Commentaire séance 3 Commentaire de la partie XI de la

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Amélie Le Bœuf
Droit international Public
Licence 3 Groupe 2
Séance 3
Commentaire de la partie XI de la Convention de Montego Bay de 1982 à la lumière des
Accords de New York de 1994
Dans le cadre de sa fonction régulatrice des relations internationales, il appartient au droit
international de fixer les statuts juridiques des espaces terrestres et maritimes. C’est pourquoi il joue
un rôle non seulement dans la réglementation des territoires nationaux, mais aussi dans celle des
espaces communs, c’est-à-dire qui ne sont pas dominés par une souveraineté exclusive. C’est ainsi que
le droit de la mer a fait l’objet d’un développement et d’une codification progressive. La nécessité
d’une « convention nouvelle sur le droit de la mer ... acceptable » se renforce après la convention de
Genève de 1958, dans le cadre d’un nouvel ordre international qui prône le partage des richesses. Les
travaux aboutissent alors à la création d’un nouvel espace commun – plus exactement, un espace
maritime internationalisé, la zone internationale des fonds marins. Son régime juridique est développé
dans la partie XI de la Convention des Nations Unies de 1982, dit de Montego Bay, qui est une des
conventions les plus importantes du droit international de la mer. La zone internationale des fonds
marins est un espace déclaré patrimoine de l’humanité. Défendue dès 1967 par Arvid Pardo, cette
notion est consacrée dans une Résolution des Nations Unies de 1970 appelée « Déclaration des
principes régissant le fond des mers et des océans, ainsi que de leur sous-sol au-delà des limites de la
juridiction nationale ». Elle échappe par ce biais à l’emprise des souverainetés. Concrètement, aucun
État ne peut s’approprier celui-ci, mais il a la possibilité d’en jouir. Décrite au premier article de la
convention, la zone correspond à l’espace englobant fonds marins et sous-sols, débutant là où prend
fin le plateau continental. La partie XI organise une gestion commune et égalitaire des ressources de
cet espace sous l’égide d’un organe nommé l’Autorité qui est assistée d’un organe opérationnel
nommé l’Entreprise. Un régime spécial d’appropriation collective de la zone internationale en faveur
des pays du tiers-monde est mis en place, en permettant la diffusion des connaissances techniques de
tout État développant des activités dans cet espace maritime. Non seulement les ressources doivent
profiter à tous – comme le souhaitent les États du Tiers Monde dans leurs revendications – mais les
avancées technologiques des États puissants constituent des richesses qui doivent être diffusées. Or si
cette partie constitue l’aspect le plus novateur de la convention, elle est aussi emblématique des
tensions entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement. Dès 1982, les États
prennent des mesures unilatérales pour préserver leurs droits en prétendant anticiper la mise en place
du régime de la convention. Mais alors qu’une signature seulement était nécessaire pour que le texte
entre en vigueur, les États ont tenu à renégocier cette avancée. Ce n’est qu’après le consensus de
l’accord de New York de 1994 relatifs à la partie XI que la convention de Montego Bay a pu entrer en
vigueur. Pourquoi peut-on dire que sous couvert de précision sur l’application du régime juridique de
la zone internationale, une révision substantielle a été opérée ? La difficulté tenait à organiser le
régime juridique d’un espace commun à l’humanité. La gestion des activités liées aux ressources de la
zone internationale des fonds marins est organisée par l’Autorité, un organe permettant le concours de
tous les États membres. Néanmoins, les modifications apportées aux dispositions touchent à la portée
même du rôle de l’Autorité (I). L’interprétation de l’Accord montre que, si la société internationale
avait pour volonté de veiller à ce que la mise en valeur de cet espace commun soit utile à tous, cette
dernière a en réalité cédé le pas à la volonté des États industrialisés (II).
I.
