Égalité de considération à ces deux droits et nécessité de

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Michaud c. Gazette (The)
2014 QCCQ 2525
COUR DU QUÉBEC
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE TERREBONNE
LOCALITÉ DE St-Jérôme
« Chambre criminelle »
N° :
700-01-101736-117
DATE :
24 mars 2014
______________________________________________________________________
SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE NORMAND BONIN, J.C.Q.
______________________________________________________________________
FRANCE MICHAUD (003)
GAÉTAN MORIN (004)
ROSAIRE FONTAINE (007)
ROBERT POIRIER (008)
Requérants
c.
THE GAZETTE
Le DEVOIR
LA SOCIÉTÉ RADIO-CANADA
La PRESSE LTÉE
CORPORATION SUN MÉDIA
GROUPE TVA INC.
Intimées
JB3158
et.
LE DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES DU QUÉBEC
Mis-en-cause
700-01-101736-117
PAGE : 2
DÉCISION SUR REQUÊTE POUR OBTENIR UNE
ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION
______________________________________________________________________
Interdictions de publication émanant d’autres juridictions ou du Tribunal :
[1]
La présente décision est rendue sans porter atteinte à la validité d’autres ordonnances de non-publication de
certains faits connexes au présent dossier. Sont portés à la connaissance du Tribunal les ordonnances existantes
suivantes :
_Décision du 11 juin 2012 de l’Honorable Sophie Bourque à la Cour supérieure dans le dossier 700-3600090-121;
_Décision du 8 novembre 2012 de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics
dans l’industrie de la construction (témoignage de Lino Zambito);
_Décision du 15 février 2013 de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans
l’industrie de la construction; (témoignage de Michel Lalonde, Jacques Victor et Joseph Farinacci)
_Décision de l’Honorable Michel Bellehumeur de la Cour du Québec rendue le 26 février 2014 dans le cadre
du plaidoyer de culpabilité de madame Sylvie Berniquez St-Jean interdisant la publication de tous les faits
rapportés à cette audience traitant de la période du 1 er janvier 2009 au 1er novembre 2009.
Or, les paragraphes 111 à 156, 159, 166, 171, 172 et 186 à 193 de l’exposé conjoint des faits versé dans le
cadre du plaidoyer de culpabilité de madame Sylvie Berniquez St-Jean visent précisément cette période et
sont associés à deux procès devant jury à venir.
La demande de maintien de confidentialité de l’exposé conjoint des
faits fait dans le cadre du plaidoyer de culpabilité de madame Sylvie
Berniquez St-Jean :
[2]
Le 16 avril 2012, un acte d'accusation privilégié est déposé dans le dossier
700-01-101736-117 comprenant 13 chefs d'accusations, dont complot pour fraude,
fraude, abus de confiance, fraude envers le gouvernement, actes de corruption dans les
affaires municipales, commissions secrètes, abus de confiance par un fonctionnaire
public e t co m p lo t à ce d e rn ie r é ga rd , concernant distinctement : Sylvie
Berniquez St-Jean, France Michaud, Gaétan Morin, Rosaire Fontaine et Robert Poirier.
[3]
Ces accusations émanent du service des enquêtes sur les crimes économiques
de la Sûreté du Québec dans le cadre du projet « Fiche » comportant des événements
concernant la ville de Boisbriand et certaines firmes d’ingénieurs y offrant des services.
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[4]
Au cours du mois de décembre 2013, les accusés dans le présent dossier réoptent devant un juge de la Cour du Québec.
[5]
Le 26 février 2014 Madame St-Jean enregistre des plaidoyers de culpabilité dans
un autre dossier. Le 17 mars 2014, les accusations la concernant sont retirées dans le
présent dossier.
[6]
Deux autres procès sont prévus devant la Cour supérieure à l’égard d’autres
accusations ou d’autres individus.
[7]
Le 26 février 2014 est déposé devant le juge Bellehumeur, un exposé conjoint des
faits auquel adhèrent la Poursuite, madame St-Jean et son avocat. Cet exposé
comprend 196 paragraphes. Pour bon nombre de ces paragraphes, il s’agit d’éléments
qui sont à la connaissance personnelle de madame St-Jean. D’autres paragraphes
comprennent l’historique du dossier. D’autres parties du document consistent, en
quelque sorte, en un exposé détaillé de la cause concernant aussi les accusés dans le
présent dossier. Ceux-ci demandent que la grande partie du document qui les concerne
soit maintenue confidentielle par le Tribunal.
