Autoformation et enseignement supérieur, sous la direction de Brigitte Albéro, Hermès-Lavoisier, 2003
Le troisième, ambitionne de favoriser l'accroissement des compétences formelles et réelles qui
permettront l'avènement d'une Europe globalement compétitive. Par-delà, on entrevoit que « la
transition vers une économie de la connaissance capable d'une croissance économique durable
accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion
sociale crée de nouveaux défis en matière de développement des ressources humaines »1.Comme on
peut s'y attendre, le lien qui unit le registre culturel aux deux autres s'avère être plutôt ténu et
1. 2.461e session du Conseil, Éducation, Jeunesse et Culture. Bruxelles, les 11 et 12 novembre 2002, Press Release,
Bruxelles (12/11/2002) - Press : 340 N° 13747/02.
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souvent peu crédible. Au gré des humeurs et velléités de Bruxelles, il est parfois omis, parfois inclus
dans les longues listes de « considérants ». En contraste, les auteurs des mêmes documents font
maintes contorsions rhétoriques visant à persuader le public que les thèmes de la cohésion sociale et de
la croissance économique sont positivement complémentaires. Afin d'éviter un cloisonnement de ces
thématiques, Bruxelles doit renouveler constamment l'énonciation des textes officiels en se réclamant
des dynamiques de la « flexibilité » et de la « mobilité » qui, à en croire leurs auteurs, expriment une
réalité technico-économique incontournable. Potentiellement conflictuelles, ces deux notions sont
présentées simultanément comme socialement et économiquement compatibles et convertibles, alliant
espoir et menace, demande et offre, liberté et contrainte, autonomie et hétéronomie. Face aux micro-
ruptures, aux glissements sémantiques, à l'émergence de nouvelles sensibilités, les paradigmes de la
flexibilité et de la mobilité sont constamment l'objet de multiples remaniements, refontes, re-
contextualisations, ajustements sémantiques, qui espère-t-on, contribueront à les humaniser et à les
réactualiser.
L'adaptabilité des individus aux demandes, évolutions et fluctuations du marché doit, dans cette
optique, passer obligatoirement par leur « flexibilisation » et leur « mise en mobilité ». La « flexibilité
des conditions » de travail doit s'accompagner d'une flexibilité des projets individuels et de l'apparition
d'une « culture de la flexibilité ». La vision proposée ne se confine pas dans des considérations
purement instrumentales de la «prise en charge de soi» (par exemple: décharge de la responsabilité des
institutions qui délèguent la responsabilité de l'échec à l'apprenant), mais voit dans cette plénitude du
citoyen apprenant une voie royale permettant de prévenir conflits et tensions sociales.
Les notions-clés d'apprentissage tout au long de la vie, d'économie de la connaissance, de cohésion
sociale et de croissance économique forment les piliers d'angle de la construction européenne de
l'éducation. Pour que ce scénario non conflictuel de convergence entre culture, marché et
enseignement puisse être réalisé, des actions communautaires invitent le monde de l'enseignement en
général, et celui de l'enseignement supérieur en particulier, à développer de nouveaux modes
d'apprentissage, de coopération et de mobilité.
A en croire le corpus de textes communautaires, émergera progressivement, pas à pas, projet par
projet, par le truchement d'« effets de synergies », ce nouveau citoyen européen passablement cultivé,
en parfaite possession de ses moyens d'apprentissage, participant à l'économie des connaissances,
épanoui dans un environnement par ailleurs férocement compétitif et fluide, passablement libéré des
contraintes sociales, culturelles et ethniques. N'ayant visiblement pas encore atteint cet état de grâce,
mais oeuvrant pour atteindre ces objectifs, les ministres de l'éducation et de la culture notent au
passage « qu'il faut continuer à coopérer
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davantage en matière d'éducation et de formation professionnelles à tous les niveaux, y compris dans
le cadre de l'apprentissage formel et non formel, dans une perspective d'éducation et de formation tout
au long de la vie », soulignant la nécessité de liens appropriés entre l'éducation et la formation initiales
et continues et à « diffuser les meilleures pratiques ». Quelle aubaine pour l'autoformation ! Un
observateur critique ne manquera pas de noter l'absence de perspective critique dans ce scénario.