mesure il est postulé que stratégie il y a, "il n'y a donc plus à la limite de compor-
tement irrationnel", et, "pour prendre un cas limite, on pourra de la même façon
parler de la "stratégie rationnelle d'un schizophrène" (ibid.). On ne voit plus très
bien, l'avantage qu'il y a à affirmer l'existence d'une rationalité (et donc d'une
recherche d'intérêt) qui serait doublement circonstanciée : elle est, comme chez R.
Boudon, et à la suite de March et Simon, rationalité limitée, qui cherche la
satisfaction plus que l'optimisation. Corrélativement, et à la différence du modèle
économique traditionnel, l'intérêt n'est pas censé, préexister à la stratégie des acteurs,
car "l'acteur se détermine en fonction des opportunités qu'il distingue dans la
situation et de sa capacité à s'en saisir" (ibid., p.42). Implicitement donc, l'acteur
n'aurait aucune existence sociale déterminée en dehors de l'organisation particulière
étudiée par le sociologue, et tous les acteurs auraient, au départ, des intérêts
identiques qui ne se différencieraient qu'après, et au coup par coup, selon les
occasions qui s'offrent à eux. Mais de quelles occasions s'agit-il ? La véritable ori-
ginalité de Crozier et Friedberg est de radicaliser le raisonnement en termes de jeu et
de poser que tous les champs de l'action sociale sont structurés comme des jeux dont
l'enjeu premier est le pouvoir. Affirmation qui fournit une première interprétation de
la substance de l'intérêt. Le comportement de l'acteur devra "s'analyser comme
l'expression d'une stratégie rationnelle visant à utiliser son pouvoir au mieux pour
accroître ses « gains » à travers sa participation à l'organisation" (p.79). Ainsi Le
pouvoir, n'est pas finalité par nature, mais moyen de fins indéterminées (les "gains").
Lui-même restant d'ailleurs assez obscur et circulaire puisque, il "réside dans la
marge de liberté dont dispose chacun des partenaires engagés dans une relation de
pouvoir" (p.60). Le pouvoir serait, en quelque sorte, ce qui permet d'échapper au
pouvoir. Qui, ou quoi, définit les règles du jeu. Que gagne-t-on à substituer des
"joueurs" passablement désincarnés parce que dépourvus de tout enracinement
symbolique et sociologique, aux conflits plus traditionnels entre les classes et leurs
systèmes de valeurs ?
Pierre Bourdieu et la logique de l'intérêt généralisé : R. Boudon et M. Crozier
écrivent dans le cadre de l'interprétation libérale du paradigme économique. Pour
celle-ci l'économique se définit, de manière purement formelle, non par le rapport à la
matérialité ou à quelque substantialité des intérêts, mais uniquement par le caractère
rationnel (i.e. logique) du choix des acteurs. Les sujets du choix, de surcroît, sont
réputés être des individus ou des agrégats d'individus. A l'évidence P. Bourdieu
s'inscrit dans la lignée de l'interprétation marxiste du me paradigme. Intérêts
matériels de groupes sociaux ou de classes. Mais Bourdieu raffine considérablement
l'analyse pour penser l'articulation des intérêts matériels aux intérêts symboliques
(superstructure). Enfin L'axiomatique intègre la considération de sa propre négation
(le désintéressement) et parvient ainsi à se clore formellement de manière cohérente.
Elle tient en cinq affirmations principales
1. Le but ultime des acteurs est l'accroissement de leur "patrimoine" (capital
économique, social (l'ensemble des relations utiles), et symbolique (le prestige). Si le
capital économique joue le rôle principal, celui de déterminant en dernière instance,
c'est parce qu'il est au fondement des processus de transformation cyclique des
capitaux. C'est en définitive à son accroissement que vise l'accumulation du capital
symbolique et du capital social. La nature de l'intérêt est donc clairement posée
Alain Caillé, "La sociologie de l'intérêt est-elle intéressante propos de
l'utilisation du paradigme économique en sociologie)", Sociologie du travail, n°3,
1981, p.257-274. Par J.Tardif Université de Nice julien.tardif@unice.fr
Quel est l'intérêt pour la sociologie d'emprunter à l'économie néoclassique son
paradigme fondateur ? Dans leurs différences, les oeuvres de R. Boudon, M. Crozier
et P. Bourdieu reposeraient sur une identique axiomatique de l'intérêt, et se liraient
alors comme variations autour d'une "gigantesque tautologie". Cette axiomatique
postule que le comportement des acteurs sociaux n'est analysable (et analysé) que
dans la mesure où il vise à la satisfaction d'un intérêt. L'intérêt peut être perçu comme
étant de nature individuelle (Boudon) ou comme structuré par la situation de classe
(Bourdieu) mais, dans les deux cas le sujet est censé doté d'une certaine rationalité,
entendue au sens d'une cohérence dans les choix, seule garante de l'intelligibilité
sociologique. L'unité et la néralité de l'axiomatique sont encore renforcées par le
fait que nos trois auteurs assimilent également les acteurs sociaux à des joueurs et
font référence, de façon tantôt métaphorique et tantôt réaliste, aux modèles de la
théorie des jeux. L'homo sociologicus est donc un joueur intéressé (le jeu comporte
un ou des enjeux) et susceptible de calculer et de définir une stratégie
approximativement rationnelle. Il n'est pas l'homo economicus en personne, mais
assurément le proche parent.
