1 HYPERTENSION PULMONAIRE R NAEIJE 1. Définition et classification L’hypertension pulmonaire est une complication fréquente de diverses affections cardiaques et/ou pulmonaires en réanimation anesthésie. Elle était traditionnellement définie par une pression artérielle pulmonaire (Pap) supérieure à 25 mmHg, avec une Pap occluse (Papo) inférieure à 15 mmHg et une résistance vasculaire pulmonaire (RVP) supérieure à 3 unités Wood (1). Cette définition hémodynamique a été récemment simplifiée en la limitant à une Pap supérieure à 25 mmHg (2). La classification de l’hypertension pulmonaire a fait l’objet de 3 réunions de consensus d’experts tenues sous l ‘égide de l’Organisation Mondiale de la Santé à Evian, en 1998, à Venise en 2003, et à Dana Point en 2008. Elle reconnaît 5 catégories définies sur base d’arguments histopathologiques, hémodynamiques, cliniques et thérapeutiques (Tableau 1). La première concerne l’hypertension « artérielle » pulmonaire (HTAP), qui peut être définie par une augmentation de la RVP qui ne soit causée par une maladie cardiaque ou pulmonaire. Elle est idiopathique dans près de 50 % des cas, et sinon associée à une série disparate d’affections comprenant les connectivites (surtout la sclérodermie), les cardiopathies congénitales à shunt, l’hypertension portale, l’infection par le virus d’immunodéficience humaine, la schistosomiase, les anémies hémolytiques chroniques (surtout l’anémie falciforme) et la prise de toxiques (surtout les anorexigènes à structure moléculaire proche de l’amphétamine, dont les fenfluramines et l’aminorex). L’hypertension pulmonaire persistante du nouveau-né et la maladie veino-occlusive pulmonaire ou l’hémangiomatise capillaire se trouvent également dans cette catégorie . L’HTAP est rare, avec une prévalence de l’ordre de 25 par million d’habitants. La 2 deuxième catégorie regroupe les affections cardiaques à pression veineuse pulmonaire augmentée, sur dysfonction systolique et/ou diastolique, ou valvulopathie. La défaillance cardiaque gauche est la cause la plus fréquente d’hypertension pulmonaire. La troisième catégorie comprend les affections pulmonaires telles que la bronchopneumopathoe chronique obstructive (BPCO), le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), la fibrose pulmonaire, les syndromes d’apnée du sommeil et/ou l’hypoxémie. La quatrième catégorie comprend l’hypertension pulmonaire thromboembolique chronique (CTEPH), et on peut y ajouter l’embolie pulmonaire aiguë. La cinquième catégorie regroupe des affections variées telles que la sarcoidose, l’histiocytose X ou la maladie de Gaucher. Tableau 1. Classification de l’hypertension pulmonaire (Dana Point, 2008) 1. Hypertension artérielle pulmonaire - Idiopathique (sporadique, héréditaire) - Associée : connectivite, cardiopathie congénitale à shunt, hypertension portale, infection par le virus d’immunodéficience humaine, toxiques (anorexigènes), schistosomiase, anaémie hémolytique chronique et hypertension pulmonaire persistante du nouveau-né 1B : maladie veino-occlusive, lymphangiomleiomyomatose 2. Hypertension pulmonaire secondaire à une défaillance cardiaque gauche 3. Hypertension pulmonaire secondaire aux maladies pulmonaires et/ou l’hypoxie 4. Hypertension pulmonaire thrombo-embolique 5. Hypertension pulmonaire de causes diverses La classification de Dana Point est d’une grande utilité thérapeutique. Ainsi, l’HTAP est la seule à bénéficier de traitements ciblés à base de prostacyclines, 3 d’antagonistes des récepteurs à l’endothéline ou d’inhibiteurs de la phosphodiestérase-5. Les autres catégories d’hypertension pulmonaire relèvent d’interventions sur les affections causales, par exemple les diurétiques et les -bloquants dans la décompensation cardiaque gauche, l’oxygène dans les affections pulmonaires hypoxémiantes, et désobstruction médicale