Le régime juridique de la zone internationale des fonds marins de la partie XI,
mis en application par l’Accord de 1994
Le régime juridique originellement instauré permet de faire participer le Tiers-monde et ainsi
d’en favoriser le développement (A). Mais les mécanismes nouveaux développés dans la partie XI ne
satisfont pas les États industrialisés. Attachés à leurs avancées technologiques, ils ont tenu à faire des
précisions sur sa mise en application, vidant de fait, le texte de sa substance (B).
A.
Le régime juridique de la partie XI de la Convention de Montego Bay : une
organisation démocratique en faveur des pays en voie de développement
Les Nations Unies estiment que le droit de la mer est important pour « la paix, la sécurité... la
coopération et les relations amicales entre toutes les nations, conformément aux principes de justice et
d'égalité des droits, et favoriseront le progrès économique et social de tous les peuples du monde ».
Dans cette logique, il s’organise un régime d’exploration et d’exploitation qui fait participer tous les
États parties et qui bénéficie de manière équitable et équilibrée à tous.
- Article 156 Création de l’Autorité internationale des fonds marins : l’assemblée plénière en est
l’organe central. Article 160 : « organe suprême ». À travers elle, les États dans leur ensemble
organisent et contrôlent les activités faites dans la zone. Article 159 – 6 « chaque membre a une
voix ». Article 157 – 3 « principe de l’égalité souveraine de tous ses membres » On s’inscrit ici dans
une optique de fonctionnement démocratique, avec des votes à majorité des membres présents ou
votants ou à majorité des deux tiers des membres présents et votants. La participation est commune
et voulue égalitaire.
- L’Autorité est accompagnée d’un Conseil de 36 membres (donc, un organe plus restreint) : organe
de proposition et d’exécution, ainsi que d’un organe opérationnel nommé l’Entreprise : celui-ci
exploite la zone pour les pays en voie de développement. L’exploitation est opérée par l’Entreprise,
par les États partie ou des personnes publiques ou privées qui relèvent de leur juridiction. Il faut une
autorisation de l’Autorité avec l’approbation du conseil sur le projet avant qu’un contrat soit formé.
Les formalités sont payantes.
- Ceux qui intervenaient devaient transférer leurs moyens et connaissances aux pays en voie de
développement par le biais de l’Entreprise. C’est ce qui a suscité le plus d’opposition. On veut
établir le partage des richesses : compétences, connaissances doivent profiter à tous. (Opposition
notamment de la France, de la Corée du Nord). Dans les mesures de l’article 160, il apparaît que
l’Autorité a un pouvoir d’ajustement économique : mécanisme de redistribution des fruits de
l’exploitation.
Finalement, on veut de réparer des inégalités géographiques, économiques et technologiques par
la valorisation d’un espace et de ses ressources. Or cela demande une participation importante des
pays industrialisés, tant sur le plan financier que technique. Le régime créé n’est pas évident à accepter
pour un certain nombre d’État. Il est question de la perte du monopole de leurs technologies, dans une
époque ou l’opposition entre les blocs Est – Ouest est encore forte. Jusqu’en 1982, différents pays ont
adopté des règles juridiques unilatérales afin de préserver leurs avances technologiques : dès 1980
pour la France, l’Allemagne ainsi que la Grande-Bretagne et en 1983 pour le Japon, l’URSS... Tout en
reconnaissant la « contribution à la justice et au progrès pour tous les peuples du monde », les États
conviennent qu’un accord « est le meilleur moyen d’atteindre cet objectif ».
B.
L’interprétation du régime issu de l’Accord de 1994 : la mise à l’écart des pays en
voie de développement
Avant l’entrée en vigueur de la convention, des lois nationales ont instauré des régimes
nationaux de licence d’exploitation et d’exploration de la zone internationale des fonds marins.
Conclusion d’accords. Ces initiatives sont provisoires et sont censées prendre en compte la
Convention.
