Résumé de SOP (1999-2000) Le cercle vicieux bureaucratique : Quatre traits majeurs de fonctionnement qui poussent le Monopole vers la perpétuation de son système relationnel. Etablissement d’un système de règles qui à tous prévu afin d’éviter les conflits (2) Centralisation des décisions : dans le but de mettre les responsables à l’abris des pressions trop personnelles de ceux qui sont affectés par ces décisions (1) Impersonnalité des règles : Contenu des tâches décrit avec minutie Recours au principe d’ancienneté Recrutement par concours externes Renforcement des règles : Protection contre l’autorité Cercle vicieux bureaucratique L’arbitraire du supérieur devient négligeable A : conventionalisation des relations entre les intervenvants => retour des phénomènes de dépendance et de conflit Concentration sur des objectifs catégoriels de sous-groupes. D: comportements ritualistes de « ronds de cuirs » (Merton) (3) Isolement de chaque catégorie : C : forte pression à la conformité du groupe sans contre-pouvoir. La pression du groupe des pairs devient le seul facteur de régulation des comportements en dehors des règles. (quatre aspects à cet isolement : A B C D) B : création d’un système de castes. => barrières infranchissables entre les catégories (4) Développement de relations de pouvoir autour des zones d’incertitudes qui subsistent Aucune strate, aucune clique, aucun clan transversal Aucun espoir de promotion interne Réduction des risques de conflit internes au groupe Pas de circulation de l’information Tout pousse vers : Amoindrissement des effets du pouvoir Réduction de la dépendance à la hiérarchie Préservation de la liberté et des espaces d’autonomie Impossible d’éliminer toutes les sources d’incertitude 1 Cercle vicieux bureaucratique (=système dont les dysfonctions sont devenues un des éléments essentiels de l’équilibre) Concepts clés : Tout acteur a du pouvoir Les croyances sont stratégiques Elles soutiennent un dessein, un objectif, un projet Elles expriment moins un passé ou un présent qu’un futur A coté de la structure formelle, il y a une structure parallèle différent de la « structure informelle » : axée sur les échanges affectifs et les sentiments nés de relations internes au groupe plus la volonté de réglementation est importante, impliquant une inflation de textes, plus les zones non régulées, réduites par conséquent à une portion congrue, prennent une importance démesurée. La régulation (régulation stratégique + régulation culturelle) = ce qui crée l’unité du système social = les « grandes » règles du jeu du système global Logique d’action (d’une coalition qui fait prévaloir ses intérêts) regroupement de tâche en fonction d’une finalité commune (rassemble tous ceux qui concourent à sa réalisation, par delà leur appartenance à des soussystèmes précis) se situe au niveau du système global et traverse tous les sous-systèmes exemple dans le monopole : logique de fabrication et logique d’entretien Régulation stratégique Montre comment s’organisent les différentes logiques d’action, comment elles s’arbitrent Exemple : à défaut d’une réorganisation de l’usine, la routine de l’entretien est la logique dominante Zone d’incertitude Point crucial et nécessaire pour faire aboutir les objectifs organisationnels => ceux qui contrôlent ces points sensibles pèsent sur le fonctionnement de l’organisation NB : le pouvoir de décision à l’intérieur d’un système d’organisation bureaucratique tend à se situer aux endroits ou l’on donnera naturellement la préférence à la stabilité du système interne « politique » sur les buts 2 fonctionnels de l’organisation => l’essentiel devient le respect du règlement => déplacement des objectifs vers les moyens => Ritualisme L’équilibre interne d’un système repose sur une coalition gagnante doit être gagnante dans ses alliances à la fois internes et externes exemple : monopole : - interne : ouvriers d’entretien + directeur technique - externe : Ministère de tutelle, Syndicats nationaux de fonctionnaires, … La bureaucratie remplit une fonction affective solution au problème de la coopération et aux craintes que suscitent les relations de pouvoir réponse à l’épreuve posée par l’expérience désagréable des relations de face à face réponse rationnelle à l’arbitraire se développant autours des zones de pouvoir parallèle => appel à plus de réglementation pour contrer ces détournements Reynaud : la crise bureaucratique est avant tout un déficit de régulation, elle est une anomie la crise bureaucratique est une régulation qui repose sur le développement du contentieux et sur la centralisation de ce contentieux Développement de lois obscures ou trop complexes Impossible de les respecter, faute de les comprendre Foisonnement de la jurisprudence Appel au contentieux Dans l’intervalle, règne l’arbitraire, le conflit ou une autre règle Le changement à la française 3 il suppose une grande crise qui secoue tout l’ensemble et l’intervention d’un « réformateur autoritaire » il revêt 3 traits originaux : 1) Il se produit en réponse à une crise => on attendra qu’une crise soit devenue assez grave pour menacer la survie même de l’organisation 2) Il est exceptionnel et universel => réforme globale qui concerne toute l’organisation 3) Il vient du sommet => se sont les grands corps ou les élites politiques qui le pensent, l’organisent et le lancent Les élites n’interviennent que quand les crises sont particulièrement fortes en proposant des plans globaux de réforme La crise est fonctionnelle Régulation culturelle les variables culturelles françaises expliquent l’originalité de cette manière de conduire le changement Celle-ci paraissent caractérisées par une grande difficulté à coopérer dans un cadre informel. Le français évite les relations de face à face car elles comportent un risque de dépendance personnelle. Les gens tiennent à rester indépendants et à l’écart les uns des autres. Ils éprouvent les mêmes difficultés à coopérer de façon constructive. Celui qui fait montre d’initiative est tout de suite accusé de vouloir commander => difficulté à développer un type de leadership acceptable au niveau du groupe primaire Pourtant la conception de l’autorité qui continue à prévaloir est toujours universelle et absolue ; elle garde quelque chose de la tradition politique de la Monarchie absolue avec son mélange de rationalité et de bon plaisir L’isolement des catégories et l’isolement des individus permettent à chacun de, même au plus bas de l’échelle, de disposer d’une certaine part de « bon plaisir ». Ce bon plaisir se manifeste surtout de façon négative ; les subalternes sont protégés contre des interventions supérieures ; ils n’auront jamais à s’incliner devant la volonté personnelle humiliante de quelqu’un Ils s’efforcent de montrer qu’ils travaillent non pas parce qu’ils y sont forcés, mais parce qu’ils choisissent de le faire. Cette liberté devant les supérieurs, cette autonomie de l’individu dans sa fonction peut être rattachée à la conception absolutiste de l’autorité L’organisation bureaucratique française est profondément réductrice des tensions psychologiques posées par l’autorité ; le système français 4 d’organisation constitue la meilleure solution possible des contradictions dont souffrent les français en matière d’autorité « Sociologie de la décision » de Haroun Jamous : une tentative de dépassement Jamous va montrer que les dysfonctions ne sont pas objectives ; que les classes sociales s’affrontent sur leur définition Nécessité d’un retour au marxisme (s’il pouvait accepter que le fonctionnement quotidien et routinier reposait sur des jeux de strates organisationnelles contrôlant des zones d’incertitudes, il lui semblait que le compromis autorisant un tel fonctionnement trouvait son origine en dehors de l’organisation. Ce compromis résidait dans les rapports de force entre classes sociales). Jamous propose d’élargir le modèle dans deux directions ; d’une part, il réintroduit l’analyse de classes sociales que Crozier a écarté et d’autre part il élargit le modèle vers la théorie charismatique de Weber centrée sur le personnage d’exception nécessaire pour réenchanter la vie sociale dans une société très rationnelle Exemple : la réforme du système hospitalo-universitaire décidée par le Général de Gaulle en 1958 : Cette situation rentre à première vue dans le schéma d’interprétation crozérien. Rappel : 1958 verra la création des CHU. Jusqu’alors le système hospitalouniversitaire était axé sur deux pôles assez différenciés, aux connexions très lâches. D’un côté l’hôpital et de l’autre l’université et sa faculté de médecine. La réforme de 1958 consistera à intégrer ces deux pôles en un ensemble unique. Le système hospitalo-universitaire avait été remodelé par la révolution française qui avait bouleversé le fonctionnement institutionnel de l’Ancien Régime ; Paris était devenu le centre mondial de la formation médicale parce que l'organisation bipolaire était fonctionnelle : la zone d’incertitude qu’était la nomination aux postes de professeurs à la faculté de médecine était contrôlée par la profession médicale et l’ensemble de ses chefs de service des hôpitaux de Paris. A partir de 1850 les conditions de production scientifique changent. Le paradigme anatomo-pathologique a donné tout ce dont il était capable. Pourtant le système bipolaire continue à fonctionner comme avant (=> une réorganisation n’est pas la conséquence logique des dysfonctions du système => elle suppose une nouvelle alliance) 5 A partir de 1945 l’hôpital change, entraînant des coûts financiers important pour la Sécurité Sociale => elle pousse à la création d’un statut temps plein (les médecins hospitaliers cumulaient deux statuts : fonctionnaires le matin, profession libérale l’après-midi), bientôt rejointe par d’autres groupes de pression (médecins de gauche, membres du cabinet du président du Conseil Pierre Mendès-France, qui veulent redresser la médecine franàaise ; fondamentalistes, chercheurs de laboratoires qui souhaitent une plus grande reconnaissance de leur contribution) pour qui le statut temps plain paraît être la condition essentielle d’une implication forte dans la triple mission d’enseignement, de recherche et de soins. C’est ici que Jamous introduit la théorie charismatique de Weber. Les conditions de réussite sont maximales si les membres de ces différentes fractions se rassemblent sous la houlette d’un personnage de grande envergure dans le champs médical. Le professeur Robert Debré était ce personnage providentiel. Il était de surcroît le père du nouveau Premier Ministre du Général de Gaulle, Michel Debré. Le changement ne résulte pas des dysfonctions objectives mais d’une coalition forte capable de définir une situation comme dysfonctionnelle et d’imposer son projet. Cette élément stratégique (opposé à une théorie des dysfonctions objectives) se comprend encore mieux lorsque l’on sait que la profession médicale avait son propre plan (le service plein-temps contre un statut de fonctionnaire plein-temps) tout aussi rationnel au niveau de la triple mission, mais visant des objectifs différents Les dysfonctions ont bien un caractère stratégique NB : Il y a deux grandes approches de la stratification des sociétés : l’analyse marxiste qui met l’accent sur les seuls critères économiques et l’analyse wébérienne qui est pluraliste. Cette analyse wébérienne combine trois critères : elle redéfinit le critère économique qui ne renvoie plus à la propriété mais bien au niveau de consommation, elle accorde une place importante aux critères culturel (les groupes de statut) et politique (groupe politique) qui ne sont pas dérivés des critères économiques. Jamous se dit inspiré par une sociologie marxiste, mais l’analyse montre que ses critères sont wébériens Notre réinterprétation de « ces fractions de classe » en termes wébériens nous entraîne dans une autre lecture du système hospitalo-universitaire. Nous n’avons pas examiné la société et ses classes sociales mais un système plus 6 limité : un système politico-administratif et professionnel avec la profession médicale comme troisième élément. L’administration est en miettes Elle est fragmentée ; cette constatation s’appuie sur deux faits : 1) les fonctionnaires travailles dans un profond isolement (entre eux et avec la hiérarchie) => « Moins on coopère, mieux on se porte » 2) Les nombreuses solutions arrêtées par l’administration sont des compromis entre les fonctionnaires et leurs partenaires => les rapports avec l’extérieur sont une multiplicité d’arrangements qui ne peuvent être ramenés à de simples applications de la loi ou des règlements L’administration est avant tout un ensemble de sous-systèmes qui produit des arrangements avec l’extérieur ; ces relations avec l’extérieur structurent de façon durable le fonctionnement interne de la préfecture Trois ensembles de relations mettent en rapport, de manière privilégiée, l’administration et le monde politique : 1) le sommet administratif avec le sommet politique 2) les cadres moyens avec les politiciens locaux 3) les agents d’exécution avec le grand public La régulation croisée le secret de la régulation crozérienne, c’est la coalition gagnante on ne peut entretenir l’image de morcellement et de fragmentation de l’administration qu’à la condition de découvrir les logiques régulatrices qui structurent les petits noyaux relationnels régulation croisée : il y a régulation du monde administratif par le politique et régulation du monde politique par l’administration ; le politique l’emportant sur l’administratif 7 La théorie stratégique : Le pouvoir, la rationalité limitée et le système : Pour beaucoup, Crozier est le sociologue du pouvoir. Il est vrai qu’il l’a mis au centre de ses analyse (il a changé la représentation sociologique de l’acteur). Son apport le plus central : le pouvoir, fondateur d’ordre locaux. =>C’est l’intégration du pouvoir dans un ensemble conceptuel structuré, articulé autour du système d’action concret, qui est la percée décisive. L’hypothèse du pouvoir : La règle : Les règles ne s’appliquent