[8]
Le Tribunal entend cette demande au même moment où le procès doit
commencer.
Les arguments des parties :
Les procureurs des accusés
[9]
Malgré que le présent procès se tienne devant juge seul et non devant jury, les
procureurs des accusés estiment que, sans cette ordonnance de non-publication ou de
maintien de confidentialité de ce document, représentant la théorie de la Poursuite dans
le présent dossier, leur droit à un procès équitable est en péril du fait que des témoins
seront en mesure de prendre connaissance de leur témoignage anticipé rendu public
avant de le rendre.
[10] Ils font valoir qu’ils n’ont pu bénéficier d’une enquête préliminaire, la Poursuite
s’étant prévalue d’un acte d’accusation direct, que le plaidoyer de culpabilité de madame
St-Jean ne prêtait pas à un contre-interrogatoire, qu’ils ne pourront la contre-interroger
dans le contexte où la Poursuite a annoncé qu’elle ne comptait pas la faire témoigner au
procès.
[11] Plus particulièrement à l’égard des paragraphes 19 à 24, 26 à 31,37, 42 à 44, 50
à 52, 74 à 78, 83, 86 et 87 la publication de l’exposé de cause nuirait à l’équité du
procès.
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[12] Les procureurs de la Défense sont d’avis qu’il existe un risque sérieux que la
diffusion de ces paragraphes confine les témoins dans une version des faits influencée
par la diffusion dans les médias, dans un contexte où un juge a accepté un plaidoyer de
culpabilité d’un complice allégué, que cette personne était assistée d’un avocat et qu’elle
devait avoir enregistré un plaidoyer de culpabilité avec la conviction que la Poursuite
détient la preuve hors de tout doute raisonnable.
[13] Selon eux la diffusion des paragraphes suivant lesquels la preuve démontre qu’il y
avait une entente entre certaines firmes d’ingénieurs et la municipalité de Boisbriand
aurait pour effet de laisser croire à une certaine véracité de ces faits aux yeux du public
et des témoins. Notamment certains co-conspirateurs allégués pourraient être influencés
croyant que leur version se trouve appuyée ailleurs dans la preuve, ce qui rendrait un
contre-interrogatoire plus difficile.
[14] Certains paragraphes feraient l’affirmation de l’existence d’une preuve alors qu’ils
seraient basés sur du ouï-dire, ce qui aurait pour effet d’induire une possible confusion
chez les témoins.
[15] Selon les procureurs des accusés, un témoin qui serait l’un des instigateurs du
système allégué et qui ne serait pas accusé se serait contredit, même parjuré devant
d’autres instances. Les Procureurs des accusés sont d’avis qu’il y a un risque sérieux
qu’un témoin qu’ils estiment à la fiabilité douteuse préfère se ranger derrière son
témoignage annoncé en public.
[16] Les procureurs sont d’avis que certains paragraphes ne sont pas supportés par la
preuve divulguée. La poursuite est en profond désaccord avec cette allégation et toutes
les parties conviennent que la divulgation de la preuve est complétée.
Les procureurs de la Poursuite :
[17] Les procureurs de la Poursuite ne voient pas d’atteinte à l’équité du procès ou à
sa bonne administration et sont essentiellement d’avis que la demande des procureurs
de la Défense ne rencontre pas les critères Dagenais1/Mentuck2.
Les procureurs des médias :
[18] Les procureurs des médias font valoir, avec ample jurisprudence à l’appui, qu’un
procès équitable est d’abord un procès public, que la liberté de presse, composante de la
1
2
Dagenais v. Canadian Broadcasting Corp., [1994] 3 S.C.R. 835.
R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442.
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liberté d’expression protégée par la Charte doit être favorisée pour permettre aux médias
de jouer leur rôle de surveillance des institutions dans une société démocratique ainsi
que leur rôle fondamental d’enquête et d’information. Ils insistent pour signaler que selon
eux, les procureurs de la Défense n’ont produit qu’une prétention générale hypothétique
et non la preuve nécessaire pour faire la démonstration de leurs prétentions, qu’ils n’ont
pas rempli le fardeau de la preuve qui leur incombe et qu’ils n’ont surtout pas démontré
la nécessité d’une telle ordonnance de non-publication. Ils sont d’accord que ceux-ci
n’auraient pas rencontré les exigences des arrêts Dagenais/Mentuck 3.
