
 
pauvres,  des  ouvriers,  etc.  De  ce  point  de  vue,  la  définition  la  plus  adaptée  du 
gouvernement est celle de « conduite des conduites »
.  
Mais d’un point de vue plus général, le paradigme du gouvernement selon Foucault 
est  le  pouvoir  pastoral qui  s’affirme  comme  modèle  dans  la  tradition  hébraïque  et 
s’exerce de  manière systématique à  travers la  direction des consciences,  des  âmes  et 
des  conduites  par  le  pastorat  chrétien.  Le  modèle  du  pouvoir  pastoral  constitue  un 
instrument  décisif  pour  déchiffrer  la  rationalité  politique  qui  s’affirme  par  la 
«gouvernementalisation»  de  l’État  moderne
 :  plus  que  d’un  territoire,  le  pastorat 
s’occupe d’une multiplicité d’hommes en veillant sur eux et en prenant en charge le salut 
du groupe (le troupeau) et de chacun d’entre eux (la brebis) ; de même, mais à une autre 
échelle et sur un terrain différent, le gouvernement de l’État moderne n’a pas pour finalité 
immédiate de posséder ou de conquérir une terre ni de prélever ses richesses, mais de 
gérer correctement les forces du corps collectif
.  
Dans  ce  cadre,  la  population  apparaît  comme  la  ressource  fondamentale  de  la 
puissance  de  l’État,  et  envers  laquelle  seront  appliquées  des  formes  spécifiques  de 
savoir et des techniques appropriées d’administration
 ; d’autre part, même l’individu sera 
nécessairement un objet essentiel du savoir et  du pouvoir de  gouvernement, dans la 
mesure où il pourra contribuer à la conservation et à l’accroissement de la puissance de 
l’ensemble. De là, l’importance que Foucault attribue à la dualité des modes d’exercice de 
ce pouvoir, correspondants à son individualisation et à sa totalisation
. De là également, 
l’élévation de la vie, de la santé, du bien-être matériel et moral de tous et de chacun au 
rang de références centrales des pratiques de gouvernement.  
Ces données permettent d’affirmer que la biopolitique, en tant que gouvernement de 
la  vie,  constitue  une  expression  essentielle  de  la  gouvernementalité  moderne,  et  ce 
également car – selon Foucault – même le biopouvoir s’exerce de deux manières, soit à 
travers  la  combinaison  de  l’approche  individualisante,  typique  des  techniques 
disciplinaires, et de l’approche totalisante de la régulation des phénomènes biologiques 
de la population
.  
L’analyse  foucaldienne de la gouvernementalité distingue par ailleurs deux grandes 
phases historiques. La première s’étend de la fin du XVI au milieu du XVIII siècle et se 
caractérise par divers savoirs-pouvoirs : les théories de la raison d’État, la « science de la 
police », la  statistique,  l’ « arithmétique  politique »,  les  théories  économiques 
mercantilistes
. La seconde, au contraire, est celle du libéralisme, au sein de laquelle 
l’économie politique s’impose comme savoir principal de gouvernement : cette phase se 
différencie de la première essentiellement par la problématique constante de la limitation 
de l’action de l’État en vue de conjurer les excès qui caractérisent la phase précédente
.  
 
 M. Foucault, «Le sujet et le pouvoir», in Dits et écrits, Paris, Gallimard, 1994, IV, p. 237; Id., Naissance de 
la biopolitique, op. cit., p. 192. 
 M. Foucault, Sécurité, territorire, population, op. cit., pp. 112-113. Cf. P. Laborier, P. Lascoumes, «L’action 
publique comprise comme gouvernementalisation de l’État», in S. Meyet, M. C. Naves, Th. Ribemont (sous 
la direction de), op. cit., pp. 37-62. 
 M. Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., pp. 91-253 ; Id., «‘Omnes et singulatim’. Vers une 
critique de la raison politique», in Dits et écrits, op. cit., IV, pp. 134-161. 
 Cf. M. Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., surtout les leçons du 18 et du 25 janvier 1978. 
 Cf. M. Foucault, «‘Omnes et singulatim’. Vers une critique de la raison politique», op. cit., en particulier p. 
161; Id., «Le sujet et le pouvoir», op. cit., en particulier p. 232;  Id., «La technologie politique des individus», 
in Dits et écrits, op. cit., IV, en particulier p. 827. 
 Cf. M. Foucault, «Il faut défendre la société». Cours au Collège de France 1975-1976,  Gallimard-Seuil, 
Paris 1997, leçon du 17 mars 1976 ; Id., La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, chap. 5. 
 Cf. M. Foucault, Sécurité, territorire, population, op. cit., leçons 8-29 mars et 5 avril 1979.  
 Cf. M. Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit., leçons du 17 et du 24 janvier 1979.