pas, elles se négocient La grève du zèle (appliquer le règlement à la lettre) est l’illustration topique de cette idée 8 (ex : Un bon fonctionnement de la douane implique qu les douaniers ne respectent pas le règlement à la lettre, qu’ils introduisent des exceptions, ou qu’ils décident de saisir l’esprit derrière la lettre ; c’est ce qu’ils font tous les jours). si les acteurs ne jouaient pas le jeu, c’est-à-dire ne trichaient pas, le système ne pourrait pas fonctionner Ce sont les pratiques perverses, illicites, qui sont primordiales pour le bon fonctionnement du système Tout homme a du pouvoir parce qu’il contrôle, il négocie sa participation, c’est-à-dire la manière dont il va exercer son rôle ( => met fin à la théorie des rôles) Il a le choix entre deux stratégies extrêmes : 1) Le retrait : il se replie sur la lettre du règlement, il s’implique au minimum, il se concentre sur les prescriptions formelles et oublie l’ esprit, c’est-à-dire les objectifs organisationnels (stratégie d’apathie, de retrait) 2) L’implication : Il intègre davantage les objectifs de l’organisation, est prêt à s’écarter du respect rituel des routines organisationnelles (formelles). L’acteur marchande sa bonne volonté. La règle protège 1) Celui qui respecte le règlement ne peut être sanctionné 2) L’effet rationalisateur de la règle n’est pas à sens unique : si elle restreint bien la liberté des subordonnés, elle en fait autant pour la marge d’arbitraire du supérieur => la règle devient un moyen de protection contre l’arbitraire du supérieur Comme normalement, pour la bonne marche d’un service il faut faire plus que ce qui est prescrit par la règle, comme, d’autre part, le supérieur est luimême jugé sur les résultats de son service , il se trouve en position de faiblesse. La règle ne s’applique pas directement, elle se négocie. L’effet des règles est toujours indirect parce qu’il révèle des opportunités à saisir et ouvre un espace de négociation La règle n’est pas le privilège du seul chef : c’est aussi l’atout du subordonné (Stanley Hoffmann : le supérieur hiérarchique c’est Gulliver empêtré) NB : il ne faut pourtant pas parler de résistance au changement, car c’est ignorer toutes les tentatives des acteurs pour modifier les situations à leur avantage ; mais s’impliquer plus, c’est sortir d’une zone protectrice, c’est prendre des risques face aux autres et à la hiérarchie Le secret de la motivation, c’est donner du pouvoir sur soi dans un jeu à somme positive. Tous deux gagnent, le chef comme le subordonné. 9 Le pouvoir Dahl : Le pouvoir d’une personne A sur une personne B, c’est la capacité de A d’obtenir que B fasse quelque chose qu’il n’aurait pas fait sans l’intervention de B. Nous n’appliquerons la notion de pouvoir qu’aux cas ou A dispose d’une latitude d’action ; dans le cas contraire, si A n’est qu’un pion, un relais dans un système de décision, nous dirons que c’est le système qui décide et que A n’a pas de pouvoir Pouvoir et règle Pour savoir si une personne à du pouvoir, il faut déplacer le point de vue : « y a-til un système de règles qui commande son action et qui permet d’anticiper ses comportements ? » Pouvoir et absence de règles sont associés tout comme le sont non-pouvoir et forte régulation des comportements. Pouvoir, règle et « prévisibilité » Imprévisibilité et pouvoir sont deux aspects de la même réalité Rationaliser c’est produire des règles qui permettront de prévoir le comportement de l’autre, c’est créer des habitudes auxquelles se conformera l’autre. La zone d’incertitude A a du pouvoir sur B parce que se dernier ne peut prévoir le comportement de A : trop d’incertitudes entoure les décisions qu’il va adopter. Les zones d’incertitude ne sont pas réduites par des règles : plus ces zones sont importantes, et plus la capacité d’influence de A est forte. A est imprévisible pour B. Si de plus le comportement de B est prévisible, la situation de pouvoir de A est encore plus élevée. Les zones d’incertitude sont des points névralgiques pour le fonctionnement organisationnel : 1) celui qui les contrôle pèse fortement sur la bonne marche de l’organisation et sur tous ses membres 2) si ses comportements ne font pas l’objet d’une série de règles qui organisent son intervention, il disposera d’une grande capacité d’influence non seulement sur sa tâche mais aussi sur le fonctionnement des autres. NB : le pouvoir n’est jamais total (cfr grève du zèle) Le pouvoir est relationnel (et situationnel) 10 Il n’est pas un attribut d’une personne, il est lié à une situation : il s’inscrit dans les relations de ceux qui créent les mêmes règles du jeu. Typologie des zones d’incertitudes Il y a quatre types de sources d’incertitude (et donc quatre grandes sources de pouvoirs) pertinents pour une organisation : 1) celle découlant de la maîtrise d’une compétence particulière et de la spécialisation fonctionnelle 2) celle qui sont liées aux relations entre une organisation et ses environnements 3) celles qui naissent de la maîtrise de la communication et des informations 4) celles qui découlent de l’existence de règles organisationnelles générales Remarques 1) tout acteur contrôle au moins une zone d’incertitude : sa propre participation 2) Nous avons raisonné comme si les règles étaient objectives ; ce n’est pas le cas, les organisations sont des lieux de luttes permanentes d’interprétations sur le sens à donner à ces règles 3) Il est apparu que la proposition « le pouvoir est lié à l’absence de règles contrôlant sont comportement » devait être enrichie et reformulée : Plus il y a de règles, plus il y a de possibilités d’autonomie ! Ce qui est une réflexion différente du point de départ 4) Les zones d’incertitude sont perçues comme des données objectives ; or ce ne sont pas des données de départ d’où tout le système découle : les zones d’incertitude sont aussi stratégiques, c’est à dire construites en retour par les stratégies 5) La vision du pouvoir n’est plus négative ; c’est un jeu à somme positive ; c’est un moyen pour permettre aux hommes d’œuvrer collectivement : « toute structure d’action collective crée du pouvoir pour permettre aux hommes de coopérer dans des entreprises collectives 11 La rationalité limitée et la multirationalité : La rationalité limitée L’acteur est toujours gagnant (de son point de vue) c’est le point de vue de l’acteur qu’il est nécessaire de prendre en considération c’est une nouvelle lecture de la rationalité (l’analyse stratégique fait partie du tournant de la pensée occidentale qui reformule la perspective des sciences sociales) => depuis Machiavel et jusqu’à Weber, l’intérêt était, par définition, rationnel La rationalité signifiait l’adaptation à une situation, le bon calcul des moyens pour atteindre les fins C’était le scientifique qui avait le monopole d’octroi du la bel de la rationalité Désormais, la rationalité de l’acteur apparaît dans le fait qu’il a mis en œuvre les moyens qu’il estime bon pour atteindre ses fins : il a gagné (de son point de vue) Ce point de vue s’inscrit dans une situation : c’est la nature du jeu qui leur donne leur rationalité ; c’est un intérêt contextualisé ; ce n’est pas un intérêt abstrait qui accompagnerait l’acteur indépendamment de ses différentes insertions sociales. Le même acteur a autant d’intérêts différents qu’il joue dans des règles du jeu différentes. La décision rationnelle de l’acteur est « satisfactory and not optimysing » Dans la vie quotidienne, nous n’avons pas le temps de considérer posément toutes les options possibles, ni de rassembler toutes les informations nécessaires abandon de la rationalité absolue => abandon du principe d’optimisation pour le principe de satisfaction Une théorie « démocratique » ? La théorie de l’acteur a une portée considérable ; avant, on opposait la direction aux exécutant. Avec la théorie de la rationalité limitée, tout change : les dirigeants restent rationnels, mais ils perdent le statut supérieur d’une rationalité absolue ; du même coup, les exécutant montent en grade : eux aussi sont rationnels. La rationalité n’est pas le privilège des dirigeants 12 L’autonomie de l’acteur L’analyse stratégique est une sociologie de la liberté : l’acteur est autonome. Trois idées préciseront se point afin d’éviter toute interprétation déterministe des règles du jeu : 1) L’influence de la structure est indirecte : La notion de stratégie gagnante peut induire en erreur puisque l’on peut y lire une totale absence de choix ; il faut introduire la pluralité des options 2) La capacité d’invention est un autre témoignage de l’autonomie de l’acteur : tout en s’adaptant aux règles du jeu de son contexte d’action, il les modifie à son tour par son action 3) Il y a une autonomie par rapport au passé : les acteurs, s’ils veulent gagner, doivent éventuellement tricher avec leurs principes (réappropriation de leur passé par les acteur => pas de déterminisme) L’origine de la nouvelle théorie Passage, vers le milieu du vingtième siècle de l’introdéterminisme (l’homme se donne des objectifs pour la vie, des buts qu’il n’abandonnera pas) à l’extrodéterminisme (l’homme s’ouvre aux multiples influences de son environnement de travail). L’univers des relations sociales devient changeant, l’acteur doit en permanence négocier ses orientations avec son environnement immédiat, il ne peut plus maintenir un cap intangible sur des objectifs définis une fois pour toutes. Émergence de la scène-type de la rationalité limitée, axée sur l’ici et maintenant et où recule l’exigence d’envisager les buts à longue échéance La multirationalité L’organisation multirationnelle Il y a eu changement du regard porté sur l’organisation ; nous ne pouvons plus la considérer comme monorationelle : l’univers du travail est éclaté, morcelé. Il est en « miettes ». C’est un acquis de la sociologie qui s’énonce aussi au niveau sociétal depuis le début des années 80. L’idée de fragmentation n’exclut pas celle d’une régulation. Au concept de « l’anarchie organisée » du modèle de la poubelle, l’école stratégique oppose celui d’une anarchie régulée qui suppose des régularités plus fortes. L’organisation monorationnelle n’existe pas 13 Il faut abandonner l’idée d’un ensemble intégré par une seule logique telle qu’on la retrouve dans les analyses tayloriennes et marxistes de l’entreprise ou dans la conception classique du droit. => Dire que que l’organisation est multirationnelle, c’est la considérée comme un ensemble de sous-systèmes avec leurs propres règles du jeu. C’est redire que l’organisation est en miettes. La sociologie de la décision Il faut développer la même perspective sur la sociologie de la décision. Une action, c’est un ensemble de nombreuses décisions avec des acteurs évoluant chacun dans leurs petits systèmes spécifiques et à l’intérieur duquel chacun se donne ses objectifs propres face à ses contraintes et ses opportunités. La décision est en miettes Le processus n’est pas comme on le croit en trois étapes : information, décision et exécution On s’informe et on prend des décisions, puis on s’informe encore et pendant que l’on applique une décision, on change celle-ci, on revient en arrière. La décision, ou l’action organisée, sont multirationnelles Le système stratégique : une interdépendance d’acteurs : L’idée majeure de système est celle de stabilité d’un ensemble de relations sociales. Le thème de système évoque l’interdépendance de ses parties : la relation entre les éléments d’un système est aussi importante que les qualités propres de chaque élément. Proclamer que les acteurs poursuivant leur intérêt constituent une coopération qui fait système, c’est rompre totalement avec la grande vague structuraliste des années 60. Il y a cependant une visée commune entre le structuralisme et l’école stratégique : la reconnaissance d’une stabilité des agencements des relations humaines. Mais il s’agit de deux stabilités différentes : l’une est lourde et s’impose aux agents et l’autre est construite par les acteurs La référence fonctionnaliste renvoyait directement à l’idée de reproduction (et tel était bien le cœur de la structure du « phénomène bureaucratique ». Le cercle vicieux bureaucratique en était la manifestation cardinale. Plus généralement, la preuve du système stratégique se fera toujours par la découverte d’un cercle vicieux ou vertueux. Il sera le test d’un premier parachèvement de la démonstration. Le réseau de l’action organisé : 14 Il y a eu évolution du système stratégique qui est passé de l’organisation au réseau d’action organisé On parle aujourd’hui de sociologie de l’action organisée ; on a renoncer à l’idée d’une organisation close, que l’on opposait à son environnement. C’est la notion de réseau et d’espace ouvert qui est au cœur des réflexions Deux critiques de l’unité organisationnelle 1) Il est souvent nécessaire de descendre à un niveau inférieur de l’organisation formelle pour repérer les liens sociaux qui comptent (on ne fait que reprendre ici l’idée d’une organisation fragmentée et repérer que le fragment régulé est l’espace social significatif 2) Il faut déborder les frontières officielles de l’organisation et abandonner la distinction opposant l’organisation à son environnement (permettait de se concentrer sur les seules relations internes) l’environnement est lui-même fragmenté et ses segments d’environnement entretiennent des relations spécifiques avec des segments de l’organisation c’est cette idée que l’on retrouve dans système politico-local où la « miette notable-préfet » transcende les frontières officielles et associe un segment organisationnel (le préfet) et un segment de l’environnement (le notable). L’espace du problème à résoudre Il faut saisir l’espace social significatif où interviennent tous les acteurs qui coopèrent à la réalisation d’une tâche. C’est l’espace du problème à résoudre. Le critère n’est donc pas la règle juridique définissant les participants. Il faut identifier tous ceux qui interviennent dans la solution d’un problème, tous ceux qui détiennent une partie de la solution, c’est-à-dire tous ceux