ANDRE Julien M1 SCA De l’Existence des Patterns Daniel C. DENNETT Philosophie Cognitive année 2006/2007 Sommaire Résumé .....................................................................................4 Réalisme et objets abstraits ................................................................................. 4 Psychologie populaire et patterns ....................................................................... 5 La réalité des patterns .......................................................................................... 5 Aptitudes à discerner un pattern ......................................................................... 6 Précision contre simplicité ?................................................................................ 6 Les patterns dans le monde de Life .................................................................... 7 Monde de Life et machine de Turing ................................................................... 8 Fodor et le pattern pur .......................................................................................... 8 L’effet statistique de Dennett ............................................................................... 9 Réalisme et langage ............................................................................................ 10 Interprétations rivales ......................................................................................... 10 Dennett et les autres ........................................................................................... 11 Critiques ..................................................................................13 Les « objets utiles » ............................................................................................ 13 Les analogies employées ................................................................................... 13 La simulation du monde de Life......................................................................... 14 La réalité des patterns ........................................................................................ 15 La position de l’auteur ........................................................................................ 15 Résumé Réalisme et objets abstraits Pour commencer, Daniel Dennett va se pencher (une fois de plus) sur le point de vue qui voudrait que les croyances puissent être perçues avec un oeil réaliste. L’un des argument majeur de l’auteur a été celui des « centres de gravité » ou de tout autre objet auquel on ne peut vraisemblablement pas prêter une existence propre. Autrement dit des éléments qui semblent impensables à expliquer d’un point de vue réaliste. D’une manière plus générale, Daniel Dennett s’interroge sur notre perception et notre utilisation de tous ces objets « abstraits » mais qui sont pourtant des éléments que nous manipulons sans cesse. Déjà et surtout afin d’élaborer, ou de justifier, des théories scientifiques comme dans le cas typique du « centre de gravité ». Ainsi, on tend plus facilement à prêter une réalité « physique » aux centres de gravité car ces points, pourtant imaginaires, permettent les calculs de forces d’attraction notamment. Mais d’un point de vue métaphysique, ils ne sont pas plus réels dans un calcul. La question se situerait au niveau de l’utilité scientifique de ces objets. Car en poussant à l’extrême le propos des « objets abstraits », on peut tout aussi bien définir des centres « de chaussette perdue » (p.156). Force est de constater que ce « centre de chaussette perdue de Dennett » n’est pas plus réel d’un point de vue métaphysique. Ici il semble impossible de se contenter de la voie métaphysique, il faut plutôt s’intéresser à la scientifique : « les centres de gravité sont de véritables (real) objets parce que ce sont (on ne sait pas trop comment) de bons objets abstraits. » (p.156). Les centres de gravités, au même titre que l’énergie cinétique et beaucoup d’autres, sont utiles parce qu’ils sont nécessaires à notre compréhension du monde physique. Pour Dennett, il convient de considérer les croyances parmi ces objets