ou chirurgicale dans l’hypertension pulmonaire embolique. Il faut toutefois noter que la classification de Dana Point est orientée sur une approche chronique de l’hypertension pulmonaire, et que la définition simplifiée de l’hypertension pulmonaire basée sur une simple mesure de la Pap n’est pas adaptée aux situations aiguës rencontrées en réanimation. L’apparition ou l’aggravation rapide de l’hypertension pulmonaire (la « crise hypertensive pulmonaire ») requiert une approche plus immédiatement hémodynamique et physiopathologique. Celle initialement proposée par Paul Wood se base sur l’équation de la RVP réécrite comme : Pap = RVP x Q + Papo où Q est le débit sanguin pulmonaire et la Papo une estimation de la pression auriculaire gauche (Pog). Elle permet d’identifier clairement trois circonstances d’hypertension pulmonaire : l’augmentation de la RVP, résultant d’un processus morbide structurel ou fonctionnel touchant les vaisseaux pulmonaires, l’augmentation du débit sanguin pulmonaire (anémie, shunts…) et l’augmentation de la pression auriculaire gauche (défaillance cardiaque gauche. L’hypertension pulmonaire est fréquente en réanimation. Elle est une complication reconnue de la chirurgie cardiaque, de la BPCO décompensée, du SDRA et de l’embolie pulmonaire. Les chiffres retrouvés dans la littérature dépendent de l’épidémiologie locale et de l’agressivité diagnostique, ainsi que de la propension locale aux méthodes invasives. Ce point est particulièrement important puisque la certitude diagnostique nécessite un cathétérisme du cœur droit. La traduction clinique de l’hypertension pulmonaire grave est la défaillance cardiaque droite aiguë, ou cœur pulmonaire aigu.. Il s’agit d’un syndrome 4 qui combine les signes d’hypoperfusion périphérique, tels que hypotension, pâleur des téguments, sueurs froides, confusion, oligurie et ileus, et de congestion systémique tels que dilatation des jugulaires, hépatomégalie, ascite et oedèmes déclives, avec démonstration invasive d’une pression auriculaire droite supérieure à la pression auriculaire gauche. Le cœur pulmonaire aigu complique quelques % des corrections chirurgicales malformations cardiaques congénitales des valvulopathies ainsi que de la transplantation cardiaque, près de 60 % des embolies pulmonaires massives, un tiers des SDRA, chocs septiques et des BPCO décompensées, et, plus rarement, les HTAP ou CTEPH réfractaires aux traitements (4-6). Lle cœur pulmonaire aigu est de mauvais pronostic (4-6). 2. Evaluation de l’hypertension pulmonaire Bien que l’hypertension pulmonaire soit définie par une Pap, son évaluation requiert un calcul de RVP. RVP = (Pap – Pog) / Q L’équation de la RVP résulte d’une transposition de la loi de Poiseuille qui régit les écoulements continus de liquides Newtoniens au travers de tubes capillaires rigides de surface de section cylindrique. La résistance calculée comme le rapport des pressions d’entrée et de sortie du système divisée par le flux qui le parcourt est inversement proportionnelle à la quatrième puissance du rayon interne. Donc un calcul de RVP est très sensible à toute modification du diamètre interne des vaisseaux pulmonaires résistifs, qu’elle soit fonctionnelle (constriction) ou structurelle (remodelage). En pratique clinique, ces mesures sont obtenues au cours d’un cathétérisme du cœur droit à l’aide d’un cathéter à ballonnet de type Swan-Ganz (7). Le ballonnet 5 transporte l’extrémité du cathéter par les cavités droites du cœur jusque dans l’artère pulmonaire pour y mesurer successivement la pression ventriculaire droite, la Pap, et la Papo. La sonde est dotée d’une thermistance pour la mesure du débit cardiaque par thermodilution. La Papo constitue une excellente approximation de la Pog pour autant que l'extrémité du cathéter se trouve dans une zone pulmonaire dont tous les vaisseaux