Les dispositions pertinentes :
[19]
La Charte canadienne des droits et libertés4 édicte :
L’article 2b) :
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la
liberté de la presse et des autres moyens de communication;
L’article 11d):
11. Tout inculpé a le droit:
d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable,
conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un
procès public et équitable;
Égalité de considération à ces deux droits et nécessité de les
concilier :
[20]
D’abord, il est nécessaire de se rappeler que ces deux droits ne sont pas toujours
en confrontation. Le procès public est une composante d’un procès équitable.5 En cas de
conflit de ces valeurs, il y a lieu de considérer qu’il s’agit de deux droits fondamentaux
dans la société et que les arguments favorables à la tenue d’un procès plus équitables
3
4
5
Voir notes 1 et 2 précitées.
Charte canadienne des droits et libertés, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
ch. 11 (R.-U.).
Dagenais c. Société radio-Canada., [1994] 3 R.C.S. 835, par. 82.
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ne doivent pas nécessairement prévaloir sur la liberté de presse et d’expression. Ces
deux droits fondamentaux doivent être conciliés selon les intérêts en cause dans une
démarche circonstanciée au cas par cas.
La liberté d’information :
[21] Dans Edmonton Journal c. Alberta,6 le juge Cory précise la valeur fondamentale
de la liberté d’expression :
Il est difficile d'imaginer une liberté garantie qui soit plus importante que la liberté
d'expression dans une société démocratique. En effet, il ne peut y avoir de
démocratie sans la liberté d'exprimer de nouvelles idées et des opinions sur le
fonctionnement des institutions publiques. La notion d'expression libre et sans
entraves est omniprésente dans les sociétés et les institutions vraiment
démocratiques. On ne peut trop insister sur l'importance primordiale de cette
notion.
(…)
Il est également essentiel dans une démocratie et fondamental pour la primauté
du droit que la transparence du fonctionnement des tribunaux soit perçue comme
telle. La presse doit être libre de commenter les procédures judiciaires pour que,
dans les faits, chacun puisse constater que les tribunaux fonctionnent sous les
regards pénétrants du public.7
[22] Comme le signalait aussi le juge Cory dans Phillips c. Nouvelle-Écosse
(Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray) :
[U]n particulier risque beaucoup moins d'être victime d'un traitement injuste ou
oppressif sous la coupe de l'État s'il est jugé en séance publique. Par surcroît, il y
a bien plus de chances que la population ait confiance dans un système
transparent.8
6
7
8
Edmonton Journal c. Alberta, [1989] 2 R.C.S. 1326.
Edmonton Journal c. Alberta, [1989] 2 R.C.S. 1326, p. 1336 et par. 102.
Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2
R.C.S. 97, par. 116.
PAGE : 7
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[23] La diffusion des débats judiciaires est donc la règle et son interdiction en est
l’exception.
[24] Dans Dagenais,
favorise de:
9
la Cour suprême reconnaissait que la publicité des débats
- accroître au maximum les chances que des individus porteurs de
renseignements pertinents prennent connaissance de l'affaire et communiquent de
nouveaux renseignements;
- éviter le parjure en soumettant les témoins à l'examen public.
- empêcher toute action préjudiciable par l'État ou les tribunaux en assujettissant
le processus de justice criminelle à l'examen public;
- diminuer le crime au moyen de sa désapprobation publique;
- promouvoir la discussion en public de questions importantes.10
[25]
Par ailleurs, la Cour suprême reconnaissait que certaines ordonnances de non
publication limitées peuvent :
- soustraire le jury à l'influence de renseignements autres que ceux qui sont mis en
preuve au cours du procès (par exemple, les renseignements offerts dans une
émission de télévision de type tabloïd et la preuve analysée en l'absence du jury et
jugée inadmissible;11
[26]
À cet égard la Cour suprême reconnaissait que:
Lorsque le procès est précédé d'une période intense de publicité relativement à
des questions qui feront l'objet du procès, la situation est plus problématique.
L'impact des directives est alors considérablement atténué. La publicité peut créer,
dans l'esprit du jury, des impressions qui ne peuvent être consciemment dissipées.
