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ZHONG YONG ZHI DAO ET LA VOIE DU
MILIEU
Zhong Yong Zhi Dao
Dès que l'on parle de culture, de philosophie, de spiritualités orientales, on fait
souvent référence à la Voie du Milieu, voie de l'équilibre en toutes choses, qu'on
associe généralement au bouddhisme. Mais déjà, l'expression «Zhong Yong Zhi
Dao» qu'on traduit généralement par "Voie du Milieu" est en fait due à notre
cher Confucius. Elle relève donc à l'origine du confucianisme, et non du
bouddhisme; c'est déjà une première vérité qu'il s'agit de rétablir.
Zhong, c'est le milieu; c'est le même caractère que le Zhong de « Zhong Guo »
qui désigne la Chine en tant qu'Empire du Milieu, et que celui de « Zhong Qi »
qui désigne en MTC le « Qi du Milieu ».
Zhong, le milieu
« Dao » c'est la Voie; il s'agit du même caractère chinois Dao qui signifie Tao.
Dao, le Tao, la Voie
Ces deux termes suffisent déjà à eux deux pour former l'expression de "Voie du
Miilieu." On comprend donc que la formule « Zhong Yong Zhi Dao » soit
traduite par Voie du Milieu, puisque c'est qui est évoqué le plus directement. Zhi
est simplement une particule possessive qui signifie "de" ou "du" et "Zhong Zhi
Dao" (sans le caractère Yong) signifierait déjà "Voie du Milieu". Il reste donc à
voir ce que signifie le caractère Yong, mais nous verrons aussi que le caractère
Zhong, traduit içi par milieu, peut aussi revêtir différentes significations. Et en
fonction de tout cela, comme nous le verrons, les traductions de la formule
"Zhong Yong Zhi Dao" pourront varier grandement.
Confucius parle de la "Voie du Milieu" en ces termes :
« (Se tenir dans) La Voie du Milieu est la plus haute des vertus, le délice du
peuple et la source de sa pérennité»
« Confucius dit: L'homme noble pratique la Voie du Milieu, tandis que l'homme
vulgaire ne la pratique pas »
Si on regarde dans un dictionnaire chinois moderne la signification du mot
"Yong", on trouve « médiocre », « sans talent ». "Zhong" voulant dire milieu, on
a traduit « Zhong Yong » par "médiocrité", ou "médiocre", au sens de quelqu'un
qui se fond au milieu de la masse médiocre des gens. Ainsi donc, la Voie du
Milieu serait une voie de la médiocrité, ce qui ne résonne pas très positivement,
c'est le moins qu'on puisse dire! Mais cette définition est plutôt, disons-le
clairement, la version favorisée par le parti communiste chinois. Ce dernier, en
effet, a voulu récupérer la doctrine confucianiste pour justifier de manière
globale le maintien de l'ordre établi, surtout à son profit, bien entendu !
En effet, la doctrine confucianiste prône non seulement la piété filiale (donc le
respect sacré de la famille), mais aussi le respect de la hiérarchie (sociale et
politique), avec un côté très protocolaire et conventionnel. On retrouve presque
le célèbre ternaire Travail, Famille, Patrie, panoplie idéologique du parfait petit
patriote. La doctrine confucianiste prône également le travail incessant de
chacun en vue de se perfectionner, ce qui est en soi très louable, mais se prête
tellement bien à la manipulation! On comprend donc que cette doctrine puisse
être facilement récupérée puisqu'elle permet de trouver dans la philosophie
traditionnelle chinoise la justification de ce que prône le parti communiste
chinois: respecter le système social et politique en place (même s'il nous tond la
laine sur le dos) et travailler dur tous les jours sans poser de questions.
Par contre, la doctrine taoïste (si tant est qu'on puisse vraiment parler de
doctrine) n'a que faire des rites et conventions, prône le dédain des biens, des
honneurs et des richesses matérielles, et fuit le pouvoir comme la peste. Elle n'a
donc jamais intéressé le parti communiste puisqu'elle ne pouvait absolument pas
servir à justifier son hégémonie. Il suffit de se rappeler que Lao Zi quitta la cour
des Zhou car il était écœuré de la corruption qui y régnait et que Zhuang Zi
(Chuang Zi) refusa toujours le poste de conseiller à la Cour Impériale qu'on lui
proposa pourtant à maintes reprises.