abstraits, pour d’autres il s’agirait de « fictions utiles » (Smith) ou d’« abstractions utiles » (Dretske). Dennett est conscient que sa position ne fait pas l’unanimité, mais ces critiques opposées prouverait selon lui que son « analogie doit avoir fait mouche » (p.157). Il adopterait en fait une sorte de position intermédiaire, mais qu’il convient de justifier pour éviter qu’il s’agisse juste d’une facilité ontologique. Il entend défendre son propos à l’aide des patterns. Psychologie populaire et patterns « La psychologie populaire nous aide à comprendre les autres, à faire preuve d’empathie à leur endroit, elle nous aide à organiser nos souvenirs, à interpréter nos émotions, à colorer notre vision de mille et une façons » (p.157). Cependant Daniel Dennett insiste surtout sur le pouvoir de prédiction de cette dernière : ce qui nous permet d’être autre chose que des « énigmes déconcertantes » et permanentes pour nos semblables. Quelque chose d’imprévisible (d’aléatoire) signifie qu’on ne pourrait pas en extraire de patterns. Ensuite, reste à savoir où placer ce pattern bien sûr. Fodor et son réalisme les voient nécessairement dans le cerveau, les « gibsoniens » et « quiniens » les verraient eux dans le monde, dans le comportement des agents notamment (utilisation de la « stratégie intentionnelle » de Dennett). Considérant le réalisme de « force industrielle » chez Fodor jusqu’au matérialisme éliminativiste de Churchland, la position la plus acceptable se situerait dans les niveaux intermédiaires. Pour Dennett, ce qu’il appelle « réalisme doux » (intermédiaire) est la meilleure des position pour expliquer les patterns, et donc les croyances. La réalité des patterns L’auteur utilise un modèle constitué de six trames, bandes constituées de points, afin de discuter sur la question (Fig.1 p.160). Ces six trames ont été construites suivant le même algorithme, donc le même pattern « à priori », seul un paramètre varie : le bruit. Cet exemple pose bien le problème de la reconnaissance du pattern au sens fort. Notre conviction qui voudrait que les six trames représentent en fait le même pattern, dépend directement de la connaissance qu’elles ont été construites de la même manière. En fait ce pattern unique est objectivement « indiscernable » et c’est ce qui semble incompatible avec la définition d’un pattern : un pattern est quelque chose qu’on discerne, qu’on extrait par nos propres moyens. Dans son exemple, Daniel Dennett va proposer un moyen de discuter sur l’existence de patterns dans les trames : comment transmettrait-on l’information nécessaire à la reconstruction de ces trames ? Si on extrait aucun pattern d’une trame (F), on ne saura que la transmettre point par point : ce qui est long, coûteux et donc totalement inintéressant pour un agent humain. Suivant les propos de l’auteur : « une série […] contient un pattern si, et seulement si, il y a une manière plus efficace de la décrire » (p.162). Par exemple dans le cas de la trame D, l’humain sera très largement tenté de la décrire comme une alternance de carrés, noirs ou blancs (en fait neuf séries de dix points). Quitte à prendre en compte quelques exceptions (des points éloignés de leur groupe) : le gain sera toujours très supérieur, du moins tant que les exceptions ne constitueront pas une charge supérieure à ce dernier. Aptitudes à discerner un pattern Point essentiel, il faut bien comprendre que nous parvenons à extraire un pattern parce que nos capacités propres nous le permettent. Par exemple dans le cas des trames présentées en page 160, c’est notre sensibilité visuelle à la luminance, à la symétrie ou encore tout simplement aux bords rectilignes qui nous conduit à identifier un quadrillage à certains endroits. Cela même quand le bruit est très présent (trames A C E), nous tendons fortement à identifier ces constantes. Sur ce point, Daniel Dennett veut nous sensibiliser au fait qu’un pattern dépend avant tout de l’agent qui perçoit : « des connaissances différentes mènent à des aptitudes différentes à saisir un pattern » (p.164). Ceci s’illustre particulièrement bien avec le jeu d’échec, comme