Chapitre 5

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Autoformation et enseignement supérieur, sous la direction de Brigitte Albéro, Hermès-Lavoisier, 2003
Chapitre 5
L'autoformation
comme activité économique et sociale
Emmanuel TRIBY
Développer une approche de l'autoformation1 croisant les dimensions économique et sociale revient
d'abord à chercher à définir non pas une pratique en elle-même, mais la manière dont cette pratique est
organisée pour produire un effet sociétal, ainsi que les conditions sociales et économiques dans
lesquelles elle se développe. Cela implique également de comprendre comment ces conditions se
reflètent dans les représentations et les usages, et en quoi ceux-ci influencent en retour les bases
matérielles et sociales de cette pratique, à travers un discours plus ou moins médiatisé 2 (Moeglin,
1994). Dans cette perspective, l'autoformation n'est plus simplement une démarche d'apprentissage,
encore moins une posture philosophique ou pédagogique, mais le résultat d'un processus historique de
transformation, pas nécessairement long mais fortement contextualisé, et aboutissant à un ensemble de
dispositions réellement neuves et susceptibles d'engendrer de la nouveauté. Ni retour cyclique d'un
nouvel avatar d'alternative aux canons de la pédagogie dominante, ni résurgence d'une espérance
ancienne toujours renouvelée, ce phénomène prend alors son sens comme élément actif d'un processus
d'évolution
1. Dans l'ensemble de cette contribution, lorsqu'il sera question de l’autoformation, il s'agira de l'autoformation en contexte
institutionnel telle qu'elle a été analysée en particulier par B. Albero (1998), centres de ressources mais également formation
à distance.
2. Cette influence s'exerce avec d'autant plus de prégnance que cette pratique sociale s'inscrit elle-même dans le cadre et les
outils de la médiatisation.
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marqué par l'irréversibilité. Une telle démarche impose une décentration par rapport à l'activité ellemême pour s'intéresser à des « configurations causales » plus larges, une compréhension plus
complexe.
Pour combiner ces deux dimensions et donc deux champs disciplinaires, il s'agit moins de partir des
paradigmes et des grandes configurations théoriques de deux disciplines majeures des sciences
sociales, que de chercher à identifier l'économie de ce phénomène et le cadre social qui à la fois le
contraint et est modelé par elle. Il ne s'agit donc pas d'un croisement fortuit, ni d'un rapprochement
commode (Gazier, 1997), mais d'une construction marquée d'abord par des positions initiales et des
hypothèses fortes. L'autoformation, comme réalité en construction et comme horizon (utopie), est bien
plus qu'une pratique, c'est un fait social comme l'a amplement montré J. Dumazedier notamment, mais
c'est également une activité économique. Cela oblige à voir plus ample, et dans un registre plutôt
conjectural. La démarche d'intelligibilité dès lors peut se déplacer : élaborer une nouvelle approche de
l'économie de la formation pour réinterpréter les phénomènes qui accompagnent et concourent à faire
exister l'idée et la pratique d'autoformation. De même conviendra-t-il de chercher le fait social dans la
pratique considérée, afin de le situer par rapport à l'économie identifiée.
Compte tenu de ces prolégomènes, le lecteur comprendra qu'il paraît difficile d'épuiser dans cette seule
contribution la totalité des résultats qu'une telle démarche a déjà produit. Il nous a paru plus intéressant
de faire une sorte de tour de champ pour signaler les domaines et les questions que cette démarche ne
peut manquer d'aborder. C'est dans cette perspective que nous pouvons préciser les objets de cette
contribution.
5.1. Réinterroger certaines conceptions et pratiques
Autoformation et enseignement supérieur, sous la direction de Brigitte Albéro, Hermès-Lavoisier, 2003
L'intelligibilité du phénomène étudié passe par la mise en question de certaines conceptions et
pratiques assez courantes dans cette thématique de l'autoformation. Il s'agit moins de les réfuter que de
les relativiser et les réinterpréter. En particulier, trois d'entre elles doivent être analysées pour rendre
possible l'interrogation de la démarche économique que nous proposons : le technologisme qui
empêche de saisir l'importance décisive des conceptions et des conditions de l'activité, l'évaluation,
tentative d'objectiver la trame économique de cette activité, la référence à une conception restreinte de
la rationalité, strictement utilitaire, bloquant tout accès à la logique même de l'activité.
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5. 1. 1. Le technologisme
L'autoformation ne peut plus être pensée et mise en oeuvre aujourd'hui sans le recours à des objets
techniques, essentiellement des technologies de l'information et de la communication (TIC) ; c'est
pourquoi elle n'est réductible ni à l'autodidaxie, ni au travail en autonomie de très ancienne origine.
Son instrumentalisation fait partie intégrante de cette démarche de formation. C'est dans cette
perspective que peut se forger une position « technologiste ». Celle-ci consiste à concentrer l'essentiel
des changements sociaux sur la technique3 celle-ci comporterait « naturellement » un changement et il
n'y aurait guère de vraie nouveauté sans l'appui de la technologie. Elle a son corrélat : son efficacité
intrinsèque.
