Histoire économique 27 janvier 2004
LE "NEW DEAL" DE FDR
(1) Sens de l'expression "New Deal" : nouvelle donne (au jeu : to deal a pack of cards) ;
aussi : quelque chose comme "nouveau contrat" (to make a deal = conclure une affaire,
passer un contrat). Expression courante : "A square deal". Truman (dernier vice-
président de FDR, devenu président en avril 1945, à la mort de FDR) : "Fair Deal".
(2) Il n'y a pas (encore ?) de bonne analyse du New Deal d'un point de vue économique :
une curieuse lacune (si, un jour, vous voulez faire une thèse en histoire économique,
ce serait un bon sujet). A noter : il n'y eut pas qu'un seul New Deal, mais successive-
ment au moins quatre.
(3) En revanche, assez vaste littérature sur FDR et sur le New Deal d'un point de vue poli-
tique. Dernière parution en date : (Lord) Conrad Black, Franklin Delano Roosevelt :
Champion of Freedom, PublicAffairs, nov. 2003, 1360 pp. - NB : 1/ prononciation de
Roosevelt : comme dans "rose" ---> famille d'origine hollandaise ; 2/ Delano = nom de
famille de sa mère, d'origine huguenote l'origine : de la Noye) ; 3/ parent de Teddy
Roosevelt (petit cousin) ; 4/ famille patricienne, sinon aristocratique ; 4/ (Lord) Con-
rad Black : Canadien anobli à la tête d'un empire médiatique (Hollinger), aujourd'hui
en difficultés ; 5/ son livre est assez hagiographique, mais montre bien le côté "politi-
cien retors" de FDR. Son côté sympathique et chaleureux ; et aussi son côté "acteur
consommé". Récemment, The Economist lui a attribué la note de 3/3 dans une liste de
quelques dizaines de présidents américains et de monarques britanniques ; apprécia-
tion de FDR en une phrase : "Saved the world" ! A noter : très peu de rues, d'endroits,
etc. nommés d'après FDR aux USA (FDR Drive à NYC).
(4) Point de départ : élections du 8 novembre 1932 :
- FDR est élu par un "landslide" et triomphe du président sortant (Herbert Hoo-
ver);
- Majorité démocrate au Congrès ---> fin de 12 ans de domination républicaine.
NB: le parti démocrate est (était) une coalition hétérogène (ouvriers, agriculteurs,
fonctionnaires, intellectuels et classes moyennes inférieures dans le Nord-Est et
l'Ouest ; démocrates racistes et conservateurs du Sud ; les Noirs, ils avaient le
droit de vote).
(5) "Inauguration de FDR" : 4 mars 1933, dans une atmosphère de Götterdämmerung
(toutes les banques sont fermées, et cela dans un pays où les paiements se faisaient dé-
surtout par chèques; au début du mois, le troc avait fait son apparition; les Améri-
cains ont le sentiment que c'est la fin de leur civilisation; NYT de l'époque). Il faut ab-
solument remettre le pays sur pied. Une phrase de son discours inaugural est restée :
"We have nothing to fear but fear itself". - A noter que FDR et Hitler sont arrivés au
pouvoir presque en même temps...
(6) Son programme - en deux volets :
- Mesures d'urgence : il s'agit de faire redémarrer l'économie, sinon même le
pays : p.ex. l'Emergency Banking Act du 10 mars 1933 ; 15 mars : fin du moratoire
bancaire ; pendant une certaine période, toutes les opérations monétaires et financières
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avec l'étranger sont purement et simplement interdites ; en particulier, embargo sur les
exportations d'or et d'argent-métal ; etc.
- Réformes en profondeur : en principe, il s'agissait ni plus ni moins que de
changer de système économique (capitalisme/économie de marché considérés comme
morts ou, en tout cas, en faillite et dépassés). Philosophie de base : économie dirigée,
corporatisme (FDR à Mussolini : pas vraiment de différence entre le New Deal et la
politique économique du fascisme). Détails plus loin. FDR et son "brain-trust" (cf. ci-
dessous) considèrent que c'est le volet essentiel. Approche empirique et pratique (ap-
préciation positive) - ou désordonnée et brouillonne, avec déficit et incohérences au
plan analytique (appréciation gative). A noter : énorme polarisation de l'opinion pu-
blique et de la société américaines : pour les uns, FDR est un héros, sinon un saint ;
pour d'autres, c'est "that man", un traître à sa classe sociale.
(7) "Brain trust" : Rexfort G. Tugwell (économiste, aujourd'hui oublié, père du AAA ;
dans le gouvernement FDR de 1933 à 1937); Raymond C. Moley (économiste, au-
jourd'hui oublié, démissionna après l'échec de la Conférence de Londres en été 1933) ;
Adolf A. Berle (juriste, principal père de la législation bancaire et financière du New
Deal ; de 1938 à 1944, Assistant Secretary of State for Latin-American affairs); etc.