- À la date butoir, ils ont estimé une renégociation nécessaire pour revoir la partie XI : « considérant
que le meilleur moyen d’atteindre cet objectif est de conclure un accord relatif à l’application de la
partie XI ». En réalité, ils ont à travers leurs précisions, révisé les dispositions et annexes, ce qui a
nécessité une nouvelle ratification : il n’est entré en vigueur qu’en 1996 et s’est incorporé dans la
Convention : article 2 de l’Accord « les dispositions du présent Accord et de la partie XI doivent
être interprétées et appliquées ensemble comme un seul et même instrument ». Mais une précision
capitale et lourde de sens est apportée à la suite : « en cas d’incompatibilité entre le présent Accord
et la partie XI, les dispositions du présent Accord l’emportent ». L’Autorité est conservée, mais voit
ses compétences réduites afin d’être acceptable pour les États industrialisés.
- Accent mis sur le consensus : « en règle général, les organes ... s’efforcent de prendre leurs
décisions par consensus » (section 3, 2) et non plus sur le vote majoritaire : les pays puissants sont
favorisés au détriment des pays en voie de développement qui ne peuvent plus obtenir la majorité.
Le Conseil peut, dans certains cas, décider par consensus, si l’opposition de la majorité n’est pas
suscitée (section 3, 5).
- Renforcement du Conseil – l’organe restreint : l’Assemblée est obligée de collaborer en ce qui
concerne la politique générale : « les politiques générales de l’Autorité sont arrêtées par
l’Assemblée en collaboration avec le Conseil » (section 3, 1), « les décisions de l’Assemblée ... sont
fondées sur les recommandations du Conseil » (section 3, 4).
- Le rôle de l’Entreprise est effacé : lorsque le fonds est économiquement rentable les opérations sont
conjointes avec les entreprises nationales. C’est le Conseil qui décide ou non son fonctionnement
(section 2, 2).
- Atténuation des techniques permettant le partage des richesses : les transferts techniques ne sont
plus automatiques ni gratuits. « L’obligation des États parties de financer un site minier de
l’Entreprise... ne s’applique pas » (section 2, 3).
- Réduction des dépenses et soumission à l’économie de marché : section 1 de l’annexe, « afin de
réduire au minimum les coûts à la charge des États Parties, tous les organes... devront répondre à un
souci d’économie » alors que la partie XI prévoyait que l’Autorité avait le pouvoir de « créer les
organes subsidiaires qu’elle jugeait nécessaires » L’Autorité est soumise aux « besoins
fonctionnels » et tient compte de la « situation du marché mondial... ».
Le régime juridique issu de la Convention de Montego Bay a été révisé par l’accord relatif à son
application. Tant sur le plan de l’organisation des organes que sur le plan des procédures, des
modifications ont été faites afin de donner satisfaction aux grandes puissances. La partie XI a pourtant
été rédigée dans l’esprit de la Chartre des Nations Unies et de la Résolution de 1970 qui déclare les
principes « régissant le fond des mers et océans, ainsi que leur sous-sol, au delà des limites de la
juridiction nationale ». En effet, la société internationale doit veiller au partage équitable des
ressources de la zone : elle ne doit profiter à personne en particulier mais à l’humanité tout entière.
Or, l’interprétation de l’Accord de 1994 le montre, l’économie de marché a primé sur l’équité voulue
par la partie XI (II).
II.
La relativisation des ambitions de la Convention de Montego Bay dans la partie
XI par l’Accord de 1994
La zone internationale des fonds marins est qualifiée de patrimoine de l’humanité ce qui
s’inscrit dans l’idéologie marquant la convention de Montego Bay. La volonté de voir un partage
équitable des ressources planétaires demeure (A) mais il est en partie altéré par la priorité donné à
l’investissement privé (B).
A.
L’idéologie d’un ordre économique international juste et équitable : la notion de
patrimoine commun de l’humanité
La Résolution de 1970 déclare que « le fond des mers et des océans, ainsi que leur sous-sol audelà de la limite de la juridiction nationale et les ressources de la zone sont le patrimoine commun de
l’humanité ». Ce principe guide le régime juridique créé pour la Zone internationale des fonds marins.