Dans notre optique, l'important ne nous paraît pas de contester l'importance de ces TIC pour la
formation, ou au contraire de les promouvoir, plus ou moins ingénument. Il ne s'agit pas plus de
chercher le sens de ces usages des TIC, de le trouver favorable (Lévy, Quéaux) ou plutôt défavorable
au développement d'une société humaniste et démocratique (Virilio, Breton). L'important est de
comprendre d'abord comment ces techniques trouvent leur place dans des dispositifs finalisés, au point
d'occuper parfois l'essentiel de l'espace de la formation ou de la production concernée. Il convient
également d'analyser leur usage à travers les comportements différenciés, et finalement de comprendre
dans quelles dispositions sociales et économiques, ces instruments techniques peuvent avoir de
l'efficacité, quand ils sont appliqués à des démarches de formation4 (Jacquinot, 1993 ; Deceuninck et
Fichez, 2000). Ces dispositions concernent aussi bien l'organisation matérielle des écoles, par
exemple, que les structures et les prédispositions sociales dans lesquelles peut se développer l'usage
des technologies, le réseau de services et d'organisations qu'elles mobilisent que l'affectation des
moyens budgétaires résultant d'un prélèvement socialisé. Ces conditions imposent de se demander
dans quelle mesure il y a de « l'auto » dans l'autoformation : en d'autres termes, dans l'apprentissage,
quelle part revient aux conditions matérielles et sociales de son avènement, quelle part à l'activité
propre du sujet en situation ?
3. La technique est alors nommée « technologie » comme si. chaque fois que la modernité fabrique de nouveaux appareils,
les systèmes de machines (leur conception et leur mise en oeuvre productive) s'en trouvaient transformés.
4. On écarte de ce fait également toute réflexion sur les fondements historiques et philosophiques de ce rapport singulier entre
des techniques et du lien social qu'on nomme « communication » (des « technologies de soi » mais d'un soi collectif aurait pu
dire M. Foucault). Cela n'empêche pas de s'intéresser aux réflexions de L. Sfez. par exemple dans Critique de la
communication.
108 Autoformation et enseignement supérieur
5.1.2. L 'évaluation
Elle est comprise ici comme le dispositif qui accompagne aujourd'hui toute formation, comme une
sorte de processus second, nécessaire et légitimateur. A cet égard, l'autoformation peut difficilement
déroger à ce qui apparaît comme une nouvelle norme sociale, tant dans la démarche elle-même que
dans le projet social qu'elle recouvre5. C'est à l'aune d'une sorte de néo-positivisme mâtiné d'un désir
de «transparence» dans un contexte de «risque» économique et de précarisation sociale accrus, qu'on
peut interpréter l'évaluation comme ce qui concourt à donner à la formation une réalité objective, dans
ses intentions, son déroulement autant que ses effets. Cette pratique participe à la définition d'une
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forme de rationalité collective , elle est donc inséparable d'une analyse du besoin social qui fonde une
pratique, celle de l'autoformation par exemple. Dans une approche socio-économique, l'évaluation est
convoquée tant pour produire la norme que pour estimer un écart à la norme, pour tenter de mesurer
des effets que pour sonder la cohérence d'une intention, individuelle ou collective, pour mettre au jour
un processus inscrit dans une démarche finalisée que pour saisir l'impact de la socialisation d'une
activité sur les représentations de cette activité et de son utilité sociale (Berthet, 2000). L'évaluation
impose de se demander dans quelle mesure il y a de la « formation » dans l'autoformation.
Le lien formation-évaluation n'est pourtant pas si nécessaire que cela. En fait, l'évaluation est moins
liée à une sorte de relation réciproque à la formation qu'à une exigence en soi, un besoin social
nouveau correspondant à une montée en puissance de la demande, une demande d'objectivation de nos
intentions, une demande de comptes, de comptes à rendre, y compris le repérage d'effets inattendus.
Cette demande n'est pas forcément celle du « consommateur », mais d'abord celle de celui qui opère
ou répartit le financement : demande de l'entreprise qui envoie son salarié en formation, demande de
l'université qui inscrit un centre de ressources en langues à son budget. En matière d'évaluation de
l'autoformation, il n'est pas suffisant de chercher à savoir si ces technologies « nouvelles »6 sont plus
ou moins efficaces quand elles sont utilisées dans cette démarche d'apprentissage. Il s'agit surtout de
chercher d'une part, à quelles conditions sociales et institutionnelles, elles sont susceptibles d'être
efficaces et d'autre part, de quelle efficacité il s'agit : résultat, efficience (le rapport efficacité/moyens
mis en oeuvre), nature et temporalités des
5. On ne peut mieux nommer ce double travail normalisateur que dans cette formule du secrétariat général au Plan (1991) et
qui a eu un beau succès : « Développer une culture de. l'Évaluation ». dans ... éduquer pour demain, La Découverte. La
documentation française.
