2005TA - Web.UVic.ca

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2005TA
Talcytaliques
I Racine carrée
Au ras des racines l'enfant dérive
Fait des famillles sans père ni frère
Royaumes d'abeilles
La reine donne la vie éternelle
Empires de fourmis
L'une meurt et devient mur
Océans de brins verts
Nul n'a de jumeau
Et l'enfant dit :
Carré de silence
Et le carré grandit
Et le carré se creuse
L'enfant suit les bêtes blanches
Impatientes au pied de l'herbe
L'enfant suit les boules noires
Affamées au sommet des épis
Traîne avec un limaçon
Voltige avec un moucheron
L'enfant se prend dans les fils de lumière
Inventeurs de polygones
Courbes dans le vent
L'enfant dit :
Pas de fleurs pas encore
Le carré reste silencieux
Loin des odeurs qui enivrent
Des certitudes qui se plantent
Des couleurs qui tranchent
Des noms qui expliquent
Et l'enfant dit :
Aux arbres les feuilles feront tache d'herbe
Au sol les feuilles feront tache de terre
Au vent les feuilles seront pages envolées
Qui tournent avec les saisons
Il les recueille
Au carré de silence
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II Lignes d'ombre
L'enfant trace la ligne du sens
Jamais droite ni parallèle
Entre le dessus et le dessous
Ligne de l'à peine
Frontière des apparences
Ce qui griffe et sculpte l'invisible du dessous
Change de couleur en franchissant la ligne de lumière
Le temps d'être aperçu
Le gris est brun le blanc est gris
Au secret des fourmilières les fourmis sont plus claires
Ligne accidentée du silence
Dessous s'affairent les vies de l'ombre
Sans nom ni nombre
Les chambres n'ont pas de couleur
Draps blancs peaux blêmes des corps endormis
Plumes blanches qui caressent les feuilles
Pages blanches des livres clos
Candeur des secrets universels
L'enfant plonge au dessous
Nuit de tunnels et de masses
Cousue de fils blancs
Terminaisons dérivations contaminations
Histoire de silence aux personnages blancs
L'enfant dit :
Livre blanc
Ligne sans point
Ordre sans règle
Dessous tiges troncs fleuves
Dessus la ligne fait ciel
L'enfant dérive minutieux
Pleins et déliés de runes et de tresses
Crêtes crevasses promesses creusets
Dans les nœuds de la ligne
L'enfant déchiffre le livre sans dictionnaire
Solitaire inventaire des signes et des ombres
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III Ecritures
Silence
Assis
Attente
Temps
Craquement crissement cri
Un mot échappé d'une feuille
Le raclement d'une pierre crayeuse sous la cheville
Le halètement d'un orphelin exposé
Le vrombissement d'un insecte corseté
Le soupir des grands travaux
Le ruissellement d'une rivière cachée
L'enfant se tait suit du doigt
Les chemins emmêlés de la voix
Le jardin dessine ses poèmes
Sur l'herbe irrégulière sur les signets rocailleux
Aux points sans fuite des allées désertées
Aux branches des naissances et des fidélités
L'ombre de sa main trace l'italique du mystère
Arc de mémoire et rêve
Etrange langue de présages et reprises
Immémoriales semences d'exils et de retours
Talcytaliques
IV Vert
Au détour d'une reconnaissance
Au hasard d'un faux-pas
Au passage d'une ombre
Explosion
L'enfant s'éveille
Etend son territoire sans carte
Renaissance
Vert
Mon jardin tout en vert
Ni cultivé ni fleuri
Ni anglais ni français
Vert
Ciel vert à force de fixer l'herbe
Brun noir gris sont verts
Marcher sur la pointe des pieds pour ne pas écraser les invisibles
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Sans cligner les yeux
Forêt des lilas cailloux blancs langages tus
Pattes de mouches runes brindilles lettres du hasard
Mon ombre danse et se découd
Invisible enfin me voilà plusieurs
Vert blanc ombre brun
VI Carré magique
Carré magique
Mes quatre saisons aux quatre vents
Quadrille des amours et des adieux
Pesée des silences
Chants nocturnes de héros défunts
Epopées muettes de peuples anonymes
Carré magique
Chacun demeure et revient au carré
Basse opiniâtre d'un grain de terre séchée roulé par le vent
Stridence des épis contre le vent
Pétales frappant l'eau dormante
Cymbales de pas étrangers
Le carré orchestre la page
Racine carrée de mon enfance
Livre blanc enfoui sous la ligne de conscience
L'immobilité réveille le secret des voix
—Je suis le Roi Vert