Le jury risque en fin de compte d'être incapable de distinguer la preuve entendue
au procès de l'information implantée par un déversement continu de publicité. 12
[27]
Une ordonnance de non-publication peut aussi avoir comme effet favorable de :
- accroître au maximum les chances que des personnes témoignent du fait
qu'elles se sentent à l'abri des conséquences de la publicité;
9
10
11
12
Dagenais c. Société Radio-Canada,
Dagenais c. Société Radio-Canada,
Dagenais c. Société Radio-Canada,
Dagenais c. Société Radio-Canada,
note 1précitée.
note 1précitée.
note 1précitée. par. 83.
note 1précitée., par. 88.
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- protéger les témoins vulnérables (par exemple les enfants, les indicateurs de
police et les victimes de crimes sexuels);
- préserver la vie privée des personnes concernées dans le processus criminel
(par exemple, l'accusé et sa famille de même que les victimes, les témoins et leurs
familles);
(…)
- épargner à l'État, à l'accusé, aux victimes et aux témoins les coûts sur les plans
financier et émotif des solutions de rechange aux ordonnances de non-publication
(par exemple retarder le procès, en changer le lieu et faire des récusations
motivées des jurés);
- ( dans certains cas )maintenir la sécurité nationale.13
Le test Dagenais/ Mentuck14 et la jurisprudence connexe :
[28] Qu’une demande vise l’interdiction de publication de certaines parties des débats
judiciaires, l’octroi ou le maintien de la confidentialité de certains documents déposés à la
Cour, l’exclusion partielle ou complète du public, la restriction de la présence des médias
et quelques soient les motifs au soutien d’une telle demande de restreindre la liberté
d'expression et la liberté de presse relativement à des procédures judiciaires, dès
que cette demande implique une discrétion de la Cour, chaque fois, les avocats des
grands médias doivent recevoir avis, ils ont le droit de faire valoir leur point de vue
devant la Cour et le critère Dagenais/Mentuck15 s'applique.16
[29] L’examen des limitations à la liberté de presse à l’égard des procédures judiciaires
est un critère souple en ce qu’il puisse s’adapter suivant les droits ou intérêts en cause :
protéger le droit à un procès équitable,17 protéger la bonne administration de la
justice,18 la sérénité des débats judiciaires,19 la protection des personnes vulnérables,20
13
14
15
16
17
18
19
20
Dagenais c. Société Radio-Canada, note 1précitée., par. 83.
Notes 1 et 2 précitées.
Dagenais c. Société Radio-Canada, notes 1.
Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, [2005] 2 R.C.S. 188, par. 7; voir aussi Société Radio-Canada
c. Canada, 2011 CSC 3: [2011] 1 R.C.S. 65, par. 13; Gesca ltée c. Groupe Polygone Éditeurs inc.
(Malcom Média inc.); 2009 QCCA 1534, par. 29-30.
Dagenais c. Canadian Broadcasting Corp., [1994] 3 R.C .S. 835.
R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442.
Société Radio-Canada c. Canada, 2011 CSC 3, par. 18.
Société Radio-Canada c. Canada, 2011 CSC 3, par. 19.
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la protection des valeurs sociétales,21 la protection d’un intérêt important, juridique,22
même commercial.23
[30]
Une ordonnance de non-publication ne doit être rendue que si :
a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne
administration de la justice, vu l'absence d'autres mesures raisonnables
pouvant écarter ce risque;
b) ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables
sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le
droit à la libre expression, sur le droit de l'accusé à un procès public et équitable, et
sur l'efficacité de l'administration de la justice. » 24
( ...)
Le premier volet du critère comporte plusieurs éléments importants qu'on peut
résumer par la notion de « nécessité », mais qu'il vaut la peine d'énumérer.
L'un des éléments requis veut que le risque en question soit sérieux ou,
pour reprendre l'expression du juge en chef Lamer dans Dagenais, p. 878,
« réel et important ». Il doit donc s'agir d'un risque dont l'existence est bien
appuyée par la preuve. Il doit également s'agir d'un risque qui constitue une
menace sérieuse pour la bonne administration de la justice. En d'autres termes.
il faut que ce soit un danger grave que l'on cherche à éviter et non
un important bénéfice ou avantage pour l'administration de la justice que
l'on cherche à obtenir.25
Le deuxième élément est le sens de l'expression « la bonne administration de
la justice ». Je ne souhaite pas restreindre indûment le genre de dangers
susceptibles de rendre une interdiction nécessaire, puisque le pouvoir
discrétionnaire constitue un aspect essentiel de la règle de common law en
question. Cependant. les juges doivent faire preuve de prudence lorsqu'ils
décident ce qui peut être considéré comme faisant partie de l'administration
de la justice. Il est évident que le recours à des agents banalisés et à des
indicateurs de police fait partie de l'administration de la justice, tout comme les
pratiques telles que les programmes de protection des témoins. Les tribunaux
ne doivent toutefois pas interpréter cette expression d'une façon large au
point de garder secrets un grand nombre de renseignements relatifs à
21
22
23
24
25
Procureur général de la Nouvelle-Écosse c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175.
