Diplôme Inter-Universitaire de Pédagogie Médicale

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Diplôme Inter-Universitaire de Pédagogie Médicale
Universités Paris V, Paris VI, Paris XI et Paris XII
Pédagogie de l’empathie
Géraldine ROUSSEAU
Année 2012 - 2013
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Pédagogie de l’empathie….
…..Quelques minutes seul (e)
Résumé
L’empathie devrait être une des principales qualités requises pour faire d’un étudiant un bon
médecin. Faute d’être évaluée, son importance doit néanmoins être régulièrement évoquée
au cours des études médicales, à chaque étape et dès le début, sous peine d’être négligée.
Le rôle des enseignants est indispensable à la fois lors de l’enseignement théorique mais
également en stage afin que son rôle fondamental ne soit pas sous-estimé pour une prise en
charge médicale de qualité. Une petite expérience de quelques minutes durant lesquelles un
étudiant est seul avec un patient peut aider à prendre conscience du caractère très
relationnel du métier de médecin.
Mots clés
Empathie, étudiant, relation médecin - patient
Introduction
L’une des premières remarques faite à un étudiant lorsqu’il évoque son projet de devenir
médecin est que ce métier est avant tout une vocation, ce qui fait appel à la dimension quasi
sacerdotale dans l’esprit de nos semblables du métier de médecin.
On ne peut nier
l’existence d’autres motivations comme le prestige, l’intérêt technique, en particulier dans
certaines spécialités, l’argent ou tout simplement le suivi d’un exemple familial. Néanmoins, il
n’en demeure pas moins que l’intérêt que l’on porte à autrui et la volonté que l’on a de se
mettre à son service devrait demeurer la motivation principale sous peine de galvauder ce
qui fait la trame, l’esprit de ce métier. L’empathie, qui est la capacité d’un individu à se mettre
à la place d’autrui, serait alors l’une des principales qualités requise pour faire d’un bon
étudiant un bon médecin. Face à la maladie, à la souffrance physique, psychique ou sociale,
le médecin doit être capable d’agir en réponse à cette détresse, mû avant tout par le souhait
de faire le bien d’autrui sans toutefois se laisser envahir par ses propres émotions. Le
médecin animé d’empathie est acteur, mû par la volonté d’apporter une solution à cette
détresse ; le médecin emprunt de la seule sympathie ne pourrait être qu’un spectateur des
événements, paralysé dans un son action par un trop grand partage émotionnel avec le
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patient. Il ne faut donc pas ridiculiser l’empathie en la confondant avec une sympathie
exacerbée qui n’est pas constructive, paralysante dans l’action. S’apitoyer n’est pas aidant
pour le patient car le médecin est dans le même désarroi. Se mettre à la place d’autrui est
différent de s’identifier à autrui. Etre distinct ne veut pas dire être distant.
Bien qu’on puisse qualifier l’empathie d’indispensable à une relation médecin – malade de
qualité, son degré n’est pourtant pas évalué chez les étudiants au cours des études et son
défaut éventuel n’est pas sanctionnant. A défaut d’être évaluée, son importance doit au
moins être évoquée, et l’on peut souhaiter qu’elle soit à ce titre enseignée.
Se pose alors cette question : « peut-on apprendre et donc enseigner l’empathie ou est-ce
inné ? ». Il y a probablement une part d’inné mais dans la mesure où cela crée un socle
commun à l’ensemble des individus, ce n’est pas ce qui nous intéresse ici. Concernant la
part d’acquis, l’empathie, plutôt qu’être apprise va se développer dès l’enfance, par
l’interaction avec l’environnement familial, scolaire et social essentiellement. C’est ainsi que
se développeront le respect de l’autre, la solidarité, la sympathie, l’empathie. Dès lors, la
notion de disparité voire d’inégalité apparaît du fait de l’importance de l’influence de
l’environnement sur le jeune enfant puis l’adolescent. Cet environnement est par essence
propre à chacun et par définition inhomogène.
Lors des études médicales, l’environnement pédagogique et professionnel doit intégrer cette
disparité et a pour charge de faire prendre conscience à l’étudiant de l’importance de
l’empathie dans sa pratique médicale, de le rendre persuadé de son utilité. C’est à celle
seule condition que l’étudiant aura à cœur de parfaire cette capacité qui se travaille au
même titre qu’une autre.
L’apprentissage
L’objectif de l’apprentissage sera tout d’abord d’apprendre à décoder les émotions d’autrui,
ce qui nécessite d’y être réceptif, afin d’agir en conséquence et non d’apprendre la
« recette » d’un discours ou d’une gestuelle, ce qui ne serait qu’un mimétisme vide de sens
et sans portée. Il ne suffit pas de s’asseoir sur le bord d’un lit ou de poser une main sur une
épaule pour revendiquer un lien humain sincère.
