En ce qui concerne le volume d’échanges, la méthode de décomposition employée consiste à identifier un modèle ARIMA parcimonieux pour la série du volume en logarithme, par le biais de la méthode de Box et Jenkins (Box & Jenkins, 1976). Les « résidus » issus du modèle estimé constitueront la série du volume non anticipé, tandis que la variable expliquée estimée représentera le volume anticipé. Nous examinons tout d’abord la « stationnarité » de la série originale transformée en logarithme. D’après les tests d’ADF (Dickey-Fuller augmenté, Fuller, 1996) et de Phillips-Perron (Phillips & Perron, 1988), cette série se révèle stationnaire au niveau. Ensuite, l’analyse des corrélogrammes et le test de Box-Ljung (Ljung & Box, 1978)1 proposent que le modèle AR(1) avec une constante s’avère relativement approprié pour caractériser la série chronologique du volume d’échanges en logarithme de notre échantillon. C’est après ces examens préliminaires que nous estimons ce modèle identifié, en y ajoutant trois variables explicatives : une variable de tendance, une variable muette visant à capter « l’effet de vendredi » (1 pour le jour du vendredi, ou la veille du jour férié, et 0 pour les autres jours), et une seconde variable muette destinée à capter « l’effet de lundi » (1 pour le jour du lundi ou le lendemain du jour férié, et 0 pour les autres jours). Cependant, ces trois variables ne sont pas significatives dans le modèle AR(1) estimé. C’est ainsi que nous estimons simplement le pur modèle AR(1) qui donne : VOLt = 6,27 + 0,31*VOLt-1 . (5.17) La variable VOLt désigne le volume en logarithme du jour t. Les erreur types de la constante estimée (6,27) et du coefficient estimé (0,31) pour le premier retard étant respectivement de 0,79 et de 0,09, ces deux éléments estimés sont significatifs d’après le test de Dickey-Fuller (Fuller, 1996). Le R2, le R2 corrigé, et la valeur de F sont respectivement de 0,09, 0,09, et de 12,47. L’hypothèse de l’autocorrélation des résidus issus de cette estimation est d’ailleurs rejetée d’après le test de Box-Ljung2. Grâce à cette régression qui s’avère significative, les séries du volume anticipé et du volume non anticipé peuvent être ensuite respectivement constituées, par le biais du calcul des valeurs estimées pour la variable expliquée, et de ses résidus. Quant à la volatilité du taux de change, sa décomposition est plus complexe. D’un côté, cet élément peut être calculé, entre autres, par trois méthodes : la variation absolue du taux de change en pourcentage, la différence première absolue du taux de change en logarithme, et 1 La valeur de Q égale 24,32, pour p = 11 et t = 1. 2 La valeur de Q égale 5,78, pour p = 11 et t = 1. Chapitre 5 177 enfin le carré de la différence première du taux de change. De l’autre, la série chronologique de la volatilité du taux de change, d’après de nombreuses études1 qui figurent dans la littérature économique, se révèle influencée par « l’effet ARCH » (hétéroscédasticité conditionnelle autorégressive), ce qui implique qu’elle conviennent d’être spécifiée par un modèle GARCH (1,1). C’est dans cet esprit que nous testons tout d’abord l’existence de l’effet ARCH dans les trois séries chronologiques de volatilité calculée par les trois méthodes différentes que nous venons d’évoquer. Le test du multiplicateur de Lagrange (Engle, 1982) suggère l’absence de l’effet ARCH dans toutes ces séries. Cependant, une quatrième série de volatilité a réussi ce test (la valeur de Khi-deux égale 14,6 pour q = 1). Cette série de volatilité est en fait une transformation de la seconde série, à savoir de la série de volatilité calculée en termes de différence première absolue du taux de change en logarithme. Nous prenons cette seconde série en logarithme, ensuite inversons son signe, puis calculons son inverse. Cette nouvelle volatilité (VALt) est aussi non négative, et une valeur plus élevée signifie une plus grande variation du taux de change entre deux jours. Cette série transformée est ensuite analysée, par le biais de l’estimation d’un modèle GARCH (1,1) qui donne : VALt = 0,1845 + ut , ut|t-1 ~ N (0, ht2), ht2 = 0,0013 + 0,3415*ut2 – 0,1713*ht-12 . (5.18) Les erreurs types des quatre coefficients estimés (0,1845, 0,0013, 0,3415 et 0,1713) sont respectivement de 0,0039, 0,0004, 0,1675, et de 0,2102. Leurs valeurs de z montrent, à l’exception de l’estimateur de ht-12, une significativité au seuil de 1 % pour les coefficients estimés. Grâce à cette estimation, les variances conditionnelles (ht2) sont déduites, et servent enfin