Bref, selon le parti communiste chinois, c'est donc cela la Voie du Milieu: une
Voie de la Médiocrité dans laquelle il ne faut surtout pas chercher à se distinguer
de la masse par un talent particulier, considéré comme un péché capital
d'individualité propre à l'impérialisme ou au capitalisme. Il y a pourtant quelque
chose de juste dans l'idée de ne pas se distinguer de la masse. En effet, un des
sens originels de la Voie du Milieu est que même si on dispose de « super
pouvoirs » (comme certains haut initiés taoïstes ou bouddhistes) ou tout
simplement des compétences remarquables, il ne faut surtout pas montrer de
signes extérieurs de supériorité et ne se distinguer en rien du « commun des
mortels ». Cette attitude d'une profonde sagesse correspond un peu à la devise
initiatique occidentale « Savoir, Pouvoir, Oser, Se taire »; elle est omniprésente
dans tous les domaines de la culture chinoise et je l'ai personnellement toujours
beaucoup appréciée car elle implique que même au plus haut niveau de
compétence ou de réalisation, on garde simplicité, humilité et discrétion.
Ceux qui n'aiment pas l'ostentatoire, mais ont le goût des surprises ne peuvent
qu'apprécier cette attitude ... qui est assez rock'n'roll si on y réfléchit bien! En
effet, n'importe qui, un ouvrier à la chaine d'une usine automobile, le portier d'un
grand hôtel de luxe, un chauffeur de taxi, un marchand de soupe de nouilles sur
le marché peut être un grand initié; il ne se distinguera en rien du peuple
ordinaire. Mais cela signifie aussi que ce ne sont pas ceux qui ont pignon sur rue
ou qui siègent officiellement en tant que grands pontes d'un domaine quelconque
qui sont les plus compétents ou les plus élevés; c'est même parfois inversement
proportionnel !
Le fait de se fondre dans la masse et de ne se distinguer en rien des autres même
si on a déjà atteint un grand niveau de réalisation (de Gong Fu ou de Kung Fu
comme on dit) présente par ailleurs bien des avantages. Cela permet d'avoir les
coudées franches et de continuer à faire librement son travail en secret, sans
éveiller les soupçons, tandis qu'une grande notoriété ou un statut social élevé
peuvent être très encombrants, voire être des obstacles importants dans l'ascèse
personnelle. Cela n'exclut pas non plus que l'on puisse être un notable ou un
fonctionnaire de haut rang et en même temps être un grand initié; mais dans ce
cas, la notoriété ou le rang peuvent aussi servir à masquer ce qu'on est en réalité.
On peut se cacher derrière le luxe comme derrière la pauvreté. Ensuite, se fondre
dans la masse sans afficher aucun signe distinctif de supériorité permet aussi de
ne pas créer de distance avec les gens et donc de les toucher et les transformer
plus facilement.
Bref, comme on le voit, la Voie du Milieu en tant que Voie de la Médiocrité ne
prône en réalité qu'une médiocrité apparente qui sert à ne pas se distinguer de la
masse même - et surtout - lorsqu'on dispose de « grand pouvoirs ». Cela ne veut
absolument pas dire qu'il faut simplement se tenir dans le milieu du troupeau,
avancer avec lui et obéir sans réfléchir, bien au contraire ! Il s'agit là vraiment
une interprétation moderne résultant de la récupération de la doctrine
confucianiste par le parti communiste chinois. C'est aussi aberrant que la
récupération de la philosophie de Nietzche par le parti nazi pour justifier sa
théorie de l'aryen en tant qu'homme supérieur.
Penchons-nous maintenant sur d'autres sens possibles de cette fameuse Voie du
Milieu, différents de la "Voie de la Médiocrité". Certains auteurs chinois faisant
autorité en la matière comme Deng Xuan, Cheng Suo ou Zhu Xi ont commenté
les choses en ces termes...
Cheng Suo, par exemple, considère que Yong signifie ce qui est constant,
invariable, dans le même sens que le caractère Chang :
Yong, Chang Ye
Yong, c'est la même chose que Chang
Yong, c'est le constant
On trouve aussi ce même caractère Chang dans la fameuse première phrase du
Dao De Jing de Lao Zi « Dao Ke Dao Fei Chang Dao », traduit par « Le Tao qui
peut s'exprimer avec les mots n'est pas le Tao de toujours ». On pourrait donc
aussi traduire « chang » non seulement par constant, mais aussi par « de toujours
», voire éternel.
Dao Ke Dao Fei Chang Dao
Le Tao qui peut s'exprimer avec les mots n'est pas le Tao de toujours
Zhu Xi, enfin, considère que Zhong, le milieu, correspond à ce qui n'est pas
déviant, tandis que Yong correspond à ce qui est constant, invariable. Quant à
Zhong, il est assez unanimement traduit par milieu, ce qui en est effectivement
le sens le plus courant ; « milieu » au sens de ce qui ne dévie pas, ne se trouve
jamais dans l'excès ou dans l'extrême » .