qui contrôlent une zone d’incertitude dans le processus d’action. L’action organisée Ce concept signifie que l’espace-problème est structuré et qu’il faut découvrir les formes de la régulation croisée. Ainsi nous pouvons voir dans l’environnement une pluralité d’organisations et découvrir des enchevêtrements d’alliances entre fragments d’organisations. De nombreuses alliances d’acteurs se superposent et s’entrecroisent. Le concept de régulation croisée révèle ici sa fécondité : il postule qu’il y a une structure d’équilibre entre les différentes « logiques d’actions » ainsi qu’entre les réseaux d’alliances. Le marché régulé 15 Dans le même sens, le marché n’est pas un espace fluide, il est lui-même structuré et régulé. Il y a des règles du jeu sous-jacentes qui permettent aux échangistes de s’engager dans la relation avec une certaine confiance Marché et structuration ne s’opposent pas Le système d’action concret : Il comprend trois éléments : 1) l’interdépendance dans le système source de reproduction (nous venons de le voir) 2) l’insistance sur l’action 3) l’élément concret Une approche centrée sur le problème concret : Le problème concret, c’est la tâche ou l’ensemble des tâches particulières à effectuer journellement pour que le travail organisationnel soit fait. C’est le problème quotidien posé par le fonctionnement de l’organisation. Le problème concret est différent de l’objectif officiel (=> insuffisant pour déterminer la structure des relations organisationnelles) L’approche axée sur le problème concret insiste sur l’idée que le problème à résoudre se pose dans des termes différents dans chaque lieu Le problème est concret en se sens qu’il est lié aux caractéristiques particulières de la situation. Il s’insère dans un contexte précis, spécifique. Il est « contingent », c’est-à-dire dépendant d’un contexte, des opportunités et contraintes (« matérielles et humaines ») NB : comme l’organisation bureaucratique marche à coup de règlements, le problème concret se situe là ou il n’y a pas de règlement La solution concrète Un problème est défini comme tel en fonction de la solution qu’on peut lui apporter. Les deux notions sont solidement liées. il ne faut pas croire que les problèmes se posent en premier lieu de manière objective etqu’ensuite on cherche à les résoudre La définition du problème est immédiatement stratégique car elle implique l’octroi du pouvoir à ceux qui parviennent à imposer leur solution Exemple du Monopole : la solution concrète, c’est l’application du règlement Groupe concret et coalition concrète Un problème est défini comme problème et une solution est simultanément retenue comme solution lorsque les acteurs sont capables de les faire prévaloir sur d’autres. 16 exemple du Monopole : c’est l’alliance entre l’ingénieur technique et les ouvriers d’entretien Les coalitions gagnantes sont des coalitions concrètes. Ce n’est pas toujours ceux qui ont l’autorité officielle de la structure. Leur composition dépend de la nature du problème concret et des solutions concrètes. Une telle sociologie ne peut donner une réponse à priori sur la composition des alliances Les sources de l’approche concrète Antécédents chez Machiavel et Montesquieu Dans la pensée sociale, on peut sommairement distinguer deux courant : un courant plus ouvert à l’histoire et à l’action politique et une tendance plus sensible aux généralisations et ultérieurement aux modèles formalistes Le constructivisme stratégique face aux démarches structuralistes C’est l’idée de concret qui permet de saisir le mieux ce qui différencie l’analyse stratégique d’avec les démarches structuralistes Les structuralistes offrent des solutions structurelles prédéfinies alors que le chercheur de l’école stratégique ignore toujours, avant son entrée sur le terrain, quels sont les acteurs qui façonnent les coalitions gagnantes et quelles sont les zones d’incertitude pertinentes. Une sociologie du local La démarche concrète est une démarche « locale » elle s’inscrit dans le grand virage des sciences qui ont progressivement compris que les grands facteurs centraux ne rendent compte que d’une partie de la structuration des ensembles humains et qu’il s’agit avant tout de reconstituer des ordres locaux. Le système concret est un ordre local (on retrouve ici la sensibilité « locale » de Montesquieu et de Tocqueville => il faut pousser plus loin : qu’est-ce que la variable nationale, si ce n’est une synthèse provisoire du chercheur pour rassembler sous un vocable unique bon nombre de variables régionales et sous-régionales ?) Marché local et marché fragmenté Nouvelle approche du marché de l’emploi Il n’est pas un espace lisse ou se rencontre l’offre et la demande Le marché est une multiplication de petits marchés Là où l’analyse économique parlait, jusqu’il y a peu, d’un marché du travail (au singulier), les sociologues parlent d’une pluralité de systèmes d’action 17 concrets, chacun contrôlé par des coalitions d’acteurs qui cherchent à en réduire les zones d’incertitude Les règles du jeu : Les intérêts organisationnels, objectifs intermédiaires pour l’acteur : Les nouveaux intérêts organisationnels : La recherche d’un gain, d’un avantage L’acteur est toujours gagnant => on ne s’interroge pas sur le contenu des objectifs On se demande s’il y a eu avancée ou recul Ce qui détermine l’acteur, c’est la possibilité d’obtenir un profit C’est un comportement qui à toujours deux aspects : 1) Un aspect offensif : la saisie d’opportunités en vue d’améliorer sa situation 2) Un aspect défensif : le maintient et l’élargissement de sa marge de liberté, donc de sa capacité à agir La perspective d’analyse est axée sur l’élucidation des gains, sur le caractère payant de la stratégie L’acteur cherche à accroître ses gains à travers sa participation à l’organisation Il tente à tout instant de mettre à profit sa marge de liberté pour négocier sa « participation » en s’efforcent de « manipuler » ses partenaires et l’organisation dans son ensemble de telle sorte que cette « participation » soit payante pour lui L’opportunité L’acteur est en alerte : il guette des opportunités dans l’ensemble des règles formelles et informelles Mieux encore : l’opportunité saisie le constitue comme acteur dans le jeu C’est l’occasion qui fait le larron L’acteur, c’est celui qui contrôle une zone d’incertitude Un groupe dans une organisation c’est l’ensemble de ceux qui s’emparent d’un même atout, qui réagisent de la même manière à une opportunité La similitude des griefs ou l’affirmation d’objectifs partagés sont beaucoup moins décisives que l’existence d’un atout commun qu’on peut utiliser (l’opportunité) et la possession d’une capacité suffisante d’interaction Une perspective « situationnelle » : les objectifs intermédiaires 18 L’ancienne sociologie avait une vision macro-sociologique, privilégiant l’insertion dans la société l’acteur était vu comme porteur d’un projet qu’il poursuivait au travers de toutes les vicissitudes de la vie quotidienne L’acteur était détaché de l’ici et maintenant : on le définissait en faisant abstraction de ses insertions locales A travers sa rencontre de nombreux milieux, il n’existait comme acteur que parce qu’il avait une direction L’acteur avait des objectifs transversaux à travers tous ces milieux Mais, rationalité limitée => comment peut-on encore garder l’image d’un acteur poursuivant ses objectifs transversaux ? Nécessité d’une approche organisationnelle et « situationnelle » qui saisit l’acteur dans toutes ses implications locales Il y a des déplacements des buts, des dysfonctions stratégiques Idée de gain qui se rapporte avant tout aux objectifs spécifiques inscrits dans l’espace structuré des règles du jeu. L’acteur n’existe que par ses objectifs intermédiaires (par opposition aux objectifs transversaux) Objectifs intermédiaires => l’acteur n’est pas tenu d’adhérer à la totalité des objectifs organisationnels Ce sont bien les règles du jeu qui produisent ces stratégies et pas un consensus ; les stratégies tiennent au caractère contraignant des règles du jeu et pas à un accord sur les objectifs Les règles du jeu : une structure de moyens (et pas de valeurs) : Des arbitraires limités 1) L’acteur poursuit ses objectifs. Pour les atteindre, il a besoin des autres et ceux-ci ont également besoin de lui pour atteindre leurs propres objectifs. Il y a une coopération réciproque et intéressée. 2) Cette coopération réciproque et intéressée va produire les résultats collectifs de l’ensemble organisationnel 3) Dans cette coopération, chacun ne s’engage dans les relations collectives que parce qu’il n’est pas à la merci de l’autre A a une garantie face à B : sa capacité de le contraindre. B a donc une autonomie limitée car il a besoin de A pour atteindre ses objectifs : il doit céder quelque chose en échange. Les hommes ont trouvé une solution au problème posé par la coopération : un échange entre deux autonomies qui se limitent. Ce sont les règles du jeu qui constituent cette structure réciproque des arbitraires 19 L’acteur, qu’il le veuille ou non, en poursuivant ses propres objectifs, réalise à la fois ceux des autres et aussi ceux de l’ensemble. Il doit tenir compte des exigences et des règles prévalant dans les jeux qui se jouent dans l’organisation, et ainsi, contribuer indirectement à l’accomplissement des objectifs de celle-ci L’accent mis sur les moyens et la nouvelle sociologie des intérêts Il est impossible d’atteindre ses objectifs directement => l’on doit passer par les autres et leurs objectifs c’est toujours indirectement, par ricochet, que l’on réalise ses objectifs Du fait de la présence de l’autre, les objectifs sont infléchis, ils deviennent des objectifs intermédiaires Les règles du jeu constituent une structure d’objectifs intermédiaires. Les objectifs intermédiaires sont des moyens offerts pour réaliser ses espoirs Tel est l’explication crozérienne de la structure : l’organisation n’est aps un chaos car les relations entre les acteurs connaissent la stabilité : elles sont structurées par cette limitation réciproque desarbitraires que permet la coopération. L’analyse crozérienne est une sociologie des intérêts ; elle ne fait pas intervenir les valeurs des acteurs pour comprendre leurs actions => Les objectifs intermédiaires sont suffisants pour expliquer leur mobilisation Comparaison avec Durkheim : Les intérêts sont instables, il faut donc postuler des croyances communes qui encadrent les intérêts => Crozier, au contraire, fait observer deux choses : il y a une régulation des intérêts ; l’intérêt est organisationnel (et intermédiaire) et non sociétal ( et transversal) Les contraintes et les objectifs L’acteur choisit ses objectifs en fonction des moyens ; c’est-à-dire des ressources dont il dispose et des contraintes auxquelles il doit faire face Nous ne savons pas à l’avance qu’elles sont nos véritables préférences individuelles et il vaut mieux se réserver la possibilité d’apprendre Crozier précisera ultérieurement la position qu’il accorde à l’objectif : « On a une certaine vision de la direction que l’on veut prendre. Mais d’abord et avant tout, on va apprendre en marchant » Apprendre en marchant, c’est travailler sur les contraintes On retrouve l’idée d’un acteur rationnel par rapport aux contraintes des règles du jeu : ce sont les jeux qui rendent rationnelles les stratégies des acteurs 20 Une structure de moyens et un résultat social partiellement inattendu Il ne faut pas postuler une coïncidence entre l’organisation sociale et la volonté des acteurs dominants Le résultat de l’action ne correspond pas nécessairement aux intentions voulues des acteurs. Il y a des conséquences inattendues, imprévisibles et contraires aux buts poursuivis (ex : cercles vicieux) Les hommes sont les prisonniers des moyens qu’ils ont utilisés pour régler leur coopération Une réinterprétation de la structure juridique Pourquoi donner la priorité à la structure formelle ? il faut reconnaître que les rapports de pouvoir sont partout, que tout le champ social est structuré par eux et que la structure formelle vient en cristalliser un aspect limité La structure formelle n’est rien d’autre qu’une codification des règles du jeu qui ont prévalu dans le système d’action sous-jacent à l’organisation La structure juridique est une conséquence => ce retournement à des répercussions profondes sur le statut même que l’on accordera à tout ce qui constitue la structure formelle d’une organisation ; de fait, celle-ci n’a plus ni existence ni rationalité propre. Le flou et le détournement C’est la notion de flou qui rend le mieux compte de la vie des hommes : les acteurs opèrent dans le flou. Détournement = réappropriation par l’acteur, en fonction de ses objectifs propres, des politiques de l’organisation. Le flou est indispensable pour faire émerger les problèmes et élaborer un consensus sur leur réalité L’expérience montre qu’il est beaucoup plus facile de faire émerger un consensus sur les problèmes que sur les solutions La vie des organisations, le gouvernement des hommes ne supporte pas la clarté totale ; ils ont aussi besoin d’ombre, d’arrangements informels, occultés et donc instables ; c’est bien la structure parallèle qui l’emporte sur la structure formelle La régulation croisée Le terme de régulation renvoie d’abord et avant tout à une idée d’équilibre stratégique. L’idée d’équilibre est associée à celle d’effets contre-intuitifs qui 21 signifie que les dysfonctions « stratégiques » concourent à la reproduction du système. La régulation stratégique est une régulation croisée qui ne doit pas être confondue avec la régulation conjointe qui est celle d’une communauté de projet Les capacités culturelles : Critique de la conception classique des valeurs : Les croyances des ouvrières de production du Monopole étaient stratégiques elles n’étaient pas un reflet du passé, mais une anticipation d’un futur possible Deux objections à l’approche classique de la culture : 1) Mise en question du thème des valeurs communes : le thème des valeurs communes et homogènes n’est pas nécessaire pour expliquer le fonctionnement du jeu social. Parler de flou, c’est introduire la perspective de l’individualisme méthodologique contre un holisme facile et rapide. Déclarer qu’il y a une totalité culturelle, c’est déjà prendre pour acquis ce qu’il faut expliquer => le collectif doit toujours être expliqué quant à ses mécanismes de constitution et de maintien (=> la voie est interactionniste : l’expérience passée des acteurs, leurs valeurs et attitudes ne disparaissent pas, elles conditionnent notamment pour une bonne part la perception que les acteurs auront des opportunités des jeux, et surtout elles structurent leurs capacités à s’en saisir) 2) Interrogation sur la manière dont le passé influence les acteurs : Le passé n’a pas un sens univoque qui s’impose à tous ; il faut s’intéresser au processus : le passé peut être interprété et réinterprété par chacun des acteurs => c’est le thème de la réappropriation Les opportunités et le passé « C’est l’occasion qui fait le larron, et non pas l’histoire passée » Dans la balance entre les opportunités et le passé, c’est le premier élément qui l’emporte On reconnaît la prégnance du futur , des opportunités présentes et futures que l’acteur voit dans les jeux qu’il joue et en fonction desquelles il oriente ses stratégies. Un passé sélectionné ? 