Résumé

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ANDRE
Julien
M1 SCA
De l’Existence des
Patterns
Daniel C. DENNETT
Philosophie Cognitive
année 2006/2007
Sommaire
Résumé .....................................................................................4
Réalisme et objets abstraits ................................................................................. 4
Psychologie populaire et patterns ....................................................................... 5
La réalité des patterns .......................................................................................... 5
Aptitudes à discerner un pattern ......................................................................... 6
Précision contre simplicité ?................................................................................ 6
Les patterns dans le monde de Life .................................................................... 7
Monde de Life et machine de Turing ................................................................... 8
Fodor et le pattern pur .......................................................................................... 8
L’effet statistique de Dennett ............................................................................... 9
Réalisme et langage ............................................................................................ 10
Interprétations rivales ......................................................................................... 10
Dennett et les autres ........................................................................................... 11
Critiques ..................................................................................13
Les « objets utiles » ............................................................................................ 13
Les analogies employées ................................................................................... 13
La simulation du monde de Life......................................................................... 14
La réalité des patterns ........................................................................................ 15
La position de l’auteur ........................................................................................ 15
Résumé
Réalisme et objets abstraits
Pour commencer, Daniel Dennett va se pencher (une fois de plus) sur le point de vue
qui voudrait que les croyances puissent être perçues avec un oeil réaliste. L’un des
argument majeur de l’auteur a été celui des « centres de gravité » ou de tout autre objet
auquel on ne peut vraisemblablement pas prêter une existence propre. Autrement dit des
éléments qui semblent impensables à expliquer d’un point de vue réaliste.
D’une manière plus générale, Daniel Dennett s’interroge sur notre perception et notre
utilisation de tous ces objets « abstraits » mais qui sont pourtant des éléments que nous
manipulons sans cesse. Déjà et surtout afin d’élaborer, ou de justifier, des théories
scientifiques comme dans le cas typique du « centre de gravité ». Ainsi, on tend plus
facilement à prêter une réalité « physique » aux centres de gravité car ces points, pourtant
imaginaires, permettent les calculs de forces d’attraction notamment. Mais d’un point de vue
métaphysique, ils ne sont pas plus réels dans un calcul.
La question se situerait au niveau de l’utilité scientifique de ces objets. Car en
poussant à l’extrême le propos des « objets abstraits », on peut tout aussi bien définir des
centres « de chaussette perdue » (p.156). Force est de constater que ce « centre de
chaussette perdue de Dennett » n’est pas plus réel d’un point de vue métaphysique. Ici il
semble impossible de se contenter de la voie métaphysique, il faut plutôt s’intéresser à la
scientifique : « les centres de gravité sont de véritables (real) objets parce que ce sont (on ne
sait pas trop comment) de bons objets abstraits. » (p.156). Les centres de gravités, au même
titre que l’énergie cinétique et beaucoup d’autres, sont utiles parce qu’ils sont nécessaires à
notre compréhension du monde physique.
Pour Dennett, il convient de considérer les croyances parmi ces objets abstraits, pour
d’autres il s’agirait de « fictions utiles » (Smith) ou d’« abstractions utiles » (Dretske). Dennett
est conscient que sa position ne fait pas l’unanimité, mais ces critiques opposées prouverait
selon lui que son « analogie doit avoir fait mouche » (p.157). Il adopterait en fait une sorte de
position intermédiaire, mais qu’il convient de justifier pour éviter qu’il s’agisse juste d’une
facilité ontologique. Il entend défendre son propos à l’aide des patterns.
Psychologie populaire et patterns
« La psychologie populaire nous aide à comprendre les autres, à faire preuve
d’empathie à leur endroit, elle nous aide à organiser nos souvenirs, à interpréter nos
émotions, à colorer notre vision de mille et une façons » (p.157). Cependant Daniel Dennett
insiste surtout sur le pouvoir de prédiction de cette dernière : ce qui nous permet d’être autre
chose que des « énigmes déconcertantes » et permanentes pour nos semblables. Quelque
chose d’imprévisible (d’aléatoire) signifie qu’on ne pourrait pas en extraire de patterns.
