PICON-VALLIN, Béatrice, Meyerhold (1900), Paris, éditions du CNRS, Les Voies de la création
théâtrale, vol.17, coll. « Arts du spectacle » Béatrice Picon-Vallin (dir.) , 2004.
Introduction
[…]
Mais au théâtre, les deux faces de la révolte contre le réalisme académique, naturalisme et symbolisme
(11), prennent des aspects spécifiques quoique tardifs, liés d’une part aux dramaturgies d’A.
Tchekhov et d’A. Blok, d’autre part à des données historiques : l’entrée dans une période de violentes
crises politiques et sociales, le rôle que tient le théâtre dans la société russe où, en réaction contre la
dégradation de la scène professionnelle, se développent un théâtre amateur et un théâtre pour le peuple
qui souvent coïncident, mouvement dont sont issus Stanislavski, Meyerhold, Vakhtangov, enfin le
grand intérêt que portent les symbolistes russes à la scène et qu’ils manifestent dans une production
dramaturgique, une pensée théorique et utopiste. p.13
La première constante, c’est, bien sûr, l’irréversible condamnation du naturalisme, des principes de
reproduction, d’indentification, c’est la négation du « revivre », du sentimental, de l’anecdotique. A
partir de 1905, la scène n’est plus pour Meyerhold un miroir, ni le cadre de scène un trou de serrure.
D’abord voilée pour mieux révéler, elle deviendra lentille qui fragmente, concentre le réel, l’éloigne
ou l’affine.
La seconde constante, c’est la volonté de prendre des risques. […] (Il place le public au cœur de
l’œuvre créée.)
La troisième constante concerne les rapports entre la scène et la vie : « Le théâtre est un art, et en
même temps peut-être quelque chose de plus qu’un art » (37). Ce credo reprend la confession faite à
Tchekhov en 1901 : « Je voudrais flamber de l’esprit de mon temps. Je voudrais que tous ceux qui
servent la scène prennent conscience de leur grande mission (…). Oui, le théâtre peut jouer un rôle
énorme dans la réorganisation de tout ce qui existe » (38)
[…] rupture par rapport aux idées tchernychevskienne ou tolstoïennes qui dominent au XIXème siècle,
à cette tradition russe d’un art directement utile et éducatif, de théâtre chaire qui prêche, enseigne ou
transmet une culture, une morale et des sentiments, théâtre où ni Gogol, ni p.18
Tchekhov, ni Shakespeare ne trouvent leur place. « La vie est un jeu », affirme Meyerhold d-s 1901.
[…]
La vie est transformée, intensifiée par un jeu scénique organisé dont l’impact doit venir à bout de toute
cette somnolence russe, celle dont se plaint Andreï Prozorov à l’acte IV des Trois Sœurs. Mais avant
de changer l’homme, il s’agit, dans ce théâtre, de changer le spectateur, de transformer son regard et
son écoute.
Grotesque double référence / acteurs japonais & leur gestuelle apparentée à la danse + les clowns exentriques.
Le grotesque comme l’essence de la théâtralité. p.19
Grotesque : courant souterrain, s’exacerbe et jaillit aux époques de grandes mutations sociales,
culturelles, scientifiques et techniques qui transforment en profondeur la vision qu’une société peut
avoir d’elle-même et du monde, pour être repoussé, refoulé aux époques de stabilisation. p.20
Baraque de foire et bal masqué
L’amitié d’écrivains comme A. Remizov, A. Tchekhov, J. Baltrusaïtis, l’oriente vers des activités
d’écriture et de traduction. En jouant dans La Mouette, le rôle de Treplev, révolté à la recherche de
formes nouvelles, il vit sur scène son propre drame de créateur (1) et ce rôle, qui lui apporte la gloire,
l’aide aussi à devenir lui-même. A travers Tchekhov et ses interventions chez Stanislavski, au
moment des répétitions de La Mouette, sur le caractère conventionnel de la scène (2), Meyerhold
prend progressivement ses distances et quitte le théâtre artistique en 1902 pour former sa propre
troupe, avec laquelle il s’installe en province où, dans un premier temps, il utilise son expérience
stanislavkienne. p.26