Résumé

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Résumé de SOP (1999-2000)
Le cercle vicieux bureaucratique :
Quatre traits majeurs de fonctionnement qui poussent le Monopole vers la
perpétuation de son système relationnel.
Etablissement d’un système
de règles qui à tous prévu afin
d’éviter les conflits
(2) Centralisation des décisions :
dans le but de mettre les
responsables à l’abris des pressions
trop personnelles de ceux qui sont
affectés par ces décisions
(1) Impersonnalité des règles :
 Contenu des tâches décrit avec
minutie
 Recours au principe d’ancienneté

Recrutement par concours externes
Renforcement des règles :
Protection
contre
l’autorité
Cercle vicieux
bureaucratique
L’arbitraire du
supérieur devient
négligeable
A : conventionalisation
des relations entre les
intervenvants
=> retour des phénomènes de dépendance et de
conflit
Concentration sur des
objectifs catégoriels de
sous-groupes.
D:
comportements
ritualistes de
« ronds de cuirs »
(Merton)
(3) Isolement
de chaque
catégorie :
C : forte pression à la conformité du groupe
sans contre-pouvoir.
 La pression du groupe des pairs devient
le seul facteur de régulation des
comportements en dehors des règles.
(quatre aspects à cet
isolement : A B C D)
B : création d’un
système de castes.
=> barrières
infranchissables entre
les catégories
(4) Développement de
relations de pouvoir autour
des zones d’incertitudes
qui subsistent
Aucune strate,
aucune clique,
aucun clan
transversal
Aucun espoir
de promotion
interne
Réduction des
risques de
conflit internes
au groupe
Pas de
circulation de
l’information
Tout pousse vers :

Amoindrissement des effets du pouvoir

Réduction de la dépendance à la hiérarchie

Préservation de la liberté et des espaces d’autonomie
 Impossible d’éliminer toutes les sources d’incertitude
1
 Cercle vicieux bureaucratique (=système dont les dysfonctions sont devenues un des
éléments essentiels de l’équilibre)
Concepts clés :

Tout acteur a du pouvoir
 Les croyances sont stratégiques
 Elles soutiennent un dessein, un objectif, un projet
 Elles expriment moins un passé ou un présent qu’un futur
 A coté de la structure formelle, il y a une structure parallèle
 différent de la « structure informelle » : axée sur les échanges affectifs et
les sentiments nés de relations internes au groupe
 plus la volonté de réglementation est importante, impliquant une inflation de
textes, plus les zones non régulées, réduites par conséquent à une portion
congrue, prennent une importance démesurée.
 La régulation (régulation stratégique + régulation culturelle)
 = ce qui crée l’unité du système social
 = les « grandes » règles du jeu du système global
 Logique d’action (d’une coalition qui fait prévaloir ses intérêts)
 regroupement de tâche en fonction d’une finalité commune (rassemble tous
ceux qui concourent à sa réalisation, par delà leur appartenance à des soussystèmes précis)
 se situe au niveau du système global et traverse tous les sous-systèmes
 exemple dans le monopole : logique de fabrication et logique d’entretien
 Régulation stratégique
 Montre comment s’organisent les différentes logiques d’action, comment elles
s’arbitrent
 Exemple : à défaut d’une réorganisation de l’usine, la routine de l’entretien
est la logique dominante
 Zone d’incertitude
 Point crucial et nécessaire pour faire aboutir les objectifs organisationnels =>
ceux qui contrôlent ces points sensibles pèsent sur le fonctionnement de
l’organisation
 NB : le pouvoir de décision à l’intérieur d’un système d’organisation
bureaucratique tend à se situer aux endroits ou l’on donnera naturellement la
préférence à la stabilité du système interne « politique » sur les buts
2
fonctionnels de l’organisation => l’essentiel devient le respect du règlement =>
déplacement des objectifs vers les moyens => Ritualisme
 L’équilibre interne d’un système repose sur une coalition gagnante
 doit être gagnante dans ses alliances à la fois internes et externes
 exemple : monopole : - interne : ouvriers d’entretien + directeur technique
- externe : Ministère de tutelle, Syndicats nationaux de
fonctionnaires, …
 La bureaucratie remplit une fonction affective
 solution au problème de la coopération et aux craintes que suscitent les
relations de pouvoir
 réponse à l’épreuve posée par l’expérience désagréable des relations de face
à face
 réponse rationnelle à l’arbitraire se développant autours des zones de pouvoir
parallèle => appel à plus de réglementation pour contrer ces détournements
Reynaud : la crise bureaucratique est avant tout un déficit de
régulation, elle est une anomie
 la crise bureaucratique est une régulation qui repose sur le développement du
contentieux et sur la centralisation de ce contentieux