- Définition précise de la zone internationale des fonds marins : article 1 et article 136 de la partie XI:
il s’agit des fonds marins et sous sols, là où se terminent le plateau continental et avec lui, la
juridiction nationale. L’article 136 définit quelles sont les ressources minérales qui s’y trouvent
(référence aux nodules poly métalliques). Celles-ci sont déclarées « patrimoine commun de
l’humanité ».
- La notion désigne des biens que l’on considère comme appartenant à la communauté internationale
représentée par tous les États. C’est une notion abstraite qui s’inscrit dans l’idée d’un ordre
international économique qui profite à tous les États et plus spécifiquement au pays en
développement. Article 140 « dans l’intérêt de l’humanité ».
- La zone est exploitée dans les intérêts et les besoins des « pays en développement, qu’ils soient
côtiers ou sans littoral » : régime spécial d’appropriation collective. Elle est mise en valeur de
manière utile pour tout le monde en favorisant « le développement de l’économie mondiale » et « la
croissance équilibrée du commerce international »
- La zone ne peut être appropriée : Article 137 « aucun État ne peut revendiquer ou exercer de
souveraineté ou de droits souverains sur une partie quelconque de la zone ou de ses ressources »
La zone est exploitée dans les intérêts et les besoins des « pays en développement, qu’ils soient
côtiers ou sans littoral » : régime spécial d’appropriation collective. Elle est mise en valeur de manière
utile pour tout le monde en favorisant « le développement de l’économie mondiale » et « la croissance
équilibrée du commerce international ». Or, l’Accord entend soumettre les activités de la zone, non
plus à un soucis de mise en valeur, mais à un soucis d’économie viable.
B.
Le régime issu de 1994 contraire à l’esprit premier de la partie XI : la primauté de
l’économie de marché
Les Nations Unies envisageaient une exploitation utile de la zone et de ses ressources, avec la
participation des États industrialisés, en faveur des pays en voie de développement. L’Accord replace
le régime juridique dans une logique d’économie de marché. L’exploitation et l’exploration de la zone,
au lieu de favoriser l’économie mondiale pour tous, est soumise à celle-ci. La logique de
l’investissement privé l’emporte sur l’idéologie de redistribution des richesses. On écarte pas l’idée
d’un partage juste et équitable, mais celui dépend de conditions économiques et commerciales,
convenues à travers des accords ou des contrats.
- « Notant les changements politiques et économiques, y compris les orientations fondées sur
l’économie de marché, qui affectent l’application de la partie XI » : Les États dans leur
renégociation, entendent soumettre l’Autorité aux cours des métaux, c’est à dire au marché mondial.
- L’Accord met en avant un point que la partie XI ne mentionnait pas, c’est-à-dire l’impact des
activités d’exploitation des minéraux sur les pays dont l’économie est basée sur cette même
production, mais terrestre. L’autorité doit tenir compte de « l’impact potentiel ».
- Le fonctionnement indépendant de l’Entreprise n’est possible que si le Conseil en a donné
l’autorisation. Il soumet son accord à la conformité de l’opération « aux principes d’une saine
gestion commerciale ». Alors que celle-ci devait fonctionner pour les intérêts des États du Tiers
Monde, les États industrialisés la soumettent à une gestion commerciale. Les activités sont menées
de manière utilitariste, et non plus « utile ».
La partie XI est issue d’une Convention qui a réuni une grande partie de la communauté
internationale. Le débat important tournait autour de l’accès et le partage des avantages. Les moyens
d’un pays sont mis au service d’un autre. Finalement, bien que l’Accord soit une remise en cause des
principes idéologiques guidant le régime des fonds marins, il reste un compromis entre les pays en
voie de développement riches en biodiversités et les pays industrialisés dotés des technologies. Ce
conflit d’intérêt a primé sur la recherche d’un régime juridique qui permettrait non seulement de gérer
l’utilisation de la biodiversité de la zone internationale des fonds marins mais aussi de se préoccuper
de sa conservation.
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