6. Avait-on l'idée de parler de « technologies » éducatives lorsque l'on évoquait la classe ferryste, son aménagement
particulier entre l'estrade, les fenêtres sur la droite et les cartes (de la France amputée de l'Alsace-Moselle mais plus pour
longtemps !) sur le mur d'en face et des bancs fixés au plancher, la longue règle pour la lecture des cartes Justement. et la
petite règle pour faire « apprendre par corps ».
L'autoformation comme activité économique et sociale 109
effets. Cela suppose également de s'intéresser aux contraintes budgétaires qui peuvent peser sur des
dispositifs d'autoformation ; ce qui implique qu'on s'intéresse aux choix et aux arbitrages effectués aux
différents niveaux de décision d'investissement et des moyens de fonctionnement (statuts des
personnels affectés, nombre d'appareils, insertion dans les cursus).
De même convient-il de saisir des effets économiques, recherchés ou non, (production d'une « valeur »
à répartir, mais également à accumuler7), et également des effets sociaux : un impact à plus long terme
sur les structures sociales, sur la diversité des comportements sociaux, sur la consistance des
représentations. Ce qui, en retour, est susceptible de produire des effets sur les pratiques et les usages,
les conceptions et les positions, ce qui conditionne finalement l'efficacité économique à plus long
terme.
5.1.3. Une conception restreinte de l'économie
Une conception restreinte de l'analyse économique empêche de saisir l'économie intrinsèque des
pratiques et des dispositifs de formation. C'est l'originalité de notre approche, nourrie d'une
préoccupation didactique et d'une longue expérience de l'évaluation (Triby, 1999), que de chercher à
débusquer les limites de cette approche réductionniste -, elle comporte pourtant toujours un certain
degré de véracité. Notre approche s'inscrit en marge de l'analyse économique canonique, même si, à
l'occasion, elle ne rechigne pas à s'y référer8 , elle ne se confond pas non plus avec celle de P.
Bourdieu qui, dans Le sens pratique (1980), cherche justement à identifier « l'économie des pratiques
»9. Elle se situe davantage dans la filiation de M. Foucault (1984) qui avait conçu le projet de décrire
«l'économie des châtiments » en s'appuyant, entre autres, sur le texte fondateur de cette approche de
l'économie : L'Économique de Xénophon (1995)10. Ce n'est finalement rien de plus
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7. Dans une optique de type « capital humain », on s'intéressera aux aptitudes acquises par l'autoformation et tout
particulièrement celles acquises « sur le tas » (familiarisation de l'outil informatique dans l'apprentissage des langues, par
exemple), et susceptibles d'être validées par le marché du travail. D'où l'importance d'une évaluation de ce qui est acquis par
cette démarche (Fournier et alii, 2001).
8. Il parait difficile auJourd'hui de vouloir évaluer par la mesure sans faire référence à une rationalité utilitaire minimale, la
seule capable de construire les modèles d'évaluation quantifiée. Voir les travaux de l'IREDU (CNRS, université de Dijon), en
particulier.
9. C'est là tout le sens d'une socio-économie qui ne serait pas le simple croisement assez monstrueux de deux sciences
sociales qui s'ingénient à se nier mutuellement tout en puisant l'une dans l'autre sans vergogne.
10. A ce propos, M. Foucault développe une interprétation tout à fait éclairante de l'analyse de Xénophon (L'usage des
plaisirs, Gallimard, 1984). insistant en particulier sur trois éléments très importants pour esquisser une autre approche de
l’économique : la liaison à …
110 Autoformation et enseignement supérieur
qu'un travail conceptuel au plus près de l'étymologie et de l'usage originel du terme, moins loin de ce
qu'un discours économique à visée savante en a fait. Ceci penne de donner une plus juste
représentation de ce que recouvre l'autoformation, comme comportement ajusté dans un contexte
socio-économique particulier. Ce contexte est fait d'usages et de représentations, d'objets techniques et
de réseaux, de systèmes institutionnels et de configurations politiques.
Pour l'autoformation comme pour tout autre activité résultant d'une politique, publique ou privée, la
démarche propre à la conception restreinte de l'économie consiste surtout en une saisie des coûts et des
bénéfices de cette pratique , si les coûts directs générés par cette pratique sont faciles à repérer (mais
pas forcément à connaître), les coûts indirects et les « externalités négatives»11 le sont bien moins.
Surtout, il n'est pas aisé d'identifier les bénéfices d'une telle activité (Greffe, 1997), pour le «
producteur » comme pour la collectivité (externalités positives). Un autre travers de cette conception
réductrice consiste à appliquer en toute occasion une approche en termes de marché, redoublant ainsi
une réalité largement postulée par un usage essentiellement métaphorique. Ainsi, on se demandera
doctement si l'émergence de l'autoformation (médiatisée) aboutit à une modification du marché de la
formation, initiale et continue, si cette apparition modifie la position des différents agents intervenant
sur ce marché, si l'industrialisation et la marchandisation de cette activité servent son efficacité sociale
et modifient la structure de ses coûts. L'important est alors de pouvoir situer ces agents dans un ordre
essentiellement autorégulé, duquel la décision politique et les rapports de force sont en majeure partie
absents.
