Postface : les insensibilités de l`impôt, par T. Berns et J. C. K. Dupont

Postface : les insensibilités de l’impôt.
Thomas Berns
Jean-Claude K. Dupont
Nous parlons de l’impôt en termes de ponction, poids, prélèvement, comme s’il n’était
qu’une charge, que l’Etat devrait gérer ou répartir le moins mal possible, et dont les qualités
ne pourraient apparaître du point de vue du citoyen que par le « dégrèvement » ou
l’allègement d’une part du « fardeau » fiscal, soit par une exception au régime néral
(exemption, déduction, etc.), soit par un retranchement opéré à la source (prélèvement dit
justement « libératoire »). Notre rapport à l’impôt témoigne ainsi d’une attention
principalement voire exclusivement ? prosaïque, comme s’il ne pouvait se penser
autrement, ni plus avant, qu’un simple faix de l’Etat quêteur
1
réparti nolens volens sur les
épaules de ses citoyens. Mais l’impôt pose, dans le même temps, un défi inversement difficile
à relever. Tout fait d’imposition manifeste presque toujours un acte de souveraineté
2
et donne
lieu à un enchevêtrement entre ce que les vies individuelles recèlent de plus particulier et ce
que la sphère commune recèle de plus général. L’écart ne semble pouvoir être plus grand :
d’une part, un vécu de l’impôt qui semble s’épuiser dans l’opposition de calculs, astuces,
évitements et de stratégies concurrentes de recouvrement ; d’autre part, une réflexion
philosophique sur la souveraineté et le bien commun à laquelle l’impôt ne cesse, en dernier
ressort, de nous appeler. Cet ouvrage témoigne de la difficulté historique, qui continue de se
poser aujourd’hui dans la même acuité, de penser, dans le monde désenchanté de la fiscalité,
l’unité de ces "deux corps du roi", organe fonctionnel et substance souveraine.
Une idée semble vouloir à toute force, et de manière bien isolée, tenir les deux bouts
de la chaîne. Selon cette idée, l’impôt doit être aussi insensible que possible ; cette
insensibilité de l’impôt, rebattue comme un idéal de la fiscalité, tend à se poser comme une
des rares « idées » capables d’avoir du sens à la fois du point de vue des fondements de
l’impôt et de celui de sa gestion nécessairement prosaïque. L’idéal d’insensibilité est-il à la
hauteur d’une telle tâche ? Sinon en conclusion de cet ouvrage, du moins en contrepoint des
réflexions qui précèdent, nous voulons interroger librement cette aspiration de la pensée
fiscale à l’insensibilité de l’impôt. L’acte d’imposition peut-il passer inaperçu et, quand bien
même il le pourrait sans entraîner la disparition de l’impôt, se trouverait-il justifié ou légitimé
par le seul fait de son insensibilité pour le contribuable ? Cet idéal d’insensibilité qui
« occupe » la réflexion sur l’impôt parvient-il à l’organiser de manière cohérente ou
condamne-t-il au contraire l’impôt à ne pas être matière à réflexion ?
I
Non seulement ce thème de l’impôt idéalement insensible est aussi présent que
difficile à caractériser, mais surtout, il semble incapable de combler l’écart entre son
acception subjective, qui est celle d’une imperceptibilité, et celle, objective, d’une
modération. D’un côté, en effet, l’idéal d’insensibilité tend à faire penser que ce doit être
une qualité de l’impôt du point de vue du contribuable, à savoir de ne pas être "senti" ou
"ressenti". Mais, d’un autre côté, on a toujours tendance à considérer l’insensibilité de l’impôt
comme un trait objectif qui permet, sinon de le définir, du moins de lui assigner quelques
limites. Si l’impôt, en effet, se définit par son émanation souveraine (le Prince ou la loi), il
1
Le fisc désigne à l’origine un panier destiné à recevoir de l’argent (Robert historique de la langue française).
