SES -Chapitre 9. Comment expliquer l’internationalisation de l’économie ?
KH – TES1 – 2015/2016
tous les domaines, aboutissant à la création d'oligopoles et de world companies
pétrolières, bancaires, pharmaceutiques, automobiles, technologiques..., plutôt qu'à
l'augmentation de la concurrence. Ces firmes multinationales ont, certes, investi dans les
pays émergents pour bénéficier de leur potentiel et y trouver des relais de croissance.
Mais elles ont aussi pu arbitrer entre les pays les systèmes sociaux, les réglementations
fiscales ou environnementales, et segmenter de plus en plus leur production. Une partie
de leurs investissements, de leur sous-traitance ou de leurs délocalisations ont alors été
guidés par la maximisation de leur profit à court terme.
La Chine a notamment attiré ce type d'investissements, qui lui ont permis de
s'industrialiser dans les années 2000, après son entrée dans l'OMC. La majorité des
exportations chinoises proviennent de firmes étrangères implantées dans le pays.
Mais ce mouvement a provoqué une désindustrialisation et une perte massive d'emplois
dans les pays développés et dans les émergents, comme le Mexique ou le Maghreb. Les
pays riches s'en sont sortis en ayant recours à l'endettement public ou privé, en
substituant des bulles immobilières à la perte de l'industrie... jusqu'à l'explosion.
[...] L'avantage chinois est d'autant plus fort que son taux de change est contrôlé par les
autorités - et sous-évalué -, à l'inverse des autres grandes devises. Ce qui a amené ces
derniers mois, par exemple, le Brésil à prendre des mesures pour protéger son industrie,
menacée par son real surévalué face au dollar, et surtout face au yuan. "La monnaie est
au cœur de la crise financière comme elle est au cœur des distorsions qui affectent les
échanges mondiaux. Et si l'on n'y prend pas garde, le dumping monétaire finira par
engendrer des guerres commerciales extrêmement violentes et ouvrira ainsi la voie au
pire des protectionnismes ", analysait dès septembre 2008 - au lendemain de la faillite de
Lehman Brothers -, le président Nicolas Sarkozy, dans son "discours de Toulon", où il
appelait à la refondation d'un système monétaire international sur le modèle des accords
de Bretton Woods de 1944, qui ont explosé en 1971, lorsque les Etats-Unis ont répudié la
convertibilité du dollar en or. Le chantier reste ouvert...
[...] La recherche du plus bas coût a certes permis des gains de pouvoir d'achat pour les
salariés des pays développés. Mais la mise en concurrence des salariés met une pression
de plus en plus insupportable sur l'emploi, les rémunérations et les systèmes de protection
sociale, sans que les salariés des pays pauvres ne recueillent une juste répartition des
richesses créées. Le libre-échange tourne en partie à une possibilité d'utiliser des
"désavantages comparatifs" pour obtenir le plus bas coût de production : localiser la
production et les capitaux là où les exigences sociales, environnementales et fiscales sont
les moins fortes, là où la dictature sociale et politique empêche une juste répartition des
fruits de la croissance.
[....] Les pistes ouvertes par la notion de "juste-échange" - autoriser l'accès aux marchés
de façon différenciée selon le respect de critères objectifs et multilatéraux de réduction de
la pauvreté, de respect du travail décent, de réduction du CO2 - pourraient refonder l'ordre
commercial mondial. Mais il ne fonctionnera pas sans une remise à plat du système
monétaire international, afin d'obtenir des parités de change les plus stables et loyales
possibles. Le libre-échange total ne semble, en tout cas, réaliste pour faire converger les
niveaux de vie qu'à l'intérieur d'ensembles régionaux dont les membres coopèrent au-delà
du seul commerce, comme l'Union européenne, et qui partagent les mêmes règles.
Cela ne signifie pas la fin du commerce mondial, mais son organisation. L'Union
européenne, ainsi, aurait sans doute intérêt à revenir à un tarif extérieur commun de droits
de douane - différencié et ne s'appliquant pas aux productions des pays les plus pauvres -
afin de réaliser ce projet. A l'inverse du démantèlement de leurs barrières douanières
imposé ces dernières années aux pays d'Afrique de l'Ouest, pour se conformer aux règles
de l'OMC...
Source : Adrien de Tricornot, « Libre-échange et protectionnisme : le vrai
débat est lancé », Le Monde économie, 26 mars 2012