La singularité du rapport actuel de la sociologie à l'économique :
Traditionnellement l'économie politique était science de la disjonction se vouant à ne
traiter que de ce par quoi les individus échappent au rapport social et se présentent
dans son rapport aux objets ou à d'autres individus. A l'inverse la sociologie était
discours de la conjonction : penser la manière dont les individus constituent un
ensemble social, ou expriment celui-ci. Or On assiste à un double mouvement
symétrique et conjugué d'extension du champ de l'économie politique et de réduction
de celui de la sociologie. Au point qu'on ne voit plus très bien ce qui, en principe,
devrait distinguer du sociologue, adepte de l'axiomatique de l'intérêt (A.I.),
l'économiste qui, après avoir bâti une théorie du "capital humain" s'efforce d'édifier
une économie politique de l'éducation, du politique, du crime et de l'amour, dans le
sillage de l'école de Chicago, de Milton Friedman, de G. S. Becker notamment.
Rappelons, par exemple, la distinction opérée par Max Weber entre quatre types
principaux de l'action sociale, les actions affective et traditionnelle d'une part et, de
l'autre, l'action wertrational, rapport conscient et privilégié aux valeurs ultimes, et
l'action zweckrational caractérisée par le pesage rationnel des moyens et des fins.
Seul ce dernier type de l'action zweckrational correspond à l'axiomatique aujourd'hui
largement dominante de l'intérêt. Ou encore, Durkheim assignait comme tâche
prioritaire à la sociologie l'étude de la conscience collective, i.e. : symbolisme et son
le intégrateur. S'interrogeant sur le sacré, sous ses formes religieuses ou laïques.
Les séductions de l'axiomatique de l'intérêt : L'explication par l'intérêt séduit, pour
des raisons psychologiques : dans nos rapports avec nos semblables, nous leur attri-
buons les calculs les plus sordides et ne croyons les comprendre que lorsque nous
pensons les avoir masqués ? Et, quant à nous-mêmes, il s'avère somme toute,
avantageux de nous avouer auteurs du me genre de calcul intéressé si par nous
devons gagner l'assurance que ce qui nous échappe chez autrui n'est pas dû à quelque
puissance intrinsèque et mystérieuse. Et puis, plus fondamentalement peut-être, de
quel droit nous autoriserions-nous à nous considérer comme désintéressés alors qu'il
est trop clair que l'acte en apparence le plus altruiste aura au minimum cet intérêt
majeur de nous faire apparaître splendides à nos propres yeux comme à ceux des
autres ? L'A.I. bénéficie d'une évidence immédiate et aveuglante et qui ne requiert
aucune justification externe.
Son obscurité : Quelle est la nature de l'intérêt ? Est-elle de l'ordre des pulsions du
moi et/ou de l'instinct de conservation ? Quel est alors son rapport avec le désir ou
avec ce qu'on appelait au XVIIe siècle les passions ? Passions auxquelles, comme le
soutient A. O. Hirschman (Les Passions et les Intérêts, PUF, 1980), l'intérêt se serait
peu à peu substitué à l'instigation des États marchands naissants qui préféraient avoir
affaire à la logique prévisible et gérable du conflit des intérêts. L'intérêt est-il en son
fond de nature matérielle ou immatérielle, monétaire ou non monétaire, économique,
politique ou symbolique ? Est-il principalement inconscient ou conscient et,
simultanément, les calculs sont-ils principalement, et dans quelle mesure, implicites
ou explicites ? Est-il même légitime de parler de calcul lorsque les données de celui-
ci ne sont pas clairement connues, quantifiées ou quantifiables ? Et, si oui, qu'est-ce
qui définit et produit la sphère de la calculabilité et quel est le commun dénominateur
à des sphères d'intérêt différentes ? Quel est d'ailleurs le sujet du calcul intéressé,
l'individu, la famille, le groupe, la classe, la société ?