(8) Mesures d'urgence : incontestablement, un succès. La confiance est restaurée, une im-
pression de dynamisme est créée, philosophie "make do" ; l'économie redémarre. In-
dice de la production industrielle : mars 1933 = 49,6 (1929 = 100) ; mai 1933 = 65,6 ;
juillet = 84,4. Les prix et la bourse sont à la hausse. Ensuite, la reprise s'essouffle ; rai-
son probable : les "codes" structurels du New Deal entrent en vigueur et ont des effets
contreproductifs (voir plus loin).
(9) Avant d'examiner les réformes structurelles du New Deal, quid des volets traditionnels
de la politique économique ?
- Politique monétaire : jusqu'à la guerre, le système bancaire américain nagera
littéralement dans les liquidités (énormes "excess reserves"), mais l'expansion du cré-
dit ne suit pas ou suit mal : les banques, échaudées, ont une forte préférence pour la li-
quidité. En 1936-7, cependant, la politique monétaire américaine virera dans un sens
restrictif - voir plus loin. Au plan international : le 19 avril 1933, abandon de l'étalon-
or et dévaluation du dollar (FDR est autorisé à dévaluer jusqu'à concurrence de 50%...)
Cela torpille la Conférence économique mondiale de Londres (juin 1933). Les USA
adoptent une politique économique internationale d'essence isolationniste - le reste du
monde ne compte pas ou, en tout cas, ne doit pas nous empêcher de faire ce que nous
voulons faire au plan intérieur. Le 31 janviers 1934, la valeur-or du dollar est fixée à
$35 par once d'or fin - restera en vigueur jusqu'en 1971 (Nixon). - Autre volet de la
politique monétaire du New Deal : "l'argentisme" ---> tentative, pour des raisons élec-
toralistes, de réhabiliter l'argent en tant que métal monétaire (achats, stockage) : sera
un échec complet.
- Politique budgétaire (fiscal policy) : a été vue. Rappel : FDR a été élu sur un
programme (platform) budgétaire orthodoxe : équilibrer les finances publiques. Pas de
différence avec Hoover. Dans la réalité des faits, la politique budgétaire du New Deal
a été ambiguë, tiraillée entre deux directions : mesures d'urgence pour aider les chô-
meurs et les agriculteurs (emergency relief), travaux publics (budget inital : 3.5 mil-
liards de dollars) ---> forte poussée des dépenses ; mesures d'assainissement du côté
des revenus (hausse d'impôts). Résultat : finances fédérales en déficit constant, mais
pas vraiment d'impulsion macroéconomique.
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(10) Venons-en aux réformes structurelles, en commençant par l'agriculture.
(11) Agriculture : Agricultural Adjustment Act (AAA) du 12 mai 1933 (NB: quand
le Congrès s'ajournera le 16 juin, les principales lois économiques du New Deal seront
toutes sous toit). Idée de base : l'agriculture américaine souffre de "surproduction" et
de prix déprimés, le pouvoir d'achat des agriculteurs est insuffisant. Il faut donc ré-
duire l'offre au niveau de la demande (principe général du New Deal... à rebours du
bon sens économique : il aurait mieux valu faire monter la demande au niveau de
l'offre !). Moyens : réductions - volontaires, en principe, mais peuvent être rendue
obligatoires - des surfaces cultivées, avec compensation financière pour les agricul-
teurs, principalement pour les produits de base : blé, coton, tabac, maïs, viande de porc
(ce qui déboucha dans la presse sur des annonces du type : "Achetez un terrain pour la
production de porcs, annoncez que vous renoncez à produire - et vous serez payé!...") ;
compensations financées par des "processing taxes" (impôts prélevés au premier stade
de la transformation des produits) - donc, subventionnement de l'agriculture par les
consommateurs ; stockage des produits par l'Etat. Pendant un certain temps, les prix
montent et le revenu des agriculteurs s'améliore, puis il y a rechute. Autres mesures :
Farm Mortgage Act (désendettement financé par l'Etat) ; Farm Credit Act ( la création
de coopératives agricoles est favorisée).
(12) Industrie : National Industrial Recovery Act - NIRA (adopté le 16 juin 1933, au
moment où le Congrès s'ajourne). Même principe de base : réduire l'offre au niveau de
la demande. Moyen : "concurrence constructive" ---> en réalité, cartellisation de
l'industrie, avec ententes (légales) sur les prix, les horaires et conditions de travail, les
salaires minimaux. Le New Deal tourne résolument le dos à la politique anti-trust tra-
ditionnel (Sherman Act, 1890 ; Clayton Act, 1914 ; jurisprudence continue). Dans
chaque industrie, un "code de conduite" doit être adopté, en principe de manière vo-
lontaire, mais peut être imposé (d'où un code général ou code-modèle : blanket code).