Développement de
lois obscures ou trop
complexes
Impossible de les
respecter, faute de
les comprendre
Foisonnement de la
jurisprudence

Appel au contentieux
Dans l’intervalle, règne
l’arbitraire, le conflit ou
une autre règle
Le changement à la française
3
 il suppose une grande crise qui secoue tout l’ensemble et l’intervention d’un
« réformateur autoritaire »
 il revêt 3 traits originaux :
1) Il se produit en réponse à une crise => on attendra qu’une crise soit
devenue assez grave pour menacer la survie même de l’organisation
2) Il est exceptionnel et universel => réforme globale qui concerne toute
l’organisation
3) Il vient du sommet => se sont les grands corps ou les élites politiques qui le
pensent, l’organisent et le lancent
 Les élites n’interviennent que quand les crises sont particulièrement fortes
en proposant des plans globaux de réforme
 La crise est fonctionnelle
 Régulation culturelle
 les variables culturelles françaises expliquent l’originalité de cette manière
de conduire le changement
 Celle-ci paraissent caractérisées par une grande difficulté à coopérer dans un
cadre informel. Le français évite les relations de face à face car elles
comportent un risque de dépendance personnelle.
 Les gens tiennent à rester indépendants et à l’écart les uns des autres. Ils
éprouvent les mêmes difficultés à coopérer de façon constructive. Celui qui
fait montre d’initiative est tout de suite accusé de vouloir commander =>
difficulté à développer un type de leadership acceptable au niveau du groupe
primaire
 Pourtant la conception de l’autorité qui continue à prévaloir est toujours
universelle et absolue ; elle garde quelque chose de la tradition politique de la
Monarchie absolue avec son mélange de rationalité et de bon plaisir
 L’isolement des catégories et l’isolement des individus permettent à chacun
de, même au plus bas de l’échelle, de disposer d’une certaine part de « bon
plaisir ». Ce bon plaisir se manifeste surtout de façon négative ; les
subalternes sont protégés contre des interventions supérieures ; ils n’auront
jamais à s’incliner devant la volonté personnelle humiliante de quelqu’un
 Ils s’efforcent de montrer qu’ils travaillent non pas parce qu’ils y sont forcés,
mais parce qu’ils choisissent de le faire. Cette liberté devant les supérieurs,
cette autonomie de l’individu dans sa fonction peut être rattachée à la
conception absolutiste de l’autorité
 L’organisation bureaucratique française est profondément réductrice des
tensions psychologiques posées par l’autorité ; le système français
4
d’organisation constitue la meilleure solution possible des contradictions dont
souffrent les français en matière d’autorité
« Sociologie de la décision » de Haroun Jamous : une tentative de
dépassement
 Jamous va montrer que les dysfonctions ne sont pas objectives ; que les
classes sociales s’affrontent sur leur définition
 Nécessité d’un retour au marxisme (s’il pouvait accepter que le
fonctionnement quotidien et routinier reposait sur des jeux de strates
organisationnelles contrôlant des zones d’incertitudes, il lui semblait que le
compromis autorisant un tel fonctionnement trouvait son origine en dehors de
l’organisation. Ce compromis résidait dans les rapports de force entre classes
sociales).
 Jamous propose d’élargir le modèle dans deux directions ; d’une part, il
réintroduit l’analyse de classes sociales que Crozier a écarté et d’autre part il
élargit le modèle vers la théorie charismatique de Weber centrée sur le
personnage d’exception nécessaire pour réenchanter la vie sociale dans une
société très rationnelle
 Exemple : la réforme du système hospitalo-universitaire décidée par le
Général de Gaulle en 1958 :
Cette situation rentre à première vue dans le schéma d’interprétation crozérien.
Rappel : 1958 verra la création des CHU. Jusqu’alors le système hospitalouniversitaire était axé sur deux pôles assez différenciés, aux connexions très
lâches. D’un côté l’hôpital et de l’autre l’université et sa faculté de médecine. La
réforme de 1958 consistera à intégrer ces deux pôles en un ensemble unique.
Le système hospitalo-universitaire avait été remodelé par la révolution française
qui avait bouleversé le fonctionnement institutionnel de l’Ancien Régime ; Paris
était devenu le centre mondial de la formation médicale parce que l'organisation
bipolaire était fonctionnelle : la zone d’incertitude qu’était la nomination aux
postes de professeurs à la faculté de médecine était contrôlée par la profession
médicale et l’ensemble de ses chefs de service des hôpitaux de Paris.
A partir de 1850 les conditions de production scientifique changent. Le
paradigme anatomo-pathologique a donné tout ce dont il était capable.