l’explique l’auteur, les maîtres savent « lire » les jeux d’échec là où les novice tentent tant bien que mal de mémoriser. Les aptitudes, l’expérience, du maître aux échecs lui permettent d’extraire des patterns de l’échiquier, alors qu’ils sont parfaitement invisibles au novice. Et les exemples ne manquent pas, dans la vie de tous les jours, mais le fait est que nous ne nous posons jamais la question de savoir ce que nous ne parvenons pas à discerner. Cependant, il faut garder à l’esprit que notre identification (et transmission à autrui) des patterns ne se limite pas au pattern « seul ». L’idée derrière ce propos est que le bruit à un rôle essentiel, bien plus que marginal : il va fortement influencer notre aptitude à identifier un pattern. En fait la perception du bruit dépend aussi de l’agent en question et cela implique fatalement qu’il n’y pas une seule manière d’identifier un pattern parmi du bruit : « Si Jones discerne le pattern A (avec n% de bruit) et que Brown discerne le pattern B (avec m% de bruit), il est possible que nous ne soyons pas fondés à décider qui des deux a raison et qui a tort » (p.166). Précision contre simplicité ? En terme de patterns, Il faut garder à l’esprit qu’il s’agira toujours d’un compromis entre pouvoir de prédiction et facilité d’utilisation (généralité en fait). Autrement dit on pourrait penser que le pattern absolu est nécessairement celui qui a été élaboré d’après les calculs les plus complexes, celui qui serait le plus à même de prédire le « bruit » en particulier. Mais en pratique, et dans la nature d’une manière générale, l’efficacité reste une nécessité essentielle : il peut s’avérer beaucoup plus rentable d’élaborer un pattern plus simple qui pourra être mobilisé bien plus fréquemment et plus facilement. Cependant il est vrai que nous n’avons à priori aucun contrôle sur ces « décisions architecturales » : « l’évolution génétique et l’évolution culturelle ont décidé de leur incorporation dans l’architecture de nos organes sensoriels et dans notre culture » (p.168). Ce que Sellars nomme « image manifeste » explique l’auteur. Et qu’en est-il de la science ? Daniel Dennett nous rappelle que nous avons tendance à considérer la science comme vérité de référence, elle découperait « la nature en ces parties – celles dont elle est vraiment constituée » (p.168). Mais dans cette optique naïve, où situer le bruit et le compromis évoqué plus haut ? En fait, la science n’échapperait en aucun cas à tout ces enjeux : nos prédictions scientifiques sont potentiellement toutes erronées. De plus l’auteur souligne que nous avons même tendance à la simplification : « Le recours général à des modèles idéalisés consiste précisément à troquer la fiabilité et la justesse des prédictions contre la souplesse computationnelle » (p.169) Exemple type proposé : la mécanique einsteinienne est certes plus précise, et plus « juste », que la newtonienne, mais nous préférons largement utiliser cette dernière pour résoudre nos problèmes les plus communs. L’idée est que la simplification n’est pas préjudiciable car elle nous permet justement de manipuler, souvent avec une excellente approximation, ce que nous ne pourrions même pas appréhender sans. A l’extrême, il vaut même mieux prédire avec un taux d’erreur élevé que de ne rien pouvoir faire. Les patterns dans le monde de Life D’après Daniel Dennett : « Le moment est venu de transposer ces remarques sur les patterns et leur réalité dans l’arène controversée de l’attribution de croyances » (p.169). Pour ce faire, il compte passer d’abord par un modèle dit « intermédiaire » qui présente nombre d’intérêts presque pédagogiques à ses yeux. Il s’agit d’une variante de « Game of Life » qui permet de simuler l’évolution de populations (ici des cases allumées ou éteintes) sur un espace à deux dimensions. La simulation se déroule pas à pas et permet d’apprécier en détail l’évolution de la configuration des cellules (les cases) suivant les règles du jeu (mort, prolifération, surpopulation...). En fait l’intérêt de cette simulation pour la philosophie est le caractère absolu de ses