La croisée des chemins
Dans leurs encriers, les sciences multiples étaient reliées à l'Un : c'était une ode de l'unité dans la
multiplicité. Ces Hommes, par une myriade d'attributs, ne cessent d'animer les musulmans tant en
Belgique que partout dans le monde : Abu Bakr, compagnon d'exil du Prophète, déclarait : « Jamais mon
regard ne se posa sur une chose sans que la conscience que j'ai de Dieu ne l'ait précédée ». Omar,
embrassant l'Islam à vingt-sept ans, s'adressait à la masse en ces termes : « Dieu fasse bénédiction
envers tout être qui me fait don de mes péchés ». Othman, exilé en Abbyssinie, symbolisait à lui seul le
creuset de la générosité et Ali, le David des compagnons, demeurait une porte d'accès à un savoir sans
fin. Tels s'illustrent les quatre Califes à l'aurore de l'Islam. Huit ans après la fondation de Kaïrouan, c'est
la mère des Croyants, Aïcha, l'une des sources intarissables des traditions du Prophète, qui s'éteignit.
Une centaine de milliers de compagnons gravitèrent ainsi autour du Prophète ; s'y attarder nous
aspirerait dans la spirale insatiable des êtres vrais, animés par le Divin. Les compagnons furent des
Hommes de foi et de terrain. Ils demeurent les Géants d'une génération ou plutôt une génération de
Géants ! Puis vint la vague des compilateurs du Savoir, ceux qui dessinèrent, par le biais d'écoles
juridiques, les sentiers conduisant au puit prophétique. Citons, entre autres, le descendant du
messager : Ja'far As Sadiq et le grand théologien Abu Hanifa (696-767) né en même temps que le dinar
ommeyyade mais brillant plus longtemps que ce dernier. Ensuite, un an après l'arrivée des musulmans
en Al andalus, c'est l'Imam Malik (712-791) qui vit le jour. Un peu plus loin, c'est la plume d'Al Ashr'ari
(873-935), d'Al Bukhari (810-870) et de Muslim qui relayèrent l'héritage des illuminés. Cette génération
reflète une mémoire vivante, parcourant un processus liant la Révélation au contexte toujours nouveau,
afin de rester fidèle au sens même des références. En effet, « …c'est en allant vers la mer qu'un fleuve
est fidèle à sa source » (7).
Sous les califes Abbassides, ont vit la science atteindre l'extrême pointe de sa perfection avec,
notamment, le joyau de Bagdad : La Maison de la Sagesse (832). Tout autour, les arts s'y multiplièrent
et les sciences s'y perfectionnèrent. La pléiade des manuscrits alla en grossissant. La poésie fut à
l'honneur avec Abu Nuwas (747-810), la grammaire avec Sibawayh (755-791) et puis la musique de
Zyriab (776-852) passa des horizons de palmiers d'Orient vers les Sierras andalouses. La philosophie
trouva sa voie avec Al Kindi (800-870) et Al Farabi (870-950). Tandis que la ville de Marrakech se
construisait, un enfant âgé de douze ans illuminait déjà la Transoxiane. Il s'agissait du génie Abu Hamid
Al Ghazali (1058-1111). Il devint vite l'un des plus éminent savant de tous les temps, mais il fuit la
célébrité que lui coûta son érudition à la chaire de la Nidhamiyya pour s'abandonner, loin du luxe et du
confort, à une vie d'errance et de libération du cœur de tout ce qui n'était pas Dieu. Le grand mystique
rédigea les fruits de sa quête, une vision coulée dans un ouvrage mille et une fois réédité
appelé : « Revivification des Sciences religieuses ».
La contemplation de Dieu, vécue dans la plénitude et dans l'action, se résume sans doute dans la
dimension de l'intériorité de la sainte Rabya al Âdawiya (huitième siècle). Elle déclamait vers les cieux
ces quelques vers, à Dieu : « Je T 'aime de deux amours : amour vivant mon propre bonheur et amour
digne de Toi. Quant à cet amour de mon bonheur, c'est que je m 'occupe à ne penser qu'à Toi, et à nul
autre. Et quant à cet amour digne de Toi, c'est que Tes voiles tombent et que je Te vois. Nulle gloire
pour moi, ni en l'un, ni en l'autre, mais gloire à Toi, pour celui-ci et pour celui-là. ». Ibn Firnas, l'homme
volant, nous fit traverser les mers jusqu'en Andalousie. Une terre, où la méditation sérieuse des
Cantiques d'Alphonse X :« Laisser vivre les Maures parmi les Chrétiens en conservant leur foi, Et en
n'insultant pas la nôtre. VII, XXV, 1 » nous aurait sans doute permis de palper une Europe
d'Universalité. L'émirat de Cordoue propulsa la science et la culture faisant d'Al andalus la jugulaire des
Sciences et des sagesses de l'humanité. L'écriteau qui accueillait les étudiants pénétrant les portiques
de ces Mosquées-universités annonçait que : « L'équilibre du Monde repose sur quatre piliers : la
Science des sages, la Justice des dirigeants, la Prière des pieux, la Valeur des braves ». Tellement de
noms, tellement de recherches… Ibn 'Abd Rabbih rédigea au Xème siècle la somme des connaissances
utiles « le Collier unique ». Théologien, philosophe, historien, juriste et littérateur, l'auteur du « Collier de
la colombe », Ibn Hazm (994-1064), reflète bien l'Esprit encyclopédique du monde musulman médiéval.
Il est incontestablement l'homme du onzième siècle. Sous les Almoravides, rayonnèrent les écrits
poétiques d'Ibn Badja et d'Ibn Kafadja. Ce dernier griffonnait : « Ô peuple d'al-andalus, quel bonheur est
le vôtre ! l'eau, l'ombre, fleuves et arbres vous appartiennent. Le Paradis éternel n'existe qu'en vos
demeures, et s'il me fallait choisir, avec celui-ci je resterais. » Sous les Almohades, le « Hayy Ibn
Yaqdhan » du grand Ibn Tufayl, les œuvres d'Ibn Rushd maître du malikisme et de la pensée
aristotélicienne, les indications thérapeutiques d'Abu Marwan Ibn Zuhr et les Relations de voyages telles
que celles d'Ibn Djubayr de Valence ont été les plus prégnants. Le treizième siècle reste marqué par des
manuscrits andalous rédigés à Damas : ceux du botaniste et herboriste Ibn Al Baytar et ceux du Plus
Grand Maître Ibn Al Arabi (1165-1240).