Gros effort de publicité, de promotion, de propagande, sous la direction du Général
Hugh Johnson (pittoresque personnage), avec une enseigne - le "Blue Eagle" - et des
slogans comme "We do our part". Un côté boy-scout.
(13) Secteur bancaire : principales lois, en sus des mesures d'urgence (voir plus
haut).
- Federal Securities Act (27 mai 1933) : réglemente le marché des valeurs mobi-
lières et créée la Security Exchange Commission (SEC), organe de surveillance bour-
sière, toujours en existence. Deux lois complémentaires en 1934 et 1935. - A noter :
"Wall Street" et ses banquiers sont parmi les principaux "diables" identifiés par FDR
et le New Deal... (entrevue de FDR avec H. Schacht, président de la Reichsbank, qui
lui annonce la fin du remboursement des dettes allemandes ; FDR rit et se frappe la
cuisse en disant : "Eh bien, cela fera les pieds à tous ces banquiers de Wall Street !").
- Glass-Steagall Banking Act (adopté aussi le 16 juin 1933) : garantie étatique
des dépôts bancaires; pouvoirs renforcés de la Federal Reserve (qui sera réorganisée
dans un sens centralisateur); pas de banques universelles, mais séparation entre les
banques de dépôt et les banques d'affaires (investment banks); restrictions sévères à
l'interstate banking. Cette loi, en fait un vrai corset, restera en vigueur jusqu'à récem-
ment.
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(14) Résultat des réformes structurelles du New Deal, surtout l'AAA et le NIRA :
d'un point de vue conjoncturel, elles sont contreproductives, freine la reprise, puis la
font avorter. Dès 1934, la reprise fait place à la stagnation.
(15) La révolte de la Cour suprême :
- En mai 1935, la Cour suprême déclare que le NIRA est anticonstitutionnel (rai-
son juridique : délégation illégale de pouvoirs législatifs à l'exécutif). A noter que
FDR avait fondé juridiquement une bonne partie de sa législation économique sur l'ar-
ticle constitutionnel qui permet au gouvernement fédéral de réglementer le commerce
entre les Etats.
- Au début de janvier 1936, l'AAA est déclaré anticonstitutionnel à son tour (en
février, cependant, la loi sur la TVA - Tennessee Valley Authority - est déclarée cons-
titutionnelle).
- FDR essaie de sauver les apparences, en faisant voter des lois de remplacement,
mais celles-ci ne sont que de pâles imitations, émasculées, des lois originales.
- FDR essaie aussi une manoeuvre sordide : changer la composition de la Cour
suprême en y nommant des juges favorables au New Deal (épisode appelé "the Court
packing"). La manoeuvre échoue. La réputation de FDR en souffre.
- Novembre 1936 : FDR est néanmoins réélu honorablement, sinon triomphale-
ment. Il sera à nouveau réélu en 1940 et 1944, pour un total de quatre mandats. A la
suite de quoi on ajoutera un nouvel amendement à la Constitution limitant les prési-
dents à deux termes au maximum.
(16) Ironiquement, mais certainement pas par coïncidence, l'économie redémarre
après l'abolition de l'essentiel du programme législatif du New Deal. En mars 1937, la
production industrielle retrouve son niveau de 1929. Mais les prix sont à la hausse, ce
qui est interprété comme une dangereuse poussée de l'inflation (alors que le niveau ab-
solu des prix est encore bien inférieur à ce qu'il était en 1929...) La politique écono-
mique vire dans un sens restrictif : baisse des dépenses fédérales et hausse d'impôt (le
déficit fédéral passe de 3,1 milliards pour l'année budgétaire 1936-37 à 1,4 milliard
pour l'année budgétaire 1937-38) ; en même temps, la politique monétaire devient aus-
si plus restrictive, en particulier via les opérations de marché ouvert et une hausse des
coefficients de réserve imposés aux banques. Résultat : l'économie rechute en 1937-38
- c'est "la récession à l'intérieur de la crise". s le milieu ou la fin de 1938, une nou-
velle reprise s'amorce, de plus en plus soutenue par des dépenses d'armement. Ce n'est
cependant qu'après l'entrée des USA dans la guerre suite à l'attaque japonaise sur Pearl
Harbor (7 décembre 1941) et la déclaration de guerre allemande aux USA (une se-
maine plus tard) que les Etats-Unis retrouveront enfin le plein emploi.
(17) Si le temps le permet : quelques indications et considérations sur la politique
économique du Front populaire en France : dévaluation de septembre 1936 vs. les ac-
cords de Matignon du 7 juin 1936 (hausse des salaires de 7-15%, contrats collectifs,
nationalisations, syndicalisation) et mesures sociales (semaine de 40 heures, congés
payés). Dans un premier temps, l'économie est stimulée par la dévaluation ; forte
hausse des prix. Puis, l'effet restrictif des mesures structurelles prend le dessus et
l'économie française entre en stagnation.
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