 Pourtant le système bipolaire continue à fonctionner comme avant (=> une
réorganisation n’est pas la conséquence logique des dysfonctions du système
=> elle suppose une nouvelle alliance)
5
A partir de 1945 l’hôpital change, entraînant des coûts financiers important pour
la Sécurité Sociale => elle pousse à la création d’un statut temps plein (les
médecins hospitaliers cumulaient deux statuts : fonctionnaires le matin,
profession libérale l’après-midi), bientôt rejointe par d’autres groupes de
pression (médecins de gauche, membres du cabinet du président du Conseil
Pierre Mendès-France, qui veulent redresser la médecine franàaise ;
fondamentalistes, chercheurs de laboratoires qui souhaitent une plus grande
reconnaissance de leur contribution) pour qui le statut temps plain paraît être la
condition essentielle d’une implication forte dans la triple mission
d’enseignement, de recherche et de soins.
 C’est ici que Jamous introduit la théorie charismatique de Weber.
Les conditions de réussite sont maximales si les membres de ces différentes
fractions se rassemblent sous la houlette d’un personnage de grande envergure
dans le champs médical. Le professeur Robert Debré était ce personnage
providentiel. Il était de surcroît le père du nouveau Premier Ministre du Général
de Gaulle, Michel Debré.
 Le changement ne résulte pas des dysfonctions objectives mais d’une
coalition forte capable de définir une situation comme dysfonctionnelle et
d’imposer son projet.
 Cette élément stratégique (opposé à une théorie des dysfonctions objectives)
se comprend encore mieux lorsque l’on sait que la profession médicale avait
son propre plan (le service plein-temps contre un statut de fonctionnaire
plein-temps) tout aussi rationnel au niveau de la triple mission, mais visant des
objectifs différents
 Les dysfonctions ont bien un caractère stratégique
NB : Il y a deux grandes approches de la stratification des sociétés : l’analyse
marxiste qui met l’accent sur les seuls critères économiques et l’analyse
wébérienne qui est pluraliste. Cette analyse wébérienne combine trois critères :
elle redéfinit le critère économique qui ne renvoie plus à la propriété mais bien
au niveau de consommation, elle accorde une place importante aux critères
culturel (les groupes de statut) et politique (groupe politique) qui ne sont pas
dérivés des critères économiques.
 Jamous se dit inspiré par une sociologie marxiste, mais l’analyse montre que
ses critères sont wébériens
 Notre réinterprétation de « ces fractions de classe » en termes wébériens
nous entraîne dans une autre lecture du système hospitalo-universitaire. Nous
n’avons pas examiné la société et ses classes sociales mais un système plus
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limité : un système politico-administratif et professionnel avec la profession
médicale comme troisième élément.
 L’administration est en miettes
 Elle est fragmentée ; cette constatation s’appuie sur deux faits :
1) les fonctionnaires travailles dans un profond isolement (entre eux et avec la
hiérarchie) => « Moins on coopère, mieux on se porte »
2) Les nombreuses solutions arrêtées par l’administration sont des compromis
entre les fonctionnaires et leurs partenaires => les rapports avec l’extérieur
sont une multiplicité d’arrangements qui ne peuvent être ramenés à de
simples applications de la loi ou des règlements
 L’administration est avant tout un ensemble de sous-systèmes qui produit des
arrangements avec l’extérieur ; ces relations avec l’extérieur structurent
de façon durable le fonctionnement interne de la préfecture
 Trois ensembles de relations mettent en rapport, de manière privilégiée,
l’administration et le monde politique :
1) le sommet administratif avec le sommet politique
2) les cadres moyens avec les politiciens locaux
3) les agents d’exécution avec le grand public
 La régulation croisée
 le secret de la régulation crozérienne, c’est la coalition gagnante
 on ne peut entretenir l’image de morcellement et de fragmentation de
l’administration qu’à la condition de découvrir les logiques régulatrices qui
structurent les petits noyaux relationnels
 régulation croisée : il y a régulation du monde administratif par le politique et
régulation du monde politique par l’administration ; le politique l’emportant sur
l’administratif
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La théorie stratégique :
Le pouvoir, la rationalité limitée et le système :
Pour beaucoup, Crozier est le sociologue du pouvoir. Il est vrai qu’il l’a mis au
centre de ses analyse (il a changé la représentation sociologique de l’acteur).
Son apport le plus central : le pouvoir, fondateur d’ordre locaux.
=>C’est l’intégration du pouvoir dans un ensemble conceptuel structuré, articulé
autour du système d’action concret, qui est la percée décisive.
L’hypothèse du pouvoir :
La règle :
 Les règles ne s’appliquent pas, elles se négocient
La grève du zèle (appliquer le règlement à la lettre) est l’illustration topique de
cette idée
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(ex : Un bon fonctionnement de la douane implique qu les douaniers ne respectent
pas le règlement à la lettre, qu’ils introduisent des exceptions, ou qu’ils décident
de saisir l’esprit derrière la lettre ; c’est ce qu’ils font tous les jours).
 si les acteurs ne jouaient pas le jeu, c’est-à-dire ne trichaient pas, le système
ne pourrait pas fonctionner
 Ce sont les pratiques perverses, illicites, qui sont primordiales pour le bon
fonctionnement du système
 Tout homme a du pouvoir parce qu’il contrôle, il négocie sa participation,
c’est-à-dire la manière dont il va exercer son rôle ( => met fin à la
théorie des rôles)
 Il a le choix entre deux stratégies extrêmes :
1) Le retrait : il se replie sur la lettre du règlement, il s’implique au minimum, il
se concentre sur les prescriptions formelles et oublie l’ esprit, c’est-à-dire
les objectifs organisationnels (stratégie d’apathie, de retrait)
2) L’implication : Il intègre davantage les objectifs de l’organisation, est prêt à
s’écarter du respect rituel des routines organisationnelles (formelles).
L’acteur marchande sa bonne volonté.
 La règle protège
1) Celui qui respecte le règlement ne peut être sanctionné
2) L’effet rationalisateur de la règle n’est pas à sens unique : si elle restreint
bien la liberté des subordonnés, elle en fait autant pour la marge
d’arbitraire du supérieur => la règle devient un moyen de protection contre
l’arbitraire du supérieur
 Comme normalement, pour la bonne marche d’un service il faut faire plus que
ce qui est prescrit par la règle, comme, d’autre part, le supérieur est luimême jugé sur les résultats de son service , il se trouve en position de
faiblesse.
 La règle ne s’applique pas directement, elle se négocie.
 L’effet des règles est toujours indirect parce qu’il révèle des opportunités
à saisir et ouvre un espace de négociation
 La règle n’est pas le privilège du seul chef : c’est aussi l’atout du
subordonné (Stanley Hoffmann : le supérieur hiérarchique c’est Gulliver
empêtré)
NB : il ne faut pourtant pas parler de résistance au changement, car c’est
ignorer toutes les tentatives des acteurs pour modifier les situations à leur
avantage ; mais s’impliquer plus, c’est sortir d’une zone protectrice, c’est prendre
des risques face aux autres et à la hiérarchie
 Le secret de la motivation, c’est donner du pouvoir sur soi dans un jeu à
somme positive. Tous deux gagnent, le chef comme le subordonné.
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 Le pouvoir
Dahl : Le pouvoir d’une personne A sur une personne B, c’est la capacité de A
d’obtenir que B fasse quelque chose qu’il n’aurait pas fait sans l’intervention de B.
 Nous n’appliquerons la notion de pouvoir qu’aux cas ou A dispose d’une latitude
d’action ; dans le cas contraire, si A n’est qu’un pion, un relais dans un système
de décision, nous dirons que c’est le système qui décide et que A n’a pas de
pouvoir
 Pouvoir et règle
Pour savoir si une personne à du pouvoir, il faut déplacer le point de vue : « y a-til un système de règles qui commande son action et qui permet d’anticiper ses
comportements ? »
 Pouvoir et absence de règles sont associés tout comme le sont non-pouvoir
et forte régulation des comportements.
 Pouvoir, règle et « prévisibilité »
 Imprévisibilité et pouvoir sont deux aspects de la même réalité
 Rationaliser c’est produire des règles qui permettront de prévoir le
comportement de l’autre, c’est créer des habitudes auxquelles se conformera
l’autre.
 La zone d’incertitude
A a du pouvoir sur B parce que se dernier ne peut prévoir le comportement de A :
trop d’incertitudes entoure les décisions qu’il va adopter. Les zones d’incertitude
ne sont pas réduites par des règles : plus ces zones sont importantes, et plus la
capacité d’influence de A est forte. A est imprévisible pour B.
 Si de plus le comportement de B est prévisible, la situation de pouvoir de A
est encore plus élevée.
 Les zones d’incertitude sont des points névralgiques pour le fonctionnement
organisationnel :
1) celui qui les contrôle pèse fortement sur la bonne marche de l’organisation et
sur tous ses membres
2) si ses comportements ne font pas l’objet d’une série de règles qui organisent
son intervention, il disposera d’une grande capacité d’influence non seulement
sur sa tâche mais aussi sur le fonctionnement des autres.
NB : le pouvoir n’est jamais total (cfr grève du zèle)

