Autoformation et enseignement supérieur, sous la direction de Brigitte Albéro, Hermès-Lavoisier, 2003
forme de rationalité collective , elle est donc inséparable d'une analyse du besoin social qui fonde une
pratique, celle de l'autoformation par exemple. Dans une approche socio-économique, l'évaluation est
convoquée tant pour produire la norme que pour estimer un écart à la norme, pour tenter de mesurer
des effets que pour sonder la cohérence d'une intention, individuelle ou collective, pour mettre au jour
un processus inscrit dans une démarche finalisée que pour saisir l'impact de la socialisation d'une
activité sur les représentations de cette activité et de son utilité sociale (Berthet, 2000). L'évaluation
impose de se demander dans quelle mesure il y a de la « formation » dans l'autoformation.
Le lien formation-évaluation n'est pourtant pas si nécessaire que cela. En fait, l'évaluation est moins
liée à une sorte de relation réciproque à la formation qu'à une exigence en soi, un besoin social
nouveau correspondant à une montée en puissance de la demande, une demande d'objectivation de nos
intentions, une demande de comptes, de comptes à rendre, y compris le repérage d'effets inattendus.
Cette demande n'est pas forcément celle du « consommateur », mais d'abord celle de celui qui opère
ou répartit le financement : demande de l'entreprise qui envoie son salarié en formation, demande de
l'université qui inscrit un centre de ressources en langues à son budget. En matière d'évaluation de
l'autoformation, il n'est pas suffisant de chercher à savoir si ces technologies « nouvelles »6 sont plus
ou moins efficaces quand elles sont utilisées dans cette démarche d'apprentissage. Il s'agit surtout de
chercher d'une part, à quelles conditions sociales et institutionnelles, elles sont susceptibles d'être
efficaces et d'autre part, de quelle efficacité il s'agit : résultat, efficience (le rapport efficacité/moyens
mis en oeuvre), nature et temporalités des
5. On ne peut mieux nommer ce double travail normalisateur que dans cette formule du secrétariat général au Plan (1991) et
qui a eu un beau succès : « Développer une culture de. l'Évaluation ». dans ... éduquer pour demain, La Découverte. La
documentation française.
6. Avait-on l'idée de parler de « technologies » éducatives lorsque l'on évoquait la classe ferryste, son aménagement
particulier entre l'estrade, les fenêtres sur la droite et les cartes (de la France amputée de l'Alsace-Moselle mais plus pour
longtemps !) sur le mur d'en face et des bancs fixés au plancher, la longue règle pour la lecture des cartes Justement. et la
petite règle pour faire « apprendre par corps ».
L'autoformation comme activité économique et sociale 109
effets. Cela suppose également de s'intéresser aux contraintes budgétaires qui peuvent peser sur des
dispositifs d'autoformation ; ce qui implique qu'on s'intéresse aux choix et aux arbitrages effectués aux
différents niveaux de décision d'investissement et des moyens de fonctionnement (statuts des
personnels affectés, nombre d'appareils, insertion dans les cursus).
De même convient-il de saisir des effets économiques, recherchés ou non, (production d'une « valeur »
à répartir, mais également à accumuler7), et également des effets sociaux : un impact à plus long terme
sur les structures sociales, sur la diversité des comportements sociaux, sur la consistance des
représentations. Ce qui, en retour, est susceptible de produire des effets sur les pratiques et les usages,
les conceptions et les positions, ce qui conditionne finalement l'efficacité économique à plus long
terme.
5.1.3. Une conception restreinte de l'économie
Une conception restreinte de l'analyse économique empêche de saisir l'économie intrinsèque des
pratiques et des dispositifs de formation. C'est l'originalité de notre approche, nourrie d'une
préoccupation didactique et d'une longue expérience de l'évaluation (Triby, 1999), que de chercher à
débusquer les limites de cette approche réductionniste -, elle comporte pourtant toujours un certain
degré de véracité. Notre approche s'inscrit en marge de l'analyse économique canonique, même si, à
l'occasion, elle ne rechigne pas à s'y référer8 , elle ne se confond pas non plus avec celle de P.
Bourdieu qui, dans Le sens pratique (1980), cherche justement à identifier « l'économie des pratiques
»9. Elle se situe davantage dans la filiation de M. Foucault (1984) qui avait conçu le projet de décrire
«l'économie des châtiments » en s'appuyant, entre autres, sur le texte fondateur de cette approche de
l'économie : L'Économique de Xénophon (1995)10. Ce n'est finalement rien de plus