22 Les valeurs transmises ne constituent pas un bloc homogène qui s’impose aux acteurs Parmi ses expériences passées, l’acteru va prendre appui sur celles d’entre elles qui lui paraissent plus significatives dans la situation qu’il affronte. Les opportunités dont il va s’emparer, il les justifiera à coups d’arguments de légitimité qu’il puisera dans son corpus d’expériences. C’est une attitude sélective. Il faut y voir une attitude innovatrice : la situation oblige les acteurs, s’ils veulent gagner, à éventuellement tricher avec leurs principes L’ancienne séquence temporelle est bousculée : hier, l’analyse partait des valeurs et celle-ci légitimaient le choix de la conduite ; aujourd’hui l’opportunité ouvre la voie à une action qui, ensuite (ou simultanément) se réfère à tel ou tel registre de justification. La reconstruction permanente des objectifs La sociologie classique inscrivait les stratégies dans des orientations valorielles plus englobantes qui assuraient une continuité et une cohérence aux multiples décisions que prenait l’acteur sur les diverses scènes où il jouait. La théorie des opportunités proclame que l’acteur se constitue et se découvre dans l’action. Il n’a que rarement des objectifs clairs et encore moins des projets cohérents On retrouve la rationalité limitée : en retenant une solution considérée comme satisfaisante, l’acteur découvre opportunément de nouveaux objectifs (intermédiaires) Les orientations satisfaisantes de l’acteur se définissent par rapport aux moyens : il n’est pas rationnel par rapport à des objectifs ; il est rationnel par rapport à des opportunités et au contexte qui les définit ; il est rationnel par rapport au comportement des autres acteurs et aux jeux qui s’établissent entre eux. Les moyens sont plus importants que les fins : les fin (transversales et modelées par les valeurs) ne sont pas les déterminants de l’action ; ce sont les objectifs intermédiaires (offerts par les moyens que sont les règles du jeu) qui l’emportent sur les objectifs transversaux La ressource culturelle Trois observations : 1) Une culture n’est pas un ensemble intégré : plusieurs éléments hétérogènes cohabitent et constituent des ressources de légitimité mobilisables au gré des projets de l’acteur 2) Les cultures peuvent être travaillées, réaménagées et faire l’objet d’un véritable apprentissage 23 3) La culture n’est plus cet univers de valeurs et de normes incarnées et intouchables Le primat de l’action : Stratégie et projet Affirmer le primat de l’action, c’est mettre le concept de projet au cœur de l’analyse la grande maxime de l’homme démocratique : « ne prendre la tradition que comme un renseignement » est au cœur de la vie de l’homme d’aujourd’hui. L’action est motivée par une visée ; l’action est mue par les problèmes à résoudre. Un parti-pris constructiviste L’action définit l’acteur, l’acteur se construit dans l’action. L’acteur se constitue par les réponses créatrices qu’il apporte et c’est dans l’action qu’il se crée ; ses choix sont liés au défi de la situation à résoudre et ne la précèdent pas ; les acteurs mettent en œuvre localement la contingence. C’est bien une perspective constructiviste que prône cette sociologie ; tout est jeu, interprétation, opportunité, stratégie L’immanence : pour un schéma endogène Une conception de l’acteur produisant ses valeurs et ses préférences rompt aussi avec la distinction classique entre facteur exogène et facteur endogène en décidant de l’orientation de leurs conduites, en construisant des projets et en négociant leurs valeurs, les acteurs endogénéisent tous ces facteurs culturels (=>la nature humaine est sociale) Un mixte stratégico-identitaire : Les valeurs sont privées de tout statut extérieur, antérieur à l’action. Elles ne la surplombent pas la vision classique qui opposait intérêts et valeurs doit être abandonnée Le raisonnement de l’autonomie du symbolique (V=>V=>I) ne peut plus être soutenu dans sa formulation classique, c’est-à-dire à priori Tout est question d’études concrètes, d’examen de situations locales ; et ce sont parfois les règles du jeu, parfois les identités, qui entraînent l’action 24 Il faut renoncer à ce qui ressemble à un schéma de causalité unilinéaire privilégiant d’office le jeu des valeurs qui encadreraient les intérêts Il faut retenir un schéma de causalité systémique, un schéma d’enchaînement réciproque et circulaire La signification profonde de larationalité limitée Le primat de l’action et la rationalité limitée sont intimement liés. La rationalité limitée est le concept-clé fondant une telle vision systémique des intérêts, des préférences et des valeurs C’est une rationalité qui intègre toutes les limites (cognitives, affectives, culturelles, idéologiques, etc) que les travaux sur la théorie des choix ont lises en évidence C’est un des apports majeurs de la sociologie des organisations d’avoir mis en question la distinction wébérienne trop automatique entre rationalité instrumentale et axiologique L’analyse organisationnelle fait apparaître que très souvent un objectif qui était initialement traité comme moyen se trouve, soit en raison de du blocage du processus, soit en raison des avantages inattendus qu’il nous a procurés, infiniment valorisé 25 La négociation valorielle : La problématique des valeurs dans la sociologie classique doit être réévaluée ; la négociation est un concept central dans la sociologie contemporaine, concerne-telle les valeurs ? La réponse ne peut être qu’affirmative dans le cadre d’une perspective théorique axée sur l’immanence (mais peut-on s’arrêter à la théorie « élargie » de l’intérêt que réclame Friedberg sans distinguer au sein du mixte stratégico-identitaire, entre l’intérêt stratégique et l’intérêt symbolique ?). La recherche à produit des résultats depuis vingt ans, nous montrerons que ces théories sont au cœur de la problématique de la reconnaissance qui est tout à fait centrale aujourd’hui. A travers une étude de cas, nous focaliserons notre attention sur l’intervention, caractéristique post-industrielle : la formation et l’intervention permettent aux acteurs d’agir sur leur propre fonctionnement ; l’intervenant pouvant revendiquer une légitimité scientifique, nous devrons faire le point sue la notion d’espace public sociologique. Nous prolongerons en analysant les concepts de plausibilité et de vraisemblance qui sont au cœur de la négociation avec l’intervenant (la problématique de la reconnaissance est celle de la vraisemblance. Ensuite, nous devrons dégager les trois scènes différentes où l’identité se remodèle : l’identité argumentative, narrative et maussienne. La problématique de la reconnaissance : la pluralité des légitimité : 26 La reconnaissance et l’action : Deux conceptions successives des valeurs : 1) Données par Dieu, l’Esprit ou le Progrès : issues du « suprasensible ». 2) Crées dans l’action (une des propositions les plus centrales de la sociologie contemporaine) La reconnaissance devient un concept-clé de la problématique identitaire (identité = valeur enjeux). La reconnaissance de la division du monde en proie aux conflits et au pouvoir : Action au cœur de la réflexion => idée d’un monde divisé auquel les valeurs suprasensibles ne peuvent plus apporter une unité (avec elles disparaît la tradition) Première apparition de ce thème de la reconnaissance avec Hegel en 1789 : Les valeurs communautaires ne sont plus partagées ; il voit dans la révolution française les signes d’une dialectique du maître et de l’esclave, élaborant la première théorie de la reconnaissance. Dès l’origine, reconnaissance et conflit, identité et lutte sont des concepts associés. L’absence d’une sociologie de la reconnaissance avant 1970 : Ce ressurgissement serait lié à l’effacement de systèmes sociologiques qui avaient prolongé une certaine vision homogénéisante de la société (structurofonctionnalisme et marxisme) ; c’est-à-dire des sociologies de distribution de rôles. Parler de rôle, ou de systèmes de rôles, revient à résoudre automatiquement la question de la reconnaissance. Depuis lors, une nouvelle vision de la production culturelle s’est imposée dans les discussions. L’identité n’est plus un donné, elle est action, elle est un travail. Dans un tel contexte de fragmentation culturelle, la reconnaissance est un enjeu fondamental ; l’identité ne va plus de soi, le sens commun n’est plus donné d’avance. La pluralité des légitimité : Le thème wébérien d’une fragmentation culturelle se présente différemment aux sociologues actuels, aujourd’hui, l’analyse porte sur les articulations entre les champs, comme si la différentiation wébérienne devenait une dédifférentiation. Les champs ne sont plus pensés dans leur isolement : ils sont rapprochés, il y a des interpénétrations et la reconnaissance se situe à cet endroit. 27 Jusqu’il y a peu, on avait une représentation du fonctionnement social qui renvoyait le monde des travailleurs dans la clandestinité (ex : l’expertise des ouvriers d’entretien n’a d’existence qu’à la condition d’être souterraine). La problématique de la reconnaissance est le signe d’un tournant de société : les mondes subordonnés veulent conquérir une légitimité officielle et sortir des structures parallèles et informelles. La communauté de projet et la régulation conjointe : Le concept clé d’une sociologie des valeurs est celui de communauté, tandis que celui de coalition est le lieu de la sociologie d’un rassemblement d’intérêts. Pour Nisbet, toute la sociologie du XIXe siècle se dresse contre la philosophie contractualiste des lumières : la communauté aurait un caractère holiste et même « réactionnaire » ; elle s’inscrit dans une opposition binaire. L’enjeu théorique contemporain est le nouveau statut à donner au concept de communauté. La négociation est un phénomène central de la vie en société => les règles ne sont-elles qu’instrumentale et totalement soumises aux stratégies des acteurs ? Non, les règles ont un caractère de contrainte, mais ces règles ne sont pas fixées une fois pour toute, elles sont l’objet d’une régulation. L’hypothèse d’une conscience collective interdit à Durkheim de penser une conception de la production des règles et des valeurs plus appropriée à la fragmentation du social ; elle exclu qu’une règle commune soit un compromis ou une accomodation entre des groupes rivaux. C’est pourtant cette conception de la régulation qui nous paraît seule rendre compte de la réalité de la contrainte sociale ; la règle est le fait social par excellence, à condition d’ajouter que l’activité de régulation est un enjeu social. Nouvelle conceptualisation de la communauté : ce qui défini le groupe social, ce n’est pas le fait d’être ensemble (communauté dont émaneraient ensuite, comme d’une réalité transcendante, les règles particulières à un domaine), c’est au contraire une finalité, une intention, une orientation d’actes, un projet. Une communauté n’est pas faite de simples voisins, mais d’associés dans une entreprise sociale. Pour qu’il y ait changement, il faut que les acteurs sociaux trouvent la force d’agir au-deelà des stratégies et des règles établies. La théorie de Sainsaulieu : « La force qui, dans les relations humaines, permet d’accéder à la rationalité » 28 Perspectives générales : Une culture liée aux relations de pouvoir : L’expérience des relations de pouvoir est source d’un apprentissage de soi et de sa place dans le monde, mais la lutte pour le pouvoir n’est pas une fin en soi. Les sociabilités sont prééminentes (Ex de l’ouvrier d’entretien : l’analyse ne peut se résumer à dire qu’il est gagnant, il faut prendre en considération sa façon d’être gagnant et l’attachement qu’il manifeste à l’égard de sa compétence : le travail est une valeur ; parler de travail bien fait, c’est évoquer tout un ensemble de rapports humains fondés sur la compréhension mutuelle, la discussion démocratique et le refus de l’autorité arbitraire imposée de l’extérieur). Ces valeurs relationnelles illustrent bien la sociabilité particulière que manifestent les ouvriers d’entretien au travail ; elles sont constitutives d’une identité que Sainsaulieu appellera « Identité négociatoire ». L’intérêt du concept d’identité de Sainsaulieu est d’articuler une sociologie du pouvoir avec une sociologie culturelle. Il s’inscrit anticipativement dans la perspective théorique du « mixte straégico-identitaire » qui renonce à une approche idéaliste privilégiant un cheminement des représentations de soi et du monde mené en toute indépendance à l’égard de la logique des intérêts. Il entend ancrer la production de ces représentations dans l’expérience des relations de travail et de ses relations de pouvoir sans les interpréter comme des idées-conséquences ou des