Le pouvoir est relationnel (et situationnel)
10
Il n’est pas un attribut d’une personne, il est lié à une situation : il s’inscrit dans
les relations de ceux qui créent les mêmes règles du jeu.
 Typologie des zones d’incertitudes
Il y a quatre types de sources d’incertitude (et donc quatre grandes sources de
pouvoirs) pertinents pour une organisation :
1) celle découlant de la maîtrise d’une compétence particulière et de la
spécialisation fonctionnelle
2) celle qui sont liées aux relations entre une organisation et ses
environnements
3) celles qui naissent de la maîtrise de la communication et des informations
4) celles qui découlent de l’existence de règles organisationnelles générales
 Remarques
1) tout acteur contrôle au moins une zone d’incertitude : sa propre participation
2) Nous avons raisonné comme si les règles étaient objectives ; ce n’est pas le
cas, les organisations sont des lieux de luttes permanentes d’interprétations
sur le sens à donner à ces règles
3) Il est apparu que la proposition « le pouvoir est lié à l’absence de règles
contrôlant sont comportement » devait être enrichie et reformulée : Plus il y
a de règles, plus il y a de possibilités d’autonomie ! Ce qui est une
réflexion différente du point de départ
4) Les zones d’incertitude sont perçues comme des données objectives ; or ce ne
sont pas des données de départ d’où tout le système découle : les zones
d’incertitude sont aussi stratégiques, c’est à dire construites en retour par
les stratégies
5) La vision du pouvoir n’est plus négative ; c’est un jeu à somme positive ; c’est
un moyen pour permettre aux hommes d’œuvrer collectivement : « toute
structure d’action collective crée du pouvoir pour permettre aux hommes de
coopérer dans des entreprises collectives
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La rationalité limitée et la multirationalité :
La rationalité limitée
 L’acteur est toujours gagnant (de son point de vue)
 c’est le point de vue de l’acteur qu’il est nécessaire de prendre en
considération
 c’est une nouvelle lecture de la rationalité (l’analyse stratégique fait partie du
tournant de la pensée occidentale qui reformule la perspective des sciences
sociales) => depuis Machiavel et jusqu’à Weber, l’intérêt était, par définition,
rationnel
 La rationalité signifiait l’adaptation à une situation, le bon calcul des moyens
pour atteindre les fins
 C’était le scientifique qui avait le monopole d’octroi du la bel de la rationalité
 Désormais, la rationalité de l’acteur apparaît dans le fait qu’il a mis en œuvre
les moyens qu’il estime bon pour atteindre ses fins : il a gagné (de son point
de vue)
 Ce point de vue s’inscrit dans une situation : c’est la nature du jeu qui leur
donne leur rationalité ; c’est un intérêt contextualisé ; ce n’est pas un
intérêt abstrait qui accompagnerait l’acteur indépendamment de ses
différentes insertions sociales.
 Le même acteur a autant d’intérêts différents qu’il joue dans des règles
du jeu différentes.
La décision rationnelle de l’acteur est « satisfactory and not
optimysing »
Dans la vie quotidienne, nous n’avons pas le temps de considérer posément toutes
les options possibles, ni de rassembler toutes les informations nécessaires
 abandon de la rationalité absolue => abandon du principe d’optimisation pour le
principe de satisfaction