règles, tout peut s’expliquer à tout instant dans ce monde parfaitement déterministe. Autrement dit, notre pouvoir de prédiction y est ultime : « lorsque nous adoptons la stratégie physique vis-à-vis d’un pattern du monde de Life, notre pouvoir de prédiction est parfait » (p.171). L’idée essentielle consiste à définir des configurations initiales de cellules afin de les voir évoluer dans le temps. C’est ainsi que la capacité ontologique humaine s’abstrait facilement de monde physique des cellules : on observe très rapidement des entités d’un « niveau possédant son propre langage » comme l’explique l’auteur (p.173). Dévoreurs, locomotives à vapeur, planeurs, dévoreurs mangeant un planeur… une faune s’anime. Alors que rappelons le, les lois physiques de ce monde, parfaitement connues de l’agent, ne régissent que les conditions sous lesquelles une case doit s’allumer ou s’éteindre. Monde de Life et machine de Turing Un autre point qui justifie l’enthousiasme de Daniel Dennett vis-à-vis du monde de Life est sa capacité théorique à héberger une machine de Turing (preuve apportée par von Neumman). Cependant, il faut garder à l’esprit que la mise en pratique d’une machine de Turing construite sur ce plan nécessiterait un écran de 10 puissance 13 pixels (estimation de Poundstone). « Puisque qu’une machine de Turing universelle peut calculer toute fonction calculable » (p.176), on pourrait donner une infinité d’applications au monde de Life explique Daniel Dennett. Ainsi un autre univers, un autre niveau ontologique, se greffe sur le plan existant : on a vu des « planeurs » en mouvement là où il n’y a que des cellules, il s’agirait désormais d’identifier des symboles machines à la place de ces « planeurs ». Symboles machines, qui soumis à l’œil d’un agent expérimenté, apparaîtraient comme une partie d’échec par exemple. On considère donc une machine de Turing, construite sur le plan du monde de Life, et de surcroît, jouant aux échecs en manipulant des symboles. Il semble alors évident que les niveaux ontologiques impliqués ne seront certainement pas abordables par tout le monde. Et suivant le niveau qui nous sera accessible, du plus primaire (cases clignotantes) au plus haut (partie d’échecs), notre pouvoir de prédiction grandira proportionnellement. D’une manière générale, quelque soit la situation, la possibilité d’accéder au bon niveau d’explication est essentielle à la compréhension. Fodor et le pattern pur Réalistes, moins réalistes et non réalistes s’accordent sur le pouvoir de prédiction de la psychologie populaire estime Daniel Dennett. Le fond du problème, explique-t-il, réside sur l’explication de ce pouvoir et ses conséquences sur la conception qu’on se fait des croyances. Ainsi pour Fodor il n’y a de pattern que si on peut le distinguer au milieu de nos neurones et de plus la psychologie populaire serait à manipuler avec prudence : « le pattern qu’aperçoivent chaque jour à travers le bruit les psychologues du sens commun ne nous dit rien de la réalité » (p.179). Dans une optique fodoriene, il faudrait obligatoirement considérer qu’un pattern se bâtit en deux temps. Il en existerait quelque part un premier à « l’état pur », pattern qui serrait ensuite noyé dans un bruit variable, lié au hasard et à notre expérience humaine perfectible. Il est vrai, souligne l’auteur, qu’on se laisse souvent aller à ce genre de considérations en science, par exemple dans le cadre d’une étude statistique : même si on conçoit l’individu prototypique qui tend à émerger des données (en tant que pattern), le bruit restera inévitable et nos observations n’auront fait qu’approcher une tendance. Comment expliquer les choses autrement ? A savoir : « comment l’ordre peut-il être là, à ce point visible au milieu du bruit, si ce n’est le décalque direct d’un processus concret et ordonné en arrière plan ? » (p.180), tel que le concevrait Fodor. L’effet statistique de Dennett Sans surprise, Daniel Dennett apporte sa propre pierre. Pour lui ce pattern pur et inaccessible à l’humain n’existe pas, il avance plutôt l’existence « d’un tas de menus processus » s’agençant entre