sont recrutés, et donc en zone 3 selon la terminologie de West (8). La Papo ne doit pas être confondue avec la Pap bloquée (« wedge » en anglais) obtenue en poussant le cathéter jusque dans une ramification périphérique du réseau artériel pulmonaire. La Pap bloquée peut être plus élevée que le Papo en cas d’augmentation de la résistance veineuse pulmonaire. La Pap bloquée et la Papo sont parfois erronément appelées “pression capillaire pulmonaire” (Pcp). La Pcp peut être estimée par l’analyse du transitoire de pression enregistré lors d’une occlusion rapide d’une branche artérielle pulmonaire (9). Ce transitoire de pression est constitué d’une décroissance rapide, correspondant à l’arrêt du débit au travers du segment résistif du réseau artériel, et d’une décroissance lente, correspondant à la vidange du réseau capillaire au travers de la résistance veineuse. Des études récentes ont montré que chez le sujet normal, la Pcp s’établit en moyenne à 10 mmHg (6-14 mmHg) (10). La Pcp peut être estimée par l’équation Pcp = Papo + 0.4 (Pap – Papo) Cette équation, initialement proposée par Gaar et ses collaborateurs (11) s’inspire d’une distribution longitudinale des résistances vasculaires pulmonaires, assignant 60 % de la RVP totale à la résistance artérielle, en amont du segment capillaro-veineux. La Pcp augmente avec la pression veineuse pulmonaire et avec le flux sanguin pulmonaire. Les limites de la normale de l’hémodynamique pulmonaire, dérivées de mesures 6 hémodynamiques chez 55 adultes jeunes au repos et en position couchée (10,12,13), sont présentées dans le tableau 2: Tableau 2 Variables Moyennes Limites de la normale Q, L/min 6.4 4,4 - 8.4 FC, battements/min 67 41 - 93 Pap systolique, mmHg 19 13 - 26 Pap diastolique, mmHg 10 6 – 15 Pap moyenne, mmHg 13 7 - 19 Papo, mmHg 8 4 - 12 Pcp, mmHg 10 8-14 Pod, mmHg 5 0-8 RVP, dyne.s.cm-5 55 11-99 FC : fréquence cardiaque ; Pod : pression auriculaire droite ; Pas : pression artérielle systémique Le calcul de la RVP implique que le gradient (Pap-Pog), appelé aussi « pression motrice » du débit sanguin pulmonaire, varie linéairement avec ce dernier, et que tous deux s'annulent simultanément. La RVP, l'angle de cette relation pression/débit, est alors une variable indépendante du niveau de pression ou de débit existant au sein de la circulation pulmonaire (14). Cependant, à cause du fait que les vaisseaux pulmonaires sont distensibles (15) et peuvent en outre être le siège d’une pression de fermeture critique supérieure à la Pog (16), la relation (Pap-Pog)/Q est légèrement curvilinéaire et son extrapolation à l’axe des pressions mesure une pression supérieure à la Pog. Pratiquement, dès qu'une courbe (Pap-Pog)/Q ne passe plus par l'origine, la RVP peut être associée à des erreurs d'interprétation de l’état fonctionnel de la circulation 7 pulmonaire (14). L’idéal dans ce cas est de décrire l’état fonctionnel d’une circulation pulmonaire par une relation pression-débit à plusieurs points. Lorsqu'on ne dispose que d'une seule mesure hémodynamique, il faut l'interpréter en tenant compte qu'une augmentation de (Pap-Pog) à débit décroissant est nécessairement causée par une vasoconstriction, et qu'une diminution de (Pap-Pog) à débit croissant est nécessairement causée par une vasodilatation. Une (Pap-Pog) inchangée ou augmentée à débit augmenté, ou une (Pap-Pog) inchangée ou diminuée à débit diminué, sont d'interprétation incertaine Figure 1. Les zones d’incertitude déterminées graphiquement proviennent de l’impossibilité physique de courbes débit/pression dont le coefficient angulaire ou l’extrapolation à l’axe des pressions seraient négatifs. La figure 1 montre aussi les résultats d’une étude hémodynamique sur la réversibilité pharmacologique de l’hypertension pulmonaire chez des patients décompensés cardiaques évalués avant de poser l’indication d’une transplantation (17). Dans cette étude, les 5 vasodilatateurs testés, la nitrogycérine, le nitroprussiate, la prostaglandine E1, la dobutamine et l’énoximone, réduisent la RVP, mais le diagramme débit/pression permet d’établir une hiérarchie, et de conclure qu’une vasodilatation pulmonaire n’est obtenue avec certitude que pour 3 de ces substances. 