Debout sur ses étriers cheval arqué
Carapaçonné
Brillant comme un scarabée neuf
Statues madrigaux panaches je caracole
En tête du cortège des héros
—Je suis la dame blanche qui disparaît au coin de l'allée
Je me regarde au miroir de l'air
Le pan d'une robe qui se dérobe
Le long cheveu sans fin au bec d'un oiseau
Le baiser sacré d'un doigt sur la bouche
Le murmure clandestin auprès d'une fontaine
—Je suis l'inquiète demoiselle au jardin
Yeux sur la fenêtre de la chambre
Petits pas sous la haie
Frissons au moindre bruit
Ceinture de serments carquois de nuit
Arc infini des amours interrompues
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Je garde au creux de mes mains la promesse du poète
Jours et fruits je cueille et perds
Triste demoiselle au jardin
—Je suis le poète ensanglanté
L'imprononçable Agrippa du jour de sa mort
Mes pas dans les pas de mes princes
Mes poèmes dans les poèmes du maître
Mes mains dans ses mains
Hécatombe de mes jeunesses et de mes espoirs
Le Seigneur sera mon berger
Mon âme gît au verger
V Pluie
Mille brindilles brisées
Mille éclats claquant sur la ligne
La terre s'ouvre en ruisseaux lacs estuaires mers
Invisible l'enfant respire la senteur des recommencements
L'ébriété de l'herbe mouillée
L'hésitation des colimaçons
Le sommeil des abeilles
Goutte à goutte il s'enfonce
Dans les plis humides où la ligne se perd
Mystères la racine monte au jour
Le pétale retourne à la nuit
L'enfant hume l'éternité et récolte les vapeurs
VI Errances
Puis c'est la saison des villes et des cercles
De l'autre côté
Bal des flammes et falbalas
Palabres pâtisseries dîners livres toilettes
Mots mots mots
Bouquets anthologies sonnets fleurs
Paysages parterres promenades
Le jardin gît épaté ouvert séché
Au carré des conversations
Pavées de bons mots striées de points de vues
Au récital des prés sans herbe
Ils font rimer rose et morose
Terrassent les crêtes del'invisible
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Broient pistils dards et arômes
Au livre d'or du jardin
S'étend la chanson des villes
Bien tournée bien polie
On héliotrope le tournesol
On asphodèle l'étoile
On ignore le soleil des pissenlits
Et méprise l'herbe verte
Cordeaux tuteurs greffes encore fraîches
Etêtages repiquages
Géométries de la bêche
L'enfant ne dit rien
Sur la dernière page blanche
La neige étouffe les rumeurs du monde
VI Trous
Sans fond ni forme. Dans le fond, là où les allées ne vont pas, dans l’impasse de la fin du
jardin, terre remuée, plants gelés, tiges nouées et séchées, rebuts. Le tas et le trou se
tiennent ensemble, aveugles, derrière. Les jardiniers ne jettent pas un regard en
renversant les brouettes, c’est déjà la garenne. Les petites herbes folles y courent, sans
parterres ni hauteur. Elles couvrent les couches, voilent la noirceur des décompositions
fourmillantes, enfouissent les bruissements du terreau et des fermentations, cachent les
voies souterraines de l’après. La ligne de l'ombre ouvre la porte du dessous. Là, par un
jour sans vent, à la fin de l’été, un jardinier allume le grand feu de la fin des herbes.
Devant la flambée, les mains devant les yeux, un linge sur la bouche, il remue d’un long
bois vert les gerbes aussitôt cendres. Il revient au soir et écrase de sa botte les lueurs
attardées.
Un jour, un iris. Ou une jonquille. Ou un chêne. Qui apparaissent sans prévenir dans le
tournant de l’allée, sous le figuier bleu entre les vignes. Ou encore une fleur que nul ne
reconnaît, dressée sur une motte soudain surgie dans la pelouse. On arrache, on jette au
tas.
Une autre fois, il faut trancher : on attaque en profondeur, sous les lames des bêches et
des pelles, la terre se creuse et devient mur. De la paroi de terre à vif, pointent les
terminaisons blanches de proliférations muettes ; elles croisent les obscures percées de
trajets et repaires sans nom. La pelle sonne, métal contre métal, métal contre pierre,
blesse les racines, clôt les tunnels, force le passage. Le jardinier part, le temps comble la
fosse, les ténèbres demeurent et germinent.
VII
Guette précis le moment du brin qui paraît au jour
Vert le blanc pique vers le ciel
Maintenant
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