Si au contraire nous voulons chercher à connaître Dieu comme Il le mérite, comme Il
l’ordonne, pour lui-même, alors cette connaissance nous apparaîtra féconde, non pas à la
manière des moyens utiles mais à la manière d’une cause et d’une fin suprêmes. Les
œuvres d’un saint Augustin et d’un saint Thomas nous disent assez à quel point le dogme
peut être intellectuellement fécond. Il suffit de parcourir la Somme Théologique pour voir
quelle influence il a exercée sur toutes les parties de la philosophie : sur la métaphysique
générale par l’affirmation de la création et de la création dans le temps ; sur la théodicée
par ce qu’il nous dit de la connaissance naturelle de Dieu et de tous les attributs divins ;
sur la psychologie rationnelle par la doctrine de la création de l’âme, de sa spiritualité, sa
liberté, son immortalité. Il suffit d’examiner le progrès de ces sciences d’Aristote à saint
Thomas, sa principale cause est incontestablement le dogme révélé qui oriente et finalise
les recherches. L’influence n’est pas moindre en morale : traités de la béatitude suprême,
de la loi divine et naturelle, de la conscience, des actes humains, des vertus, du péché, de
la grâce. - Les dogmes de la Trinité et de l’Incarnation nous ont permis d’approfondir
comme on ne l’aurait jamais pu faire la notion de personnalité, et celui de la
transsubstantiation la notion de substance. - Cette influence du dogme sur le corps entier
du savoir paraît même avoir été trop profonde, selon M. Le Roy, puisqu’il est si malaisé
aujourd’hui de le séparer de la philosophie traditionnelle. - A qui la faute si la philosophie
moderne se désintéresse de ces problèmes, si avec les notions de Création, de Providence,
d’immortalité, elle perd tous les jours davantage, celles de fin ultime, d’obligation, de
péché, de peine, de pénitence, de repentir, d’humilité, d’amour de Dieu ? Platon dans le
Gorgias était infiniment en avance sur la philosophie de notre époque, et de Platon à la
théologie catholique il y a un autre infini à parcourir. Cette théologie est méconnue
comme le sens profond et surnaturel de l’Evangile ; des simples, des âmes contemplatives
en vivent, mais les sages devenus trop prudents n’en vivent plus. « Je te rends grâce, ô
Père, de ce que tu as caché ces choses aux prudents et aux sages, et de ce que tu les as
revélées aux petits. Oui, Père, je te rends grâce de ce que tel a été ton bon plaisir. » Ces
paroles de Jésus exprimaient son amour de Dieu, et se retournant vers les âmes, aussitôt il
ajoutait : « Venez à moi, vous tous, qui êtes fatigués et chargés, et moi, je vous referai ».
Math, XI, 25-28).
Nous devions donc autant que possible étudier le dogme en lui-même et non pas en
fonction des besoins actuels. Si d’ailleurs ces besoins devenaient la norme de nos
affirmations, que resterait-il de la Vérité révélée ? On demande aujourd’hui à l’Eglise
d’enlever à la parole de Dieu ce qu’elle a de trop intransigeant dans le ton sur lequel elle
affirme, de trop sublime dans l’excès d’amour qu’elle exprime (les besoins de l’âme
moderne ne vont pas si haut), de trop tragique dans les justices qu’elle annonce. On
voudrait la rendre accessible à nombre d’âmes moins éprises de vérité que de liberté
intellectuelle, de perfection surnaturelle que d’idéal humain, des droits de Dieu que de
leurs propres droits. L’Eglise sera toujours d’une infinie charité à l’égard des faibles, elle
n’oublie pas le mot de Notre-Seigneur à ses disciples : « J’ai encore beaucoup de choses à
vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant » (Jean XVI, 12). Elle
recommande à ses ministres de n’aborder l’explication des plus profonds mystères que
devant « ceux qui sont assez avancés dans la connaissance des Vérités saintes ; car, pour
ceux qui sont encore faibles dans la foi, il serait à craindre qu’ils ne fussent accablés sous
le poids d’une Vérité si haute11. » A cette école surnaturelle de la Charité les Boanerges