Ensuite, reste à savoir où placer ce pattern bien sûr. Fodor et son réalisme les voient
nécessairement dans le cerveau, les « gibsoniens » et « quiniens » les verraient eux dans le
monde, dans le comportement des agents notamment (utilisation de la « stratégie
intentionnelle » de Dennett). Considérant le réalisme de « force industrielle » chez Fodor
jusqu’au matérialisme éliminativiste de Churchland, la position la plus acceptable se situerait
dans les niveaux intermédiaires. Pour Dennett, ce qu’il appelle « réalisme doux »
(intermédiaire) est la meilleure des position pour expliquer les patterns, et donc les
croyances.
La réalité des patterns
L’auteur utilise un modèle constitué de six trames, bandes constituées de points, afin
de discuter sur la question (Fig.1 p.160). Ces six trames ont été construites suivant le même
algorithme, donc le même pattern « à priori », seul un paramètre varie : le bruit. Cet exemple
pose bien le problème de la reconnaissance du pattern au sens fort. Notre conviction qui
voudrait que les six trames représentent en fait le même pattern, dépend directement de la
connaissance qu’elles ont été construites de la même manière.
En fait ce pattern unique est objectivement « indiscernable » et c’est ce qui semble
incompatible avec la définition d’un pattern : un pattern est quelque chose qu’on discerne,
qu’on extrait par nos propres moyens. Dans son exemple, Daniel Dennett va proposer un
moyen de discuter sur l’existence de patterns dans les trames : comment transmettrait-on
l’information nécessaire à la reconstruction de ces trames ?
Si on extrait aucun pattern d’une trame (F), on ne saura que la transmettre point par
point : ce qui est long, coûteux et donc totalement inintéressant pour un agent humain.
Suivant les propos de l’auteur : « une série […] contient un pattern si, et seulement si, il y a
une manière plus efficace de la décrire » (p.162). Par exemple dans le cas de la trame D,
l’humain sera très largement tenté de la décrire comme une alternance de carrés, noirs ou
blancs (en fait neuf séries de dix points). Quitte à prendre en compte quelques exceptions
(des points éloignés de leur groupe) : le gain sera toujours très supérieur, du moins tant que
les exceptions ne constitueront pas une charge supérieure à ce dernier.
Aptitudes à discerner un pattern
Point essentiel, il faut bien comprendre que nous parvenons à extraire un pattern
parce que nos capacités propres nous le permettent. Par exemple dans le cas des trames
présentées en page 160, c’est notre sensibilité visuelle à la luminance, à la symétrie ou
encore tout simplement aux bords rectilignes qui nous conduit à identifier un quadrillage à
certains endroits. Cela même quand le bruit est très présent (trames A C E), nous tendons
fortement à identifier ces constantes. Sur ce point, Daniel Dennett veut nous sensibiliser au
fait qu’un pattern dépend avant tout de l’agent qui perçoit : « des connaissances différentes
mènent à des aptitudes différentes à saisir un pattern » (p.164).
Ceci s’illustre particulièrement bien avec le jeu d’échec, comme l’explique l’auteur, les
maîtres savent « lire » les jeux d’échec là où les novice tentent tant bien que mal de
mémoriser. Les aptitudes, l’expérience, du maître aux échecs lui permettent d’extraire des
patterns de l’échiquier, alors qu’ils sont parfaitement invisibles au novice. Et les exemples ne
manquent pas, dans la vie de tous les jours, mais le fait est que nous ne nous posons jamais
la question de savoir ce que nous ne parvenons pas à discerner.
Cependant, il faut garder à l’esprit que notre identification (et transmission à autrui)
des patterns ne se limite pas au pattern « seul ». L’idée derrière ce propos est que le bruit à
un rôle essentiel, bien plus que marginal : il va fortement influencer notre aptitude à identifier
un pattern. En fait la perception du bruit dépend aussi de l’agent en question et cela implique
fatalement qu’il n’y pas une seule manière d’identifier un pattern parmi du bruit : « Si Jones
discerne le pattern A (avec n% de bruit) et que Brown discerne le pattern B (avec m% de
bruit), il est possible que nous ne soyons pas fondés à décider qui des deux a raison et qui a
tort » (p.166).