2
Comp. la contribution de Spiros Tegos dans cet ouvrage (in fine).
semble bien que l’idéal d’insensibilité intervient lorsqu’il s’agit de distinguer concrètement
entre taxe et (sentiment de) spoliation. De ce point de vue, l’impôt tend à apparaître comme
ce qui est par nature insensible ou, plutôt, comme ce qui ne dépasse pas la mesure au point de
s’analyser comme une violence, i.e. comme une atteinte sensible à l’encontre du contribuable
ou de son patrimoine. Il est bien entendu qu’il peut sembler inutile, au regard d’une définition
juridique de l’impôt, de postuler son caractère insensible pour le distinguer l’impôt. L’impôt
trouve, certes, son origine et son fondement dans un acte de souveraineté. La contribution
d’Emmanuel de Crouy-Chanel le rappelle utilement en proposant « de définir l’impôt comme
une créance pécuniaire, sans caractère pénal, qui n’a pas d’autre cause que la volonté du
souverain ». Mais il n’en reste pas moins que, sur le plan philosophique, l’impôt est soumis à
des évaluations et à des demandes de justification qui excèdent les cadres de sa définition
juridique. Nous voulons examiner ici l’enjeu de son insensibilité dans son ambition de
gouverner ces évaluations et demandes de justification concrètes de tout fait d’imposition.
Sous cet aspect, l’insensibilité de l’impôt n’est pas seulement un leitmotiv de la
modernité fiscale, bien qu’elle se soit particulièrement développée dans la philosophie libérale
de l’impôt, avec le vocabulaire organiciste et le déterminisme des flux qui lui semblent
inhérents. Vincenzo Lavenia nous montre, dans son étude, que l’argument d’insensibilité fait
partie d’un lexique anti-fiscal constitué avant l’émergence de l’Etat moderne. L’introduction
d’une "clause d’insensibilité" dans la définition de l’impôt prend ainsi son sens dans la
mesure elle permet à des institutions, tel le clergé (dont ce n’était pourtant pas la
compétence), de se constituer en contre-pouvoirs et de résister à l’omnipotence souveraine en
matière fiscale. Par l’argument d’insensibilité, la spoliation n’apparaît plus comme ce qui est
extérieur à l’impôt, mais comme ce qui, au contraire, le pénètre et le dénature ; la constitution
de contre-pouvoirs devient nécessaire s lors que le souverain lui-même devient ainsi
potentiellement spoliateur. La lecture de Bodin nous permet de mesurer l’intérêt de ce
déplacement
3
. L’impôt est certes considéré comme une des « marques » essentielles de toute
forme de souveraineté, tout en donnant lieu à de multiples restrictions de celle-ci. Mais
l’enjeu véritable de l’impôt apparaît plutôt quand Bodin distingue, au plus loin du caractère
théorique de la souveraineté, les différentes pratiques de gouvernement, car elles seules
permettent de développer des distinctions eu égard au caractère plus ou moins sensible et plus
ou moins justifié de l’atteinte aux biens des sujets qu’il représente. C’est au seul niveau
qualitatif et gouvernemental que, parmi les différentes manières de prélever (qui sont toutes
respectueuses du principe de souveraineté), pourront être distinguées celles qui sont gitimes
et celles qui relèvent de la spoliation.
Le thème de l’insensibilité de l’impôt s’inscrit ainsi dans un temps long, celui de
l’élaboration progressive des catégories fiscales. A l’instar de son égalité, il témoigne ainsi,
mutatis mutandis, de ce phénomène pointé par Catherine Larrère en avertissement face aux
effets de perspective et anachronismes, que les « inventions » en matière fiscale ne sont pas
toutes « républicaines ». Quoi qu’il en soit de cette "permanence" de l’insensibilité, elle
n’interdit pas de différencier les systèmes de pensée et de distinguer l’originalité de la pensée
moderne et libérale à cet égard. La pensée libérale de l’impôt se distingue certainement par
une tentative de penser l’insensibilité de l’impôt sous un régime objectif l’atteinte trop
"sensible" (et donc illégitime) ne se mesure plus à partir d’un "ressenti" du contribuable mais
dans la perspective d’une atteinte objective à la fois à un équilibre économique et à un droit
(typiquement au droit de propriété). La reconnaissance de droits du contribuable face aux
prérogatives du souverain tend ainsi à opposer une forme de "noyau dur" à l’acte fiscal ; la
résistance et la limite peuvent donc être pensées comme constitutives de la définition de
3
Voir, sur ce point, la contribution de Thomas Berns.
l’impôt et non plus seulement reléguées à sa périphérie et réduites dans les formes de sa
fraude, de son évitement ou de sa subversion.