Ainsi, l’empathie nécessite de s’intéresser aux émotions exprimées par le patient, de les
comprendre et d’y réagir. On souhaiterait que cette première composante aille de soi mais
ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Il ne va pas de soi qu’un étudiant se destinant
à la médecine soit doté d’une empathie suffisante pour un exercice professionnel de qualité.
Cela devrait être la base, l’évidence et l’on pourrait alors penser qu’il est inutile d’enseigner
l’évidence.
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L’enseignement théorique
L’objectif de cet enseignement sera de faire prendre conscience qu’il est important de
s’entraîner à ressentir et comprendre les émotions d’autrui afin que l’action soit adaptée.
La théorie permet ainsi d’évoquer l’ensemble des modes d’expressions des patients dont
certains, déroutants, comme le mutisme, l’indifférence ou l’agressivité peuvent empêcher
toute relation s’ils ne sont pas décodés.
Il n’en demeure pas moins que développer l’empathie est un travail personnel une fois la
conscience de son importance acquise, nécessitant d’être enrichi au même titre que les
connaissances scientifiques. Il s’agit d’un chemin personnel, encore faut-il connaître
l’importance qu’il y a à l’emprunter.
Ces notions doivent être évoquées très tôt dans le cursus médical car arrivant tardivement,
elles pourraient être considérées à tort comme secondaires. Preuve en est l’attitude des
étudiants dès la quatrième voire troisième année des études médicales, dont l’unique objectif
est d’adapter leurs connaissances au moyen d’évaluation de celles-ci que sont les épreuves
de l’Examen Classant National. Alors qu’il n’y a déjà plus de place dans cet apprentissage
pour les enseignements « hors programme de l’ECN», on imagine mal que soit donnée une
petite place à la culture de l’empathie.
Comme dans d’autres facultés, des enseignements optionnels se sont développés à Paris VI
afin de faire prendre conscience aux étudiants de l’importance de la relation médecin –
patient dans la qualité globale de la prise en charge thérapeutique. Si l’on est optimiste, on
se dit que c’est un bon début qu’une vingtaine d’étudiants par promotion soit motivée par ce
type d’enseignement. Si l’on est plus pessimiste, on se dit qu’ils sont là car valider un
certificat optionnel est obligatoire et que celui ci est validé sur la simple présence de
l’étudiant sans examen et sans mémoire. Pour avoir participé à cet enseignement, il est
cependant très satisfaisant de se rendre compte, qu’indépendamment des raisons qui ont
motivé leur inscription, leur intérêt dans ces jeux de rôle médecin – patient semble tout à fait
sincère. Avec la disparition des certificats optionnels, cet enseignement sera, en 2013 –
2014, dispensé à toute la promotion et c’est une bonne chose. Cela permettra de rappeler
aux étudiants qu’ils se destinent à un métier qui ne peut être désincarné des relations
humaines, qu’être réceptif à l’autre, c’est le mettre en confiance et que cette confiance est
nécessaire pour une bonne prise en charge médicale diagnostique et thérapeutique. Dans
cette relation médecin – patient, le médecin est un partenaire, pas un leader.
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« Sur le terrain »
Développer l’empathie ne peut se faire que dans l’accompagnement de l’étudiant.
L’apprentissage se fera en assistant à des entretiens entre patient et praticien.
Bannir devant les étudiants la désinvolture de certains propos qui s’ils peuvent avoir un effet
de catharsis chez des praticiens aguerris pourrait se résumer dans ce cas à un modèle
délétère. Les ainés doivent en être conscients lorsqu’ils côtoient les plus jeunes. Cela est
assez vrai si l’on pend l’exemple de l’interne de garde pour les urgences, quelle que soit la
spécialité, accompagné de « son » externe. La désinvolture est souvent de mise car elle
permet de donner de l’assurance, de l’épaisseur à celui qui en use. Si l’on n’est pas
conscient qu’il s’agit d’un rôle et non d’une nature réelle, cette mascarade de relation
médecin – patient pourra être reproduite par l’étudiant par mimétisme. En effet, être
désinvolte c’est être à l’aise et si l’on est à son aise face à une situation génératrice de
stress, c’est que l’on est compétent. Au final, désinvolture devient synonyme de compétence.
Ce travers est quasiment universel et résonne de façon personnelle pour chacun d’entre
nous si nous nous remémorons avec honnêteté notre période « junior ». Or, pour corriger un
défaut, il doit être identifié, ce d’autant qu’il est fréquent.
L’enseignement du savoir-être face au patient ne doit donc pas être l’apanage des seuls plus
jeunes d’entre nous. De même que l’importance de l’empathie doit être enseignée aux
externes, elle doit être rappelée aux internes.
Au contact des plus jeunes, l’exemplarité est indispensable. Montrer qu’un médecin prend le
temps de l’écoute du patient est important. Le médecin doit être capable d’expliquer la
pathologie, le pronostic, les traitements. Il doit aussi s’enquérir des impératifs de vie du
patient. En effet C’est probablement le meilleur moyen d’améliorer l’observance. Un
traitement qui est en conflit avec des impératifs personnels majeurs d’un patient ne sera pas
correctement suivi, même si son efficacité est indiscutable.