Précision contre simplicité ?
En terme de patterns, Il faut garder à l’esprit qu’il s’agira toujours d’un compromis
entre pouvoir de prédiction et facilité d’utilisation (généralité en fait). Autrement dit on pourrait
penser que le pattern absolu est nécessairement celui qui a été élaboré d’après les calculs
les plus complexes, celui qui serait le plus à même de prédire le « bruit » en particulier. Mais
en pratique, et dans la nature d’une manière générale, l’efficacité reste une nécessité
essentielle : il peut s’avérer beaucoup plus rentable d’élaborer un pattern plus simple qui
pourra être mobilisé bien plus fréquemment et plus facilement.
Cependant il est vrai que nous n’avons à priori aucun contrôle sur ces « décisions
architecturales » : « l’évolution génétique et l’évolution culturelle ont décidé de leur
incorporation dans l’architecture de nos organes sensoriels et dans notre culture » (p.168).
Ce que Sellars nomme « image manifeste » explique l’auteur.
Et qu’en est-il de la science ? Daniel Dennett nous rappelle que nous avons tendance
à considérer la science comme vérité de référence, elle découperait « la nature en ces
parties – celles dont elle est vraiment constituée » (p.168). Mais dans cette optique naïve, où
situer le bruit et le compromis évoqué plus haut ? En fait, la science n’échapperait en aucun
cas à tout ces enjeux : nos prédictions scientifiques sont potentiellement toutes erronées. De
plus l’auteur souligne que nous avons même tendance à la simplification : « Le recours
général à des modèles idéalisés consiste précisément à troquer la fiabilité et la justesse des
prédictions contre la souplesse computationnelle » (p.169)
Exemple type proposé : la mécanique einsteinienne est certes plus précise, et plus
« juste », que la newtonienne, mais nous préférons largement utiliser cette dernière pour
résoudre nos problèmes les plus communs. L’idée est que la simplification n’est pas
préjudiciable car elle nous permet justement de manipuler, souvent avec une excellente
approximation, ce que nous ne pourrions même pas appréhender sans. A l’extrême, il vaut
même mieux prédire avec un taux d’erreur élevé que de ne rien pouvoir faire.
Les patterns dans le monde de Life
D’après Daniel Dennett : « Le moment est venu de transposer ces remarques sur les
patterns et leur réalité dans l’arène controversée de l’attribution de croyances » (p.169). Pour
ce faire, il compte passer d’abord par un modèle dit « intermédiaire » qui présente nombre
d’intérêts presque pédagogiques à ses yeux. Il s’agit d’une variante de « Game of Life » qui
permet de simuler l’évolution de populations (ici des cases allumées ou éteintes) sur un
espace à deux dimensions. La simulation se déroule pas à pas et permet d’apprécier en
détail l’évolution de la configuration des cellules (les cases) suivant les règles du jeu (mort,
prolifération, surpopulation...).
En fait l’intérêt de cette simulation pour la philosophie est le caractère absolu de ses
règles, tout peut s’expliquer à tout instant dans ce monde parfaitement déterministe.
Autrement dit, notre pouvoir de prédiction y est ultime : « lorsque nous adoptons la stratégie
physique vis-à-vis d’un pattern du monde de Life, notre pouvoir de prédiction est parfait »
(p.171).
L’idée essentielle consiste à définir des configurations initiales de cellules afin de les
voir évoluer dans le temps. C’est ainsi que la capacité ontologique humaine s’abstrait
facilement de monde physique des cellules : on observe très rapidement des entités d’un
« niveau possédant son propre langage » comme l’explique l’auteur (p.173). Dévoreurs,
locomotives à vapeur, planeurs, dévoreurs mangeant un planeur… une faune s’anime. Alors
que rappelons le, les lois physiques de ce monde, parfaitement connues de l’agent, ne
régissent que les conditions sous lesquelles une case doit s’allumer ou s’éteindre.