Somme toute, la "force" de la mécanique classique n'est pas une notion beaucoup
plus claire que celle de l'intérêt, ni même tellement plus explicative. A une différence
majeure toutefois. La force est un concept mesurable et donc immédiatement
homogène à un ensemble de formulations mathématiques et expérimentales. La
notion d'intérêt est infiniment plus ambiguë car sa mensurabilité fait problème
d'entrée de jeu. Contre R. Boudon il nous paraît guère possible de s'y référer à titre
purement méthodologique et d'éviter à son propos toute interprétation d'ordre
"ontologique" (Effets pervers et Ordre social, PUF, 1979, 2e éd., p.98). Parler
d'intérêt sans se prononcer sur sa nature serait ne rien dire. Soit l'A.I. est défini de
manière simplement formelle, comme un pur axiome arbitraire, et le discours est
impuissant à sortir de la tautologie. Soit on entreprend d'interpréter l'axiome, mais il
faut alors sortir du cadre de l'axiomatique, poser des questions de sens et d'ontologie,
si bien que le réel qu'on pensait saisir se dérobe et pointe vers ces autres dimensions
du rapport social qu'on avait cru pouvoir décréter illusoires et superstructurelles.
Il convient d'opérer des distinctions, et d'opposer une interprétation purement
formelle de l'axiomatique, celle de R. Boudon, à l'interprétation substantielle de P.
Bourdieu, M. Crozier occupant pour sa part une position plus ou moins intermédiaire.
L'interprétation formaliste de R. Boudon et l'extension des apories de l'économie
néo-classique : R. Boudon se réclame d'une axiomatique utilitariste. Il plaide pour un
"individualisme méthodologique" : aucun phénomène social n'est interprétable à
moins que d'être ramené, en dernière analyse, aux choix et calculs des sujets
individuels supposés dotés d'une rationalité limitée mais suffisante. Parce que
sociologue, il lui faut, plus que les économistes, se confronter au problème classique
en économie de l'agrégation des comportements individuels, savoir s'il est possible de
rendre compte d'actions (ou d'inactions) collectives en se fondant sur des postulats
individualistes et utilitaristes. La réponse est oui, mais à condition de prendre en
compte les effets de formation qu'introduit l'agrégation dans la logique des intérêts
individuels de départ et que R. Boudon baptise "effets pervers" ou "effets de
composition". On peut alors analyser des phénomènes apparemment paradoxaux au
regard de l'A.I. et montrer, comment, si chacun veut toujours son bien, il est possible
que personne ne l'atteigne en raison de l'effet de composition. En s'appuyant sur
Mancur Olson (The Logic of Collective Action), R. Boudon étudie un cas de figure
dans lequel chaque sujet individuel aurait intérêt à ce que soit entreprise une action
collective, bénéfique pour tous, mais personne n'a intérêt à l'entreprendre lui-
même, si bien qu'elle ne se alise pas. Ce n'est pas le lieu ici d'interroger les raisons
pour lesquelles R. Boudon semble se refuser à envisager l'existence de classes
sociales, du pouvoir et de la domination. Indiscutablement est précisée la possibilité
qu'il existe des distorsions entre l'intérêt individuel et l'intérêt collectif, celui-ci fût-il
même interprété en termes simples comme une somme d'intérêts individuels à court
ou moyen terme. Tant qu'il n'est rien dit sur la nature de l'intérêt évoqué ni sur l'unité
de mesure à l'aide de laquelle sont supposés s'effectuer les calculs, toute proposition
reste indécidable ou purement tautologique. R. Boulon fait, en passant, la remarque
qu'il "existe peut-être des cas les préférences des individus sont contraires à leur
intérêt". Il est dommage qu'il ne la développe pas car il ferait alors apparaître la
nécessité de distinguer entre un intérêt subjectif et un intérêt objectif et un intérêt à
court et à long terme, puis de poser la question de leur rapport. Les préférences ne
sont que la formulation visible de l'intérêt. A l'origine, on le sait, l'intérêt, que les
économistes appellent l'utilité, est supposé matériel et quantifiable de manière
cardinale. On sait également comment Pareto apure le concept en montrant qu'il suffit
de postuler que les individus savent ordonner leurs préférences (concept d'utilité
ordinale). Avec le néo-marginalisme de Von Mises et Von Strigl, dans les années
1920, l'économie politique va cesser définitivement de s'interroger sur la nature des
besoins et de l'utilité (et donc de l'intérêt) pour n'en plus retenir qu'une définition
simplement formelle et axiomatisée. L'utilité, c'est ce dont l'économiste postule
l'existence pour rendre compte des comportements observés. me chose pour les
"attitudes" de la psychologie sociale ou pour "l'intelligence" des psychologues. C'était
s'enfermer finitivement dans le cercle vicieux de l'inversion méthodologique
signalée à propos de la démarche de R. Boulon. Ce qui sauve en partie l'économie
politique et lui conserve une apparence de réalisme, c'est que les phénomènes dont
elle traite sont effectivement quantifiables, pour la plupart, puisque monétarisés. Les
économistes parlent systématiquement de "rationalité" alors qu'ils ne définissent
jamais, sous ce terme, qu'une simple cohérence logique (fondée sur l'hypothèse de
transitivité des choix). Manière comme une autre d'écarter les problèmes
"ontologiques". Le sociologue ne peut éviter, s'il veut se conformer à l'A.I., d'avoir à
se prononcer sur la nature.