eux. Et comment ces processus conduiraient-ils à donner une croyance ? Ils tendraient à s’organiser de manière autonome, une sorte d’évolution naturelle vers la configuration la plus « idéale » : « une règle de pensée peut-être bien plus qu’une simple régularité ; elle peut être une règle judicieuse à laquelle on se conformerait si on était concepteur de systèmes, et donc une règle qu’on s’attendrait à voir découverte » (p.180) On nous propose ensuite une nouvelle figure comportant des trames (cf. p.160), à la différence essentielle du mode de construction de ces dernières. Précédemment, on considérait un taux de bruit, ici la construction est plus subtile : on a laissé les « bords » se constituer d’une manières statistique (processus décrit p.180). Ici l’auteur veut insister sur le fait que ce n’est pas la manière dont on construit ces trames qui importe, c’est avant tout qu’on peut, et qu’on se résout à les expliquer à l’aide du même pattern (un quadrillage). Les deux familles de trames (p.160 et 182) restent encore discernables entre elles, mais là n’est pas le problème, la question reste l’efficacité avec laquelle nous les définirions. Réalisme et langage Dennett explique qu’un « langage intérieur de la pensée » séduit nombre de philosophe, comme Fodor, afin de comprendre « les bords nets qui caractérisent la psychologie des attitudes propositionnelles » (p.183). La vision des choses de Dennett (et Churchland) m’étant plutôt délicate à apprécier, je me contenterai de la citer : « le processus à l’origine des données de la psychologie populaire, affirmons nous, est tel que les complexités multidimensionnelles des processus sous-jacents sont projetées à travers le comportement linguistique, d’où une apparente de haute définition et de précision due au caractère discret des mots » (p.183). En tout cas, les croyances seraient nécessairement plus que des éléments dans un cerveau (cf. Fodor), Dennett considère avant tout le rôle des « énoncés d’attitude propositionnelle » en tant que « mesures indirectes d’une réalité diffuse dans les dispositions comportementales du cerveau et du corps ». Sans renter dans un réalisme fodorien, les croyances mériteraient donc le statut de choses « véritables » tant qu’elles nous permettent ce pouvoir de prédiction bien réel. Interprétations rivales Daniel Dennett pense partager plusieurs idées avec Davidson, mais il insiste sur une différence nette quant au « principe d’indétermination de la traduction de Quine ». En fait, suivant l’exemple page 184, pour Davidson on peut tout aussi bien considérer qu’il fait 32 degrés Fahrenheit ou 0 degrés Celsius sans que ce la pose un problème : « aucun désaccord substantiel ne ressort de la comparaison des deux schèmes de description, si bien qu’il peuvent être adéquatement considérés comme les descriptions concurrentes d’une seule et même réalité » (p.185). Dennett lui préfère expliquer les choses par le bruit dans des patterns et entend l’illustrer. Retrouvons nos deux amis Jones et Brown (p.166) qui vont à nouveau mettre en compétition leurs patterns : il s’agit cette fois de prédire au mieux le comportement d’Ella. On accorde aux agents Jones et Brown une connaissance comparable du « répertoire de croyance » d’Ella, à savoir qu’ils ne sont pas face à un extra-terrestre. L’expérience de Dennett se concentre sur les patterns dits « idéalisés » que vont pouvoir produire les deux agents face à Ella (voir figure 5 p.186). Et à priori rien n’oblige Jones et Brown à avoir la même interprétation même si ils ont les même acquis. Il arrivera assez souvent que les deux agents soient en désaccords et qu’ils se trompent tous deux sur leur prédiction du comportement d’Ella, mais il arrivera aussi que l’un des deux ne se trompe pas. Cependant dans ce dernier cas, on aurait tort de considérer tel ou tel pattern comme nécessairement plus performant : déjà parce que ce cas peut alternativement arriver à l’un ou à l’autre, et ensuite parce qu’une prédiction tout à fait formulée au hasard (non fondée sur un pattern) pourrait faire tout aussi bien mouche quelques fois. Il est fort