8 Une autre difficulté de l’interprétation des mesures hémodynamiques pulmonaires surgit en présence de patients présentant une combinaison de causes pulmonaires et cardiaques d’hypertension pulmonaire. Dans ce cas, il est généralement recommandé de se baser sur la mesure du « gradient trans-pulmonaire », ou de la pression motrice de la circulation pulmonaire. Une hypertension pulmonaire associée à un gradient transpulmonaire inférieur à 12 mmHg serait diagnostique d’une défaillance cardiaque gauche (18). Il paraît préférable de s’appuyer sur le gradient entre la Pap diastolique et la Papo, normalement inférieur à 5 mmHg, moins sensible aux variations du débit sanguin pulmonaire (19). Un arbre décisionnel s’appuyant sur ce gradient (20), appelé autrefois « diastolo-capillaire » est présenté dans la figure 2. Il combine Papo, gradient diastolocapillaire et différence artério-veineuse des contenus en oxygène (DavO2) pour faire le diagnostic différentiel de la maladie vasculaire pulmonaire, de la défaillance cardiaque gauche et des effets des hauts débits observés par exemple dans les états septiques. Figure 2 9 3. Hypertension pulmonaire et échanges gazeux pulmonaires L’hypertension pulmonaire peut affecter les échanges gazeux pulmonaires par deux mécanismes : (a) la vasoconstriction pulmonaire hypoxique et (b) l’augmentation de la Pcp. (a) La vasoconstriction hypoxique limite les effets hypoxémiants d’une altération des rapports ventilation/perfusion (VA/Q) en redirigeant le débit pulmonaire loco-régional vers les zones pulmonaires mieux oxygénées (20,21). Ce réflexe est d’efficacité modérée, et d’ailleurs variable d’un sujet à l’autre. A une fraction inspiratoire en O2 (FIO2) donnée, l’inhibition ou le renforcement de la vasoconstriction hypoxique peuvent augmenter ou diminuer la PO2 artérielle de 5 à 10 mmHg (23-25). Les effets hypoxémiants d’une inhibition de la vasoconstriction hypoxique sont en théorie plus à craindre dans les insuffisances respiratoires aiguës associées à un shunt, ou VA/Q = 0, comme dans le SDRA, que celles associées à une augmentation de perfusion dans les unités à bas VA/Q, comme dans la BPCO. En effet, l’effet hypoxémiant d’un bas VA/Q est aisément corrigé par une petite augmentation de la FIO2, alors qu’une hypoxémie sur shunt est réfractaire à l’oxygène (26). Il faut toutefois noter qu’il n’y a pas eu d’études rapportant des effets cliniques bénéfiques ou délétères résultant de manipulations pharmacologiques de la vasoconstriction pulmonaire hypoxique. (b) L’hypertension pulmonaire résulte le plus souvent de processus morbides touchant les petites artérioles pulmonaires résistives. Il en résulte que la distribution longitudinale des résistances ne varie pas, ou peu, et que donc toute augmentation de la Pap s’accompagne d’une augmentation proportionnelle de la Pcp telle que décrite par l’équation de Gaar mentionnée plus haut. Donc traiter l’hypertension pulmonaire peut secondairement améliorer les échanges gazeux pulmonaires en diminuant la filtration 10 capillaire, ce qui peut être important en cas d’augmentation de la perméabilité capillaire, typiquement dans le SDRA. Mais ici aussi, il n’y a pas eu d’études randomisées démontrant clairement le bénéfice clinique d’une diminution de la Pcp par vasodilatation pulmonaire. 