l’enfant dissocie son regard de sa navigation. Je pense que cela correspond à l’acquisition de la stratégie
dite de survol qui lui permet de s’affranchir du caractère séquentiel de la navigation égocentrée et de
commencer à changer de point de vue pour envisager des chemins variés, des détours, etc. Il n’est plus
prisonnier du déroulement pas à pas de son exploration du monde, il peut prendre de la hauteur, pour
ainsi dire. Ma thèse est que cette évolution est fondamentale pour toutes les fonctions cognitives et
notamment pour la capacité de prendre le point de vue de l’autre ».
Page 263 : « Ce n’est pas seulement non plus être comme l’autre : Gérard Jorland insiste sur la
différence entre sympathie et empathie dans son chapitre. Par conséquent, le secret de l’empathie ne se
trouve pas seulement dans les neurones miroirs. Il ne réside pas non plus seulement dans la capacité de
simuler mentalement les actions de l’autre ou d’en éprouver les émotions. Il exige cette capacité de
changer de point de vue tout en gardant le sentiment de soi ».
« La première de ces stratégies cognitives peut être appelée la stratégie de route. Elle consiste à se
souvenir des mouvements, des tournants, des translations que nous avons effectués et de les associer à
des repères visuels que nous avons remarqués. C’est pour cela que je l’ai nommée kinesthésique car elle
inclut la mémoire des kinesthèses au sens où, par exemple, Husserl l’emploie. L’environnement y est
construit par le cerveau à partir de visées successives, de points de vue séquentiellement organisés. Elle
est épisodique car elle peut aussi comprendre des événements complexes comme la rencontre d’une
personne, un évènement inattendu, etc. Elle est fondamentalement égocentrée, le point de vue de
l’analyse du monde est à la première personne. Nous avons montré qu’elle est sous-tendue par un réseau
neuronal qui implique particulièrement des couples d’aires pariéto-frontales et certaines aires temporales
comme le parahippocampe qui code des scènes visuelles liées à l’environnement. L’importance en est
que l’imagination de notre trajet est une véritable simulation mentale de nos mouvements et des
événements vécus dans l’ordre où ils sont apparus. Le flux du vécu y est reproduit. Nous en sommes en
quelque sorte les prisonniers. J’appelle cela la tyrannie du vécu. Une deuxième stratégie cognitive pour
se rappeler un trajet a été désignée par les psychologues qui l’ont étudiée stratégie de survol. Elle
consiste à évoquer une carte de l’environnement vue de dessus et à suivre un trajet sur cette carte
mentale. Cette stratégie de survol, qui consiste à visualiser une carte ou à en faire une description
propositionnelle, est utilisée en particulier lorsque nous cherchons à nous souvenir de grandes distances.
Elle a été étudiée par l’imagerie cérébrale. Cette stratégie est allocentrique. Dans le cas de la présence
d’autres personnes dans la scène à mémoriser, elle peut impliquer l’usage de la troisième personne,
c’est-à-dire la prise en compte du point de vue d’agents dans le monde. Une troisième stratégie a été
décrite par Thorndyke et Hayes-Roth. Lorsque, par exemple, nous essayons de nous rappeler où est le
bureau d’un de nos collègues dans un bâtiment, notre cerveau construit une représentation interne d’une
sorte de maquette du bâtiment. De nombreux auteurs ont élaboré des classifications de ces stratégies
mentales. Par exemple, Touretzky et Redish ont proposé de diviser les stratégies de navigation en quatre
sortes : les deux précédentes (route et carte), plus deux autres qu’ils appellent la navigation par taxons (il
s’agit de l’approche directe d’un but ou de l’évitement d’un obstacle, c’est la plus primitive des
navigations), et la navigation praxique qui serait une navigation purement endogène par séquence de
mouvements programmés internes (la trajectoire d’une ballerine sur la scène pourrait être un exemple de
cette navigation).
Page 273 : « La capacité d’avoir une vision d’ensemble, d’une situation ou d’un problème est associée à
la remarquable capacité d’envisager le monde de façons diverses, de changer non seulement de point de
vue mais aussi d’interprétation du réel, de lui attribuer des valeurs, de tolérer la différence, de décider.
Ce jeu subtil entre le perçu et le vécu, or pour échapper à la tyrannie du fanatisme, il faut être capable
d’être différent, c’est-à-dire de changer notre point de vue. »
Page 274 : « Or, le regard pénètre l’autre, il le pénètre en se fondant, en se transformant. Nous savons,
grâce à l’imagerie cérébrale, que le contact du regard active d’amygdale et tout le système des émotions.