Toujours selon Zhu Xi, "Zhong" désigne « ce qui ne dévie pas » et "Yong"
désigne « ce qui ne change pas » :
Se fondant sur les commentaires de Zhu Xi, la définition la plus courante de «
Zhong Yong » qui a fini par prévaloir est « l'invariable milieu » (et non le « juste
milieu »). Cette expression « invariable milieu » est déjà plus intéressante que
Voie de la Médiocrité, mais il existe pourtant d'autres interprétations également
très intéressantes.
En fait, Zhu Xi lui-même commente encore :
ce qui peut se traduire par : « Zhong est la Véritable Voie (Zheng Dao) de ce
monde, Yong en est la Loi immuable ». Ceci serait assez conforme au point de
vue de Matgioi (Albert de Pouvourville) qui, dans son livre "La Voie
Rationnelle", traduit « Dao De Jing » comme « Livre de la Voie et de son
Action) », et non par « Livre de la Voie et de la Vertu » comme on le fait
généralement. On peut certes toujours rattacher cela à une notion d'invariable
milieu, mais pas du tout au sens d'une simple moyenne, qui pourrait d'ailleurs
facilement être considérée comme une forme médiocrité. Il s'agirait du sens
beaucoup plus profond d'un centre immuable à partir duquel la loi de l'univers se
déploie et organise la vie ainsi que l'évolution.
Yong
qui peut être traduit par médiocre, mais aussi par constant
Ensuite, selon Zheng Xuan, le caractère Yong traduit soit par « médiocre » soit
par « constant » jusqu'à présent, correspondrait en fait, selon un jeu
d'homonymie, au caractère Yong qui signifie « utiliser ». Quant au caractère
Zhong traduit par « milieu », il désignerait en fait le Cœur (Xin en chinois). Au
final, Zhong Yong ne signifierait pas du tout « l'invariable milieu » selon
l'interprétation inspirée par les commentaires de Zhu Xi, mais Yong Xin, qui
peut avoir plusieurs sens.
Yong, utiliser
« Yong Xin », mot à mot, signifie « utiliser le cœur », ou bien, plus
communément, « mettre du cœur à l'ouvrage », ou encore faire les choses avec
cœur, avec vaillance, sans compter ses efforts. Toutefois, cela peut aussi se
traduire par « agir par le cœur, depuis le cœur » ou « être centré dans son cœur et
agir depuis ce centre ». Cette idée part de la conception selon laquelle le Cœur
est le véritable centre de l'homme (son milieu), le logis de sa conscience (Shen)
et le réceptacle des énergies du Ciel, comme le vase du Saint-Graal. Pour Zheng
Xuan, c'est cela que Zhong Yong signifie; selon lui, Zhong Yong, c'est la même
chose que Yong Xin!
Yong Xin, utiliser son coeur
est pour Cheng Xuan le véritable sens de Zhong Yong
Selon cette nouvelle compréhension, «Zhong Yong Zhi Dao» pourrait se
traduire par «Voie du Centre» ou « Voie du Cœur », c'est à dire la voie de celui
qui agit à partir du Cœur. Comme la Voie du Cœur est une expression plutôt
galvaudée en Occident, j'aurais personnellement une préférence pour la «Voie
du Centre»...à condition de ne pas oublier que ce Centre, c'est le Cœur! Le plus
exact serait à mon sens « Voie du Cœur en tant que Centre », mais c'est un peu
long !
En fait, cette «Voie du Centre» peut aussi être traduite par la « Voie du Milieu »
ou de l'Invariable Milieu, mais elle donne à ce «milieu» un sens beaucoup
plus profond. Elle ne remet donc pas vraiment en question
l'expression de «Voie du Milieu» en tant que telle, mais en
élargit et en approfondit le sens. En effet, il ne s'agit plus
d'un milieu qui signifie simplement «dans la moyenne»,
«dans la masse» ou «médiocre». Il ne s'agit pas non plus
seulement d'un milieu en tant que point d'harmonie, de
modération et d'équilibre entre les extrêmes, comme on
l'entend souvent lorsque on parle de «Voie du Milieu», mais
d'un milieu qui signifie le milieu de l'homme, le point de
croisement entre horizontale et verticale, bref, le milieu de
la croix sur laquelle l'homme est structuré et par laquelle il
se relie au divin pour l'incarner, peu importe qu'on parle de
Tao, de Bouddha ou de Dieu. C'est d'ailleurs en ce point que
s'harmonisent Terre et Ciel sur la verticale et donnent
naissance à une nouvelle énergie qui jaillit depuis le Coeur à
l'horizontale pour se répandre vers l'extérieur. C'est donc
bien la Voie de l'Action qui jaillit du Cœur, en tant que
centre immuable de la conscience éternelle. C'est pour cela
qu'elle est considérée par Confucius comme la voie de
l'homme noble (Jun Zi)!