A.B. c. Bragg Communications Inc., 2012 CSC 46, [2012] 2 RCS 567.
Sierra Club c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 R.C.S. 522., par. 53.
R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442, par. 32.
R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442, Ibid. par. 34.
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PAGE : 10
l'application de la loi dont la communication serait compatible avec l'intérêt
public.26
Le troisième élément que je désire mentionner a été reconnu par le juge La Forest
dans Nouveau-Brunswick, (…) par. 69, lorsque celui-ci a formulé le critère à trois
volets analysé précédemment. Le deuxième volet qu'il a énoncé vise
manifestement à refléter le volet de l'atteinte minimale du critère de Oakes, et la
même composante se trouve dans l'exigence de common law selon laquelle des
mesures de rechange moins exigeantes ne permettent pas de prévenir le risque.
Cet aspect du critère applicable aux interdictions de publication en common law
exige non seulement que le juge détermine s'il existe des mesures de
rechange raisonnables, mais aussi qu'il limite l'ordonnance autant que
possible sans pour autant sacrifier la prévention du risque. (les caractères
gras sont du soussigné).27
[31] Ce n’est que si la première étape de la démonstration convaincante de la
nécessité est faite qu’il y a lieu de passer à l’étape de la pondération.
[32] C’est à la partie qui présente la demande de dérogation à la règle générale de la
publicité des procédures qu’incombe la charge de la justifier. 28 Il lui appartient de
démontrer, par une preuve convaincante,29 qu'il existe un risque réel et important qu'il y
ait entrave, du fait de la publicité des débats, au droit à un procès équitable, à la bonne
administration de la justice ou à un autre intérêt dont la protection est requise par la
constitution et sa charte, par la loi, par la Common law ou un intérêt sociétal important :
[U]ne allégation générale selon laquelle la publicité des débats pourrait
compromettre l’efficacité de l’enquête ne pourra étayer à elle seule une demande
visant à restreindre l’accès du public à des procédures judiciaires.30
[33] La Cour suprême reconnaît cependant que toutes les situations ne se prêtent pas
facilement à faire une preuve :
26
27
28
29
30
R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442, Ibid. par. 35.
R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442, Ibid. par. 36.
Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), par. 71.
R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442, par. 39.
Toronto Star, Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, 2005 CSC 41 , [2005] 2 R.C.S. 188, par.9.
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PAGE : 11
Dans le premier arrêt (dans Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général),
2011 CSC 2 (CanLII), [2011] 1 R.C.S. 19), la juge Deschamps a estimé (au
par. 56) que la norme des arrêts Dagenais et Mentuck n’est ni plus exigeante ni
moins exigeante que celle de l’arrêt R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1
R.C.S. 103. En d’autres termes, en l’absence d’une preuve scientifique ou
empirique de la nécessité de restreindre l’accès, la cour peut déduire le
préjudice en appliquant la logique et la raison : RJR-MacDonald Inc. c.
Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 72;
Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), 1998 CanLII 829
(CSC), [1998] 1 R.C.S. 877, par. 91. 31
Application au cas d’espèce :
[34] Il y a d’abord lieu de mentionner que la preuve à l’égard des prétentions de la
Défense suivant lesquelles la diffusion ou publication de l’exposé des faits dans le
dossier de Sylvie Berniquez St-Jean risque d’affecter l’équité du présent procès est
ténue. Par un affidavit les avocats de la Défense allèguent en quoi il y a un risque de tort
à l’équité du procès. Le Tribunal reconnaît qu’il est considérablement difficile de prévoir
les incidences d’un plaidoyer de culpabilité d’une co-accusée et de la diffusion des faits
qui y sont rapportés et que, de ce fait, il devient très difficile de faire une preuve sur la
question.
