![](//s1.studylibfr.com/store/data-gzf/2c1c73416125d705c337682c0f347a5b/1/001338610.htmlex.zip/bg2.jpg)
Tout le poème est donc construit comme une définition qui s’illustre dans l’écriture même du texte. La
notion de « la soustraction » joue sur la polysémie avec la référence aux mathématiques (que Claude
Ber affectionne) : « le reste », « soustraire ».
La phrase travaille le vers par le retour à la ligne, qui accomplit ce travail de soustraction et donne à
lire ce qui reste, découpant l’espace de la page où le blanc typographique prend sa place. La phrase en
suspension invite à un jeu sur l’enjambement et le rejet comme dans la versification traditionnelle, et
fait entendre par la rime en « que » la découpe de « ce qui reste ». L’écriture montre et fait ressentir
le retrait, le vide car « après que » et « avant que », n’ayant pas de complément, restent en suspens.
Ce qui donne sens au « ou alors il ne reste rien », tout le poème se tendant vers ce « rien » qui est le
tout du poème.
L’anaphore « ce qui reste » va s’enrichir de compléments au fil du poème : « ce qui reste de
mémoire », « ce qui reste de mots », « ce qui reste de la soustraction », « ce qui reste de la poésie »,
« ce qui reste du poème » pour aboutir à « c’est ce qui reste » (p.10), affirmation mise en valeur par
son centrage typographique et par le présentatif « c’est ».
Le dernier vers de cette première partie, matérialisée par le blanc typographique (bas de la p.10), fait
écho au premier vers, « ce qui reste » et « je l’appelle poème » ayant été dissociés : le texte est ce
qui reste.
Le paradoxe est au cœur de l’écriture et de cet art poétique que Claude Ber nous fait partager :
« tant je redoute ce qui se dit et ce qui se dit sur ». Ce vers, porté par l’adverbe intensif
hyperbolique « tant » marque la difficulté pour le poète d’expliquer son écriture mais aussi la peur de
ne pas être compris. Le pronom démonstratif « ce » a aussi une valeur indéfinie ici, car il désigne les
discours inutiles ou erronés, les explications qui font perdre la spécificité du langage poétique. Le
texte est pluristratifié est polysémique, comme un mille feuille : il ne s’agit pas d’écrire de la poésie
mais en poésie. Le poème fait sens en tous sens, le langage poétique résiste. Le lecteur est invité à se
méfier d’une approche seulement intellectuelle du texte, car le poème s’adresse à l’oreille, à la
sensibilité, à l’œil.
C’est ce qu’expriment avec force les cinq derniers vers « comme un essai de parole/qui cesse de/et
cette cessation/ce qui reste une fois que cesse la tyrannie de la parole/je l’appelle poème ».
Variations sur les rythmes et les sonorités, échos sonores et sémantiques comme si les mots
s’entrelaçaient et se motivaient les uns les autres : « essai »/ « qui cesse »/ « et cette
cessation »/ »que cesse ». Voilà en action dans l’écriture cette tentative de « réconciliation »
évoquée plus haut « comme un essai très difficile très prudent de réconciliation ». Modestie aussi du
poète : le travail de l’écriture est « très difficile », nécessite de choisir, d’être « très prudent ».
Cette difficulté est à la fois moteur et frein : « « si bien que je profère peu de paroles que je ne
rature aussitôt après jusqu’à ce qu’il n’en reste rien ou presque rien. » Cette phrase en prose (p.10)
revient (comme le vers est « versus », retour) sur le « rien » initial en insistant sur le « direcrire »
cher à Claude Ber. Le langage poétique est parole (verbe « proférer ») et écriture (verbe
« raturer »).
« Ce qui reste de mots pour dire une fois tu l’emballement des mots qui s’écoutent » : on retrouve
l’entrelacement entre le dire et l’écrire à travers la personnification des « mots qui s’écoutent »
entre eux, mais qui peuvent aussi être compris comme les mots que l’on écoute. De même, le « tu »