à la décomposition de la volatilité du taux de change. Considérant que la constante estimée (0,1845) représente la volatilité systématique du marché, et que les variances conditionnelles estimées constituent l’ajustement journalier anticipé de la volatilité conditionnée par les informations disponibles dans le passé, nous calculons ainsi la volatilité anticipée par la somme de la volatilité systématique du marché, 0,1845, et la racine carrée de la variance conditionnelle estimée, à savoir ht, pour chaque jour, ce qui constitue ensuite une nouvelle série chronologique. Quant à la volatilité non anticipée, elle est simplement la différence entre la volatilité totale (VALt) et la volatilité anticipée. Il faut noter que, contrairement aux variables « anticipées », la valeur des deux variables « non anticipées », à savoir du volume non anticipé et de la volatilité non anticipée, peut être soit positive, soit négative. Elles doivent donc être interprétées de manière différente par 1 Entre autres, Bollerslev & Melvin (1994). Chapitre 5 178 rapport aux variables anticipées. En fait, l’existence de ces deux variables non anticipées, de nature aléatoire, reflètent l’arrivée de nouvelles informations sur le marché, analysée dans la section précédente. En présence des innovations informationnelles, le niveau de liquidité du marché est modifié, à la fois par la voie du volume, et par la voie du prix (volatilité). Une valeur positive du volume non anticipé ou une valeur négative de la volatilité non anticipée signifie ainsi une amélioration, par rapport à l’anticipation du jour précédent, de la liquidité du marché, faisant suite aux innovations d’informations, et vice versa. V-2. Méthodes d’estimations et principaux résultats Avant d’entamer des estimations, nous rappelons que l’objectif de notre analyse consiste à examiner la forme réduite de l’équation (5.16) : St, m = f (Vt , l, I) . – (5.19) + (+) La variable Vt correspond au volume d’échanges anticipé, obtenu de l’estimation résumée dans (5.17). La variable l est mesurée, soit par la volatilité anticipée dans une optique plus large, soit par la GARCH estimée, ht2, deux éléments tous dérivés dans (5.18). Enfin, l’effet de I qui représente l’arrivée de nouvelles informations sur le marché est reflété, d’une part, dans l’impact qu’a le volume non anticipé, et d’autre part, dans l’incidence que crée la volatilité non anticipée, c’est-à-dire dans les deux voies par lesquelles des innovations d’informations influent sur la détermination du spread interbancaire. Outre ces variables, nous examinerons également le rôle que jouent deux variables muettes sur le spread : « l’effet de vendredi » et « l’effet de lundi ». Enfin, nous étudierons l’impact du volume d’échanges total (avant la décomposition en partie anticipée et en partie non anticipée), et celui de la volatilité totale, sur le spread, pour référence. Nous effectuons tout d’abord une estimation préliminaire par la méthode classique des MCO (moindres carrés ordinaires), pour vérifier si la relation décrite dans (5.19) existe, et si elle est significative. D’après cette estimation, le spread, quel que soit son mode de calcul (en pourcentage ou en points, au niveau ou en différence première), n’a pas, à une seule exception, de relation significative (au moins à l’intervalle de confiance à 90 %) avec toutes les variables explicatives que nous venons d’évoquer ci-dessus. Cette exception concerne la variable muette de « l’effet de vendredi », qui est pourtant seulement une variable explicative significative (influence positive) pour le spread en « points », et non pas pour le spread exprimé en pourcentage. Chapitre 5 179 Le résultat obtenu de cette première estimation révèle un problème qu’une étude microstructurelle du marché des changes à court terme est susceptible de rencontrer : la nature discrète de la variable expliquée étudiée, à savoir du spread. C’est ainsi que nous abandonnons la méthode classique d’estimation, en recourant aux modèles discrets pour estimer la relation entre le spread en points et les mêmes variables explicatives que nous venons d’analyser, afin de mieux examiner la pertinence de l’équation (5.19) servant à caractériser la dynamique du spread à court terme. Dans un premier temps, nous utilisons le modèle Probit ordonné, en transformant les spreads de notre échantillon en trois groupes. En effet, comme le montre le tableau 5-4, ces spreads se sont répartis en trois « zones » distinctes : les spread en deux points, les spreads entre 4 et 7 points, et