idéologies. Un apprentissage culturel : les cultures ne sont pas que transmises : La culture ne fait pas que se transmettre ; la socialisation est un processus permanent, et un de ses lieux le plus important est le monde du travail, source d’apprentissage culturels nouveaux. La reconnaissance : le désir, la culture et la lutte : Les trois termes sont posés et reliés dans une association forte : une sorte de lien indissoluble associe le désir, la violence et la raison. Adapter la reconnaissance de son désir, c’est être reconnu dans son droit de désirer, être reconnu par les autres comme détenteur d’un désir autonome. Pour Durkheim, le désir était un intérêt devant être régulé par la conscience collective, pour Sainsaulieu, s’est une valeur relationnelle issue de l’expérience de travail. Se découvrir comme « auteur d’une rationalité propre » est la dimension cognitive de la reconnaissance ; cette action cognitive est celle de la 29 production de sa différenciation, de la sorite de la fusion avec d’autres pour se définir par rapport à eux. La reconnaissance de soi comme différent des autres se réalise à travers le conflit ; seul la présence sociale d’autres permet d’accéder à la reconnaissance de son propre désir, l’accès à la conscience de soi s’opère dans la dialectique du maître et de l’esclave Admettre l’hypothèse d’une lutte véritable, c’est accepter l’idée que la domination de l’autre par soi peut conduire le sujet à la découverte de luimême au travers de l’expérience de sa puissance et pas seulement de son aliénation au désir de l’autre. C’est parce qu’il y a effectivement risque de mort et de violence dans toute mise en relation de désirs que le sujet peut sortir vainqueur de cette lutte et du même coup faire reconnaître la pleine autonomie de son sens. En conclusion ; le concept d’identité désigne cette part du sujet qui réagit en permanence à la structure du système social ; il exprime cette quête de force que l’on trouve dans les ressources sociales du pouvoir pour arriver à la possibilité de se faire reconnaître comme détenteur d’un désir propre. Ce sont les perspectives sociales de cette quête de force qui ouvrent au sujet la moyen d’être rationnel par rapport à son expérience. Le concept d’identité désigne donc à la fois la permanence des moyens sociaux de la reconnaissance et la capacité pour le sujet à conférer un sens durable à son expérience. Désireux d’être, le sujet ne trouve cette plénitude que dans les moyens sociaux de codifier son expérience. La typologie de Sainsaulieu : Des positions différenciées de reconnaissance : L’expérience des relations de pouvoir dans les organisations est très différenciée et l’accès à ces positions offre des possibilités de reconnaissance différentes => ce sont des valeurs relationnelles différentes qui seront produites. Il y a des conditions sociales différentes de lutte, il y a des positions qui offrent plus d’atouts dans la bataille de la reconnaissance. Dans l’expérience des relations humaines conflictuelles, il y a un accès inégal à l’identité du sujet, car les moyens d’y obtenir de la reconnaissance n’y sont pas répartis de la même façon. Les identités de Sainsaulieu : des « règles du jeu culturalisées » : Les règles du jeu organisationnel permettent, à travers l’expérience du pouvoir que l’on traverse, de découvrir en groupe son identité collective. 30 L’identité adjoint une dimension supplémentaire à cette expérience du pouvoir, une dimension culturelle qui exprime le mode de sociabilité concomitant et le système de prise de décision qui l’accompagne. Le système de prise de décision n’est pas qu’un instrument comme l’entend l’analyse stratégique : il est investi culturellement parce qu’il définit la spécificité de l’acteur dans le jeu social et fonde sa reconaissance face aux autres. Les identités sont bien des « règles du jeu culturalisées ». Les normes professionnelles : Les identités ne sont pas le fruit d’une construction rapide et impressionniste ; elles reposent sur une structuration de plusieurs éléments constitutifs dont l’élaboration est très affinée ; il faut prendre en compte quatre thèmes à propos des normes professionnelles : 1) les relations entre collègues 2) les relations à l’intérieur des groupes 3) les relations face à l’autorité 4) les relations face au leader informel C’est quatre thèmes ne sont pas sélectionnés au hasard, ils s’inscrivent dans une conceptualisation des identités comme règles du jeu culturalisées. Alter a proposé une formulation très synthétique de cette démarche dans le tableau suivant : Négociation Fusion Mobilisation Retrait Représentation s L’entreprise L’atelier La carrière La tâche Normes/Collèg ues Démocratie Unanimisme Affinités Compromis Normes/Autor ités Leader Chef Parrain Chef Valeurs Le travail Le groupe L’avenir L’extérieur Exemple : Le cas de l’ouvrier d’entretien du Monopole, porteur d’une identité négociatoire. Analyse stratégique : il est acteur car il contrôle la zone d’incertitude des pannes ; analyse identitaire : le contrôle d’une zone d’incertitude est relié à la reconnaissance d’un savoir et, au Monopole, la complexité de se savoir est associée à la valorisation d’un débat entre égaux : d’un côté, c’est la valeur-travail et, de l’autre, les normes de solidarité démocratiques. Mais ceci n’est qu’un exemple, celui d’une strate du Monopole. L’intérêt des travaux de Sainsaulieu est d’avoir dépassé le schéma bipolaire, distinguant deux conceptions du travail : 31 1) purement instrumentale : le travail comme source de rémunération 2) l’engagement dans le travail, l’implication qui prolonge la piste wébérienne de la mission calviniste. Il a dégagé, à côté de ces extrême (la culture du métier et le retrait) d’autres types de valorisation ; il a conceptualisé la valorisation de la règle, et encore l’esprit de maison qui ont permis d’affiner l’analyse. L’organisation pluri-identitaire : A l’analyse stratégique de la multirationalité fait échos l’analyse multi-identitaire de Sainsaulieu. La régulation culturelle du Monopole reposait sur une même attitude culturelle : l’évitement des relations face-à-face. C’est ce que Sainsaulieu a retraduit dans ses propres termes d’analyse : toutes les strates partagent une même valeur ; mais à côté, il faut être capable de voir que l’organisation est un assemblage de modèles identitaires différents. La dynamique norme-valeur : Le cadre posé, il faut distinguer les éléments culturels constitutifs du champ identitaire qui paraissent s’articuler autour de deux notions : les normes et les valeurs. Les normes de relation sont bien souvent l’expression directe de valeurs générales antérieurement acquises ; elles viennent de l’expérience acquise des relations de travail, elles sont transmises ; il s’agit d’une culture reçue. Les valeurs, par opposition aux normes, ne sont pas la rationalité antérieure du sujet ; elles sont aussi la réponse créatrice, la révision de la rationalité du sujet pour affronter une expérience nouvelle. Enfin, il faut distinguer les valeurs de l’idéologie : l’idéologie est la fausse conscience, elle masque la réalité des rapports de force ; l’accès aux valeurs est de l’ordre de l’éruption de la conscience dans les rapports humains. La théorie de Dubar : Savoirs et trajectoires : Les formes identitaires : savoirs et trajectoires : Il s’agit d’un concept global qui ne se limite pas au seul champ professionnel. L’identité professionnelle ne se confond pas avec l’identité sociale même si elle entretient des rapports étroits avec elle : la première renvoie au domaine de l’emploi et des activités économiques alors que la seconde concerne le statut social ; la notion de forme identitaire englobe ces deux aspects essentiels. La doubles transaction : 32 L’originalité du concept de forme identitaire tient à la volonté de distinguer un processus « relationnel » d’un processus biographique dans la constitution de l’identité. Le processus relationnel prend place sur un espace dit de transaction objective entre les identités disponibles sur le « marché de la reconnaissance » et celles assumées par les acteurs. Fondamentalement, cet espace donne lieu à une « expérience relationnelle et sociale du pouvoir » ; cette expérience du pouvoir peut se réaliser en différents lieux. Sur cet espace, il situe les analyses de Sainsaulieu : « on peut, avec Sainsaulieu, faire l’hypothèse que l’investissement privilégié dans un espace de reconnaissance identitaire dépend étroitement de la nature des relations de pouvoir dans cet espace et de la place qu’y occupent l’individu et son groupe d’appartenance. Dubar Identité attribuée Sainsaulieu Identité prescrite Transaction objective Identité assumée Identité apprise Identité visée Transaction subjective Identité héritée Identité transmise Par contre, le sentiment de continuité de sa carrière que construira l’acteur à travers toutes les évolutions de sa trajectoire fera l’objet d’une transaction subjective entre les identités héritées et visées. Il y a donc une très forte insistance sur l’aspect subjectif et biographique de la construction identitaire et, plus généralement sur les aspects historiques et diachroniques. « On voit la nécessaire articulation des deux processus identitaires qui viennent d’être définis. Si le processus biographique peu se définir comme une construction dans le temps par les individus d’identités sociales et professionnelles à partir des catégories offertes par les institutions successives et considérées à la fois comme accessibles et valorisantes ; le processus relationnel concerne la reconnaissance, à un moment donné et au sein d’un espace déterminé de légitimation, des identités associées aux savoirs, compétences et images de soi proposées et exprimées par les individus dans les systèmes d’action. L’identité sociale n’est pas « transmise » 33 par une génération à la suivante, elle est construite par chaque génération sur la base des catégories et des positions héritées de la génération précédente mais aussi à travers les stratégies identitaires déployées dans les institutions que traversent les individus et qu’ils contribuent à transformer réellement ». Pour Dubar, cette distinction n’est pas anecdotique, elle renvoie à une hypothèse forte en sociologie, celle du dualisme du social, ainsi qu’à deux traditions théoriques de la socialisation : celle de Durkheim pour la mise en évidence de l’axe temporel et celle de Weber pour l’axe relationnel. L’ambition de Dubar est d’articuler ces deux traditions. Une transaction objective prépondérante ? : Dubar accorde une importance plus grande au champ de la transaction objective dont « dépendrait » la transaction subjective. cette priorité donnée à l’axe structurel entraîne une conceptualisation de la forme identitaire comme structure culturelle dotée d’une certaine stabilité : « Les individus acquièrent et construisent une forme identitaire au début de la vie active qui se reproduit durant tout le cycle de la vie ». La typologie des formes identitaires : Le croisement des deux axes produit quatre formes identitaires : Transactions relationnelles Transaction biographiques Reconnaissance Non-reconnaissance Continuité Identité d’entreprise Identité catégorielle Rupture Identité de réseau Identité de hors travail Les savoirs : Dubar privilégie l’axe cognitif dans la constitution des formes identitaires (« dans un monde complexe, traversé par les mutations, ces cohérences cognitives indispensables pour affronter les changements … constituent le noyau dur des identités revendiquées »). C’est une perspective différente de l’analyse stratégique, qui voit dans le savoir un système de règles qui permet de rendre prévisible le comportement d’autrui ; ici, le savoir n’est pas associé à une capacité stratégique mais est au cœur du processus identitaire. 34 Il faut donc repérer quatre types de savoirs porteurs des quatre formes identitaires : 1) Les savoir pratiques : issus directement de l’expérience de travail (non reliés à des savoir théoriques ou généraux), ils sont constitutifs d’une identité qui, associée à une logique instrumentale du travail pour le salaire (AVOIR), ce heurte au nouveau « modèle de la compétence » diffusé dans les entreprises. 2) Les savoirs professionnels : impliquant des articulations entre savoirs pratiques et savoirs techniques, ils sont aux centre de l’identité structurée par le métier et aujourd’hui bloquée dans sa consolidation ; associé à une logique de la qualification dans le travail (FAIRE), cette identité est aujourd’hui appelée à se reconvertir ou à se structurer en fonction de ces normes nouvelles de compétence. 3) Les savoirs d’organisation : impliquant d’autres articulations entre savoirs pratiques et théoriques, ils structurent l’identité d’entreprise impliquant mobilisation et reconnaissance ; associée à une logique de la responsabilité (ETRE), cette identité est aujourd’hui valorisée par le modèle de la compétence, tout en devenant encore plus dépendante des stratégies d’organisation. 4) Les savoirs théoriques : non reliés à des savoirs pratiques ou professionnels, ils structurent un type d’identité marqué par l’incertitude et l’instabilité et fortement tendu vers l’autonomie et l’accumulation de distinctions culturelles (SAVOIR) ; associée à une logique de la reconversion permanente, elle est à la fois le produit et la cible des incitations à la mobilisation fortement développées par les entreprises actuelles. Une hypothèse stimulante : une mutation identitaire ? : Dubar s’interroge sur l’évolution contemporaine des identité, car les choses ont changé depuis les premières recherches de Sainsaulieu. Deux réflexions : 1) La première piste consiste à garder la conceptualisation générale et à innover uniquement dans l’élucidation de nouvelles identités ; c’est la piste suivie par Piolet et Sainsaulieu (1994) ; Dubar fait de même lorsqu’il découvre une forme identitaire nouvelle qu’il appelle « catégorielle » qui renvoie à une situation de blocage dans l’entreprise. 