« méthode Jacotot » applicable à tous les enseignements. Si vous enseignez la philosophie, la
synthèse de ce que vous avez dit sera faite de 20 ou 30 façons. C’est sans doute différent en
mathématique où il est difficile à chacun d’en faire « son poème ». Le fantasme pédagogique « ce
qui est dans ma tête passe dans la tienne » est fondé sur l’idée qu’il y a identité entre la position
du savant et celle du maître. Jacotot dit : elles sont fondamentalement différentes. Savoir une
matière n’entraîne nullement une capacité à faire que d’autres personnes entrent en possession
de ce que l’on sait soi-même. Jacotot propose de réfléchir au-delà de la situation actuelle, La
position classique de la pédagogie consiste à rechercher le moyen par lequel le savoir du maître
se rend consommable par l’élève. Ce qui suppose une double maîtrise : celui qui sait doit être aussi
celui qui trouve les moyens en question. Jacotot enfonce un coin à cet endroit et dit que rien ne
passe d’un cerveau dans un autre. Il y a des mots, il y a des exemples. Il y a une exposition. Mais
il va bien falloir qu’une autre intelligence s’en empare et en fasse son acquis. Et pour cela, il faut
qu’il y ait une forme d’égalité entre le maître et l’élève. C’est tout le paradoxe de l’explication :
si le maître explique à l’élève, et que l’élève ne comprend pas les mots du maître, il n’y aura pas
explication. Il faut toujours un minimum d’égalité. Jacotot pose une espèce d’alternative : ou bien
on pose une situation inégalitaire « Je sais, tu ne sais pas, et il va falloir se débrouiller pour que
tu saches » ou bien on renverse le jeu « Ce que je t’enseigne, tu ne le sauras que sur la base du
fait que tu sais comme moi te servir de ta langue et de ton cerveau ». La question se pose donc en
terme de rapport entre savoir et distribution du savoir. Pour Jacotot la logique traditionnelle de
l’explication est une logique de consécration indéfinie de l’inégalité. « Je sais, je dis que je vais te
transmettre ce que je sais, comme cela nous serons égaux »… mais en réalité cela ne fonctionne
jamais comme ça, car il y a toujours un savoir de plus du côté du maître, et l’élève apprend de plus
qu’il ne saurait pas si le maître ne lui expliquait pas.
Ce livre est paru en 1987 à l’époque de la grande agitation républicains contre
pédagos/sociologues : l’école ne produit pas de l’égalité, comment va-t-on la produire ? Avec une
opposition entre ceux qui disaient puisqu’on part de l’inégalité, il faut prendre en compte les
situations réelles de départ, il faut objectiver les inégalités devant le savoir et ceux qui disaient,
non, absolument pas, si l’école enseigne, c’est dans la mesure où elle ne se préoccupe pas de
prendre en compte ceux qui sont en face du savoir, et qu’elle distribue à tous le même savoir, ce
dernier étant supposé être la source même de l’égalité. Avec ce livre j’ai essayé de dire « si on
part de l’inégalité on arrivera toujours à l’inégalité ». Si on veut arriver à l’égalité il faut partir
de l’égalité, partir de l’idée qu’on n’a pas à faire à un savant et un ignorant mais à deux savants.
Si l’élève doit apprendre quelque chose de nouveau, ce sera à partir de ce qu’il sait, à partir du
plein de ce qu’il sait et pas du vide. La démarche de Jacotot est en quelque sorte « anti-école »,
considérant que comme institution elle ne peut que reproduire cette inégalité. Mais si on prend au
sérieux son interrogation, elle nous met dans l’embarras et nous pose un certain nombre de
problèmes.
Questions : pour enseigner il faut donc qu’il y ait égalité au départ mais cela ne s’oppose-t-il pas à
la notion de rupture, de saut qualitatif inhérente aux apprentissages ? L’enseignant est-il alors
une simple personne ressource ?
JR : il ne faut pas penser égalité en terme de niveau. Elle se pose en terme qualitatif : je
présuppose que ce que je dis à celui qui est en face de moi est compréhensible par lui car il utilise
la même intelligence que moi. C’est vrai que la philosophie de l’école pose les choses en terme de
rupture : j’ai des « sauvages » en face de moi, comment leur faire accéder à autre chose ? Elle
suppose qu’il y a des types d’intelligence différents. C’est pour cela que Jacotot utilise très
souvent un terme comme « deviner » pour parler de ceux qui vont à l’aveuglette, à l’aventure et
ceux qui procèdent par raison, par méthode…Jacotot dit, la vraie méthode de l’esprit humain est
« la devinette ». Il ne s’agit donc pas de poser les problèmes en terme de niveau. Il y a bien sûr
des ruptures au sein des apprentissages, mais ces ruptures ne s’identifient pas au fait qu’il y