L’idéal d’insensibilité oppose donc à l’impôt autre chose qu’un simple "ressenti" ; il
semble dessiner positivement, comme une garantie, la possibilité d’immuniser, par le jeu des
contre-pouvoirs, le système fiscal d’une dégénération qui s’incarnerait dans la figure de la
spoliation, celle-ci tendant à représenter une tentation destructrice de l’impôt. Mais peut-on,
pour autant, développer une philosophie de l’impôt dans laquelle son insensibilité représente
le critère empirique majeur de sa légitimité ? Peut-on ainsi penser et construire l’impôt depuis
l’idéal de son absence ?
De surcroît, alors même que ce principe semble s’imposer durablement à travers
l’affirmation libérale de l’individu et de ses droits, l’ambition d’y voir un critère positif de
jugement fait apparaître le risque d’une contradiction entre l’insensibilité et un principe
cardinal de la fiscalité, à savoir le principe du consentement. Dès lors que nous pensons
l’impôt comme une forme de délégation de pouvoir à l’Etat
4
ou comme une forme
d’exception à la jouissance d’un droit, ne devient-il pas, en effet, paradoxal d’exiger son
insensibilité ? Ou plutôt, il semble bien que la relation (qu’on voudrait logique) entre
consentement et insensibilité se révèle potentiellement contradictoire : nous ne voulons
consentir à l’impôt que s’il est insensible mais peut-on réellement consentir à quelque chose
qu’on ne peut "sentir"
5
?
Il y a bien plus qu’un tour rhétorique, comme en témoigne la critique récurrente des
impôts indirects. A première vue, en effet, ceux-ci incarnent au mieux l’impôt dans son
insensibilité. Mais c’est le fondement même de leur critique car l’impôt indirect est alors
dénoncé non seulement comme l’impôt le moins proportionnel, mais aussi comme l’impôt
même auquel nous ne pouvons consentir ou, plus exactement, auquel nous ne sommes pas
libres de consentir individuellement. Ce serait un impôt subi, automatique. On peut certes
tenter de résoudre théoriquement cette collision de l’insensibilité et du consentement ; et cela
semble nécessaire tant les deux sont aujourd’hui constitutifs de la pensée fiscale. Par exemple,
on dira ainsi que nous déléguons notre consentement aux assemblées législatives. Ou bien, si
l’impôt indirect porte seulement sur des produits de luxe, il permettrait d’exercer, comme
Rousseau le défendait encore, bien plus réellement son consentement à un niveau individuel
par le choix d’acquérir, ou non, de tels produits accessoires. Mais, si ces solutions peuvent
paraître acceptables à un niveau théorique, force est de constater néanmoins qu’elles ne lèvent
pas toutes les difficultés.
Tout d’abord, nous voyons, à tout le moins, combien le souci de gagner globalement
en insensibilité engendre des déplacements, peut-être illusoires, au niveau des formes, des
manières et des lieux du consentement. Ensuite, une difficulté se pose quant à la définition de
l’impôt. Le principe du consentement à l’impôt est celui d’un consentement explicite,
personnel ou individualisé qui s’incarne dans la déclaration. C’est là un critère qui le distingue
d’autres formes de transfert de richesse au bénéfice de l’Etat sous la forme, par exemple, de
redevance, de prime, etc. Si, pour garantir son insensibilité, l’on propose de remplacer l’impôt
consenti (mais pesant au point d’encourager l’évasion fiscale) par de nouvelles formes de
taxation faible mais automatique, ne risque-t-on pas de brouiller encore les démarcations
fluctuantes de « l’impôt » ? Si, par exemple, nous substituons partiellement (comme il semble
urgent de le faire) à l’impôt sur le revenu une taxe sur les flux financiers, nous risquons
certainement d’aboutir à une situation où l’impôt ne se distingue plus d’aucune « autre
4
Que ce soit simplement pour notre sécurité (Etat gendarme) ou plus généralement pour notre bien-être (Etat
providence).