4. Hypertension pulmonaire et fonction ventriculaire droite L’hypertension pulmonaire augmente la postcharge du ventricule droit. L’adaptation ventriculaire à la postcharge est initialement systolique, permettant une préservation du volume d’éjection systolique sans augmentation du volume télédiastolique ou diminution de la fraction d’éjection.. L’épuisement de cette adaptation homéométrique s’accompagne d’une augmentation des volumes ventriculaires tendant à une préservation du volume d’éjection systolique. Il s’agit de l’adaptation hétérométrique régie par la loi de Frank-Starling, en opposition à l’adaptation homéométrique initialement décrite par Anrep dans la foulée des travaux pionniers de Starling. La défaillance cardiaque droite peut être définie par son incapacité à maintenir un débit d’éjection systolique répondant à la demande systémique sans recourir au mécanisme de Frank-Starling (27). La clinique de la défaillance ventriculaire droite comporte donc une cardiomégalie avec un syndrome combinant congestion et hypoperfusion systémiques. L’adéquation de l’adaptation systolique peut être mesurée à l’aide d’une boucle pression/volume (27). Cette approche a été validée pour le ventricule droit (28). Elle permet la définition graphique d’une élastance maximale (Emax), qui correspond à une mesure charge-indépendante de la contractilité, et d’une élastance artérielle (Ea) qui correspond à la postcharge directement “perçue” par le ventricule. Ensuite, le calcul d’un rapport Emax/Ea donne une estimation chiffrée simple du couplage de la fonction 11 ventriculaire droite à la circulation pulmonaire. Il est possible de démontrer mathématiquement que la valeur optimale de ce couplage, autorisant un maximum de débit éjectionnel pour un minimum de consommation d’oxygène, se situe à des valeurs de l’ordre de 1,5 à 2.0 (27). La géométrie particulière du ventricule droit complique la mesure de son volume. La détermination de l’Emax du ventricule droit est difficile à cause de la forme triangulaire de sa boucle pression volume, et de la persistance d’une éjection après la fin de la systole. L’éjection ventriculaire gauche coïncide avec la fin de la systole, et la boucle pression/volume du ventricule gauche est rectangulaire, avec un angle supérieur gauche aisément identifié. L’Emax du ventricule droit peut être déterminée à l’aide d’une famille de boucles pression-volume à précharge ou postcharge variable (28), mais ceci est difficile à réaliser au lit du malade. De plus, toute variation de retour veineux ou de tension artérielle s’accompagne de réflexes autonomes qui affectent la fonction ventriculaire mesurée. Il est possible d’éviter ces difficultés en adoptant la méthode du battement unique, récemment validée pour le ventricule droit (29). Cette méthode avait été initialement proposée pour le ventricule gauche (30). Elle consiste à calculer Emax et Ea à partir d’une courbe de pression ventriculaire et de l’intégration d’un signal de flux artériel. Le rapport Emax/Ea déterminé par la méthode du battement unique appliquée au ventricule droit est de l’ordre de 1,5. Il est diminué par le propranolol, augmenté par la dobutamine, et maintenu en présence d’une vasoconstriction pulmonaire hypoxique (29). Le fait que Emax augmente de façon adaptative au cours de la vasoconstriction pulmonaire hypoxique, même en présence d’un block - adrénergique, est compatible avec le concept d’une prédominance de l’adaptation homéométrique sur l’adaptation hétérométrique du ventricule droit aux conditions de postcharge (29). La méthode du 12 battement unique a aussi permis de confirmer que des doses de dobutamine jusqu’à 10 µg/kg/min n’affectent pas la charge hydraulique artérielle pulmonaire (31). Elle a aussi été utilisée pour montrer expérimentalement la supériorité de la dobutamine sur la noradrénaline pour la restauration du couplage ventriculo-artériel dans la défaillance cardiaque droite aiguë consécutive à une poussée d’hypertension pulmonaire (32), et les effets découplants de l’anesthésie inhalée (33). Enfin, la méthode a permis d’établir que, contrairement à une opinion répandue (34), la prostacycline n’a pas d’effet inotrope (35). Une étude clinique a mis en œuvre la résonance magnétique nucléaire en même temps que des mesures de pression ventriculaire droite (cathéter à micriomanomètre ou cathéter à colonne liquidienne) pour l’application de la méthode du battement unique à la mesure du couplage ventriculo-artériel droit dans l’HTAPielle pulmonaire (36). Comparé à des contrôles sans hypertension pulmonaire, Emax était augmentée, mais Emax/Ea diminuée de 1.9 à 1.1, donc de près de 50 % , suggérant une contractilité ventriculaire droite insuffisamment augmentée. Cette observation confirme l’importance d’une adéquation de l’adaptation de la contractilité ventriculaire droite dans l’hypertension pulmonaire. Des mesures de couplage ventriculo-artériel ont été rapportées chez un patient souffrant d’une transposition des grands vaisseaux à correction congénitale et sans anomalie de la circulation pulmonaire. Chez ce patient, Emax/Ea pour le ventricule gauche pulmonaire était de 1,7, alors que Emax/Ea pour le ventricule droit systémique était de 1.1 (37). On sait que la transposition des grands vaisseaux, à correction congénitale ou postnatale par intervention chirurgicale, se complique de défaillance cardiaque à l’age adulte. 13 Ces concepts n’ont pas encore été implémentés au lit du malade en réanimation. Ils ont toutefois contribué à clarifier les concepts auxquels se réfèrent les méthodes non invasives d’évaluation et les décisions thérapeutiques (4). 5. Traitement de la défaillance cardiaque droite grave Il n’y a pas d’études randomisées contrôlées permettant d’établir une stratégie thérapeutique basée sur les preuves dans les états de défaillance cardiaque droite grave (38). L’approche dans ces cas reste donc empirique (39), et ne peut que s’appuyer sur l’expérience clinique enrichie du raisonnement physiopathologique (40). Une stratégie thérapeutique raisonnables est illustrée à la figure 3. Figure 3. Elle procède par les étapes suivantes : 14 (1) Réduire si possible la RVP (ou Ea). L’hypertension pulmonaire embolique peut faire l’objet d’une thrombolyse ou d’une désobstruction chirurgicale (41). Une vasoconstriction anormale peut être contrôlée par l’administration de vasodilatateurs inhalés, tels que l’oxyde nitrique (NO) (42) ou l ‘iloprost (43). L’administration par inhalation réduit la RVP dans les zones pulmonaires les mieux ventilées, et permet donc d’éviter une éventuelle détérioration des échanges gazeux par augmentation de la perfusion des zones pulmonaires à bas rapport VA/Q (42,43). L’administration de vasodilatateurs tels que le sildenafil, par voie entérale ou parentérale se fera avec prudence, en surveillant l’oxygénation artérielle et la tension artérielle. Il convient de corriger les effets vasoconstricteurs pulmonaires de l’hypoxie et de l’acidose. La capacité résiduelle fonctionnelle doit être ramenée au niveau compatible avec une RVP minimale. Tans l’hyper-inflation que la réduction excessive des volumes pulmonaires augmentent la RVP (44). (2) Augmenter la contractilité du ventricule droit. On utilise à cet effet la dobutamine, combinée à la noradrénaline en cas d’hypotension artérielle de façon à préserver la perfusion coronaire du ventricule droit. Le levosimendan, un sensibilisateur au calcium inotrope doté de propriétés vasodilatatrices pulmonaires, peut être particulièrement efficace pour restaurer le couplage ventriculo-artériel (45). (3) Optimaliser les interactions ventriculaires diastoliques. Une dilatation excessive du ventricule droit altère le remplissage diastolique du ventricule gauche par compétition pour l’espace au sein d’une enveloppe péricardique peu distensible. Il convient