Monde de Life et machine de Turing
Un autre point qui justifie l’enthousiasme de Daniel Dennett vis-à-vis du monde de
Life est sa capacité théorique à héberger une machine de Turing (preuve apportée par von
Neumman). Cependant, il faut garder à l’esprit que la mise en pratique d’une machine de
Turing construite sur ce plan nécessiterait un écran de 10 puissance 13 pixels (estimation de
Poundstone).
« Puisque qu’une machine de Turing universelle peut calculer toute fonction
calculable » (p.176), on pourrait donner une infinité d’applications au monde de Life explique
Daniel Dennett. Ainsi un autre univers, un autre niveau ontologique, se greffe sur le plan
existant : on a vu des « planeurs » en mouvement là où il n’y a que des cellules, il s’agirait
désormais d’identifier des symboles machines à la place de ces « planeurs ». Symboles
machines, qui soumis à l’œil d’un agent expérimenté, apparaîtraient comme une partie
d’échec par exemple.
On considère donc une machine de Turing, construite sur le plan du monde de Life,
et de surcroît, jouant aux échecs en manipulant des symboles. Il semble alors évident que
les niveaux ontologiques impliqués ne seront certainement pas abordables par tout le
monde. Et suivant le niveau qui nous sera accessible, du plus primaire (cases clignotantes)
au plus haut (partie d’échecs), notre pouvoir de prédiction grandira proportionnellement.
D’une manière générale, quelque soit la situation, la possibilité d’accéder au bon niveau
d’explication est essentielle à la compréhension.
Fodor et le pattern pur
Réalistes, moins réalistes et non réalistes s’accordent sur le pouvoir de prédiction de
la psychologie populaire estime Daniel Dennett. Le fond du problème, explique-t-il, réside sur
l’explication de ce pouvoir et ses conséquences sur la conception qu’on se fait des
croyances. Ainsi pour Fodor il n’y a de pattern que si on peut le distinguer au milieu de nos
neurones et de plus la psychologie populaire serait à manipuler avec prudence : « le pattern
qu’aperçoivent chaque jour à travers le bruit les psychologues du sens commun ne nous dit
rien de la réalité » (p.179).
Dans une optique fodoriene, il faudrait obligatoirement considérer qu’un pattern se
bâtit en deux temps. Il en existerait quelque part un premier à « l’état pur », pattern qui
serrait ensuite noyé dans un bruit variable, lié au hasard et à notre expérience humaine
perfectible. Il est vrai, souligne l’auteur, qu’on se laisse souvent aller à ce genre de
considérations en science, par exemple dans le cadre d’une étude statistique : même si on
conçoit l’individu prototypique qui tend à émerger des données (en tant que pattern), le bruit
restera inévitable et nos observations n’auront fait qu’approcher une tendance.
Comment expliquer les choses autrement ? A savoir : « comment l’ordre peut-il être
là, à ce point visible au milieu du bruit, si ce n’est le décalque direct d’un processus concret
et ordonné en arrière plan ? » (p.180), tel que le concevrait Fodor.
L’effet statistique de Dennett
Sans surprise, Daniel Dennett apporte sa propre pierre. Pour lui ce pattern pur et
inaccessible à l’humain n’existe pas, il avance plutôt l’existence « d’un tas de menus
processus » s’agençant entre eux. Et comment ces processus conduiraient-ils à donner une
croyance ? Ils tendraient à s’organiser de manière autonome, une sorte d’évolution naturelle
vers la configuration la plus « idéale » : « une règle de pensée peut-être bien plus qu’une
simple régularité ; elle peut être une règle judicieuse à laquelle on se conformerait si on était
concepteur de systèmes, et donc une règle qu’on s’attendrait à voir découverte » (p.180)
On nous propose ensuite une nouvelle figure comportant des trames (cf. p.160), à la
différence essentielle du mode de construction de ces dernières. Précédemment, on
considérait un taux de bruit, ici la construction est plus subtile : on a laissé les « bords » se
constituer d’une manières statistique (processus décrit p.180). Ici l’auteur veut insister sur le
fait que ce n’est pas la manière dont on construit ces trames qui importe, c’est avant tout
qu’on peut, et qu’on se résout à les expliquer à l’aide du même pattern (un quadrillage). Les
deux familles de trames (p.160 et 182) restent encore discernables entre elles, mais là n’est
pas le problème, la question reste l’efficacité avec laquelle nous les définirions.