enfin les spread en neuf ou dix points. En raison de la concentration de certains points, ce classement en trois groupes caractérise relativement bien les trois principaux différents « niveaux » du spread en vigueur sur le sous-marché étudié : le niveau faible, le niveau moyen, et enfin le niveau élevé. Nous récapitulons d’abord, dans le tableau 5-5 ci-dessous, les principaux résultats des estimations du modèle Probit ordonné, par le biais de la méthode du maximum de vraisemblance. Dans la première estimation, nous examinons l’influence du volume total, de la volatilité totale, ainsi que des deux « effets », sur le spread. Seuls le volume total et l’effet de vendredi sont des variables explicatives significatives. Ce phénomène de « significativité partielle » des coefficients de variables choisies est aussi présent dans les estimations suivantes, malgré une confirmation de la significativité de la régression pour ces cinq estimations, en vertu du test de Wald (Greene, 1993). Comme les coefficients estimés dans un modèle probit ne représentent pas l’effet marginal exact de la variable explicative sur la variable expliquée, il est nécessaire de calculer les pentes au regard de chaque probabilité pour les trois groupes de spreads. Pourtant, les signes des coefficients estimés semblent, dans la plupart de ces cinq estimations, aller à l’encontre de l’anticipation théorique. Par exemple, le volume anticipé qui représente la seule variable dont le coefficient s’avère significatif dans nos estimations, a une influence positive sur le spread, d’après le tableau 5-5. Ce coefficient positif implique que la probabilité, pour le spread de niveau élevé, augmente lors d’une hausse du volume anticipé, ce qui paraît donc contradictoire au regard de notre analyse théorique réalisée dans la section précédente. Dans une optique globale, seul le coefficient estimé de la variable muette de « l’effet de vendredi » est à la fois significatif lorsqu’il s’agit d’expliquer le niveau du spread, et « correct » selon la théorie. En effet, sa relation positive avec le spread reflète une pression plus élevée au regard Chapitre 5 180 de la gestion de position sur le marché ce jour-là, car il est impératif pour les cambistes interbancaires de remettre à zéro leur position à la fin de ce jour, afin d’éviter un risque de change trop élevé au cours du week-end. En d’autres termes, cet effet est essentiellement un effet « inventaire » dans la dynamique du spread interbancaire à court terme. Tableau 5-5 : Principaux résultats des estimations du modèle Probit ordonné1 estimation 1 variables explicatives volume total volatilité totale effet de vendredi effet de lundi μ coefficient estimé valeur de t probabilité asymptotique 0,17 2,30 0,02 0,33 0,10 0,92 0,57 2,00 0,04 0,07 0,25 0,79 0,48 3,58 0,00 vraisemblance en logarithme = -104,31 test de Wald : χ(4) = 88,61 ; probabilité = 0,00 estimation 2 variables explicatives volume anticipé volume non anticipé coefficient estimé valeur de t probabilité asymptotique 0,20 6,61 0,00 0,28 0,67 0,50 vraisemblance en logarithme = -106,88 volatilité GARCH -49,01 -0,38 0,70 μ 0,46 3,51 0,00 test de Wald : χ(3) = 77,12 ; probabilité = 0,00 estimation 3 variables explicatives volume anticipé volatilité anticipée volatilité non anticipée μ coefficient estimé valeur de t probabilité asymptotique 0,14 1,95 0,05 2,51 0,81 0,41 -5,69 -1,08 0,28 0,48 3,57 0,00 vraisemblance en logarithme = -105,76 test de Wald : χ(3) = 76,42 ; probabilité = 0,00 estimation 4 variables explicatives volume anticipé volatilité non anticipée μ coefficient estimé valeur de t probabilité asymptotique 0,19 8,26 0,00 -7,03 -1,48 0,14 0,48 3,56 0,00 vraisemblance en logarithme = -106,44 test de Wald : χ(2) = 70,06 ; probabilité = 0,00 estimation 5 variables explicatives volatilité anticipée volatilité non anticipée μ coefficient estimé valeur de t probabilité asymptotique 8,59 8,79 0,00 -2,91 -0,64 0,52 0,40 3,20 0,00 vraisemblance en logarithme = -109,85 test de Wald : χ(2) = 83,08 ; probabilité = 0,00 1 Note : En désignant S comme étant le spread (S = 1, 2, ou 3, correspondant respectivement à ses trois différents niveaux), x et b comme étant le vecteur des variables explicatives et celui de leurs coefficients à estimer, μ comme étant la variable instrumentale à estimer, et F comme étant la fonction de distribution cumulée suivant une loi normale standard, nous pouvons écrire notre modèle Probit ordonné estimé : Prob(S = 1) = F(–b΄x) ; Prob(S = 2) = F(–b΄x + μ) – F(–b΄x) ; Prob(S = 3) = –F(–b΄x + μ). Malgré cette confirmation du rôle que joue le « vendredi » sur la gestion inventaire par cambistes, rôle déjà observé lors de la première estimation via la régression classique des Chapitre 5 181 MCO, le modèle Probit ordonné semble peu approprié, au regard de la relation décrite dans l’équation (5.19). Nous avons, en revanche, constaté que la dynamique de change dans notre échantillon peut être déterminée, de manière plus satisfaisante, par un modèle de Poisson, en utilisant le « changement en points » du spread en points comme la variable expliquée, c’està-dire en utilisant les spreads sous forme de différence première discrète, qui varient dans notre échantillon entre – 8 et + 8. Pour ce qui est des variables explicatives, elles apparaissent également sous forme de différence première, à l’exception des variables muettes, et du volume et de la volatilité non anticipés, car ces derniers, calculés à partir des résidus des régressions préparatoires, représentent déjà la différence en termes d’anticipation entre le jour t – 1 et le jour t. L’opération de différence première de ceux-ci n’a donc, à cet égard, pas de sens. Nous représentons tout d’abord les principaux résultats des estimations du modèle de Poisson, dans le tableau 5-6 ci-dessous. Tableau 5-6 : Principaux résultats des estimations du modèle de Poisson1 estimation 1 variables explicatives volume anticipé2 coefficient estimé valeur de t probabilité asymptotique -18,30 -3,79 0,00 vraisemblance en logarithme = -1033 estimation 2 variables explicatives volume anticipé2 coefficient estimé valeur de t probabilité asymptotique -13,93 -2,98 0,00 vraisemblance en logarithme = -1010,34 volatilité anticipée2 volatilité non anticipée effet de vendredi effet de lundi 0,70 4,16 0,00 -1,65 -1,05 0,30 2,07 30,70 0,00 1,72 21,55 0,00 test de Wald : χ(5) = 1840,48 ; probabilité = 0,00 volatilité anticipée2 l’arrivée de « nouvelles »3 effet de vendredi effet de lundi 0,88 5,89 0,00 28,70 4,72 0,00 2,04 30,02 0,00 1,70 21,40 0,00 test de Wald : χ(5) = 1857,63 ; probabilité = 0,00 estimation 3 variables explicatives volume total2 volatilité totale2 effet de vendredi effet de lundi coefficient estimé valeur de t probabilité asymptotique 2,11 1,47 0,14 0,38 2,64 0,01 2,04 30,66 0,00 1,72 22,09 0,00 vraisemblance en logarithme = -1033 test de Wald : χ(3) = 1806,28 ; probabilité = 0,00 Notes : 1 Notre modèle de Poisson estimé est le suivant : Prob(S = i) = (e–λiλii)/(i!), i = –8, –7, …, 0, … +7, +8, et ln λi = –b΄x (x et b sont respectivement le vecteur des variables explicatives, et celui de leurs coefficients à estimer). Notons que la variable expliquée, S, est le spread en différence première, et que certaines variables explicatives sont également exprimées en différence première. 2 En différence première. 3 Voir le texte pour le calcul de cette variable. La première estimation que nous réalisons consiste à examiner la relation décrite dans (5.20), en plus des effets de vendredi et de lundi. L’arrivée de nouvelles informations est Chapitre 5 182 seulement représentée par la volatilité non anticipée, car l’entrée dans cette équation estimée des autres variables qui mesurent l’impact de cette arrivée, telles que le volume non anticipé, ou encore la GARCH estimée (ht²), a pour effet de rendre l’ensemble de la régression non significative. Cependant, comme le montre le tableau 5-6, le coefficient estimé pour la volatilité non anticipée s’avère, non seulement loin d’être significatif, mais « incorrect », car, d’après notre analyse théorique, ce signe doit être positif plutôt que négatif pourvu que la condition (5.13) soit accomplie. Les coefficients estimés pour le volume et la volatilité anticipés sont, en revanche, « conformes » à notre modèle théorique, et sont d’ailleurs significatifs. Le rôle du « vendredi » dans la dynamique du spread est encore une fois confirmé dans cette estimation. Mais celui du « lundi » l’est également. La présence d’une hausse du spread le lundi signifie que « l’effet informationnel » prédomine ce jour-là, alors que c’est « l’effet inventaire » qui est crucial le vendredi. En effet, comme le lundi (et le lendemain du jour férié) représente le recommencement d’un nouveau « cycle » d’activités après une période (le week-end et le jour férié) de « non-événements »1, le tâtonnement dans la recherche des informations nouvelles que l’on peut « sentir » sur le marché caractérise donc, le comportement clé des cambistes ce jour-là. Le moyen d’apprentissage informationnel divergeant à travers ces