Si on devait donner une image pour exprimer cela, je pense que la meilleure
serait celle de la croix de la Svatiska qu'on représente souvent sur la poitrine du
Bouddha, précisément au niveau de son cœur; cette croix croix est en fait une
roue et qui incarne les lois de génération, d'évolution et d'action à partir du Cœur
de Bouddha, cœur de compassion qui est en chacun de nous (au moins
potentiellement), tout comme l'est le Sacré-Cœur de notre tradition chrétienne,
siège de l'énergie et de l'amour christique en l'homme.
Roue de la Svatiska sur la poitrine du Bouddha,
symbole solaire de génération, d'évolution et de compassion
Mais si on voulait compléter cette image, on devrait représenter un lotus partant
du ventre du Bouddha et dont la fleur éclorait justement au milieu de la poitrine,
en plein milieu de la roue de la Svatiska. En effet, le lotus correspond à notre axe
vertical, spirituel, à notre axe Rein/Cœur qui est notre axe Ciel/Terre intérieur.
Or, le Cœur correspond justement au Centre, et à la croix de la Svatiska qui est
représentée sur la poitrine du Bouddha, au niveau de son Cœur; il correspond au
point de jaillissement vers l'horizontale depuis la verticale de l'axe Terre/Ciel sur
laquelle on a trouvé l'équilibre. Le lotus devrait donc avoir ses racines dans le
ventre du Bouddha (ventre qui correspond à son Rein) et monter éclore au
niveau du Cœur du Bouddha où se trouve la Svatiska. La Voie du Centre, ou
Voie du Milieu, est la voie de celui qui à su trouver en lui le juste équilibre entre
Ciel et Terre et qui vit centré dans son Coeur, à partir duquel il agit et rayonne.
Si on continue dans la même logique, on peut dire que la Voie du Milieu
consiste à trouver le point d'équilibre entre nos polarités fondamentales
Yin/Yang et à vivre centré en ce point. Ces polarités Yin/Yang sont la polarité
Ciel/Terre (haut/bas) sur l'axe vertical et la polarité Masculin/Féminin
(gauche/droite) sur l'axe horizontal. Lorsqu'on atteint l'équilibre entre des 4
polarités, on se retrouve naturellement au centre d'une croix centrée au niveau du
Cœur, croix qui est aussi semblable au Caducée, ce Caducée qui symbolise à la
fois le processus et l'état de la santé parfaite.
Symbole du Caducée,
qui se développe sur la base de l'équilibre entre les polarités Yin et Yang
Et lorsque l'équilibre est trouvé entre les 4 polarités fondamentales, on peut alors
avoir accès à la Quinte Essence qui jaillit du centre de la croix formée par ces 4
polarités, qu'on pourrait aussi mettre en relation avec les 4 Eléments de la
tradition occidentale. On pourrait donc aussi voir dans la Voie du Milieu une
Voie de la Quintessence.
Schéma des 4 Eléments de la Tradition Occidentale,
avec au centre l'Ether, le Cinquième Elément ou la Quinte Essence,
à la fois source des 4 Eléments et résultat de leur équilibre
Les 5 Eléments de la tradition chinoise centrés sur la Terre
correspondent aux 4 Eléménts de notre tradition occidentale,
au milieu desquels se trouve l'Ether ou Quinte Essence (*)
(*) N.B.: Attention, la correspondance entre les Cinq Eléments (4 Eléments de base plus
l'Ether) de la Tradition Occidentale et les Cinq Eléments de la Tradition Chinoise n'est
pas aussi simple et mériterait d'amples développements à elle toute seule, mais c'est un
choix de présentation qui est fait içi pour faire ressortir de manière aussi claire et simple
que possible les analogies structurelles fondamentales qui existent entre les deux
traditions.
VOIE DU MILIEU, VOIE DU CENTRE DE LA CROIX
La Voie du Milieu, finalement, peut être vue comme la Voie par laquelle on se
situe au centre du cette Croix formés par les 4 polarités fondamentales, et donc
le Centre correspond au Coeur, comme dans le Caducée
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