Réalisme et langage
Dennett explique qu’un « langage intérieur de la pensée » séduit nombre de
philosophe, comme Fodor, afin de comprendre « les bords nets qui caractérisent la
psychologie des attitudes propositionnelles » (p.183). La vision des choses de Dennett (et
Churchland) m’étant plutôt délicate à apprécier, je me contenterai de la citer : « le processus
à l’origine des données de la psychologie populaire, affirmons nous, est tel que les
complexités multidimensionnelles des processus sous-jacents sont projetées à travers le
comportement linguistique, d’où une apparente de haute définition et de précision due au
caractère discret des mots » (p.183).
En tout cas, les croyances seraient nécessairement plus que des éléments dans un
cerveau (cf. Fodor), Dennett considère avant tout le rôle des « énoncés d’attitude
propositionnelle » en tant que « mesures indirectes d’une réalité diffuse dans les dispositions
comportementales du cerveau et du corps ». Sans renter dans un réalisme fodorien, les
croyances mériteraient donc le statut de choses « véritables » tant qu’elles nous permettent
ce pouvoir de prédiction bien réel.
Interprétations rivales
Daniel Dennett pense partager plusieurs idées avec Davidson, mais il insiste sur une
différence nette quant au « principe d’indétermination de la traduction de Quine ». En fait,
suivant l’exemple page 184, pour Davidson on peut tout aussi bien considérer qu’il fait 32
degrés Fahrenheit ou 0 degrés Celsius sans que ce la pose un problème : « aucun
désaccord substantiel ne ressort de la comparaison des deux schèmes de description, si
bien qu’il peuvent être adéquatement considérés comme les descriptions concurrentes d’une
seule et même réalité » (p.185).
Dennett lui préfère expliquer les choses par le bruit dans des patterns et entend
l’illustrer. Retrouvons nos deux amis Jones et Brown (p.166) qui vont à nouveau mettre en
compétition leurs patterns : il s’agit cette fois de prédire au mieux le comportement d’Ella. On
accorde aux agents Jones et Brown une connaissance comparable du « répertoire de
croyance » d’Ella, à savoir qu’ils ne sont pas face à un extra-terrestre. L’expérience de
Dennett se concentre sur les patterns dits « idéalisés » que vont pouvoir produire les deux
agents face à Ella (voir figure 5 p.186). Et à priori rien n’oblige Jones et Brown à avoir la
même interprétation même si ils ont les même acquis.
Il arrivera assez souvent que les deux agents soient en désaccords et qu’ils se
trompent tous deux sur leur prédiction du comportement d’Ella, mais il arrivera aussi que l’un
des deux ne se trompe pas. Cependant dans ce dernier cas, on aurait tort de considérer tel
ou tel pattern comme nécessairement plus performant : déjà parce que ce cas peut
alternativement arriver à l’un ou à l’autre, et ensuite parce qu’une prédiction tout à fait
formulée au hasard (non fondée sur un pattern) pourrait faire tout aussi bien mouche
quelques fois.
Il est fort possible qu’un des deux patterns soit plus performant sur la durée ou dans
un plus grand nombre de situation, mais Dennett reste convaincu que ceci n’est pas une
obligation : « voilà je pense le point central de l’indétermination de Quine » (p.187). On
pourrait prétendre qu’il y aura toujours moyen de vaincre l’indétermination et ce n’est
d’ailleurs pas vraiment faux… On pourra toujours aussi trouver des éléments étayant telle ou
telle thèse dans la fraction de seconde précédant l’acte, comme dans le cas du suicide
d’Ella : « pendant ce bref instant, les éléments de preuve ont fait radicalement pencher la
balance en faveur de l’interprétation de Brown » (p.188), par exemple.
