des autres groupes
désavantagés tels que les migrants et les travailleurs âgés pourrait s'aggraver dans les années à
venir. Pour lutter contre cela, l'UE et ses États membres doivent moderniser leurs marchés du
travail et leurs systèmes de protection sociale, ceci étant le seul moyen d'assurer simultanément la
productivité, la croissance, davantage et de meilleurs emplois et l'inclusion sociale. Le problème
fondamental pour l'UE et ses stratèges nationaux restera ainsi le même dans un avenir prévisible :
l’équilibre et le choix difficiles entre efficacité et équité.
La réussite de l’UE et des politiques nationales en ce qui concerne l’éducation, les compétences,
l'emploi et l'inclusion sociale déterminera jusqu’à quel point les citoyens européens saisissent les
opportunités offertes par une Europe élargie intégrée dans l'économie mondiale.
30
Voir le rapport conjoint sur la protection sociale et l'inclusion sociale 2007.
31
Pour une discussion sur l’inclusion active, voir la communication de la Commission 2007 « Modernising social protection
for greater social justice and economic cohesion ».
13
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