agents, il existe en conséquence plus de désaccords au sein du marché, ce qui crée une volatilité plus grande, et donc a pour effet d’augmenter le niveau du spread de ce jour. Etant donné que la première estimation caractérise relativement bien la dynamique du spread interbancaire, à l’exception du rôle que jouent les innovations d’informations, nous proposons, dans la seconde estimation, une approche alternative pour mesurer l’impact de ces innovations sur la détermination du spread. En fait, comme le montre le Schéma 5-2, l’arrivée de nouvelles informations affecte le spread par deux canaux : d’une part, par l’ajustement du volume d’échanges (volume non anticipé), et d’autre part, par l’ajustement des prix, reflété dans la présence d’une volatilité non anticipée. Certes, ces deux éléments ont tous, dans une optique globale, une influence positive sur le spread2. Mais des informations nouvelles 1 Il faut d’ailleurs remarquer que dans le contexte de globalisation, le marché des changes à Tokyo représente, en fait, le premier marché yen-dollar qui s’ouvre vis-à-vis des autres principaux marchés situés en Europe ou aux Etats-Unis. A cet égard, « l’effet de lundi » peut s’avérer beaucoup plus important sur le marché de Tokyo que sur les marchés européens ou américains. 2 Rappelons que cette influence est toutefois soumise aux conditions (5.8) et (5.13) d’après notre analyse théorique de la section précédente. Chapitre 5 183 peuvent, selon le contenu tout comme leur interprétation par les agents sur le marché des changes, créer des effets inverses, au niveau à la fois du volume et de la volatilité. La question qui reste consiste à déterminer l’impact net de ces deux effets sur le spread. Si l’arrivée d’une nouvelle information a déclenché, sur le marché, une hausse à la fois du volume non anticipé, et de la volatilité non anticipée, l’impact net de cette innovation d’information est sans ambiguïté : elle a pour effet d’augmenter le spread. La conclusion est symétrique lorsqu’une nouvelle information entraîne la baisse simultanée de ces deux éléments non anticipés : l’impact net de cette baisse simultanée a pour effet de diminuer le spread. En d’autres termes, la « zone grise » est en fait représentée par les deux autres situations où la nouvelle information produit certes une hausse ou une baisse du volume non anticipé, mais aussi une baisse ou une hausse de la volatilité non anticipée. Dans ces deux cas, l’impact final qu’ont ces deux éléments non anticipés sur le spread est incertain. En fait, quatre possibilités au regard de cet impact final y coexistent : positif (au regard de l’impact final qu’a la nouvelle information sur le spread) dans tous les cas, négatif dans tous les cas, positif pour l’un et négatif pour l’autre, et vice versa. En suivant la logique de cette taxonomie de possibilités, nous créons quatre séries de variables instrumentales destinées à mesurer l’impact net qu’a l’arrivée de nouvelles informations sur le spread, en multipliant le volume non anticipé par la volatilité non anticipée, et en changeant leur signe correspondant selon les quatre possibilités que nous venons d’évoquer. Parmi ces quatre nouvelles variables possibles, une seule produit un coefficient significatif et « conforme » au résultat de notre analyse théorique, à savoir positif, dans l’estimation du modèle de Poisson : il s’agit de la variable instrumentale dont l’impact net sur le spread est négatif seulement lorsque le volume et la volatilité non anticipés baissent ensemble. En d’autres termes, il s’agit d’une série de variable instrumentale créée sur la base de la « première » possibilité que nous venons d’évoquer : impact net tous positif dans les deux cas faisant partie de la « zone grise ». Les principaux résultats obtenus à partir de l’estimation réalisée par le biais de cette variable instrumentale appréhendant l’effet que crée l’arrivée de nouvelles informations sur le spread, sont présentés dans ceux de la seconde estimation dans le tableau 5-6. Cette seconde estimation caractérise le mieux, en fait, la relation entre le spread et ses déterminants, résumée dans (5.19). Enfin, la troisième estimation du modèle de Poisson sert de référence, car nous utilisons le volume total et la volatilité totale pour évaluer leur relation avec le spread. Même si la volatilité et les deux « effets » de vendredi et de lundi continuent de s’avérer être les variables explicatives pertinentes (à la fois significatives et « corrects » en termes de signe) au regard Chapitre 5 184 de la