Mais si on vient à scruter ce genre de détail, souligne Daniel Dennett, c’est que nous
avons mis de côté la stratégie intentionnelle au profit des « stratégies architecturales ». Et
c’est bien la stratégie intentionnelle, au milieu d’un bruit inévitable, qui nous guide dans la
construction de nos patterns.
Dennett et les autres
Par rapport à Davidson, explique-t-il, Daniel Dennett conçoit « qu’il peut y avoir pour
un seul et même individu deux systèmes différents d’attribution de croyances ayant
substantiellement différé dans leur attributions » (p.189). Il est question ici du rapport à
l’indéterminisme, l’individu restant d’ailleurs maître par rapport au choix final et à la prédiction
qui s’en suit. Mais confronté à une autre prédiction, comme expliqué plus haut, aucune ne
doit s’en trouver nécessairement fausse : ces deux patterns seraient « tous aussi
véritables » l’un que l’autre. Rappelons que par « véritable » Dennett n’entend pas se
rapprocher du réalisme de Fodor (voir lus haut, Réalisme et langage).
Pour Rorty et son « irréalisme plus doux que doux » d’après l’auteur (p.159), les
esquisses réalistes sont purs fantasmes. Dennett lui n’est pas si allergique au réalisme et
conçoit qu’on puisse élaborer une « correspondance » avec le réel, ne serait-ce simplement
parce que c’est bien utile (voir exemple p.190). D’ailleurs pour Rorty, la psychologie
populaire serait qualifiée « d’artifice » avance l’auteur. C’est à dire que rien ne prouve qu’elle
soit plus qu’un gadget, jugé performant seulement parce que nous nous en convainquons
mutuellement et continuellement. Alors que Daniel Dennett est convaincu qu’on peut trouver
« d’abondants éléments de preuve montrant qu’on peut défendre notre allégeance […] en
termes froidements objectifs » (p.191).
Enfin, vis-à-vis de Churchland, Dennett partage l’incontestabilité de la stratégie
intentionnelle dans l’approche des croyances. Cependant, son matérialisme le condamne à
s’en remettre aux neurosciences, autrement dit : « il prévoit que les neurosciences
découvriront éventuellement – peut-être même bientôt – un pattern qui soit ainsi nettement
supérieur au pattern comportant du bruit fourni par la psychologie populaire » (p.192). Un
pari qui semble plus handicapant qu’enrichissant. Cependant aspect essentiel déjà
développé, notre intérêt n’est pas d’obtenir la description la plus précise et la plus juste, mais
la plus performante et la plus utile. Il n’est pas dit que nous trouvions un incommensurable
gain à connaître, un jour, le pattern ultime contenu dans nos neurones.
Ce à quoi aspire Daniel Dennett, c’est nous convaincre que seule une position
intermédiaire comme la sienne est suffisamment défendable. Sachant que Davidson aborde
l’indéterminisme d’une manière trop triviale et donc insuffisante et à ses yeux. Et concernant
les positions les plus extrêmes de Fodor et Churchland : « les deux points vues sont des
formes de matérialisme tout à fait gratuites en ce qu’elles devancent de beaucoup la base
empirique qui les confirmerait » (p.192). Alors que Rorty refuse tout simplement, à tort,
d’accorder du crédit à la stratégie intentionnelle et sa psychologie populaire.
Critiques
Les « objets utiles »
Concernant les objets abstraits comme les centres de gravité (p.154), Dennett se livre
à une longue explication vis-à-vis de leur utilité scientifique. Evidemment personne ne peut
réfuter que c’est cette utilité de l’objet qui fait qu’on tend à le manipuler « comme » un objet
réel, mais ainsi Daniel Dennett esquive le problème : doit-on être réaliste vis-à-vis des objets
abstraits ? « Ca dépend de ce qu’on en fait », ne semble pas une réponse très nette.