5
Spiros Tegos reprend l’idée qu’« un impôt consenti est un impôt ressenti. »
catégorie mieux définie » (Emmanuel de Crouy-Chanel). Une telle substitution de
l’insensibilité au consentement pose problème à la philosophie dans la mesure l’impôt
tend, alors, à ne plus se distinguer comme un point de rencontre entre une souveraineté et des
libertés dont les limites respectives se dessinent à travers lui. Si l’impôt se trouve ainsi
désinvesti de la question d’une relation politique entre un pouvoir fiscal et des "assujettis", il
semble alors que, en même temps que nous renonçons au consentement, nous renonçons aussi
à disposer, à travers l’impôt, d’un marqueur de l’appartenance politique à la communauté. Si
nous délions cette relation, quel motif reste-t-il de consentir à un prélèvement, même
insensible ?
II
Nous ne pouvons, ici, que laisser cette question ouverte. Mais elle montre que nous ne
saurions redéfinir l’impôt sur la base exclusive d’un idéal d’insensibilité sans nous exposer à
de véritables difficultés. Dans la mesure où la philosophie contemporaine de l’impôt l’analyse
comme une forme d’ingérence dans un droit garanti, une question apparaît immédiatement : si
nous réduisons le principe du consentement à une forme de délégation de volonté au
législateur, les processus de décision peuvent-ils encore être réputés éloigner « la menace du
Léviathan » ? Sur base de la philosophie de James Buchanan, Emmanuel Picavet nous
montre, au contraire, que la question de l’impôt est importante, justement, parce qu’elle
permet d’objectiver des « processus » ou des « procédures » de choix entre des « hommes
libres ». Certes, l’auteur nous conduit à tempérer toute confiance excessive dans les principes
d’égalité ou de consentement à cet égard, mais il n’est pas dit pour autant que la recherche
d’un contrepoids dans l’idéal d’insensibilinous mettrait en position d’affronter le problème
fondamental de la philosophie de l’impôt. Car ce problème est, in fine, celui de la rationalité
des choix collectifs. Or, si nous pensons seulement l’insensibilité de l’impôt sous le sceau de
sa médiocrité, nous risquons de nous condamner à une certaine impuissance ou incapacité de
fait à opérer des choix éclairés. La fondation de l’impôt sur le principe de son insensibilité ne
pourrait donc en rien augmenter la résistance d’un régime démocratique aux forces exogènes
du « déclin ».
Doit-on pour autant passer par pertes et profits l’idée d’insensibilité ? Ce serait une
solution de facilité alors que l’insensibilité nous met au défi de penser la maîtrise de ce que
nous pouvons dénommer, après Emmanuel Picavet, la « logique démocratique ». Une manière
de dépasser cette difficulté consisterait à reconnaître à l’insensibili de l’impôt une valeur
positive en tant que variable permettant de mesurer l’implication des choix collectifs. On
attendrait d’elle, à cet égard, qu’elle joue un rôle préventif ou correctif, selon qu’elle
permettrait d’imputer un coût à chaque décision ou bien de révéler une perte d’efficience
lorsque leur coût cumulé devient prohibitif.
Cette hypothèse présente l’avantage de dégager des prémisses à une pensée
constructive de l’insensibilité. Celle-ci tendrait alors à se rapprocher des enjeux de la
proportionnalité de l’impôt dans la mesure un tel concept positif de l’insensibilité
requerrait d’établir, d’une part, des rapports entre le rendement de l’impôt et la richesse
globale et, d’autre part, des rapports entre les contribuables entre eux
6
. (Bien entendu, si ces
enjeux peuvent être différenciés, ils sont complémentaires et se résolvent de manière
concomitante.) Sous le premier aspect, l’impôt légitime se définirait alors comme celui qui
n’a pas d’effet sensible sur la production de richesse nationale (surtout s’il est négatif
7
). Nous
6
Sur ces deux exigences de la proportionnalité, voir la contribution de Jean-Claude K. Dupont.