dynamique du spread interbancaire à court terme, le coefficient du volume total ne semble qu’apporter des confusions. Ce constat suggère, à cet égard, que seul le volume anticipé bénéficie d’une relation négative nette avec le spread, dans une optique de court terme. En effet, une relation négative entre le volume total et le spread ne peut être significative qu’à partir d’une dimension temporelle plus longue, où l’impact temporaire que créent des innovations d’informations est amorti au fil du temps, ce qui rend, en conséquence, les effet « idiosyncratiques » qui font apparaître le volume non anticipé (ainsi que la volatilité non anticipée) peu cruciaux dans la détermination de la dynamique du spread sur le marché interbancaire des changes. L’analyse empirique précédente de la dynamique du spread interbancaire à court terme propose quatre conclusions essentielles. D’abord, elle confirme la pertinence de notre analyse théorique réalisée dans la section précédente, en particulier la pertinence au regard du lien que nous avons déduit, entre le spread et ses principaux déterminants, lien précédemment synthétisé dans le schéma 5-2. Ensuite, cette analyse valide une hypothèse que nous avons faite, de manière implicite, au regard de la relation entre le spread et l’arrivée de nouvelles informations sur le marché des changes. Grâce au recours aux variables instrumentales, nous avons montré que l’impact net que crée cette innovation informationnelle sur le spread et positif, sauf lorsqu’elle entraîne une baisse simultanée du volume et de la volatilité non anticipés. En fait, ce cas exceptionnel reflète une baisse globale du niveau de « non-synchronisation » des ordres sur le marché, affectée par l’arrivée d’une sorte de « bonne » nouvelle, ce qui a pour effet d’améliorer la liquidité du marché, et de diminuer donc le niveau du spread. Puis, notre analyse empirique montre que la relation entre le spread et ses principaux déterminants à court terme peut être identifiée, le mieux, par un modèle de Poisson dans lequel les variables, explicatives (pour la plupart d’entre elles) et expliquée, s’expriment en différence première. La validation de cette forme de spécification implique, à cet égard, que la relation concernant la dynamique microstructurelle du spread à court terme soit de nature discrète plutôt que continue, non linéaire plutôt que linéaire, et dynamique plutôt que statique (c’est-à-dire que cette relation se fonde sur un lien entre les variables en termes de croissance, et non pas de niveau). En d’autres termes, une analyse empirique adéquate de cette relation nécessite une approche qui soit une alternative à la régression linéaire traditionnelle. Enfin, par le biais d’une estimation de nature référentielle sur le lien entre le spread et le volume de transactions total, notre analyse empirique montre que ce lien est loin d’être fondé Chapitre 5 185 dans une dimension de court terme, ce qui met en valeur, de nouveau, la pertinence d’une distinction nécessaire, récapitulée dans le tableau 5-1, entre les « trois niveaux » d’analyse dans l’étude microstructurelle du marché des changes. C’est en suivant cette distinction que nous examinerons, dans la section suivante, la dynamique de la microstructure de ce marché, dans une optique de long terme, à savoir au « niveau 3 ». VI. La dynamique microstructurelle du marché des changes : du court terme au long terme Dans les trois sections précédentes, notre étude porte essentiellement sur la dynamique microstructurelle du marché des changes, dans une optique de court terme. Comme le montre notre taxonomie résumée dans le tableau 5-1, l’objectif principal des études de cette dimension temporelle consiste à déterminer, en présence des « chocs idiosyncratiques » affectant le « sous-marché » étudié, la formation à court terme des prix et, et en particulier, du spread qu’impliquent ces derniers. En effet, ces chocs aléatoires, qui prennent souvent la forme d’innovations d’informations modifiant les flux des ordres sur le marché des changes, représentent, pour les cambistes interbancaires, le facteur crucial (qui n’est pourtant pas le seul) dans la détermination du mode de leur gestion de position, élément clé pour la formation des prix sur ce marché. La présence des chocs idiosyncratiques sur le marché des changes devient, pourtant, quasi invisible à long terme, étant donné que leur impact sur la dynamique de change est par nature temporaire. Ce sont, au contraire, les « chocs systématiques » présents sur le marché des changes