Admettons qu’un « centre de chaussettes perdues » (p.156) n’a aucun intérêt, mais dans
l’absolu il n’est pas moins, ou plus, réel qu’un centre de gravité.
Les centres de gravité qui rappelons le selon les mots de Daniel Dennett sont eux
« (on ne sait trop comment) de bons objets abstraits » (p.156). Les jugés « bons » seraient
« véritables » et les autres non ? Qu’est ce qui m’empêcherait de vouloir trouver une utilité à
un « centre de chaussettes perdues » si tel est vraiment mon désir ? On a un peu de mal à
le suivre quand il prétend avoir « fait mouche » vis-à-vis des ses détracteurs (p.157). En fait
ici Daniel Dennett annonce la couleur avec déjà une position « intermédiaire » dont il a le
secret, et qui serait nécessairement la plus logique.
Comme si se situer entre deux extrêmes, garder un peu des deux et esquiver les
points les plus critiques, constituait position nécessairement logique. Et quand Dennett
affirme « qu’il vaut mieux considérer les croyances comme des objets abstraits » (p.157), le
lecteur ne peut être vraiment sûr de ce qu’est une croyance selon lui, à part « quelque chose
d’utile », a moitié réel ou du moins quand on le décide ?
Les analogies employées
Dennett a cette qualité d’aimer confronter le lecteur à des exemples illustrés afin
d’expliquer les choses. Effectivement, par une simplification explicite il est confortable de
pourvoir isoler un problème. Mais cette simplification est à appréhender avec prudence,
l’argumentation
pourrait
être
implacable,
que
l’exemple
présenté
ne
serait
pas
nécessairement plus qu’un exemple justement. Fut-il des plus confortable et séduisant dans
l’analogie employée. Ainsi, peut-on vraiment prendre les trames des pages 160 et 182 en
tant qu’arguments ? De même avec les deux « interprétations intentionnelles d’Ella » page
186.
Même si il est vrai que ces illustrations permettent une approche efficace de la notion
de pattern et de bruit, doit on admettre qu’il s’agît de représentations pertinentes des
patterns tels que nous les manipulons communément ? Plus précisément, n’est-ce pas
simplement des modèles dont la forme répond à ce que veux prouver Dennett, plutôt que
des éléments de preuve réel ? Même si admettons le, ces modèles permettent d’expliquer le
bruit et la recherche d’efficacité d’une manière assez utile, du moins agréablement
préhensible pour nos esprits.
C’est peut-être là que demeure un problème ambigu : rendre les choses préhensibles
est certainement le meilleur moyen de les expliquer, mais c’est aussi inévitablement prendre
le risque de les rendre trop simplistes ou trop partielles. Ainsi Daniel Dennett, à travers ses
illustrations, ne peut que difficilement prétendre à une « globalité » dans le traitement de la
question.
La simulation du monde de Life
Une analogie efficace est celle du « Game of Life » (p.169), d’ailleurs une grande part
de l’argumentation de Dennett est fournie par son utilisation du monde de Life. Les
avantages de cette simulation étant, rappelons le, qu’elle est en tout point déterministe, facile
à appréhender pour l’imagination et enfin permet des « sauts ontologiques » entre différents
niveaux de représentation indépendants : le plus élémentaire étant l’unité d’information
discrète qu’est une cellule de l’espace à deux dimensions. Mais on reste justifié à se poser
une question toute simple, de quoi dépendent ces cellules ?
Il est inévitable qu’elles soient instanciées dans et par un monde physique. Le fait
qu’il s’agisse là d’une simulation informatique n’enlève rien à cet aspect, l’informatique
n’exclue rien du plan physique : circuits, électrons. C’est pourquoi on aurait tort de
considérer avec trop d’entrain l’analogie par rapport au réel qui est théoriquement fournie par
le monde de Life : pour fonctionner, il est intrasèquement lié à ce même monde que la
simulation doit décrire. En fait il s’agirait plus d’un « objet informatique » utile à la réflexion
qu’une réelle représentation, du moins sa force est moindre : un cas concret ne constitue
pas une généralité.