possible qu’un des deux patterns soit plus performant sur la durée ou dans un plus grand nombre de situation, mais Dennett reste convaincu que ceci n’est pas une obligation : « voilà je pense le point central de l’indétermination de Quine » (p.187). On pourrait prétendre qu’il y aura toujours moyen de vaincre l’indétermination et ce n’est d’ailleurs pas vraiment faux… On pourra toujours aussi trouver des éléments étayant telle ou telle thèse dans la fraction de seconde précédant l’acte, comme dans le cas du suicide d’Ella : « pendant ce bref instant, les éléments de preuve ont fait radicalement pencher la balance en faveur de l’interprétation de Brown » (p.188), par exemple. Mais si on vient à scruter ce genre de détail, souligne Daniel Dennett, c’est que nous avons mis de côté la stratégie intentionnelle au profit des « stratégies architecturales ». Et c’est bien la stratégie intentionnelle, au milieu d’un bruit inévitable, qui nous guide dans la construction de nos patterns. Dennett et les autres Par rapport à Davidson, explique-t-il, Daniel Dennett conçoit « qu’il peut y avoir pour un seul et même individu deux systèmes différents d’attribution de croyances ayant substantiellement différé dans leur attributions » (p.189). Il est question ici du rapport à l’indéterminisme, l’individu restant d’ailleurs maître par rapport au choix final et à la prédiction qui s’en suit. Mais confronté à une autre prédiction, comme expliqué plus haut, aucune ne doit s’en trouver nécessairement fausse : ces deux patterns seraient « tous aussi véritables » l’un que l’autre. Rappelons que par « véritable » Dennett n’entend pas se rapprocher du réalisme de Fodor (voir lus haut, Réalisme et langage). Pour Rorty et son « irréalisme plus doux que doux » d’après l’auteur (p.159), les esquisses réalistes sont purs fantasmes. Dennett lui n’est pas si allergique au réalisme et conçoit qu’on puisse élaborer une « correspondance » avec le réel, ne serait-ce simplement parce que c’est bien utile (voir exemple p.190). D’ailleurs pour Rorty, la psychologie populaire serait qualifiée « d’artifice » avance l’auteur. C’est à dire que rien ne prouve qu’elle soit plus qu’un gadget, jugé performant seulement parce que nous nous en convainquons mutuellement et continuellement. Alors que Daniel Dennett est convaincu qu’on peut trouver « d’abondants éléments de preuve montrant qu’on peut défendre notre allégeance […] en termes froidements objectifs » (p.191). Enfin, vis-à-vis de Churchland, Dennett partage l’incontestabilité de la stratégie intentionnelle dans l’approche des croyances. Cependant, son matérialisme le condamne à s’en remettre aux neurosciences, autrement dit : « il prévoit que les neurosciences découvriront éventuellement – peut-être même bientôt – un pattern qui soit ainsi nettement supérieur au pattern comportant du bruit fourni par la psychologie populaire » (p.192). Un pari qui semble plus handicapant qu’enrichissant. Cependant aspect essentiel déjà développé, notre intérêt n’est pas d’obtenir la description la plus précise et la plus juste, mais la plus performante et la plus utile. Il n’est pas dit que nous trouvions un incommensurable gain à connaître, un jour, le pattern ultime contenu dans nos neurones. Ce à quoi aspire Daniel Dennett, c’est nous convaincre que seule une position intermédiaire comme la sienne est suffisamment défendable. Sachant que Davidson aborde l’indéterminisme d’une manière trop triviale et donc insuffisante et à ses yeux. Et concernant les positions les plus extrêmes de Fodor et Churchland : « les deux points vues sont des formes de matérialisme tout à fait gratuites en ce qu’elles devancent de beaucoup la base empirique qui les confirmerait » (p.192). Alors que Rorty refuse tout simplement, à tort, d’accorder du crédit à la stratégie intentionnelle et sa psychologie populaire. Critiques Les « objets utiles » Concernant les objets abstraits comme les centres de gravité (p.154), Dennett se livre à une longue explication vis-à-vis de leur utilité scientifique. Evidemment personne ne peut réfuter que c’est cette utilité de l’objet qui fait