[35] La Cour suprême insiste que les dangers de la publicité des débats judiciaires
sont davantage présents dans les procès avec jury. :
[L’]évaluation des effets potentiellement préjudiciables de la publicité antérieure au
procès est une démarche hautement conjecturale. De plus, ce préjudice ne peut
être allégué que lorsque le procès a lieu devant juge et jury. La publicité antérieure
au procès est réputée ne pas porter atteinte au droit de l'accusé à un procès
équitable lorsque celui-ci est jugé par un juge seul. Comme le précise mon
collègue le juge Cory dans ses motifs à la p. 172:
. . . il faut présumer que le juge du procès, qui est, de par sa formation,
objectif et averti que la charge de persuasion retombe sur l'accusation, peut
facilement écarter de son esprit les effets préjudiciables de la publicité
antérieure au procès.32
31
32
A.B. c. Bragg Communications Inc., 2012 CSC 46, [2012] 2 RCS 567, par. 16.
Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray),
[1995] 2 R.C.S. 97, par. 32.
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PAGE : 12
[36] À la lumière de la jurisprudence, il semble en effet que le plus souvent les
ordonnances de non-publication sont prononcées précisément pour protéger le délibéré
des jurés de façon à s’assurer qu’ils soient le moins possible influencé par des sources
externes et qu’ils ne s’appuient que sur la preuve. Dans le cas où le procès est gouverné
par un juge seul, cette inquiétude ne vaut plus puisqu’il est le propre d’un juge que de ne
devoir examiner que la preuve admissible et de mettre de coté tout autre élément.
[37] Certes, l’on pourrait penser que si la compréhension d’un litige est affectée par la
publicité récente des médias pour un juré, la mémoire que s’est faite un témoin peut
aussi être affectée. Cela, particulièrement dans le cas de témoins moins structurés à
l’égard de qui il n’est pas certain qu’un contre-interrogatoire serré soit suffisant pour
distinguer si un témoin est de bonne foi, mais qu’il puisse confondre du fait que son
cerveau ait retenu des informations qu’il n’avait pas initialement ou si le témoin est
simplement de mauvaise foi ou non crédible. Si la publicité est contemporaine au procès,
comme pour les jurés, le risque d’influence de toute diffusion d’information sur les faits
est certes plus grand.
[38] Est-il raisonnable de croire que le témoignage de certains témoins risquent d’être
affectés par le fait qu’un document faisant état des faits soit présenté à un juge ayant
accepté un plaidoyer de culpabilité d’un co-accusé comme étant libre et volontaire et
suite au fait qu’un accusé conseillé par un avocat admette vraisemblablement qu’il y avait
une preuve hors de tout doute raisonnable?
[39] Certains des témoins qui témoigneront dans le présent procès ont témoigné
devant la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans
l’industrie de la construction. Ils ont fait l’objet de contre-interrogatoire et bénéficient de la
protection de la Charte quant à l’incrimination résultant de leur témoignage ou de la
preuve dérivée. Dans le présent dossier, il s’agit d’un exposé rapportant des éléments
comme étant des faits alors qu’ils sont contestés dans le présent procès, alors que la
personne qui a plaidé coupable n’a pas témoigné et n’a pas été contre-interrogée, et
alors qu’il est annoncé qu’elle ne sera pas appelée par la poursuite comme témoin et que
les procureurs des accusés dans le présent procès n’auront aucune possibilité de la
contre-interroger sur ce qu’elle allègue avoir eu personnellement connaissance.
[40] Il n’est pas dit qu’il n’y aura pas d’incidence à la publication de ce texte produit
dans le dossier de madame St-Jean. Mais cela demeure hautement conjectural. La
preuve n’en est pas faite de façon convaincante. De plus, la preuve faite par les médias
La Presse et Radio-Canada démontre qu’entre 2011 et 2013 il y a eu médiatisation de
l’existence présumée d’entente entre la ville de Boisbriand et certaines firmes de génieconseil. S’il y a eu des effets négatifs de la diffusion de cette information, qu’elle soit
exacte ou non, manifestement le tort est déjà fait. L’incidence d’une ordonnance de nonpublication serait donc bien minime.