La réalité des patterns
Pour Dennett un pattern dépend du point de vue qu’on porte à un comportement via
la stratégie intentionnelle. Mais ainsi l’ombre du « flou » se fait ressentir, quelque chose qui
dépend tant d’une opinion peut-il être réellement considéré comme réel ? L’exemple du
monde de Life est un bon exercice dans ce sens qu’elle nous expose bien les choses :
imaginons un observateur expérimenté qui suit le déplacements des entités que sont les
« planeurs », et un autre qui voit juste des points clignoter.
Imaginons que l’observateur novice parvienne au niveau ontologique des cellules qui
se reproduisent et meurent, mais en aucun cas qu’il ne parvienne à s’abstraire suffisamment
pour percevoir les formes en mouvements comme le fait son compère expérimenté. Pour lui
ces « créatures » ne seront doué d’aucune réalité, plus simplement on peut même dire
qu’elles « n’existent pas un point c’est tout ». Et quelle serait la nécessité de vouloir lui
prouver le contraire ? Peut-être l’efficacité et la compacité pour mieux comprendre ce
monde ? Mais après tout notre observateur peut très bien considérer que sa conception du
monde, son point de vue, n’est dans l’absolu pas moins légitime car elle lui convient très
bien.
Ainsi il semble que la question de la réalité de ces éléments, et donc des patterns qui
leurs sont associés, ne soit en aucun cas tranchée. En tout cas d’une manière beaucoup
trop floue et subjective pour être convaincante. Cet état de chose fait écho au problème
soulevé plus haut vis-à-vis des objets abstraits : choisir soit même entre les « bons » et les
« bidons », scinder en deux un espace avec une ligne flou dépendant de l’agent aux
commandes. Donc potentiellement, autant de choix, autant de réalité, que d’agents dans
l’univers. Est-ce là le fin mot du « réalisme intermédiaire » de Daniel Dennett ?
La position de l’auteur
Pour Daniel Dennett la réalité des patterns est un fait, mais dépend avant tout du
point de vue où on se place : autrement dit, cela dépend de l’agent. Cette idée simple,
pouvant s’avérer plutôt séduisante, contient pourtant toute l’ambiguïté qu’on a pu soulever
plus haut. Comme nous l’avons déjà abordé, Dennett veut se situer entre Fodor qui
considère les patterns comme une réalité absolue et physique, Rorty qui les considère
« uniquement dans les yeux de celui qui regarde » (p.159) et sans oublier Churchland qui
nierait toute réalité aux croyances. D’où vient alors l’ambiguïté ?
L’idée des interprétations rivales sur laquelle Dennett s’attarde (p.186) donne à
réfléchir sur sa conception du « réalisme » des croyances. Ainsi pour lui il est central que
deux agents distincts puissent construire deux patterns distincts, voir très distincts, par
rapport à une situation unique. Nous sommes ici en plein dans cette idée de « réalité
subjective ». Mais alors une question toute simple se pose : peut-on vraiment parler de
réalisme ? Dit intermédiaire peut-être, mais avec une part de réalisme quand même ? Si
chaque agent construit sa propre réalité, on a du mal à concevoir qu’il y en ait
nécessairement une, du moins le terme perd de son sens. Surtout que, rappelons le, nous
ne somme pas à même de juger qu’un agent détienne une croyance plus « vraie » qu’un
autre.
En fait le point le plus critiquable dans la conception de Daniel Dennett est que deux
croyances sont à considérer à la fois comme tout aussi « vraie » l’une que l’autre, mais
également comme « pas vraie » (véritable) pour autant (tel que les considérerait un réaliste
comme Fodor). La « position intermédiaire » prônée par Dennett peut facilement passer pour
floue. Car bien qu’elle semble assez confortable, permettant d’éviter les zones critiques des
positions extrêmes comme celles de Fodor et Churchland, elle pourra passer pour illusoire
auprès de beaucoup. Même si il est vrai qu’on parvient assez bien à concevoir ce que Daniel
Dennett avance, trop de points restent discutables pour y adhérer sans critiques.
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