Transcription TURPIN – séquence d La fin de la Guerre Froide a largement rebattu les cartes du jeu international. Depuis la recomposition de l’espace géopolitique mondial du début des années 1990, les relations entre les puissances occidentales et les États africains ont été redéfinies en fonction de deux principes fondamentaux de ce que l’on peut qualifier la diplomatie internationale. Tout d’abord, la non-ingérence, et ensuite l’encouragement à la démocratisation des régimes internes. Vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, force est de constater que la politique africaine de la France ne les a, au mieux, que très partiellement appliqués. En effet, la continuité est très largement de mise dans les actions menées par la France tant dans le maintien des espaces privilégiés, dans l’interventionnisme politique et militaire ainsi que dans la sphère de l’aide au développement. Si l’on s’en tient à ce qui nous intéresse ici, c’est-à-dire le cas de l’intervention, l’évolution de la diplomatie internationale aurait dû en atténuer les effets de ces interventions françaises. Les discours officiels français allaient clairement d’ailleurs dans ce sens, en se refusant au moins officiellement à toute ingérence dans les affaires internes suivant notamment la formule du ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine en 2001. En novembre 1998, le ministre délégué à la Coopération, Charles Josselin avait lancé son fameux : « ni ingérence, ni indifférence », devenu par la suite le non moins fameux « ni – ni » du Premier Ministre Lionel Jospin. Le temps où Louis de Guiringaud, diplomate français et ministre des Affaires étrangères de Raymond Barre, déclarait à L’Express en 1979 : « L’Afrique est le seul continent qui soit encore à la mesure et à la portée de la France, le seul où elle peut avec cinq cent hommes changer le cours de l’histoire » et bien ce temps paraissait, ou du moins on voulait que ce temps soit définitivement révolu. D’ailleurs, les nouvelles orientations de la politique de coopération militaire française s’inscrivaient résolument dans cette stratégie de normalisation des relations franco-africaines. Cette stratégie reposait sur trois principes : la réduction de la présence permanente française sur le continent, la multilatéralisation face aux nouveaux dangers, et la volonté de transférer aux Africains la prise en charge de leurs conflits. La stratégie RECAMP (renforcement des capacités militaires africaines du maintien de la paix), mise en place à partir de 1997 côté français, visait particulièrement à développer les capacités militaires africaines et donc à éviter le plus possible l’intervention directe des forces armées françaises, moyens pré-positionnés ainsi que forces d’intervention, forces de projection, sur le continent africain. Parallèlement, on a beaucoup insisté, notamment le milieu universitaire, sur le fait que la fin de la Guerre Froide aurait fait perdre de son intérêt stratégique à l’Afrique, au point de provoquer le désintérêt des grandes puissances qui, en ce qui concerne la France, se serait traduit par une certaine normalisation des relations franco-africaines. Deux décennies après la chute du mur de Berlin en 1989, le constat est différent, et la perspective sur un temps plus long que la seule décennie des années 1990 souligne combien le continent africain se trouve plus que jamais au cœur d’une rivalité planétaire comme il n’en avait probablement pas connu depuis la fin du XIXe siècle. Aux anciennes puissances, la France en premier, se sont ajoutés les États émergents - Chine, Inde, Brésil autour de la recherche des matières premières, mais aussi d’un immense marché africain en devenir qu’il faut conquérir ou du moins sur lequel il faut commencer à se positionner. Les questions sécuritaires ont en outre été replacées au cœur des relations internationales depuis les attentats du 11 septembre 2001, ce qui a redonné une importance stratégique manifeste à l’Afrique méditerranéenne et subsaharienne également pour la France mais aussi pour l’Europe. Il s’agit, ni plus ni moins, que de sécuriser la Méditerranée et ses marges subsahariennes. Dans ce cadre de mondialisation et de multilatéralisme, la France n’est certes plus en position de prétendre conserver, comme ce fut en partie le cas dans les années 1960 et 1970, l’Afrique comme sa « chasse gardée ». Dans les pays francophones, elle n’est plus seule, même si elle y est encore très présente voire dans certains pays, prédominante. Le nombre et l’importance des interventions françaises, militaires ou non d’ailleurs, sur le continent africain depuis les années 1990, souligne tout le décalage qu’il existe entre le discours officiel et la réalité de la politique menée ainsi que les objectifs poursuivis. Je n’ai pas lieu ici de citer toutes ces interventions. Signalons parmi les principales, celles en République Centrafricaine en 1996, et surtout depuis les années 2000, en Côte d’Ivoire intervention militaire décisive, au Mali bien sûr depuis janvier 2013, de nouveau en République Centrafricaine depuis 2014. Bref, nous avons un certain nombre d’interventions militaires fortes qui contredit d’une certaine manière la thèse que j’évoquais précédemment. Les trois principes fondamentaux sur lesquels repose la politique africaine de la France sont donc restés quasiment inchangés depuis les années 1990. Maintien d’un « pré carré », poursuite d’une politique ouvertement interventionniste, et pratique d’une realpolitik souvent en contradiction avec le principe international de « conditionnalité démocratique ». Ces trois éléments sont demeurés les axes permanents de la politique africaine de la France, même si celle-ci a dû néanmoins s’adapter au fur à mesure en fonction des contextes locaux et bien sûr des pressions internationales dans ses modalités pratiques.