Michel Crozier et l'intérêt d'opportunité : De ce risque de circularité inhérent à
l'A.I., M. Crozier et E. Friedberg offrent une illustration involontaire en développant
les hypothèses coextensives à leur approche "stratégique" des organisations (L'Acteur
et le Système, Le Seuil, 1977). La "stratégie", écrivent-ils, "est le fondement inféré ex
post des régularités de comportement observées empiriquement" (p. 48). Dans la
comme étant d'ordre économique. Lorsque P. Bourdieu appelle de ses voeux "une
science générale de l'économie des pratiques", il ne fait que reprendre le projet de
l'économie néo-classique qui confère à l'économique une néralité tellement
formelle qu'elle lui ôte tout économicité.
2. L'axiomatique se clôt formellement et substantiellement en intégrant la
considération de la perte. La lecture de Bourdieu est proche de celle de M. Mauss
pour qui, derrière le désintéressement apparent du don, ne se cachent au fond que
calcul et intérêt. Sacrifier l'intérêt économique immédiat c'est le plus sûr moyen
d'accumuler du capital symbolique.
3. P. Bourdieu par ailleurs échappe aisément au reproche d'indétermination qu'il est
légitime d'opposer à l'axiomatique libérale de l'intérêt. L'intérêt dont il s'agit ici n'est
pas l'intérêt purement formel d'un individu abstrait. C'est un intérêt social et sociale-
ment déterminé. Et ceci d'une double manière. Il caractérise les membres d'un groupe
social, d'une classe ou d'une fraction de classe. En second lieu, comme chez Crozier il
ne préexiste pas au déroulement de l'existence sociale concrète. L'intérêt, considéré
comme ce qui génère les pratiques de classe, se constitue par la connaissance
implicite et par l'intériorisation des possibilités objectives caractéristiques qui se
présentent à chaque groupe social. L'occasion toutefois, ici, n'est pas aléatoire mais
structurelle. Simultanément, l'intériorisation des possibilités objectives, définit le
souhaitable par le biais d'une transformation de la nécessité objective en vertu
subjective. Le rapport entre l'intérêt et le désir est ici précisé : le désirable se réduit au
possible, voire au réel ou au nécessaire.
4. L'axiomatique n'est pas seulement close et systématique. Elle serait en droit
universelle, ne laissant rien subsister en dehors. Chez Boudon et Crozier, les modèles
ne se soucient pas des valeurs et du symbolisme. Ils sont value free. Ici, il se réduit
aux rationalisations gitimantes des classes dominantes. Il se résorbe dans
l'idéologie. Le symbolisme est en effet arbitraire en son contenu. Il n'existe donc
aucun contenu intrinsèque, irréductible à la logique de l'intérêt, du savoir, de la
science, de l'univers culturel. Le savoir ou la culture sont simplement ce qui
s'accumule sous la forme du capital symbolique et se monnaye en prestige. Il a une
valeur d'échange et non d'usage.