 Une théorie « démocratique » ?
La théorie de l’acteur a une portée considérable ; avant, on opposait la direction
aux exécutant. Avec la théorie de la rationalité limitée, tout change : les
dirigeants restent rationnels, mais ils perdent le statut supérieur d’une
rationalité absolue ; du même coup, les exécutant montent en grade : eux aussi
sont rationnels.
 La rationalité n’est pas le privilège des dirigeants
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 L’autonomie de l’acteur
L’analyse stratégique est une sociologie de la liberté : l’acteur est autonome.
Trois idées préciseront se point afin d’éviter toute interprétation déterministe
des règles du jeu :
1) L’influence de la structure est indirecte : La notion de stratégie gagnante
peut induire en erreur puisque l’on peut y lire une totale absence de choix ; il
faut introduire la pluralité des options
2) La capacité d’invention est un autre témoignage de l’autonomie de l’acteur :
tout en s’adaptant aux règles du jeu de son contexte d’action, il les modifie à
son tour par son action
3) Il y a une autonomie par rapport au passé : les acteurs, s’ils veulent gagner,
doivent éventuellement tricher avec leurs principes (réappropriation de leur
passé par les acteur => pas de déterminisme)
 L’origine de la nouvelle théorie
Passage, vers le milieu du vingtième siècle de l’introdéterminisme (l’homme se
donne des objectifs pour la vie, des buts qu’il n’abandonnera pas) à
l’extrodéterminisme (l’homme s’ouvre aux multiples influences de son
environnement de travail).
 L’univers des relations sociales devient changeant, l’acteur doit en
permanence négocier ses orientations avec son environnement immédiat, il ne
peut plus maintenir un cap intangible sur des objectifs définis une fois pour
toutes.
 Émergence de la scène-type de la rationalité limitée, axée sur l’ici et
maintenant et où recule l’exigence d’envisager les buts à longue échéance
La multirationalité
 L’organisation multirationnelle
Il y a eu changement du regard porté sur l’organisation ; nous ne pouvons plus la
considérer comme monorationelle : l’univers du travail est éclaté, morcelé. Il est
en « miettes ». C’est un acquis de la sociologie qui s’énonce aussi au niveau
sociétal depuis le début des années 80.
 L’idée de fragmentation n’exclut pas celle d’une régulation. Au concept de
« l’anarchie organisée » du modèle de la poubelle, l’école stratégique oppose
celui d’une anarchie régulée qui suppose des régularités plus fortes.