Une petite expérience
De façon à évaluer le comportement d’un étudiant et sa capacité à interagir avec autrui, je
fais volontiers une petite expérience qui me semble assez performante dans la prise de
conscience par l’étudiant du caractère fondamentalement relationnel de notre profession.
Un étudiant de quatrième année m’accompagne durant toute une matinée de consultation de
suivi de patients transplantés hépatiques. Il s’agit de patients suivis très régulièrement avant
et après transplantation, sur le long terme.
Entre deux consultants, j’aborde avec l’étudiant, à la lumière des échanges avec les patients,
les notions d’empathie, d’écoute, d’importance de la qualité de la relation médecin – patient.
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Lors d’une matinée ultérieure, avec ce même étudiant, je le laisse quelques minutes seul
avec le patient, prétextant un fax à récupérer ou une photocopie à faire. Je m’intéresse alors
à ce qui se passe dans le box de consultation à mon retour, quelques minutes plus tard.
L’objectif n’est pas de mettre mal à l’aise l’étudiant ou le patient. Il faut donc « sélectionner »
le patient, ce que permet un recrutement de patients chroniques, vus fréquemment en
consultation. Il ne s’agit pas de confronter un étudiant à un patient déroutant. De même, il ne
s’agit pas non plus de confronter à cet exercice un étudiant dont il apparaitra qu’il est
facilement intimidé ou encore très mal à l’aise dans la relation avec les patients, ce qui est
pour lui une expérience récente. Concernant le patient, il s’agira de choisir une consultation
de routine, au cours de laquelle aucune nouvelle ne sera source d’angoisse.
Cet « exercice » est de mon point de vue très différent de ce qui est classiquement demandé
à un étudiant en stage. En effet, l’examen clinique avec pour objectif la rédaction d’une
observation, donne un cadre très contraint à l’entretien avec le patient. Ce cadre rassurant
permet une attitude stéréotypée avec une entrée en matière qui pourra être répétée à
l’infini du type: « bonjour, je suis étudiant(e) en médecine et je souhaiterais vous interroger et
vous examiner pour consigner l’ensemble des éléments dans votre dossier médical ».
Les quelques minutes passées seul(e) en consultation avec un patient, sans mission
particulière à accomplir, nécessite davantage d’improvisation. Plusieurs situations peuvent
se présenter.
L’absence totale d’échange se produit mais est finalement assez rare si l’on veille à
« sélectionner » un patient plutôt communicatif. Lorsque le patient a dû amorcer la
conversation, il n’est d’ailleurs pas rare de le savoir car le patient mentionne souvent qu’il a
dû « dérider un peu » notre jeune collègue. Lorsque l’étudiant amorce la discussion, elle
débute en général sur un sujet non médical, qui permet de créer le lien sans risquer d’être
confronté à des questions d’ordre médical auxquelles l’étudiant pourrait ne pas pouvoir
répondre. Le patient est donc questionné sur la ville, le quartier d’où il vient, ce qu’il fait dans
la vie, son mode de transport jusqu’à l’hôpital. Autant d’informations qui n’ont pas un intérêt
en soi mais qui permettent d’appréhender l’importance de l’instauration du dialogue. Il est
exceptionnel que l’étudiant ait commencé à poser des questions médicales au patient.
La façon dont se sont déroulées ces quelques minutes, pas plus de 4 ou 5 en général,
permettent de juger l’importance de la notion d’empathie pour l’étudiant. En effet, si l’on se
met à la place du patient dans cette situation, il semble indispensable de briser le silence qui
s’est installé à notre départ. Cela est évident pour certains. Cela peut nécessiter d’être
expliqué pour d’autres. Il est néanmoins rare que ce soit expliqué et non compris…
De surcroît, en tant que chirurgien c’est aussi l’occasion de lutter contre un préjugé qui
voudrait que nous ne parlions pas aux patients et que l’essentiel de notre métier ne soit que
technique. Il est dit qu’une fois sur la table d’opération, ce qui compte pour le patient est que
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le chirurgien soit un bon technicien. C’est indéniable mais la qualité technique ne doit pas
être exclusive des autres qualités d’un médecin. Et cela est valable pour toutes les
spécialités.
Conclusion
Apprendre à décoder les émotions de l’autre, à se mettre à sa place ne peut qu’améliorer la
qualité de la relation médecin – patient. Ce qui importe est l’instauration d’un lien humain
sincère. La sincérité est la clé d’une relation de confiance et la confiance est le préambule
nécessaire à un projet médical diagnostique ou thérapeutique efficace.
L’écoute et le dialogue ne doivent être le seul apanage des professions paramédicales. Un
bon médecin n’est pas qu’un bon théoricien ou un bon technicien.
Références
Berthoz A., Jorland G. L’empathie, Editions Odile Jacob, 2004
Lecomte J. La bonté humaine : altruisme, empathie, générosité, Editions Odile Jacob, 2012
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