LES TROIS SŒURS , d’Anton Tchekhov, traduit par André Markowicz et Françoise Morvan - mis en
scène par Stéphane Braunschweig au TNP
Avec Sharif Andoura, Jean-Pierre Bagot, Bénédicte Cerruti, Cécile Coustillac, Gilles David, Maud Le Grévellec
Représentations au TNP de Villeurbanne les 19, 20, 21, 24, 25, 26, 27 avril 2007 à 20 h, et le 22 avril 2007 à 16 h 00
Accueil, renseignements, location : 04 78 03 30 00
Le jeudi 26 avril à 18 h 00 : Conférence d’André Markowicz et de Françoise Morvan "Autour de la traduction de Anton
Tchekhov et des auteurs russes".
Olga, Macha et Irina s’ennuient dans la petite ville de province où elles ont suivi leur père, commandant de
brigade. Elles rêvent de retourner à Moscou, mais ce rêve est irréalisable, tout comme le bonheur, que chacune,
sans succès, recherche. Victimes de l’inertie de l’incapacité à être un peu heureuses, elles vivent dans la
mélancolie et la résignation. Il y a aussi leur frère, André, qui a épousé l’insupportable et vulgaire Natacha. On
sent qu’un vieux monde s’écroule, qu’un autre, médiocre comme Natacha, le remplacera. Et pourtant, au dernier
acte, alors que le rideau va tomber, les trois sœurs espèrent encore en la vie : la vie... pourquoi ? "Si nous
pouvions savoir !" Если бы знать, если бы знать !, soupire Olga. Cette pièce, que Tchékhov aurait d’abord
voulue gaie, est finalement une satire sociale, et surtout le spectacle du drame des illusions perdues. Un monde
s’enlise, dont, avec les trois sœurs, il reste le charme mélancolique. Ce spectacle est signé par l’un des plus
talentueux metteurs en scène français, directeur du Théâtre National de Strasbourg
L’article de Fabienne Darge dans Le Monde Tchekhov et nos trois jeunes sœurs
LE MONDE | 16.03.07 | 15h57 • Mis à jour le 16.03.07 |
" Il y a des moments où la vie s’emballe comme une toupie, où les êtres, tourneboulés, étourdis par l’accélération de
l’histoire, ne savent plus comment vivre. Dans la mise en scène limpide et lumineuse de Stéphane Braunschweig, cette
fameuse toupie qui est au cœur des Trois Sœurs est un petit jouet de fer-blanc coloré comme il en vient de Chine par paquets,
et non pas un objet artisanal. Le monde change.
Tchekhov a écrit sa pièce en 1900, tout juste. Ses Trois Sœurs, comme ses autres grandes pièces, ne parlent que de cela : du
passage d’un monde à un autre, et de l’angoisse, du désarroi que cela suscite. "L’ancien monde est déjà disparu, le nouveau
monde n’est pas encore là, et dans cet entre-deux les monstres apparaissent", notait Gramsci dans ses Cahiers de prison.
Cette phrase sert de fil conducteur à la mise en scène de Braunschweig, où la question posée par Tchekhov trouve une
formidable actualité. Comment vivre dans un monde qui change ? Comment s’y comporter, y maintenir certaines valeurs et
essayer d’y être heureux ?
Les voilà donc, ces trois sœurs, que l’on découvre dans le vaste espace clair conçu par le metteur en scène, qui d’emblée fait
dialoguer deux époques, avec sa salle à manger XIXe et ce salon à l’avant-scène, au dépouillement contemporain. Olga la
rousse, en bleu travail (Bénédicte Cerutti), Macha la brune (Pauline Lorillard) qui, comme la mouette, "porte le deuil de sa
vie", tout de noir vêtue, et Irina la blonde (Cécile Coustillac), dans le blanc pur de sa fraîcheur, de son innocence encore
intactes.
FAIRE ENTRER LE NOUVEAU MONDE
Elles sont jeunes, très jeunes même - elles ont l’âge des rôles, entre 20 et 28 ans -, et c’est le premier point fort de la mise en
scène de Braunschweig, qui les confronte à la catastrophe propre à chaque génération (vieillesse naufragée, maturité
arrogante) dans cette petite ville de garnison où elles ont échoué il y a dix ans, avec leur père général, et où elles sont
maintenant seules, sans père ni mère. Mais avec leur frère Andreï (Sharif Andoura), qui fera entrer le nouveau monde dans la
vieille maison, en la personne de son épouse, Natacha (Maud Le Grévellec).
Cette Natacha qui, alors que les autres sont encore au début du spectacle en costumes d’époque, est l’incarnation de la
modernité avec sa robe rouge et courte. Une modernité un peu criarde. En fins observateurs, Tchekhov et Braunschweig
s’interdisent de juger - il n’y a pas chez Tchekhov, comme on l’a longtemps cru, de lamento pour les temps anciens. Mais ils
portent un regard impitoyable sur cette Natacha qui, entre autres médiocrités petites-bourgeoises, refuse les masques - le
théâtre - qui pourraient venir déranger sa tranquillité familiale, laquelle constitue son seul horizon et la base de son pouvoir.
Toute la mise en scène est à l’avenant, qui gagne en acuité ce qu’elle perd - un peu - en émotion. Cela devrait s’arranger avec
le temps, notamment parce que la troupe est formidable, à l’image de Maud Le Grévellec et de sa mémorable Natacha, et de
ces trois Parques filant leur vie fichue, mort-née : Bénédicte Cerutti, Cécile Coustillac et Pauline Lorillard, trois jeunes
comédiennes aux présences différentes, mais également riches, sensibles et subtiles. Les accompagnent, notamment, l’Andreï
mou, faible, de Sharif Andoura, le Touzenbach profondément humain d’Antoine Mathieu, et le Tcheboutykine ravagé de
Gilles David.
Oui, le monde change, dans le théâtre comme ailleurs. Sans que cela implique nécessairement le renoncement à certaines
valeurs. Avec ce spectacle, Stéphane Braunschweig confirme qu’il peut encore y avoir aujourd’hui, en France, des aventures
théâtrales dignes de celles de Vilar, de Vitez ou de Chéreau. C’est le cas à Strasbourg, où se conjuguent une pensée du théâtre
et la formation d’une communauté d’artistes et de spectateurs.
On peut retrouver cette vision dans un livre qui vient de sortir chez Actes-Sud : Petites portes, grands paysages. Avec Anne-
Françoise Benhamou, son indispensable complice, Stéphane Braunschweig y compose un manifeste sans emphase, clair et
précis, de son théâtre. Tel qu’il porte, encore, toujours, cet idéal humaniste dont n’arrivaient pas à se défaire nos chères, très
chères Trois Sœurs, même sous les coups de boutoir de la vulgarité triomphante." Fabienne Darge
Le texte intégral et en russe de Три сестры dans Библиотека Комарова
Tchekhov dans Wikipedia en français et en russe