En approfondissant, la démarche consistera à repérer l'exercice de la rationalité utilitaire dans les choix
opérés par les acteurs de l'autoformation, soit pour faire le choix de cette pratique par rapport à
d'autres, soit pour s'orienter dans la multiplicité des modalités concrètes de cette pratique. Il faut
convenir que les activités socialisées constituent un objet idéal pour ce type d'interprétation. Cette
approche fonctionne par transfert de théories économiques hors du champ pour lequel elles avaient été
conçues, ouvrant ainsi la possibilité d'une extension infinie de l'économique (Mingat, 1992). On
aboutit ainsi à une primauté de l'économique, non pas historique ni structurelle, mais par invasion de
tous les autres points de vue possibles (Delamotte, 1998). On confond ainsi deux « économisations » :
l'une, exogène, consiste à rendre un phénomène économique par application des schèmes de l'analyse
économique ; l'autre, endogène, consiste à reconstruire l'économie
…établir entre le domestique et l'univers du marché, la nécessité de développer des pratiques fondées sur des savoirs
(I'epistêmê) ou un art (la technê), le besoin de fonder le fonctionnement du « domaine » sur l'exercice d'un commandement,
un pouvoir.
11. Il s'agit de l'ensemble des charges qu'une activité économique particulière fait peser sur son environnement et sur la
collectivité.
L'autoformation comme activité économique et sociale 111
Autoformation et enseignement supérieur, sous la direction de Brigitte Albéro, Hermès-Lavoisier, 2003
propre à un phénomène, le processus par lequel un phénomène « tient ensemble » et peut durer en
garantissant son devenir social.
5.1.4. Pour une approche économique renouvelée
Notre objectif : rendre intelligible l'économie de l'autoformation, afin de comprendre pourquoi elle est
devenue le contre-modèle nécessaire dans toute approche de la formation. Cette approche part, non pas
des canons de l'analyse économique et sociologique, mais d'un double postulat selon lequel il y a une
économie en chaque fait, chaque phénomène, et cette économie ne peut durer qu'en fonction de
certaines conditions sociales qui fondent elles-mêmes la pratique analysée comme fait social12. Elle n'a
rien de naturel, elle est construite et c'est justement ce qui fait tenir ensemble et fonctionner cette
pratique.
Telle qu'elle se développe aujourd'hui, l'autoformation correspond moins à la résurgence d'une vieille
utopie de la formation qu'à une phase nouvelle dans le rapport historique qui s'est construit entre la
formation et l'économie (Boyer, 2000 ; Verdier, 2000 ; Barbier, 2001). Ce rapport s'insère dans une
phase de transformation du système productif confronté à un triple bouleversement : l'aboutissement
du processus de mondialisation ou de globalisation, l'accélération des changements techniques et
environnementaux, la transformation des conditions d'émergence de la valeur. Ces dernières
concernent tout à la fois les modèles de valeur (niveau, temporalité), les sources de la valeur (la qualité
des ressources humaines versus le capital financier, entre autres) et le partage de cette valeur (sa
dissémination comme sa répartition). Dans cette perspective, un détour s'avère nécessaire pour étudier
une pratique sociale : celle-ci révèle les dynamiques de changement qui l'habitent dans sa façon de se
situer dans le triple bouleversement décrit plus haut. Par exemple, l'analyse s'intéressera à la façon
dont l'autoformation se fonde sur une autre manière d'apprendre pour rendre l'apprenant porteur d'un
nouveau potentiel de valeur. De même, cherchera-t-on à savoir comment l'exercice de la
métacognition caractéristique de l'autoformation est susceptible de modifier le comportement du
(futur) salarié. Ou encore, pourra-t-on s'intéresser aux conditions qui feraient que l'autoformation
serait génératrice de coûts indirects de formation compatible avec les normes de valorisation actuelles
(nonobstant ses coûts directs élevés).
Plus généralement, on peut faire l'hypothèse que le développement de l'autoformation est lié à
l'intégration de l'apprentissage dans le fonctionnement et les conditions sociales de pérennisation du
système productif (Boyer, 2000), à la fois comme effet et comme facteur d'approfondissement de cette
relation (FFFOD,
12. On évitera d'aborder la trop vieille question de savoir si cette économie est « encastrée » dans le social, ou si elle
fonctionne comme instance extérieure, éventuellement dominante.
112 Autoformation et enseignement supérieur
2001). La spécificité de l'approche socio-économique est de s'intéresser aux ressources génératrices de
valeur : les structures sociales comme différentiel de valeur et les contraintes matérielles comme
contraintes à valoriser. Parallèlement, cette approche analyse l'articulation entre les comportements
individuels et les mouvements de rationalisation et de légitimation qui les accompagnent. En ce sens,
on n'est jamais très éloigné des questionnements sur les valeurs dans les mises en question de la
valeur.