qui jouent le rôle primordial dans la détermination des prix et du spread de ce marché. Il faut toutefois souligner que la nature de ces « chocs systématiques » est a priori prédéterminée dans une optique de long terme, car elle s’apparente principalement à deux facteurs qui sont par nature constants au fils du temps : le mode de fonctionnement du marché d’une part, et la relation entre les devises échangées dans l’économie internationale d’autre part. Le premier élément est constant parce qu’il dépend essentiellement de la règle de transaction en vigueur sur le marché, laquelle reste inchangée sauf en cas de réforme institutionnelle, tandis que le second l’est en raison de l’influence de « l’effet d’inertie » sur l’évolution du statut de chaque devise vis-à-vis des autres sur la scène internationale. A cet égard, mener une étude microstructurelle du marché des changes de type « niveau 1 » ou de type « niveau 2 » pour examiner la dynamique de la microstructure du marché des change à long terme, risque de s’avérer à la fois superflu et artificiel. Il convient, en revanche, Chapitre 5 186 d’analyser cette dynamique, en examinant un autre sujet : il s’agit, en fait, du phénomène de monnaie véhiculaire, en partie étudié dans le chapitre 1 (sous-section IV-2), le chapitre 2 (sous-section II-1), ainsi que le chapitre 4 (sous-section VI-3). En effet, si le mode de fonctionnement est certes par définition similaire, voire identique, à travers tous les sous-marchés des changes, les éléments caractérisant la relation entre chaque couple de devises échangées sur ces sous-marchés sont, en revanche, loin d’être homogènes. Aussi la nature des « chocs systématiques » diverge-t-elle, entre ces sousmarchés, ce qui rend hétérogène le niveau du spread déterminé sur chaque sous-marché hétérogène, au sein de l’ensemble du marché des changes. Cet écart en termes de niveau du spread interbancaire entre sous-marchés est non seulement constant au fil du temps, en raison de « l’effet d’inertie », mais peut s’avérer significatif entre certains sous-marchés. En cas d’écart extrême, ce dernier jouera le rôle primordial dans la dynamique microstructurelle de long terme du marché des changes. Sur un marché des changes où coexistent n monnaies nationales, ce marché doit, en théorie, comprendre n(n – 1)/2 sous-marchés. Mais en réalité, le nombre de sous-marchés qui sont en fonction peut s’avérer moindre en présence de l’hétérogénéité des spreads à travers ces n(n – 1)/2 « sous-marchés théoriques ». En effet, dans une optique de long terme, certains d’entre eux sont forcés de cesser de fonctionner, pour enfin disparaître de facto du marché des changes. La disparition de ces sous-marchés est due à la détermination d’un spread prohibitif appliqué à l’échange du couple de devises sur ceux-ci. Si nous reprenons notre modèle d’analyse développé dans la section IV, nous constatons qu’un tel spread ne peut être proposé que sur un marché où, soit le volume d’échanges s’avère extrêmement faible, soit la volatilité anticipée est extrêmement élevée à cause d’une irrégularité insoutenable des flux d’ordres, soit les deux. Dans tous les cas, la présence d’un spread prohibitif reflète un niveau de « cohésion » extrêmement faible entre les deux monnaies échangées sur ce marché. En présence du spread extrême en vigueur sur certains sous-marchés « interdits », l’exécution directe d’un ordre d’échange des devises connexes devient très coûteuse (du fait que le spread représente le coût de transaction principal dans un échange de devises) et souvent incertaine. C’est dans cet esprit qu’un cambiste repasse souvent systématiquement ce type d’ordre initial sur d’autres sous-marchés « non interdits », afin de réussir à l’exécuter par le biais d’une double réalisation de l’échange de devises via une devise intermédiaire, à savoir la « monnaie véhiculaire ». Dans un premier temps, il réalise un échange entre l’une des deux devises destinées au départ à être directement échangées, et cette monnaie Chapitre 5 187 véhiculaire. Dans un second temps, il effectue une opération de nature inverse1 entre la monnaie véhiculaire et la seconde des deux devises concernées. La logique de cette double opération correspond exactement à celle qui caractérise l’évolution du troc passant à l’économie monétaire, sujet que nous avons analysé dans la section I du premier chapitre. Il s’agit, en effet, d’une logique fondée sur le fait que l’échange indirect des biens (ou des monnaies dans le cas du marché des changes) s’avère plus économique (et donc plus efficace) que l’échange direct, en présence de l’incertitude concernant le processus d’échange. Dans le cas de l’échange indirect réalisé sur le marché des changes, une monnaie véhiculaire X est utilisée pour réaliser l’échange d’un couple de devises (A et B), lorsque : SAB > SAX + SBX . (5.20) Dans cette condition, SAB, SAX, et SBX, représentent respectivement les spreads en vigueur sur les sous-marchés des monnaies A et B, A et X, et, B et X. Le spread représentant le coût de transaction pour un agent qui cherche à acheter ou à vendre des devises, son recours à la monnaie véhiculaire X, recours fondé sur la condition ci-dessus, implique une réduction nette de ce coût nécessaire, pour l’achat ou la vente de devises qu’il souhaite. Pour cet agent, la réduction de coût de transaction correspond à un gain implicite, dont l’ampleur peut s’avérer non négligeable, si l’écart entre SAB et SAX + SBX est important. Il est pourtant indispensable de faire remarquer que la condition (5.20) n’est pas seulement un critère statique applicable à l’utilisation ou non d’une monnaie véhiculaire ayant pour but une réduction du coût de transaction sur le marché des changes. Elle crée, en fait, la dynamique microstructurelle de ce marché à long terme, dynamique reflétée dans l’émergence graduelle de cette monnaie véhiculaire sur le marché. En effet, la présence persistante de la condition (5.20) a pour effet de favoriser la position clé de la monnaie X au fil du temps, en déclenchant un cercle vertueux pour son rôle d’intermédiaire sur le marché, et un cercle vicieux pour l’échange direct entre les monnaies A et B. D’une part, le recours systématique à la monnaie véhiculaire X pour réaliser des échanges entre les monnaies A et B renforce davantage le niveau de cohésion entre X et A, et celui entre X et B. D’autre part, comme l’échange direct entre les monnaies A et B se fait de moins en moins, le degré de cohésion entre celles-ci se détériore progressivement sur le marché. En conséquence, ce processus d’évolution en matière de « cohésion monétaire » entraîne une baisse supplémentaire du 1 Par exemple, s’il s’agit d’un achat de la monnaie véhiculaire dans le premier échange, cette monnaie sera vendue lors de la seconde transaction, et vice versa. Chapitre 5 188 spread sur les sous-marchés liés à la monnaie X, grâce à une multiplication constante de son volume d’échanges. Quant aux monnaies « non véhiculaires », l’échange direct entre elles ne devient que plus difficile et plus coûteux. En d’autres termes, nous observerons une tendance à la hausse de l’écart entre SAB et SAX + SBX. Il faut d’ailleurs souligner qu’au cours de ce processus d’ajustement du mode d’échange dominant sur le marché des changes, « l’effet d’inertie » jouera également son rôle en faveur du statut clé de la monnaie X, et au détriment de celui de la monnaie A, et de celui de la monnaie B. Le résultat final de cette dynamique créée par la condition (5.20) réside dans une coexistence de deux structures de transaction distinctes sur le marché des changes à long terme. D’un côté, il s’agit de la structure du paiement qui caractérise les flux d’ordres initiaux, en termes de relations bilatérales entre monnaies présentes sur ce marché. Cette structure reflète essentiellement la cohésion en termes de commerce extérieur et de flux financiers entre les pays qui émettent ces devises. De l’autre, c’est la structure de l’échange qui ne représente que les relations bilatérales monétaires, au regard des transactions réalisées sur le marché des changes, c’est-à-dire les « sous-marchés » qui y fonctionnent. Aussi, la structure de l’échange, forme réduite de la structure du paiement, représente-t-elle l’élément clé dans l’analyse microstructurelle du marché des changes au « niveau 3 », à savoir dans une optique de long terme. Dans l’économie actuelle, le dollar américain continue de servir de monnaie véhiculaire par excellence sur le marché des changes, grâce à sa forte cohésion avec la plupart des monnaies nationales existant dans le monde monétaire. En fait, cette cohésion, comme nous l’avons montré dans la section VII du chapitre 2, s’est établie, en particulier, depuis la mise en place du système monétaire de Bretton Woods où le billet vert jouait le rôle de devise clé. C’est ainsi que nous approfondirons l’évolution de son rôle véhiculaire, dans la section I du chapitre suivant, où la dynamique de change sera examinée, sous un angle empirique et macroscopique, dans le contexte de globalisation. Chapitre 5 189