qu’on tend à le manipuler « comme » un objet réel, mais ainsi Daniel Dennett esquive le problème : doit-on être réaliste vis-à-vis des objets abstraits ? « Ca dépend de ce qu’on en fait », ne semble pas une réponse très nette. Admettons qu’un « centre de chaussettes perdues » (p.156) n’a aucun intérêt, mais dans l’absolu il n’est pas moins, ou plus, réel qu’un centre de gravité. Les centres de gravité qui rappelons le selon les mots de Daniel Dennett sont eux « (on ne sait trop comment) de bons objets abstraits » (p.156). Les jugés « bons » seraient « véritables » et les autres non ? Qu’est ce qui m’empêcherait de vouloir trouver une utilité à un « centre de chaussettes perdues » si tel est vraiment mon désir ? On a un peu de mal à le suivre quand il prétend avoir « fait mouche » vis-à-vis des ses détracteurs (p.157). En fait ici Daniel Dennett annonce la couleur avec déjà une position « intermédiaire » dont il a le secret, et qui serait nécessairement la plus logique. Comme si se situer entre deux extrêmes, garder un peu des deux et esquiver les points les plus critiques, constituait position nécessairement logique. Et quand Dennett affirme « qu’il vaut mieux considérer les croyances comme des objets abstraits » (p.157), le lecteur ne peut être vraiment sûr de ce qu’est une croyance selon lui, à part « quelque chose d’utile », a moitié réel ou du moins quand on le décide ? Les analogies employées Dennett a cette qualité d’aimer confronter le lecteur à des exemples illustrés afin d’expliquer les choses. Effectivement, par une simplification explicite il est confortable de pourvoir isoler un problème. Mais cette simplification est à appréhender avec prudence, l’argumentation pourrait être implacable, que l’exemple présenté ne serait pas nécessairement plus qu’un exemple justement. Fut-il des plus confortable et séduisant dans l’analogie employée. Ainsi, peut-on vraiment prendre les trames des pages 160 et 182 en tant qu’arguments ? De même avec les deux « interprétations intentionnelles d’Ella » page 186. Même si il est vrai que ces illustrations permettent une approche efficace de la notion de pattern et de bruit, doit on admettre qu’il s’agît de représentations pertinentes des patterns tels que nous les manipulons communément ? Plus précisément, n’est-ce pas simplement des modèles dont la forme répond à ce que veux prouver Dennett, plutôt que des éléments de preuve réel ? Même si admettons le, ces modèles permettent d’expliquer le bruit et la recherche d’efficacité d’une manière assez utile, du moins agréablement préhensible pour nos esprits. C’est peut-être là que demeure un problème ambigu : rendre les choses préhensibles est certainement le meilleur moyen de les expliquer, mais c’est aussi inévitablement prendre le risque de les rendre trop simplistes ou trop partielles. Ainsi Daniel Dennett, à travers ses illustrations, ne peut que difficilement prétendre à une « globalité » dans le traitement de la question. La simulation du monde de Life Une analogie efficace est celle du « Game of Life » (p.169), d’ailleurs une grande part de l’argumentation de Dennett est fournie par son utilisation du monde de Life. Les avantages de cette simulation étant, rappelons le, qu’elle est en tout point déterministe, facile à appréhender pour l’imagination et enfin permet des « sauts ontologiques » entre différents niveaux de représentation indépendants : le plus élémentaire étant l’unité d’information discrète qu’est une cellule de l’espace à deux dimensions. Mais on reste justifié à se poser une question toute simple, de quoi dépendent ces cellules ? Il est inévitable qu’elles soient instanciées dans et par un monde physique. Le fait qu’il s’agisse là d’une simulation informatique n’enlève rien à cet aspect, l’informatique n’exclue rien du plan physique : circuits, électrons. C’est pourquoi on aurait tort de considérer avec trop d’entrain l’analogie par rapport au réel qui est théoriquement fournie par le monde de Life : pour fonctionner, il est intrasèquement lié à ce même monde que la simulation doit décrire. En fait il s’agirait plus d’un « objet