2) L’expérimentation identitaire : l’autre voie conduit à reprendre la conceptualisation et à se demander si l’on assiste pas à un autre mode de façonnement identitaire dans nos sociétés contemporaines. C’est un des concepts clés des formes identitaires de Dubar : l’espace des possibilités de reconnaissance de soi qu’offre la société est en pleine mutation. Les catégories officielles ne correspondent plus à l’expérience vécue des acteurs. 35 Il y a là un trait structurel nouveau constitutif du processus d’accès à l’identité. Dubar suggère que, par rapport à la typologie des années 1970, il s’agit davantage d’un moment d’expérimentation de définition de soi et des autres dans un contexte où les anciennes catégories officielles perdent de leur pertinence. Le recours au concept de formes identitaires renvoie au constat de crise de pertinence des catégories sociales officielles dans le champs professionnel. Avant que de nouvelles catégories légitimes s’imposent éventuellement, les formes identitaires permettent l’expérimentation de définitions de soi et d’autrui plus pertinentes que les anciennes catégories officielles. Les recherches récentes de Dubar sur les notions de compétence et de qualification viennent conforter ces intuitions sur le tournant pris par la notion d’identité. Ce « modèle de la compétence » est inséparable d’une conception faisant de l’entreprise une instance de socialisation. L’enjeu crucial est d’assurer la construction, la valorisation et la reconnaissance sociale, ce qui implique la dévalorisation ou la neutralisation des autres formes identitaires salariales issues de la période précédente ou construites en dehors de l’entreprise sur des bases individualistes. L’oscillation identitaire (Vrancken et Dubet) : Dubet part des trois éléments constitutifs de la définition de l’identité : 1) L’appartenance communautaire 2) La visée stratégique 3) La subjectivation La nature de leurs rapports ne s’est-elle pas modifiée aujourd’hui ? L’analyse du comportement des jeunes dans « La galère » est fondatrice d’une théorie qui va se préciser avec le temps : la « rage » voisine avec des attitudes de recherche d’opportunités et de repli commuanutaire. Le même acteur fait l’expérience permanente de ces glissements d’un principe de conduite à l’autre. L’hypothèse de l’oscillation trouve ses racines dans le contexte macrosociologique avec l’écroulement du modèle social-démocrate que le mouvement ouvrier avait construit au niveau national et local. Mais plus fondamentalement, l’ébranlement de la social-démocratie renvoie à la mise en question de l’idée même de société (issue de la sociologie classique), où un état national articulait une communauté, un marché et une culture. Aujourd’hui, les communautés sont nationales, le marché est international et la culture est celle des individus. 36 C’est également cette idée d’oscillation identitaire que rejoint Vrancken (1995) dans son étude consacrée à l’hôpital ; pour lui, les modèles identitaires de Sainsaulieu demeures pertinents pour analyser les traits saillants des modes de représentation collectifs au travail ; toutefois, ils n’émergent plus de manière aussi discriminante. Il observe un véritable « syncrétisme identitaire » caractérisant une pluralité de modes d’inscription dans l’univers du travail. C’est modèles aux frontières symboliques perméables sont désormais qualifiés de « transgressables », révélant par là une nouvelle compétence de l’acteur : celle de son « indocilité », voire de son « impertinence » en regard des catégories sociologiques. Cette mutation pose, avec la subjectivation des relations de travail, un questionnement éthique : le patient est de plus en plus saisi en tant que sujet de la relation de soin. L’intervention et les trois scènes identitaires : L’espace du tiers et la création identitaire : L’espace du tiers est un système spécifique de relations sociales qui organise la rencontre entre des acteurs professionnels et un intervenant. Le point important est que les acteurs sortent (en partie en tous cas) de leurs règles du jeu et suspendent leurs relations de pouvoir durant la rencontre avec le tiers. Les différentes modalités d’intervention du tiers : Dès les années 50 déjà, la théorie sociologique a montré que l’évolution identitaire se faisait avec l’aide d’un accompagnant social. Ce tiers peut être formé ou non aux sciences sociales. Notre société postindustrielle a créé les rôles d’intervenant et de formateur ; il s’agit d’un trait essentiel de nos fonctionnements actuels qui témoignes de la présence de la légitimité scientifique dans la constitution des identités. Cette observation signifie qu’il faut procéder à une typologie des situations de débat avec, d’une part, un caractère public lié à une confrontation avec la science et, d’autre part, l’absence d’une telle confrontation. Sociologiquement, le champ de l’intervention est bipolaire, privé à une extrême et « espace public » (sociologique) à l’autre. Un espace public sociologique : C’est la présence d’un référent externe (sociologue ou psychologue) qui permet la confrontation des attitudes des professionnels à la science. 37 Le rôle de l’intervenant a été peu étudié dans une perspective de création identitaire ; la tradition wébérienne et durkheimienne a surtout mis l’accent sur l’effervescence charismatique comme moment de création. Nous nous appliquerons à montrer que l’innovation ne se limite pas à un moment d’effervescence, mais qu’elle passe par deux étapes : le charisme et « l’espace public sociologique ». L’identité argumentative : Le « tournant argumentatif » dans les sciences sociales a mis au centre de ses analyses un acteur qui donne des raisons à ses pratiques, qui se justifie, qui argumente. Il y a une pluralité de registres de justifications et il faut éviter toute simplification ; c’est ainsi que les travaux de Sainsaulieu et de Dubar ont tout intérêt à être prolongés dans cette direction (ex : la culture de métier est susceptible de justifications différentes). La question de l’identité argumentative est évidemment la plus centrale pour analyser notre rôle d’intervenant ; elle soulève une question essentielle qui porte sur la science. La société contemporaine n’entretient pas avec la science le même rapport que la modernité qui y voyait un garant métasocial. C’est la notion même d’espace du tiers qui doit être repensée dans ses rapports avec la science. La véracité : la légitimation de la contingence : La théorie de la véracité s’inscrit dans cette nouvelle perspective ; le travail de la raison n’est plus production d’un principe de rationalité unique traversant tous les champs sociaux ; les sciences sociales d’aujourd’hui sont devenues des sciences de la contingence. La question de la légitimation scientifique d’un ordre contingent se pose dans des termes nouveaux : l’invocation de la science par les acteurs n’est plus celle d’un principe d’intégration unique, transcendant les intentions des acteurs. L’accord de véracité conclu entre le tiers et les acteurs professionnels fera sens parce qu’il prend appui sur le projet culturel de départ des professionnels qui n’est pas nié au nom d’une vérité scientifique supérieure disqualifiant les acteurs et leurs illusions. L’intervenant, dans un tel contexte, agit à deux niveaux : 1) La plausibilité stratégique : la croyance en un système stratégique : Cela revient à faire découvrir aux acteurs qu’ils sont pris dans une régulation d’ensemble et que leurs comportements sont en équilibre avec ceux des autres. L’intervenant offre une double croyance scientifique aux acteurs 38 professionnels qui l’on appelé : l’interprétation de leurs comportements comme des stratégies à la rationalité limitée ainsi que la perception de leur interdépendance. La plausibilité est bien une évocation de légitimité : le recours à une analyse stratégique repose sur une conception culturelle de l’acteur. 2) La vraisemblance identitaire : l’inscription dans le corpus sociologique :L’intervenant qui légitime une communauté de projet prend parti sur le contenu des choix culturels posés par les acteurs et surtout sur les justifications qu’ils en donnent ; il propose un sens et il faut y voir une offre de légitimation de la contingence de l’expérience identitaire des acteurs. Une rationalité axiologique limitée : Le sens vraisemblable offert par l’intervenant aux acteurs prend appui sur un corpus scientifique qui est fragmenté (plusieurs partitions de vraisemblance sont jouables). Le pacte de vraisemblance que conclueront les acteurs a lui aussi un caractère de contingence qui tient autant à la position sociale des professionnels qu’à celle de l’intervenant. Le tiers n’est pas un réceptacle passif, il met en jeu sa propre identité professionnelle. Le tiers fait partie d’une communauté de projet élargie ; il y est également acteur. Tous ces éléments - science fragmentée, recherche identitaire du tiers – conduisent à préciser le quatrième type d’action de Weber : l’action rationnelle en valeur. La production de vraisemblance sur l’espace du tiers suppose le concept d’une rationalité axiologique limitée. L’identité maussienne : le réengagement critique du projet : Elle renvoie à une communauté inscrite dans la durée et, à l’égard des acteurs présents, elle est réengagement des éléments de socialisation acquis antérieurement dans d’autres communautés. Nous devons préciser deux points : 1) Les choix valoriels ne viennent pas du néant ; ce sont des éléments de socialisations antérieures qui sont perçus de manière nouvelle et réarrangés en une formule symbolique nouvelle pour affronter les défis de la situation présente. Cette réponse créatrice est un projet, c’est-à-dire cristallisation d’éléments identitaires appris hier et remobilisés aujourd’hui ; en ce sens, l’acteur est un continuateur des communautés antérieures auxquelles il a appartenu : il revendique que les modes de sociabilité qu’il a appris peuvent comporter des possibilités de solution pour la situation présente. 39 2) Le projet est le réengagement d’une ancienne dette (c’est-à-dire conclue antérieurement avec des partenaires de sa socialisation), lequel constitue une nouvelle communauté de projet avec les acteurs présents. L’analyse doit élucider ce travail de réappropriation de l’acteur à l’égard de ses cultures antérieures et notament la dimension critique qu’il comporte. L’identité narrative : Nous nous limiterons à un aspect particulier qui rappelle les analyses d’Arendt à propos de l’espace public athénien : celui d’une confrontation de son action avec celle de personnage mythiques. L’identité narrative dont parle Ricoeur (1991) est l’établissement de liens entre son action et certains grands récits fondateurs de la communauté des acteurs. L’espace public arenthien est le lieu d’une identification à des héros. La légitimité que les acteurs construisent autour de leur action est aussi celle de l’histoire qu’ils se racontent sur eux-mêmes en confrontation avec ce niveau sous-jacent de la science qui est celui des personnages mythiques. L’identité narrative et les autres scènes : Dans notre vision des choses, l’identité narrative n’est pas nécessairement tournée vers le passé ; l’identification aux héros renvoie pas automatiquement à l’histoire ancienne ou à l’intégration communautaire ; les grands héros sont aussi porteurs de projets à construire. L’identité narrative est un travail de reconstruction de sa trajectoire, mené avec le tiers, et qui épaule l’identité maussienne comme l’identité argumentative. Rapprochements théoriques : Les deux modalités centrales de l’identité (argumentative et maussienne) sont à rapprocher des deux voies ouvertes par Sainsaulieu et Dubar: d'un côté la production des valeurs locales liées aux relations de pouvoir et de l’autre le pôle cognitif des savoirs. Malgré les recoupements, il y a des différences entre l’identité maussienne et les analyses de Sainsaulieu ; si le point de départ est le même (la force créatrice des valeurs locales), le concept d’identité maussienne y ajoute une notion supplémentaire : le cadre social de reconnaissance, sous-jacent à cette production. Il comporte la dimension diachronique des appartenances communautaires successives que Sainsaulieu ne prend pas en compte. C’est ici que nous situons l’axe de la trajectoire dégagée par Dubar. 40 « Vendôme » ou l’égalité impossible : En 1964, le Pr Servier, chef du service de médecine interne de Vendôme, envoie Léon Rousseau, jeune assistant chef de clinique, se former aux E-U pour y apprendre les techniques nouvelles d’épuration extra-rénale. Le professeur Servier, s’il veut garder sa position dominante dans la médecine parisienne, se doit de posséder une telle unité. Il était prévu que Rousseau crée l’unité avec une infirmière et recrute progressivement ses premiers malades ; mais Rousseau a d’autres idée qui trouvent un écho chez quatre assistants de la même génération. Ils ont le projet d’une médecine différente ; cette différence s’articule sur 5 axes majeurs : 1) Médecine d’équipe : ils brisent la tradition médicale française ; ce n’est d’ailleurs pas le professeur qui constitue l’équipe, ce sont les assistants qui décident de s’associer. 2) Recherche scientifique : ils veulent une médecine « très scientifique », c’est-à-dire appuyée sur les techniques les plus modernes de diagnostic et sur des appareillages sophistiqués. 3) Collégialité avec l’infirmière : Elle a fait un an de formation à la dialyse, il veut discuter des cas avec elle. 4) Participation d’un malade-sujet : Il pense qu’une sélection de personnalités fortes et stables, sur base de critères psychologiques, pourrait donner de meilleurs résultats. 5) Vérité et psychothérapie : Ils décident d’informer le malade sur sa condition de chronique définitif avant l’entrée dans l’unité ; ils font de plus appel à un psychiatre extérieur, le Dr Olivier, pour qu’il leur donne des conseils d’admission au programme de dialyse et pour soutenir psychologiquement les malades durant le traitement. Les angoisses de la dialyse quotidienne : Ce programme volontariste rencontre immédiatement « le choc des faits ». Les épurations se déroulent dans une atmosphère « tendue et dramatique ». En 1967, la dialyse est dangereuse ; ce sera bien différent en 1969 avec les nouvelles machines. A Vendôme, le premier mot d’ordre est : stérilité ; on redouble de précautions. Toute l’épuration se déroule dans un climat d’aseptie poussée. 