5.2. L'autoformation comme ébauche d'une nouvelle économie ?
Un inventaire des théories économiques et sociologiques dont pourrait se saisir l'autoformation n'est
pas vraiment utile dans ce dossier , il convient plutôt de comprendre comment l'autoformation s'insère
dans les mécanismes de l'économie d'aujourd'hui, et comment, en retour, elle pose question à certains
grands courants de la théorie.
Autoformation et enseignement supérieur, sous la direction de Brigitte Albéro, Hermès-Lavoisier, 2003
5.2. 1. L'autoformation comme réponse à la crise du taylorisme en formation ?
Une première construction théorique est celle du taylorisme en forrnation et sa crise. On pourrait ne
voir ici qu'une analogie, qu'une métaphore, en fait nous pensons, avec d'autres (Berger, 1994 ;
Vincent, 1994 ; Chervel, 1988), qu'il s'agit d'une véritable concordance des modes d'organisation, leur
conception et leur mise en oeuvre. Poser l'existence de cette concordance, c'est ouvrir une perspective
nouvelle dans l'approche économique. Les résultats des premières recherches dans ce champ semblent
montrer que J'autoformation se situe au moins autant dans la filiation d'un Skinner et de toutes les
tentatives d'automatiser l'apprentissage, que dans la perspective du développement de l'autonomie de
la personne. Dans les deux cas, la dimension économique est là, immédiate : dans le premier, on se
situe dans le mouvement de taylorisation et de néo-taylorisation. Dans le second cas', c'est le posttaylorisme qui se signale, par la réintroduction de l'activité intelligente du sujet, individuel et collectif
susceptible de produire un savoir sur l'activité (Lorino, 1995 ; Linard, 1989, 1996).
Pour éviter toute réduction de la perspective, plusieurs registres de lecture sont à développer.
Le premier registre est d'abord celui qui concerne la nature de la formation elle-même : on constate
que « l'intensité des innovations organisationnelles et technologiques affecte significativement le
partage entre formation générale et formation professionnelle, entre éducation initiale et amélioration
des compétences au cours de la vie active » (Boyer, 2000, p. 113). Si le taylorisme a pu être pensable,
L'autoformation comme activité économique et sociale 113
et s'il continue dans maintes activités à déployer sa trop évidente efficacité, c'est en rapport à une
conception hiérarchisée et séquentielle (ou cyclique) de la formation. Plus encore, il a su articuler une
organisation de la production à une conception du savoir (et de son « partage ») et à un certain type de
rapports hiérarchiques (Bernoux, 1990). On comprend ainsi comment les rapports au savoir sont
instrumentalisés par les organisations à travers les rapports de pouvoir. C'est parce qu'elle suppose un
autre rapport hiérarchique vis-à-vis de celui qui est censé savoir, et une autre conception du savoir de
l'apprenant, que l'autoformation consacre la fin de la séparation entre formation générale censée être
analytique et abstraite, et la formation pratique censée être procédurale et concrète.
Le deuxième registre mobilisable est l'organisation productive de la formation. Une approche
socio-économique ne vise pas simplement à se demander comment organiser plus efficacement la
formation. Partant du constat que l'activité de formation s'épuise souvent dans des intentions articulées
à un discours légitimateur13, notre approche invite à se demander quel type de rapport de pouvoir peut
s'instituer dans un certain mode d'organisation de l'activité et la place que les supports techniques vont
avoir dans l'activité de l'étudiant, dans son travail. Le formateur est ainsi conduit à se décentrer par
rapport à des approches pédagogiques et en rabattre très fortement sur ses prétentions à apporter la
connaissance et le sens de l'activité de l'apprenant, pour se recentrer sur l'étayage qu'il est censé être
capable d'apporter aux personnes. L'importance d'une réflexion en termes d'adaptation à des
contraintes, assise sur une préoccupation d'efficacité, devient centrale. La personne se fait agent dans
un processus traversé par une logique prégnante, faite d'une tendance à l'homogénéisation et la
déstabilisation permanente. On n'est plus ni dans le projet de développement des personnes, ni dans le
temps de la. formation, mais dans les contraintes du développement des organisations inscrit dans les
temps sociaux de l'activité économiquel4.
Le troisième registre enfin est le rapport de la formation à l'activité professionnelle. Une tendance de
plus en plus nette voudrait nous faire croire que l'avenir de la formation reposerait sur une stricte
adéquation de la formation aux besoins des organisations, l'éternel retour de la fiction adéquationniste.
La situation
13. Remarquons que ces discours ont pourtant toute leur place dans les phénomènes économiques ; ce sont eux qui portent les
produits et leur marque, qui alimentent les rumeurs et autres « prophéties » qui finissent par se réaliser parce que tout le
monde a fini par y croire.
Autoformation et enseignement supérieur, sous la direction de Brigitte Albéro, Hermès-Lavoisier, 2003
14. C'est ainsi que l'on peut interpréter la « tension tripolaire » identifiée par B. Albero (2000, p. 260) entre la personne, le
dispositif et l'institution, caractéristique d'une « modélisation dynamique » de J'autoformation : la personne est le support et le
ferment de la valeur susceptible d'être créée et transférée, le dispositif correspond à l'organisation du processus de
valorisation des ressources mobilisées, l'institution renvoie aux conditions de la régulation (règles, réseaux. croyances
partagées) des rapports d'activité et de pouvoir susceptibles de faire aboutir le processus.