[41] La Cour supérieure dans l'affaire 3834310 Canada Inc. c. Cour du Québec, 2003
CanLII 33236, dans une question similaire à la question en espèce, en arrive à la
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conclusion que l'ordonnance de non-publication n'est pas nécessaire pour préserver
l'intégrité des témoins puisque ces derniers auraient pu être informés autrement du
contenu des témoignages des autres témoins :
[24] Le juge justifie l'ordonnance au motif que de nombreux témoins étant exclus
l'ordonnance est nécessaire afin que les témoins exclus ne puissent prendre
connaissance des témoignages déjà entendus. L'exclusion des témoins étant fréquente
en toute matière pendant les procès, la Cour estime que le seul fait de cette exclusion ne
saurait justifier une ordonnance de non publication [sic]. Il est vrai qu'un témoin exclu est
susceptible de prendre connaissance des affirmations d'un témoin précédent et ainsi être
influencé dans son propre témoignage s'il est appelé à témoigner sur des questions
similaires à celles déjà soulevées antérieurement. Cette connaissance d'un témoignage
peut être acquise de diverses manières et non seulement par les médias. En ce sens
l'efficacité d'une ordonnance de non-publication peut certes être mise en doute en vue
d'atteindre l'objectif visé. Elle ne pourra obvier au témoin de mauvaise foi qui désire se
renseigner.33
[42] La Cour, dans cette même affaire ajoute que, malgré un certain risque que des
témoins puissent être influencés de la connaissance du témoignage des autres témoins
par les médias, le contre-interrogatoire permettant de vérifier comment le témoin s’est
rafraichi la mémoire et quels sont les éléments qui ont pu l’influencer est un processus
suffisant pour s’assurer de l’équité du procès. Le Tribunal est d’avis qu’ill en va ainsi de
l’exposé des faits touchant le co-accusés de madame St-jean.
[43] Certes, la situation présente un certain danger théorique à ce que des témoins
puissent être influencés. Le danger n’est-il pas aussi important si le public ne dispose
pas de l’information de savoir qu’un témoin se dédit ou s’explique différemment selon les
instances ou le contexte?
[44]
Les garanties d’équité à l’égard d’un témoin relève :
_ de son serment à la Cour de dire la vérité;
_du fait qu’en l’espèce, chacun des témoins ait déjà campé leur version dans des
interrogatoires notés ou enregistrés;
_qu’ils feront l’objet d’interrogatoire en chef;
_ et de contre-interrogatoires;
_ qu’ils seront observés et écoutés par le Tribunal :
_ qu’il y aura plaidoirie sur leurs contradictions possibles et leur crédibilité :
33
3834310 Canada Inc. c. Cour du Québec, 2003 CanLII 33236 (QC CS).
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_ de l’application des règles de droit à l’égard de la preuve par le Tribunal.
Il s’agit là d’éléments pour assurer l’équité du procès.
[45] En l’espèce la preuve n’établit pas un risque réel et sérieux de tort à l’équité du
procès l’égard des co-accusés visés par le présent procès du fait de la diffusion des
informations faisant état de la théorie de la Poursuite, par l’énoncé des faits produit dans
le cadre du plaidoyer de culpabilité de madame St-Jean. Il est le propre des journalistes
professionnels, en application de leur code déontologique, d’informer le public de la
présomption d’innocence des accusés dans le présent dossier et du fait que cet exposé
de faits versé dans le cadre du plaidoyer de culpabilité de madame St-Jean ne constitue
pas de la preuve à l’égard des présents accusés. Quant à l’information que des
blogueurs ou autres faisant usage des technologies numériques et n’ayant pas
nécessairement la formation pour faire les distinctions juridiques requises, il appartient au
public de faire la distinction entre l’information fiable et celle qui ne l’est pas par l’examen
des sources de l’information. Dans tous les cas, il n’y a pas les éléments pour conclure
que la sérénité des débats, la bonne administration de la justice ou l’équité du procès
seront affectées.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la requête en non-diffusion ou en non-publication des paragraphes 1 à
110, 157, 158,160 à 165, 167 à 170, 173 à 185 de l’exposé conjoint des faits remis lors
du plaidoyer de culpabilité de madame Sylvie Berniquez St-Jean en date du 26 février
2014.
__________________________________
NORMAND BONIN, J.C.Q.
Les avocats au dossier :
Me Brigitte Bélair – Me Pascal Grimard – Me Nicole Martineau pour la poursuite
Me Michel Massicotte – pour: France Michaud et Gaétan Morin.
Me Dominique Shoofey – pour Rosaire Fontaine
Me Mark Bantey, pour les journaux The Gazette et Le Devoir
Me Éric Meunier, pour corporation Sun Média et Groupe TVA
Me Sara Simard, pour le journal La Presse et Société Radio-Canada
Date d’audience : 19 et 24 mars 2014
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