41 La binéphrectomie : Autre source de difficultés, les réactions psychologiques du malade lorsqu’on lui annonce sa condition définitive de dialysé ou la nécessité de le binéphrectomiser. « La forteresse des incapables » : Les relations sont tendues avec leurs confrères : ils ne disent rien sur leurs dialyses (les autres ne savent pas se qu’ils font => ils ont des airs de conspirateurs), ce sont de jeunes assistants, mais ils prennent les lits dont ils ont besoin, ils gardent les crédits pour eux seuls, … Ils donnent l’impression d’être un état dans l’état. Un jour le Professeur leur rapporte les propos d’un agrégé qui les a désignés sous l’expression : « La forteresse des incapables ». La psychothérapie avec Treville : de la structure bicéphale à la spécialisation des compétences : En septembre 1967, c’est l’explosion, le conflit est ouvert => Ils décident d’aller consulter un psychanalyste pour mieux comprendre les réactions des malades ; ils perçoivent confusément que la situation n’est pas aussi idyllique qu’ils ont voulu le croire jusqu’à présent et que les malades ne vont pas si bien que cela. La machine ou le traitement de dialyse ne sont pas seuls responsables de tous les effets secondaires que manifestent les malades ; les comportements de l’équipe soignante doivent être considérés dans une nouvelle perspective. Rousseau, Bloch et Simon sont conscient que la discussion ne portera pas seulement sur les réactions des malades, mais aussi sur les réactions entre les médecins et l’infirmière. Ils iront, tous les samedis matins du premier semestre 1968, chez le Pr Tréville à l’hôpital A. Ils découvriront que par-delà leur discours égalitaire, ils ont subtilement rehiérarchisé les relations dans l’unité : Un pouvoir fort s’est installé aux commandes avec Rousseau et Rodier, les autres médecins se trouvant en position dominée (c’est Rousseau qui prend les décisions, qui choisit les malades, qui réussit les piqûres ; c’est Rodier que Bloch et Simon consultent pour être certains d’avoir bien « remonté » les machines). C’est la structure bicéphale de la première année (1967). Ils vont se spécialiser dans des secteurs différents ; la structure bicéphale est abandonnée pour de nouvelles règles du jeu axées sur une spécialisation des médecins ; les rivalités vont s’estomper, mais ils décideront surtout de se 42 superviser réciproquement : la répartition des compétences n’entraînera pas des spécialisations cloisonnées. Mlle Rodier décidera de quitter l’unité. Les malades iront mieux : leurs comportements de régression s’atténuent. Ils se plaignent moins et vivent des situations moins dramatiques. Ce sera la période heureuse. La première négociation valorielle : la figure « siamoise » et l’échec de la reconnaissance (1967) : Un préalable : le concept de figure identitaire : Deux intentions nous conduisent à proposer ce concept : 1) Saisir l’évolution d’un groupe à travers ses négociations successives. 2) Appréhender la dimension culturelle des objectifs organisationnels et du style d’interaction de ce groupe. Pour une approche processuel d’un groupe concret : Une figure identitaire est une combinaison d’éléments centraux et secondaires. D’un côté, il y a une dominante de traits constitutifs (et les typologies de Sainsaulieu et Dubar peuvent nous aider à cette première élucidation). De l’autre, il y a des traits secondaires venant d’autres modalités identitaires de la typologie et qui viennent se greffer sur ce noyau central. En outre, une analyse diachronique fait apparaître les évolutions que connaît l’identité : avec le temps, elle abandonne certains traits pour d’autres. La figure identitaire : des règles du jeu culturalisées et des objectifs : La figure articule deux niveaux conceptuels : 1) Le système des moyens : c’est sur ces moyens que ce centre l’analyse identitaire de Sainsaulieu ; et elle se donne les règles du jeu culturalisées comme objet d’étude. 2) Les objectifs des acteurs : deux remarques : - ce ne sont pas des objectifs transversaux à la situation concrète que l’acteur aurait construit avant l’action ; les objectifs sont issus de l’action. - Ces objectifs ne sont pas que stratégiques ; ils sont liés à la fois aux stratégies et à la communauté de projet que créent les acteurs (=> nous retrouvons l’hypothèse de « mixte stratégico-identitaire »). Les deux cultures professionnelles de Vendôme : 43 Style d’interaction Orientation Une culture de la collégialité (identité affinitaire) - Avec des traits fusionnels (1967) - Avec des traits négociatoires (1968) Une culture de la difficulté (ou une culture d’excellence) L’invention d’une culture affinitaire à Vendôme : Parler d’identité affinitaire de réseau à Vendôme s’impose avec évidence ; on retrouve des traits marquant de cette culture à plusieurs niveaux : - Le style d’interaction que les médecins ont adopté : la collégialité. - Le fait qu’ils se constituent eux-mêmes en collectif de travail alors qu’ils appartiennent à des services différents. - Le fait qu’ils traversent les frontières organisationnelles pour recruter des partenaires à l’extérieur. - Le mouvement affinitaire qui apparaît dans leur relation aux malades ; ils noueront des rapports très privilégiés avec eux au point où l’on pourra parler d’amitié. La culture de la difficulté : La culture de la difficulté renvoie à leur orientation : c’est le côté pragmatique de leur projet ; ils se veulent brillant ; ils déclarent eux-mêmes rechercher la difficulté. C’est une espèce de culture de l’excellence. Ce modèle identitaire majeur prendra des caractéristiques différentes à travers le temps ; la première année, les médecins adoptent des traits fusionnels ; l’année suivante, des traits plus négociatoires. Nous insistons sur l’idée qu’à travers ces deux années, ils sont essentiellement restés affinitaires. La figure fusionnelle de 1967 : Les « Siamois » : La première négociation valorielle prend place dans un contexte très spécifique : l’effervescence charismatique ; la culture affinitaire donne naissance à une figure fusionnelle : c’est la période « siamoise ». La pertinence d’une analyse stratégique : 44 Avant de se livrer à une analyse identitaire, il faut découvrir la part d’explication d’une analyse stratégique et ce aux deux niveaux du service et de l’unité. Les médecins face aux collègues : autonomie et charisme : Chargé de créer une unité de dialyse, Rousseau innove ; il associe quatre autres médecins de l’hôpital à son projet et à cinq, ils se donnent une grande autonomie de travail ; l’unité sera un territoire à part dans lequel ils prendront seul les décisions. Une telle stratégie d’autonomie s’explique par le contrôle des zones d’incertitudes (après la réforme du CHU de 1958). En conclusion, nous découvrons le lien qui apparaît entre leur stratégie d’autonomie et le contrôle des grandes zones d’incertitude : - Développement de la recherche clinique - Rattrapage du retard du service Servier - Desserrement des pressions mandarinales. En 1966, les règles du jeux ouvrent des opportunités nouvelles pour ceux qui savent les saisir : il y a une occasion et six larrons s’engouffrent dans la brèche. Cette stratégie d’autonomie prend une coloration charismatique quelques mois après le démarrage ; cette stratégie charismatique est bien visible : - Le bicéphalisme qui consacre Rousseau le « fabuleux piqueur », ainsi que Rodier, l’infirmière irremplaçable. - L’enrôlement des malades qui abandonnent leur statut de patients pour celui de fidèles (ex : lors du rituel de la piqûre, ils consacre ledit « fabuleux piqueur » et entrent dans une communauté charismatique qui rassemble tous les membres de l’unité. - Le fossé se creuse entre les cinq néphrologues et les autres médecins du service. => « forteresse des incapables ». La conduite charismatique est une réponse stratégique à une situation spécifique : lorsque les défis s’amplifient et que l’incertitude croît, les réponses s’orientent vers le raffermissement des principes utopiques de départ et le renforcement des relations. Enfin, la position exceptionnelle qu’occupent Rousseau et Rodier s’explique aussi par le contrôle de zones d’incertitude, qu’il s’agisse de leur expertise technique ou de la relation privilégiée qui lie Rousseau et Rogier. Les médecins face à la stratégie de régression des malades : La relation thérapeutique qui lie le médecin aux malades repose sur un échange stratégique : face à une stratégie médicale d’omniemprise, de prise 45 de contrôle de tous les évènements de la situation, les malades adoptent une stratégie de régression. Ils renvoient une image de médecin peu compétent en multipliant les comportements d’échec qu’ils infligent aux médecins. L’analyse stratégique des objectifs organisationnels : Pour conclure, l’analyse stratégique éclaire bien l’évolution des objectifs organisationnels. L’objectif général de départ s’est redéfini. A l’origine les médecins nourrissent une perspective très générale : la réhabilitation totale du malade grâce à une médecine d’équipe. Les règles du jeu bicéphale qui sont apparues dans l’unité sous la pression des collègues et de l’anxiété de la tâche ont réorienté les buts ; ils y en a deux qui émergent : 1) Le premier d’entre eux sera de faire un « bon groupe » et de développer des relations très intenses. Leur culture affinitaire va s’approfondir. Comme l’indique la théorie des organisations, le moyen (la culture affinitaire) devient un objectif. 2) Un autre objectif organisationnel qui émerge des règles du jeu bicéphale est le choix de l’abord artério-veineux. La décision de recourir peut se comprendre à la fois comme une stratégie de différenciation de Vendôme et, à la fois, comme offrant une position prépondérante à Rousseau (=> C’est une solution aux conflits de pouvoir entre médecins). L’analyse identitaire de la figure siamoise : Les médecins créent une communauté de projet dont l’élément principal devient la force de leurs relations. En second lieu, ils développent une culture de la difficulté et multiplient volontairement les défis à relever. L’analyse doit relever qu’ils créent en partie la situation qu’ils vont devoir affronter : ce sont des zones d’incertitudes culturelles. La culture d’autonomie se double d’une « culture de sauveurs » : ils veulent sauver le service, ils veulent sauver les malades. La cristallisation identitaire : Cette communauté fusionnelle émerge progressivement. C’est dans l’action, au fur et à mesure que les problèmes se posent et que les décisions se prennent, que le projet se construit. 46 Les éléments identitaires qu’ils vont mobiliser dans leur passé sont le fruit d’une réappropriation progressive. Figure fusionnelle et charisme : la pluralité des instants décisionnistes : La stratégie charismatique se révèle être aussi une communauté de projet charismatique au sens fort du terme. Une communauté fusionnelle lie tous les acteurs ; l’entrée des malades dans la communauté est le trait le plus significatif de la nouvelle orientation : ils ne sont plus des clients, ils sont des fidèles du « fabuleux piqueur ». Le charisme ne surgit pas d’un seul coup, programme complet et structuré : Le charisme se construit au fur et à mesure que les évènements se produisent. L’issue du décisionnisme charismatique : La négociation en situation d’effervescence charismatique est spécifique : elle ne peut déboucher que sur une seconde négociation ou sur un éclatement du groupe. La seconde négociation valorielle : la supervision réciproque (1968) : Une nouvelle figure, de nouveaux savoirs et de nouvelles valeurs : Durant l’été 1968, ils se donnent une nouvelle figure identitaire : la culture affinitaire prend une nouvelle forme, celle de la collégialité, de la supervision réciproque Il y a de nouvelles règles du jeu, une nouvelle division des tâches fondée sur la spécialisation. Il déciderons de se passer des services du Docteur Olivier ; ils assumeront eux-mêmes le rôle d’accompagnement psychologique de leurs malades. Ils abandonnent aussi le principe d’une sélection psychologique. Cette nouvelle figure identitaire peut se lire à l’intérieur du cadre théorique de Dubar et Sainsaulieu ; sur l’espace du tiers émergent un nouveau savoir et de nouvelles valeurs. Un nouveau savoir : une compétence psychothérapique nouvelle (Dubar) : C’est l’acquisition des concepts clés de la psychanalyse qui sera déterminante : les médecins abandonnent un savoir intuitif et lui substituent une grille f’analyse d’inspiration analytique. Ils inventent un nouveau rôle : ils seront des néphrologues psychothérapeutes. Un nouveau savoir apparaît avec cette dimension psychothérapique nouvelle : un savoir proche du savoir d’organisation. 47 Les valeurs relationnelles (Sainsaulieu) : Déplacement de la figure fusionnelle vers une figure négociatoire. Les éléments strictement affinitaires associés à la figure fusionnelle reculent au profit de la valeur de métier. La figure de supervision consacre une prééminence du métier sur le relationnel. Figure identitaire Figure fusionnelle (1967) Valeurs (Sainsaulieu) Valorisation des relations > Valeur de métier (inspiré) Figure de supervision réciproque Valorisation des relations < Valeurs de métier (1968) (spécialisé) L’identité argumentative : L’identité argumentative et la plausibilité stratégique : La preuve du système : Les médecins avaient leurs clés psychanalytiques du déroulement des évènements : projections, rivalité avec le père (professeur), angoisse de castration et sentiment d’impuissance, régression fœtale des malades. Comme sociologue, nous avons suggéré une double interprétation systémique. Nous avons d’abord fait la preuve de l’existence d’un système au niveau de l’unité : un système « totalitaire » goffmanien. La preuve de ce système thérapeutique, nous l’avons d’abord et avant tout établis avec des faits « surprenants » pour les médecins. Mais ce système thérapeutique s’inscrit dans un autre : les relations entre les médecins du service. L’élément clé à Vendôme, c’est la très grande autonomie que leur a accordée le professeur Servier. Le lien systémique entre leur programme charismatique et le style de leadership professoral a été une révélation pour les cinq médecins. Ils ont découvert que les deux autres unités, hiérarchiques et verticales, faisait l’objet d’un contrôle assez étroit du chef de service. C’est parce que Sevier est « libéral » qu’ils se retrouvent tous autonomes et se sentent porteurs d’une lourde responsabilité. De là leur dramatisation de la situation et les stratégies de régression des malades. Ils apprennent que la voie du changement dans l’unité passe par une réévaluation de leurs relations avec Servier. 