114 Autoformation et enseignement supérieur
actuelle de la coexistence paradoxale d'une pénurie d'emploi et d'une difficulté de recrutement
inciterait à rapprocher les contenus de la formation des besoins des entreprises (ANPE, 2001).
L'autoformation serait pensée comme le moyen d'une formation plus proche des intérêts actuels des
firmes. Mais, outre que cette adéquation parait difficilement praticable, puisqu'il faudrait que les
entreprises soient capables d'anticiper leurs besoins de qualification, le principe même de l'adéquation
est à rejeter. L'autonomie dont il est question dans l'autoformation a quelque chose à voir avec
l'autonomie à la base de nouveaux modes d'organisation du travail, comme elle a quelque chose à voir
avec l'avènement d'une puissance critique radicale susceptible de mettre en question l'ordre productif.
Ce dernier fonctionne toujours à la limite, ouvrant des espaces de contestation tout en confortant une
normalisation des comportements, en prenant le risque d'une perturbation permanente de ses propres
conditions de fonctionnement tout en assurant que ces perturbations ne seront jamais assez fortes pour
rendre l'organisation productive proprement insupportable. C'est dans cette perspective, ambivalente et
contradictoire, que l'autoformation semble la mieux ajustée aux besoins de l'activité productive
aujourd'hui.
5.2.2. L'autoformation comme moyen d'entretenir « la production de la demande »
Rappelons que l'on entend par là l'action du système productif pour entretenir un niveau de demande
compatible avec le niveau de la production et le niveau de la valeur à réaliser ; c'est la loi du fordisme,
qui exige des dispositions organisationnelles, institutionnelles et réglementaires particulières. Cela
implique la définition de biens ou de services conçus et fabriqués pour être vendus (les objets à
consommer), la répartition de la valeur ajoutée, directe et indirecte, et le système des prix (prix relatifs,
hiérarchie des prix, gestion du taux d'inflation), donc les « moyens de consommer », enfin, et peut-être
surtout (dans notre démarche), les raisons de consommer. Il faut étudier ce processus en rapport tout
particulièrement à la massification de la consommation des technologies.
Dans l'activité économique actuelle, c'est toujours l'offre qui est première, le besoin, social ou
individuel, n'est qu'une sorte de prétexte ; le problème, ce sont les débouchés 15. Les TIC posent à cet
égard des questions tout à fait urgentes, dans la
15. Depuis la loi de J.-B. Say qui voudrait que ce problème justement n'existe pas ! « Un produit créé est un débouché ouvert
» assurait-il dès les débuts du XIXe siècle (1804), alors que l'économie de marché allait traverser des crises de surproduction
récurrentes. Cette référence est importante, car c'est un raisonnement un peu analogue qui est utilisé pour expliquer que
l'autoformation ne se développera pas au détriment des enseignants, de leurs postes et de leurs fonctions. Notons que, pour
J.-B. Say, sa « loi des débouchés » n'est confirmée que si les prix (donc les salaires) peuvent baisser.
L'autoformation comme activité économique et sociale 115
mesure où elles sont susceptibles d'entretenir un processus continu de croissance de la demande par la
disqualification systématique des produits existants et l'entretien d'un désir illimité (Muller, 2001). La
raison en est que ces technologies contiennent un mode de vie, une manière d'être au monde et avec
les autres (Deceuninck et Fichez, 1997). Cette sorte de subversion permanente s'opère d'autant plus
sûrement que, par ailleurs, ce qui pourrait créer des résistances tend à disparaître : repères culturels
familiaux et communautaires, interventionnisme du pouvoir central. « Ce nouveau système de
communication, capable d'embrasser et d'inclure toutes les formes d'expression, ainsi que la diversité
des intérêts, valeurs et imaginations, y compris l'expression des conflits sociaux impose l'adaptation à
sa logique, à son langage, à ses points d'entrée, à ses codages et décodages » (Castells, 1998, p. 423).
Sans doute est-ce finalement le caractère « monétisable » de la communication par les technologies
qui est ici déterminant : loi d'expansion infinie, sans frontières, rapide et simultanée, dématérialisation
Autoformation et enseignement supérieur, sous la direction de Brigitte Albéro, Hermès-Lavoisier, 2003
des supports dans un contexte de financiarisation. L'autoformation comporte toujours le risque d'être
prise par l'outil technique, prisonnière du fait même de la forte prégnance économique de cet outil.
Ce « système de communication » s'inscrit ici au centre d'un renouveau du fordisme : de la forme
traditionnelle de ce mode d'articulation entre la production et les débouchés, les dispositifs techniques
de communication préservent la croyance en une demande susceptible de « tirer » la production. Mais
il le dépasse en même temps, car il mobilise bien plus qu'une simple appétence : il a la possibilité
d'installer dans les identités, individuelles et sociales, comme une sorte de matrice génératrice en
permanence de nouveaux désirs comme de nouvelles frustrations, de nouveaux potentiels comme de
limitations de nos capacitésl6.