L’organisation monorationnelle n’existe pas
13
Il faut abandonner l’idée d’un ensemble intégré par une seule logique telle qu’on
la retrouve dans les analyses tayloriennes et marxistes de l’entreprise ou dans la
conception classique du droit.
=> Dire que que l’organisation est multirationnelle, c’est la considérée comme un
ensemble de sous-systèmes avec leurs propres règles du jeu. C’est redire que
l’organisation est en miettes.
 La sociologie de la décision
Il faut développer la même perspective sur la sociologie de la décision.
 Une action, c’est un ensemble de nombreuses décisions avec des acteurs
évoluant chacun dans leurs petits systèmes spécifiques et à l’intérieur duquel
chacun se donne ses objectifs propres face à ses contraintes et ses
opportunités.
 La décision est en miettes
 Le processus n’est pas comme on le croit en trois étapes : information,
décision et exécution
 On s’informe et on prend des décisions, puis on s’informe encore et pendant
que l’on applique une décision, on change celle-ci, on revient en arrière.
 La décision, ou l’action organisée, sont multirationnelles
Le système stratégique : une interdépendance d’acteurs :
L’idée majeure de système est celle de stabilité d’un ensemble de relations
sociales. Le thème de système évoque l’interdépendance de ses parties : la
relation entre les éléments d’un système est aussi importante que les qualités
propres de chaque élément.
 Proclamer que les acteurs poursuivant leur intérêt constituent une
coopération qui fait système, c’est rompre totalement avec la grande vague
structuraliste des années 60.
 Il y a cependant une visée commune entre le structuralisme et l’école
stratégique : la reconnaissance d’une stabilité des agencements des relations
humaines. Mais il s’agit de deux stabilités différentes : l’une est lourde et
s’impose aux agents et l’autre est construite par les acteurs
 La référence fonctionnaliste renvoyait directement à l’idée de reproduction
(et tel était bien le cœur de la structure du « phénomène bureaucratique ».
Le cercle vicieux bureaucratique en était la manifestation cardinale.
 Plus généralement, la preuve du système stratégique se fera toujours par
la découverte d’un cercle vicieux ou vertueux. Il sera le test d’un premier
parachèvement de la démonstration.
Le réseau de l’action organisé :
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Il y a eu évolution du système stratégique qui est passé de l’organisation au
réseau d’action organisé
 On parle aujourd’hui de sociologie de l’action organisée ; on a renoncer à l’idée
d’une organisation close, que l’on opposait à son environnement.
 C’est la notion de réseau et d’espace ouvert qui est au cœur des réflexions
 Deux critiques de l’unité organisationnelle
1) Il est souvent nécessaire de descendre à un niveau inférieur de l’organisation
formelle pour repérer les liens sociaux qui comptent (on ne fait que
reprendre ici l’idée d’une organisation fragmentée et repérer que le fragment
régulé est l’espace social significatif
2) Il faut déborder les frontières officielles de l’organisation et abandonner la
distinction opposant l’organisation à son environnement (permettait de se
concentrer sur les seules relations internes)
 l’environnement est lui-même fragmenté et ses segments d’environnement
entretiennent des relations spécifiques avec des segments de l’organisation
 c’est cette idée que l’on retrouve dans système politico-local où la « miette
notable-préfet » transcende les frontières officielles et associe un segment
organisationnel (le préfet) et un segment de l’environnement (le notable).
 L’espace du problème à résoudre
Il faut saisir l’espace social significatif où interviennent tous les acteurs qui
coopèrent à la réalisation d’une tâche. C’est l’espace du problème à résoudre.
 Le critère n’est donc pas la règle juridique définissant les participants.
 Il faut identifier tous ceux qui interviennent dans la solution d’un
problème, tous ceux qui détiennent une partie de la solution, c’est-à-dire tous
ceux qui contrôlent une zone d’incertitude dans le processus d’action.
 L’action organisée
Ce concept signifie que l’espace-problème est structuré et qu’il faut découvrir
les formes de la régulation croisée.
Ainsi nous pouvons voir dans l’environnement une pluralité d’organisations et
découvrir des enchevêtrements d’alliances entre fragments d’organisations.
 De nombreuses alliances d’acteurs se superposent et s’entrecroisent.
 Le concept de régulation croisée révèle ici sa fécondité : il postule qu’il y a
une structure d’équilibre entre les différentes « logiques d’actions » ainsi
qu’entre les réseaux d’alliances.