donc d’éviter tout remplissage excessif par un usage judicieux de diurétiques, tout en évitant un remplissage insuffisant qui dépriverait le ventricle droit de toute adaptation hétérométrique. Comme la défaillance cardiaque s’accompagne le plus souvent de rétention hydrominérale, le remplissage vasculaire paraît rarement indiqué. L’usage de 15 l’échocardiographie au lit du malade prend ici toute son importance. L’excès de dilatation du ventricule droit est aisément visible en coupes quatre cavités ou parasternales. Faute de visualisation échocardiographique, il paraît prudent d’éviter une pression auriculaire droite supérieure à 12 mmHg. D’anciennes recommandations visant à augmenter la pression auriculaire droite jusqu’à restaurer un débit cardiaque suffisant dérivaient d’observations sur l’infarctus du ventricule droit, amenant le remplissage du ventricule gauche à dépendre du retour veineux systémique. Ces notions ne sont pas applicables à la défaillance du ventricule droit sur excès de postcharge. (4) Le maintien de la tension artérielle est une condition essentielle à la préservation de la fonction ventriculaire droite. Il faut ici prendre en considération le gradient de perfusion coronaire, qui est égal à la différence entre la tension artérielle diastolique et la pression diastolique du ventricule droit. Il doit être maintenu à des valeurs supérieures à 40-50 mmHg.. Une revue récente de la littérature sur les traitements de l’hypertension pulmonaire et de la défaillance cardiaque en réanimation concluait que les recommandations énumérées ci-dessus concernant le remplissage vasculaire et l’administration d’inotropes, de vasopresseurs systémiques et de vasodilatateurs pulmonaires sont licites, mais basées sur des niveaux de preuve méthodologiquement faibles. Les auteurs reconnaissent toutefois que le niveau de preuve de l’efficacité des vasodilatateurs pulmonaires spécifiques inhalés est relativement supérieur, mais assez exclusivement dans le cœur pulmonaire aigu consécutif à la chirurgie cardiaque (38). La même revue évoquait le niveau de preuve particulièrement faible de l’efficacité clinique des traitements par support mécanique de la fonction ventriculaire droite. Ces traitements sont développés dans certains centres spécialisés, et leur évolution technologique est constante. 16 Références 1. 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Diagramme pression-débit pour l’interprétation de mesures hémodynamiques pulmonaires. Les flèches indiquent les changements induits par des interventions pharmacologiques vasodilatatrices chez des patients atteints de décompensation cardiaque gauche avancée: (1) la nitroglycérine, (2) la dobutamine, (3) la prostaglandine E1, (4) le nitroprussiate, et (5) l’énoximone (voir référence 17). Pap : pression artérielle pulmonaire moyenne ; Pog : pression auriculaire gauche ; Q : débit sanguin pulmonaire Figure 2. Diagnostic différentiel des causes pulmonaires et cardio-vasculaires de l’hypertension pulmonaire. Papo : Pression artérielle pulmonaire occluse ; Papd : Pression artérielle pulmonaire diastolique ; DavO2 : différence artério-veineuse des contenus en oxygène ; DCG : décompensation cardiaque gauche Figure 3. Physiopathologie de la défaillance cardiaque droite et stratégie thérapeutique raisonnée. Les images de résonnance magnétique nucléaire illustrent des adaptations homéométrique et hétérométrique. Les images echocardiographiques illustrent une amelioration de l’interaction diastolique, avec inversion du rapport des ondes A et E de flux trans-mitral, et du remplissage ventriculaire gauche. Les chiffres indiquent les cibles thérapeutiques. (1) l’hypertension pulmonaire (2) la contractilité (3) l’interaction diastoliquer (4) l’interaction systolique. VTD : volume télé-diastolique ; VES : volume d’éjection systolique