5.3. L'autoformation au cœur de l'économie de la connaissance ?
L'économie de la connaissance a déjà une longue histoire17 mais ce ne sont que ses épisodes les plus
récents qui nous intéressent ici : quand l'apprentissage et la connaissance qui en découle, et non plus
seulement le savoir conçu comme ensemble d'informations18, deviennent eux-mêmes objet de
valorisation (Lorino, 1995 ; Linard, 1989, 1996 , Foray, 2000). Il y a là un progrès décisif en matière
d'économie de la connaissance, quand bien même la mesure des niveaux de la
16. C'est sans doute ce qu'A. Le Brun appelle « l'intériorisation de la technique » (Le Brun, 2000, p. 25)
17. Cette histoire est fréquentée aussi bien par G. Becker et sa Théorie du capital humain, que J.M. Keynes quand ses travaux
inspirent auJourd'hui des recherches de comptabilisation des efforts de recherche-développement, pour ne citer que les plus
connus.
18. C'est ainsi que la connaissance est conçue dans l'analyse économique néo-classique, toujours dominante, c'est-à-dire de
façon à la fois « utopique, anorexique et aboulique » (Linard, 1989, 1996, p. 248).
116 Autoformation et enseignement supérieur
recherche et développement (R&D) et l'estimation de leurs effets restent encore les acquis empiriques
les plus sûrs en ce domaine. La confusion entre information et connaissance, chère à l'approche
néo-classique toujours dominante, est du même registre que la confusion entre l'autoformation et
l'accès à des cours « en ligne ». Il y manque la prise en compte de l'activité de transformation et
d'appropriation de l'information, le réinvestissement de ce produit dans d'autres activités et finalement
l'émergence d'une valeur nouvelle vouée à circuler et être répartie entre différents acteurs. C'est ce
processus qu'une économie de l'autoformation doit tenter de mettre au jour. Certaines institutions ou
certaines règles jouent ici un rôle qui peut s'avérer déterminant : la gratuité de certains services, l'accès
libre à des sites ou au contraire le contrôle étroit de cet accès, la disposition de centres de ressources
(accès et organisation matérielle), la notation des acquis.
Dans cette perspective, l'importance des réseaux et la nécessité d'une médiation deviennent des traits
distinctifs d'une activité économique efficiente19. De même s'intéressera-t-on également à la capacité à
« traiter des informations », non pour apprécier un apprentissage, mais pour l'insérer dans un processus
de valorisation, les performances susceptibles de générer de la valeur. Une réflexion, à la fois
théorique et opérationnelle (du côté des organisations), sur la gestion des compétences et
l'employabilité (Colardyn, Dugué) a toute sa place ici. On pourra alors considérer que ces « horizons
nouveaux » des organisations et du travail ne sont qu'une façon d'instituer une précarité d'un genre
radicalement nouveau. L'autoformation paraît être la formation pour « l'homme précaire ». Ce n'est
plus la grande peur, la peur absolue de l'individu qui se sait dans la main de Dieu ou tributaire de la
Nature ; c'est la peur multiple, éclatée, qu'un prétendu « principe de précaution » tient à distance de
toute maîtrise possible de son destin. A l'inverse, il sera presque aussi légitime de considérer que
l'autoformation comporte la possibilité de créer une humanité maîtresse de son devenir, reconstruisant
du lien social en questionnant toujours davantage les croyances et le pouvoir des outils techniques.
C'est cette ambivalence qui fait de l'autoformation, et des TIC qui lui sont liées, une activité
économique essentielle dans le cours actuel de l'économie de marché.
Autoformation et enseignement supérieur, sous la direction de Brigitte Albéro, Hermès-Lavoisier, 2003
Plus généralement, on notera que la mutation taylorienne qui ouvre la modernité de notre système
productif est marquée par l'émergence d'un nouveau rapport aux savoirs, conjointement les savoirs
scientifiques et les savoirs non savants (pratiques, professionnels, sociaux). Ce changement implique
une double instrumentalisation, utilisation à des fins qui ne sont pas intrinsèquement inscrites dans ces
savoirs. Les savoirs scientifiques sont appelés à développer leur applicabilité productive, les
19. Notons toutefois que la référence à la métaphore des réseaux fait très curieusement se rejoindre le réel et le virtuel dans
un espace qui rappelle encore le monétaire. La médiation devient une figure majeure, alors même que le pouvoir politique
central est « en crise » et que l'horizontalité des espaces locaux cherche encore sa régulation.