7
Pour une pensée néo-libérale, il serait aussi illégitime de vouloir induire par l’impôt un effet positif sur la
production de richesse que de l’inhiber.
savons que Montesquieu développe déjà cette contrainte d’un impôt proportionné à la richesse
nationale. Malgré son caractère vague, cette contrainte nous invite anmoins à penser
l’insensibilité de l’impôt au-delà de sa seule médiocrité. Il suffira de rappeler à cet effet
l’importance que Hume accorde à la stimulation de l’industrie (et donc à l’accroissement de la
richesse globale) sous l’aiguillon de l’impôt
8
. Sous le second aspect, l’impôt légitime serait
l’impôt qui n’introduit pas d’inégalités sensibles entre les contribuables. En ce sens, encore,
l’impôt insensible n’est pas l’impôt médiocre, mais plus simplement l’impôt également
réparti.
Sans qu’il s’agisse de nous avancer plus avant sur ce terrain de la technique fiscale,
nous apercevons là une raison pour laquelle le souci d’insensibilité de l’impôt réclama
toujours plus le développement d’une saisie analytique, quantifiée et individualiste de la
société qu’on peut résumer par le terme de statistique
9
. Cette dernière est la condition concrète
du caractère juste et égal, adapté et proportionnel, d’un impôt qui ne devint l’objet d’un
questionnement construit que lorsqu’on perçut qu’il devait épouser à la fois le tout et le
« détail » de la nation dans laquelle il est perçu. Cette saisie du détail et cette nécessité
d’entrer dans « le secret des maisons » (Montchrétien) et des patrimoines furent longtemps
l’enjeu central de la question fiscale. En effet, bien plus concrètement que dans le face à face
intranchable entre la souveraineté et la propriété, c’est là que la violence de l’impôt devient un
enjeu palpable de gouvernement : à la fois violence sur la vie la plus privée et négation du
caractère premièrement politique de la personne
10
. L’attention apportée à l’insensibilité de
l’impôt s’avère ainsi condamnée à tomber dans l’abîme d’un second manque de sensibilité,
d’une seconde violence : l’intrusion dans la vie privée des taxés qui ne seraient plus qu’une
grandeur, des patrimoines recensés et non des citoyens.
La justification de cette violence potentielle put sembler imparable dans la mesure
elle mettait en avant une morale de la transparence et de la lumière : celui qui n’a rien à se
reprocher ne doit pas craindre le regard statistique. De la sorte, c’est avant tout dans son
déploiement technique, dans la dimension statistique qui doit accompagner tout projet fiscal
au point de risquer de l’englober, que ce dernier se verra légitimé du point de vue de celui qui
le subit. Mais le caractère moralement acceptable de la saisie statistique du tout et du détail
masque la question politique de la cessité de projeter une relation entre les existences
singulières et la création du commun. Seule la face technique de cette relation est posée
comme un problème, lequel est résolu, et une fois de plus insensibilisé, de manière morale. Et
paradoxalement, si l’idéal d’insensibilité de l’impôt rend urgente une telle approche technique
et analytique, et que celle-ci, dans sa propre violence, est à son tour insensibilisée dans une
morale générale de la transparence, on ne peut que noter la lourdeur des sanctions qui
porteront précisément et exclusivement à cet endroit, sur celui qui se dérobe au regard
statistique.
Enfin, nous devons aussi noter combien la pensée politique, philosophique, juridique
et économique ouvre communément la question de l’impôt comme si la richesse préexistait de
manière « pure », et dans son sens le plus patrimonial, au geste fiscal ; celui-ci se pensera dès
lors toujours comme une atteinte, au mieux consentie, à quelque chose d’autonome et
d’objectivable. A cet égard, vu le caractère massif de ce donné patrimonial, l’exigence
d’insensibilité semble couler de source. De la sorte, l’idée d’un Etat sans impôt, qui était
encore vive durant la seconde moitié du XVIe siècle, ne peut que subsister de manière larvée
8
Cf. Spiros Tegos. Il convient de voir que la nécessité d’un bon niveau de rendement de l’impôt n’est pas
envisagée seulement dans la perspective de l’industrie, mais aussi dans celle de la moralité des peuples. Sur ce
point, nous pouvons renvoyer aux discussions doctrinales en France et en Allemagne évoquées dans ce volume.
9
Voir Thomas Berns et Catherine Larrère dans ce volume.
10
Ce qui, nous rappelle Catherine Larrère, inquiétait encore Montesquieu.
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Postface : les insensibilités de l`impôt, par T. Berns et J. C. K. Dupont

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