5. La théorie, enfin, admet une marge restreinte d'indéterminisme : si l'habitus
implique une manière de jouer, sur le mode d'un principe générateur de pratiques, il
ne prédétermine pas tous les coups. L'introduction de cette marge d'indéterminisme
renforce en fait la détermination du modèle. Tout comportement qui pourrait sembler
y contrevenir sera toujours susceptible d'être interprété comme le résultat d'une erreur
de jeu dont la possibilité est expressément prévue.
La critique de cette version néo-marxiste supposerait que l'on montre comment elle
est elle-même produite historiquement et en ce sens aussi "arbitraire" que n'importe
quelle autre élaboration symbolique. Du moins si l'on s'inspire de la marche même
de Bourdieu qui comporte un risque certain d'autodestruction logique et
épistémologique dans l'exacte mesure où elle fait l'impasse sur la question de la vérité
et de la science et ne saurait donc prétendre s'en réclamer. Une des ambiguïtés tient à
ce que ses catégories sont supposées rendre compte du fonctionnement des sociétés
modernes et revêtir une légitimité universelle, être catégories anthropologiques
générales.
1. Affirmer le primat du capital économique suppose que l'économique soit une
catégorie universelle. Et surtout, il est curieux, dans une perspective marxiste qui
devrait penser le capital comme relation entre les hommes et non comme une chose,
relation par hypothèse spécifique au capitalisme, curieux donc de la poser comme
catégorie générale de l'histoire.
2. L'exemple des suicidaires : illusion, si l'on veut, mais tout autant ou davantage
fuite hors de la sphère du calcul et de la contradiction des intérêts mondains. La perte
est donc moins bien intégrée au système de Bourdieu qu'il n'y paraissait. Il s'agit
toujours d'une fausse perte, de celle qui permettra de toujours "s'y retrouver" en à
long terme.
3. Quel est le sujet du calcul. Manifestement il ne peut pas s'agir de l'individu qui ne
saurait, à sa seule échelle, accumuler les différentes formes de capital, et, encore
moins, tirer profit du jeu complexe de leurs conversions et reconversions. La gestion
d'un tel patrimoine protéiforme ne peut être le fait que d'une famille, entendue comme
la succession de générations ascendantes ou descendantes. Ou bien le sujet est-il, en
fin de compte, via l'habitus, le groupe social ? Il importe alors de préciser le statut de
cet habitus, de cette "disposition" typique de classe, dont P. Bourdieu fait le principe
imaginaire générateur de pratiques ; un imaginaire infrastructurel, pratique, qui ne
devrait rien aux rationalisations superstructurelles de la culture et du "savoir"
légitimes ? Alors l'inculcation par les classes dominantes de leur arbitraire culturel
aux classes dominées n'est pas bien efficace. Sinon, cela moigne du fait qu'aucune
société, et a fortiori aucun groupe social, ne peut se définir ni se produire sans se
rapporter à une instance externe à lui-même.
4. Pour cette même raison, l'univers symbolique, ou "culturel", n'est pas en son fond
arbitraire même si, bien sûr, il est possible de l'instrumentaliser et d'en faire usage à
des fins de prestige et d'accumulation. Ce sont les formes sociales elles-mêmes, le
réel institué, qui sont "arbitraires" pour autant, très exactement, qu'elles pourraient
être autres qu'elles ne sont. Toute société se "choisit" sur le fond d'un champ de
possibles indéterminé, celui de l'ensemble des formes sociales imaginables, et aucune
société ne survit qu'en gérant et en aménageant son rapport à l'ensemble des possibles
qu'elle a exclus. Ces possibles non advenus, il lui faut bien les intérioriser sous la
forme du sacré, de la religion ou de la "culture", ne serait-ce que pour mieux conjurer
leur toujours possible irruption au sein de son existence déterminée.
En guise de conclusion : la vraisemblance de l'A.I. apparaît d'autant plus grande
aujourd'hui que le social s'organise réellement et de manière croissante, via
l'extension généralisée du principe marchand et de ses corrélats juridiques, en une
gigantesque sphère de calculabilité des intérêts particuliers, voire même,
fantasmatiquement, des intérêts collectifs. C'est ici que réémerge la question de
l'historicité dont il est clair que l'axiomatique de l'intérêt ne peut pas dire grand-chose,
et de fait ne dit rien, parce que l'histoire, par hypothèse, bouleverse les règles des jeux
établis, les enjeux des acteurs et leurs gains et pertes du moment. La société que
donne à voir l'axiomatique de l'intérêt est une société plane parce que dénuée
d'extériorité, homogène, transparente à elle-même, sans véritable passé et surtout sans
avenir autre que la répétition.
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