48 L’identité argumentative et la vraisemblance identitaire : La légitimation de la culture de collégialité : la « cité » du pouvoir limité : Ils veulent des patients autonomes. Lorsque nous discutons nos hypothèses avec les médecins, le principe de la séparation des pouvoirs est invoqué comme fondement normatif de la nouvelle identité de supervision. Il faudra construire ici une nouvelle cité, celle de la souveraineté, c’est-àdire du pouvoir limité. Un exemple de négociation valorielle : la psychothérapie : La confrontation avec la science n’est pas une soumission à l’application automatique de principes critiques transcendants comme on avait pu le croire autrefois. Il s’agit d’une invention effectuée avec le tiers, invention ayant un caractère de contingence. Il s’agit d’une invention parce que la situation à réguler est nouvelle. La relation thérapeutique dans les unités de dialyse pose des problèmes tout à fait nouveaux. Pour cet accompagnement psychologique, deux formules sont envisageables : 1) Le recours à un psychiatre extérieur (c’est le choix des unités dites hiérarchiques ou verticales) : à première vue cette solution respecte le principe de la « cité de Montesquieu » : l’autorité professionnelle est limitée puisqu’il y a séparation des compétences néphrologiques et psychiatriques. 2) La prise en charge par les néphrologues eux-mêmes : c’est le choix de Vendôme : c’est le dialyseur lui-même qui doit assumer les critiques et reproches que lui adressent les malades rénaux, il ne peut se défausser sur un psychiatre extérieur, attitude qui serait une fuit, source de régression du malade. comment marier ces deux exigences ? La solution inventée à Vendôme sera la création d’un dispositif d’accompagnement des médecins : la supervision réciproque qui sera le garde fou pour assurer le contrôle des débordements du pouvoir. L’argumentation de la culture de la difficulté : la sociologie du charisme : Leur repli sur la forteresse des incapables et leur identité fusionnelle de 1967 : le sociologue n’y voit pas des comportements aberrants ou des déviations de leurs idéaux originaires. Il les interprète comme des pratiques charismatiques et les concepts sociologiques viennent légitimer leur action : ils sont des réformateurs participant au changement à la française (Crozier). 49 L’identité narrative : L’identité narrative : la tradition charismatique du service Servier : Celui que l’on considérait comme l’héritier spirituel du professeur Debré se trouvait alors agrégé chez Servier ! Et le prestigieux chef de service qui avait précédé et consacré Servier comme son successeur était le petit-fils de Pasteur ! Sevier était lui-même reconnu comme un grand clinicien, doté d’un talent exceptionnel. Tous cela tissait la continuité d’une tradition charismatique qui rattachait l’équipe de néphrologie à ses brillant prédécesseurs. Peut-on exclure l’idée que notre travail de recherche était également une offre de figures prestigieuses auxquelles les cinq médecins pouvaient s’identifier et la possibilité de récompenser, sur un mode sociologique, leur identité narrative, jusqu’ici fortement structurée par la psychanalyse ? L’identité narrative : la saga de l’ouvrier d’entretien et la nouvelle collégialité : La culture de la collégialité et la grande proximité qu’ils témoignent à l’égard de leurs malades sont sources de déception : le malade n’adhère pas à leurs objectifs, il régresse, il multiplie les comportements d’échec du médecin. S’étonnera-t-on que notre thèse portait comme titre : « Le pouvoir du malade » ? La révolte du malade ne devient-elle pas légitime, après la résistance de l’ouvrier d’entretien ou la distance de rôle du reclus et ne justifie-t-elle pas un abandon de la collégialité « siamoise » ? L’identité Maussienne : Il s’agit d’une négociation valorielle d’un autre type. L’engagement critique que les médecins ont pris à l’égard des malades (et également de Servier) a aboutit à un échec de leur volonté de reconnaissance : les malades ne vont pas bien et leurs confrères les considèrent comme des incapables. C’est à travers un discours argumenté sur la limitation du pouvoir qu’ils vont rationaliser leur engagement maussien à l’égard des malades. Mais au préalable, il faut bien comprendre la nature de leur engagement de départ. Bref retour en arrière : l’engagement de 1966 : Il ne faut pas partir d’une valeur originaire, source de tous leurs comportements, mais des possibilités culturelles offertes par le système d’action concret. Deux pistes doivent être dégagées : 50 1) Ils ont choisi de travailler à Vendôme : il faut y voir un engagement à travailler dans l’esprit du service, suivant certaines voies, peu précises encore, mais non totalement indéfinies. Il connaissent Servier, il a la réputation d’être un patron « libéral », il est membre de l’establishment mais il y occupe une place spéciale : il est un peu le marginal de l’élite. 2) Simultanément, cet engagement à l’égard de Servier est critique à l’égard du service ; « c’est de la médecine de 1940 ». La participation du malade est la clé du succès et pousser à la participation du malade, c’est renouer avec une attitude égalitaire à l’égard du colonisé (position lors de la guerre d’Algérie) ou du prolétaire (voyage en URSS). Mais créer une relation thérapeutique participative, ce n’est pas être simplement déterminé par un passé ; c’est s’engager à l’égard des malades présents ; c’est réactualiser une héritage dans le cadre des relations présentes du système d’action concret. Cette mobilisation n’est possible qu’à Vendôme, parce que Servier est là : c’est aussi à son égard qu’ils engagent leurs traits de socialisations antérieurs en un projet qui est une autre manière de perpétuer son style « libéral » et un peu marginal. Le don refusé et le réengagement de 1968 : Autre facette de l’hypothèse maussienne : ils estimaient avoir échouer en 1967, mais aux yeux de leurs confrères ils avaient réussi => Ils auraient pu se séparer, mais ils ne le feront pas. Ce qui nous paraît déterminant dans cette attitude, c’est la volonté de rester ensemble par-delà leur échec, ou mieux, à cause de leur échec. Ils doivent redéfinir le projet pour rester fidèles à un passé qu’ils réinterprèteront. Nous faisons l’hypothèse qu’au cœur de la relance de la dynamique identitaire, se trouve le don refusé Dans l’hypothèse de la triple obligation de Marcel Mauss (Donner, Recevoir et Rendre), on peut analyser la toute nouvelle relation thérapeutique de 1966 comme un don : ils offrent au malade la survie, la psychothérapie et la réhabilitation professionnelle et sexuelle. Ils se donnent eux-mêmes comme médecins proches et amis. Mais en 1968, ils font une découverte capitale ; ils ne sauvent pas le malade. Ce dernier refuse le don d’une telle relation thérapeutique qui n’est pas source d’une liberté plus grande face à la maladie. Tout don n’est pas automatiquement reçu. Une réconciliation partielle et limitée : L’identité maussienne fera l’objet d’une réévaluation. 51 En 1966 ils étaient portés par l’utopie d’une réconciliation totale : ils rêvaient de sauver le service Servier, de combler le fossé entre les médecins et les malades grâce à un nouveau style thérapeutique rejetant la distanciation et créant des rapports de grande proximité, voire d’amitié. En 1968, les dialyseurs découvrent qu’il n’y a pas de réconciliation absolue, que l’utopie collégiale et participationniste a ses limites : le malade ne sera pas éternellement reconnaissant au médecin de lui avoir sauvé la vie et les infirmières resteront à l’écart des risques de la participation. 1968 est l’invention d’une solution nouvelle ; la réconciliation est possible, mais elle sera partielle et limitée : elle sera fondée sur l’autonomie des acteurs et la diversité de leurs objectifs propres. Le consensus total est impossible : un différent persistera toujours. La négociation des valeurs et les cadres de rationalité : Il faut être ici plus précis : nous pouvons vraiment parler de négociation valorielle au sens strict du terme parce que des valeurs concrètes et locales sont remodelées. Cette action sur les valeurs est possible parce que les médecins établissent un lien entre celles-ci et les pratiques réelles qui les génèrent. C’est cela qui caractérise la négociation valorielle : elle ne concerne pas que des discours et des volontés complètement détachées de leur insertion sociale. Elle prend en compte les pratiques réelles qui sont à la fois règles du jeu et projet La confrontation des valeurs locales aux pratiques s’inscrit dans un cadre de rationalité qui a un double volet : la plausibilité et la vraisemblance. Cette notion de cadre de rationalité suggère une hypothèse implicite : il y a une part de rationalité dans les valeurs ; il vaudrait mieux dire : une part de rationalisation qui révèlent les compétences argumentaires des acteurs. Les valeurs ne sont pas rationnelles en soi : c’est un travail de rationalisation qui prend appui sur la adynamique identitaire mêlée aux jeux stratégiques. Les cadres de rationalité doivent être compris comme des cadres toujours partiels, toujours révocables : ils se font et se défont. Les rapports e forces et la violence coexistent avec les arguments culturels : les médecins de Vendôme ont réussi, non seulement parce qu’ils étaient des prophètes armés (Machiavel), serviteurs subtils de l’éthique de puissance, mais aussi parce que l’invocation de légitimité est une ressource puissante dans une société démocratique. 52 Les médecins découvrent une séquence stratégique plausible : autonomie octroyée par le professeur, suscitant une « omni-emprise » médicale, suivie elle-même d’une régression ainsi qu’une distance de rôle des malades. Mais cette séquence stratégique illustre l’échec de la reconnaissance : la régression des malades ou la critique « d’incapacité » de leurs confrères en témoignent. C’est ici que les principes de la « cité de Montesquieu » sont invoqué pour remodeler les valeurs de collégialité, de psychothérapie et de salut et donner un sens vraisemblable à l’expérience de Vendôme. Notre hypothèse est que l’invocation de la « cité des pouvoirs limités » se fonde sur la dimension maussienne de la communauté de projet : celle-ci vient interroger les pratiques et contester les relations de pouvoir autant que l’intégration communautaire. Un exemple : recherche scientifique et supervision réciproque : La recherche scientifique est bien un enjeu global qui traverse tous les champs. Elle témoigne de la pluralité des ordres : la recherche ce n’est pas de la clinique. Elle révèle également les luttes stratégiques pour la prééminence entre Rousseau et Simon. Elle interpelle les principes identitaires les plus cruciaux de l’unité : la décision de Servier d’admettre M.Falisse a été une violation du principe de collégialité ; l’idée de ne sélectionner que de « bons malades » a également été ignorée : le médecin intéressé par l’acquisition de matériel de recherche a fait pression. La régression de M.Falisse s’inscrit aussi, latéralement, dans cette politique de recherche : il deviendra très vite le mauvais bébé vomissant et déféquant pendant les séances de dialyse. Il sera une source tension supplémentaire entre Rousseau et Simon. Trois remarques finales : 1) Les règles du jeu de l’espace du tiers : L’espace du tiers n’est pas que communauté de projet, il est aussi système d’action concret avec ses stratégies et alliances. L’agir communicationnel n’est pas séparable d’un agir stratégique. 2) Une explication stratégique moins prégnante : Nous venons de développer une argumentation identitaire pour rendre compte des évènements de 1968 : la négociation valorielle nous paraît être le phénomène central qui permettra les évènements ultérieurs. 53 De nouveaux jeux et de nouvelles possibilités stratégiques découleront de cette redéfinition des valeurs. Mais cela ne signifie pas l’exclusion de toute explication stratégique. Si les stratégies n’expliquent qu’en partie les nouveaux processus, leur présence, même secondaire, doit être relevée. Le desserrement des règles du jeu : On ne peut ignorer la part de vérité contenue dans l’analyse stratégique. Avec l’évolution favorable des dialyses, Vendôme vit un desserrement de la pression des règles du jeu qui avait conduit au fonctionnement bicephale avec Rousseau et Rodier. 3) Une stratégie d’espace public : Le choix d’une démarche d’espace public n’est-il pas également stratégique ? Une première intention stratégique doit être signalée : les médecins doivent sortir de l’enclave. Il faut ouvrir la forteresse des incapables et retrouver les collègues du service avec lesquels ils étaient en conflit. Il faut renouer avec l’administration hospitalière qui avait accordé une autonomie à Mlle Rodier. La stratégie d’espace public est ainsi une solution à ces problèmes, car le replis sur une citadelle était bien une stratégie de suspension provisoire des rapports avec le service et l’hôpital. De ce point de vue, l’espace public est une stratégie de rentrée sur les autres scènes. + Toute la conclusion générale (pages 325 et 326) 54 55