informatique » utile à la réflexion qu’une réelle représentation, du moins sa force est moindre : un cas concret ne constitue pas une généralité. La réalité des patterns Pour Dennett un pattern dépend du point de vue qu’on porte à un comportement via la stratégie intentionnelle. Mais ainsi l’ombre du « flou » se fait ressentir, quelque chose qui dépend tant d’une opinion peut-il être réellement considéré comme réel ? L’exemple du monde de Life est un bon exercice dans ce sens qu’elle nous expose bien les choses : imaginons un observateur expérimenté qui suit le déplacements des entités que sont les « planeurs », et un autre qui voit juste des points clignoter. Imaginons que l’observateur novice parvienne au niveau ontologique des cellules qui se reproduisent et meurent, mais en aucun cas qu’il ne parvienne à s’abstraire suffisamment pour percevoir les formes en mouvements comme le fait son compère expérimenté. Pour lui ces « créatures » ne seront doué d’aucune réalité, plus simplement on peut même dire qu’elles « n’existent pas un point c’est tout ». Et quelle serait la nécessité de vouloir lui prouver le contraire ? Peut-être l’efficacité et la compacité pour mieux comprendre ce monde ? Mais après tout notre observateur peut très bien considérer que sa conception du monde, son point de vue, n’est dans l’absolu pas moins légitime car elle lui convient très bien. Ainsi il semble que la question de la réalité de ces éléments, et donc des patterns qui leurs sont associés, ne soit en aucun cas tranchée. En tout cas d’une manière beaucoup trop floue et subjective pour être convaincante. Cet état de chose fait écho au problème soulevé plus haut vis-à-vis des objets abstraits : choisir soit même entre les « bons » et les « bidons », scinder en deux un espace avec une ligne flou dépendant de l’agent aux commandes. Donc potentiellement, autant de choix, autant de réalité, que d’agents dans l’univers. Est-ce là le fin mot du « réalisme intermédiaire » de Daniel Dennett ? La position de l’auteur Pour Daniel Dennett la réalité des patterns est un fait, mais dépend avant tout du point de vue où on se place : autrement dit, cela dépend de l’agent. Cette idée simple, pouvant s’avérer plutôt séduisante, contient pourtant toute l’ambiguïté qu’on a pu soulever plus haut. Comme nous l’avons déjà abordé, Dennett veut se situer entre Fodor qui considère les patterns comme une réalité absolue et physique, Rorty qui les considère « uniquement dans les yeux de celui qui regarde » (p.159) et sans oublier Churchland qui nierait toute réalité aux croyances. D’où vient alors l’ambiguïté ? L’idée des interprétations rivales sur laquelle Dennett s’attarde (p.186) donne à réfléchir sur sa conception du « réalisme » des croyances. Ainsi pour lui il est central que deux agents distincts puissent construire deux patterns distincts, voir très distincts, par rapport à une situation unique. Nous sommes ici en plein dans cette idée de « réalité subjective ». Mais alors une question toute simple se pose : peut-on vraiment parler de réalisme ? Dit intermédiaire peut-être, mais avec une part de réalisme quand même ? Si chaque agent construit sa propre réalité, on a du mal à concevoir qu’il y en ait nécessairement une, du moins le terme perd de son sens. Surtout que, rappelons le, nous ne somme pas à même de juger qu’un agent détienne une croyance plus « vraie » qu’un autre. En fait le point le plus critiquable dans la conception de Daniel Dennett est que deux croyances sont à considérer à la fois comme tout aussi « vraie » l’une que l’autre, mais également comme « pas vraie » (véritable) pour autant (tel que les considérerait un réaliste comme Fodor). La « position intermédiaire » prônée par Dennett peut facilement passer pour floue. Car bien qu’elle semble assez confortable, permettant d’éviter les zones critiques des positions extrêmes comme celles de Fodor et Churchland, elle pourra passer pour illusoire auprès de beaucoup. Même si il est vrai qu’on parvient assez bien à concevoir ce que Daniel Dennett avance, trop de points restent discutables pour y adhérer sans critiques.