L'autoformation comme activité économique et sociale 117
autres savoirs à accepter d'être mis au service des performances des organisations. Mais là où Taylor
ne concevait qu'une applicabilité ingénieurale, les conceptions actuelles voient davantage une sorte
d'applicabilité intégrée, managériale : l'application doit s'insérer dans les projets mêmes de recherche
scientifique, leur conception comme leur mise en oeuvre. Il ne doit pas y avoir de limite dans la «
mobilisation du potentiel » des salariés -, les savoirs tacites, individuels et collectifs, doivent être
convoqués en permanence pour rendre toujours plus efficaces et plus « tendus » les processus
productifs (Le Goff, Dejours). Repérer comment les projets et les pratiques d'autoformation se situent
par rapport à cette évolution permettra de comprendre dans quelle économie de la connaissance elle
trouve sa place, et comment elle s'insère dans la société : un stade supérieur d'instrumentalisation ou,
au contraire, une rupture dans la tendance historique ouverte depuis la fin du XIXe siècle.
Les enjeux de l'autoformation
Analyser l'économie de l'autoformation et ses conditions sociales invite à relever les changements dans
lesquels celle-ci s'inscrit, définissant ainsi ses « enjeux » pour notre temps. Ceux-ci peuvent être
classés en trois grands domaines : le rapport de l'autoformation à l'évolution des conditions de la vie
sociale, la valeur du savoir acquis par l'autoformation et transféré dans le travail, l'analyse économique
des savoirs en jeu dans l'autoformation. Dans le premier domaine, on relèvera notamment qu'à partir
du développement de l'autoformation, se pose la question de la socialisation des TIC et donc de ses
implications : la confusion des temps de vie, par exemple, ainsi que les nouveaux « territoires » de
l'activité. Certains éléments de structuration de l'espace social et professionnel se brouillent : travail à
distance/ travail à domicile (télétravail), sphère privée/sphère publique de l'activité, espace
fermé/espace médiatisé.
Dans le deuxième domaine, on signalera, entre autres, l'impact de l'autoformation et les nouvelles «
qualités » de la main-d’œuvre sélectionnée à l'embauche (ANPE, 2001). A ce sujet, Guy Friedmann
remarque que « le mythe de l'excellence professionnelle et de l'héroïsme conquérant doit sécréter cette
image d'un individu autonome, dégagé du poids de l'arbitraire hiérarchique, un artisan indépendant,
entièrement absorbé à sa tâche et à sa réussite » (cité par Coutrot, 2001, p.20). Dans ce même
domaine, l'importance des «habiletés» non professionnelles et non formelles pourrait s'avérer de plus
en plus décisive, tant pour l'embauche que pour l'activité elle-même et sa qualification20. « De la
qualité de la
20. On débouche ainsi sur la problématique très actuelle de la validation des acquis de l'expérience , cela suggère que
l'autoformation pourrait constituer une facilitation dans la démarche de validation.
118 Autoformation et enseignement supérieur
coopération (en termes de définition des objectifs, d'interprétation des règles et de stabilisation des
conventions), dépend l'aptitude à développer des apprentissages individuels, organisationnels et
institutionnels, créateurs de nouvelles ressources » (Verdier, 2000, p.2). La question est de savoir dans
quelle mesure la démarche d'autoformation est capable de former un potentiel de coopération ou au
contraire, trop assurée de la possibilité des « réseaux virtuels », elle tend à un isolement et à entretenir
une difficulté à apprendre « avec les autres » , les questions pédagogiques ont toujours une dimension
économique.
Autoformation et enseignement supérieur, sous la direction de Brigitte Albéro, Hermès-Lavoisier, 2003
Le troisième domaine concerne la possibilité d'une lecture économique des savoirs sur la
connaissance. Un enjeu fort de l'autoformation est la capacité qu'elle engendrerait d'analyser sa propre
démarche d'apprentissage. En ce sens, serait reconnue la capacité à générer un savoir sur le savoir dont
on peut penser qu'elle constitue une « compétence transférable » , derrière la démarche pédagogique,
se profile une autre conception du savoir, un savoir tiré de l'expérience, à condition d'avoir appris à le
faire émerger. A l'opposé, mais dans le même registre des savoirs sur le savoir, on relèvera la primauté
actuelle du cognitivisme, que l'expansion de l'autoformation ne peut qu'alimenter (Cardinet et
Laveault, 2001). Sa signification post-taylorienne nous paraît peu contestable : on ne peut comprendre
cet avènement qu'en référence à ce qui est défini, dans le champ du travail, comme « une perte
générale des repères collectifs » et des garanties collectives définissant les conditions de travail
(Boyer, 2000). Le cognitivisme n'a de sens que s'il est possible de concevoir un individu abstrait de ses
conditions historiques et personnelles de développement, et vivant hors de tout ce qui garantissait
auparavant son identité en concourant à la définir. Il rejoint bien évidemment certaines conceptions de
l'usage des TIC.
En somme, l'autoformation doit être saisie dans son ambivalence profonde qui intéresse justement
l'économie d'un côté, elle prépare les individus à s'adapter à l'extension de la logique de marché à
l'ensemble des activités sociales ; d'un autre côté, elle préfigure ce que pourrait être un individu
capable de maîtriser les conditions de son propre développement, libéré des contraintes de l'économie.
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