Le marché régulé
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Dans le même sens, le marché n’est pas un espace fluide, il est lui-même
structuré et régulé. Il y a des règles du jeu sous-jacentes qui permettent aux
échangistes de s’engager dans la relation avec une certaine confiance
 Marché et structuration ne s’opposent pas
Le système d’action concret :
Il comprend trois éléments :
1) l’interdépendance dans le système source de reproduction (nous venons de le
voir)
2) l’insistance sur l’action
3) l’élément concret
Une approche centrée sur le problème concret :
Le problème concret, c’est la tâche ou l’ensemble des tâches particulières à
effectuer journellement pour que le travail organisationnel soit fait.
 C’est le problème quotidien posé par le fonctionnement de l’organisation.
 Le problème concret est différent de l’objectif officiel (=> insuffisant pour
déterminer la structure des relations organisationnelles)
 L’approche axée sur le problème concret insiste sur l’idée que le problème à
résoudre se pose dans des termes différents dans chaque lieu
 Le problème est concret en se sens qu’il est lié aux caractéristiques
particulières de la situation. Il s’insère dans un contexte précis, spécifique. Il
est « contingent », c’est-à-dire dépendant d’un contexte, des opportunités
et contraintes (« matérielles et humaines »)
NB : comme l’organisation bureaucratique marche à coup de règlements, le
problème concret se situe là ou il n’y a pas de règlement
 La solution concrète
Un problème est défini comme tel en fonction de la solution qu’on peut lui
apporter. Les deux notions sont solidement liées.
 il ne faut pas croire que les problèmes se posent en premier lieu de manière
objective etqu’ensuite on cherche à les résoudre
 La définition du problème est immédiatement stratégique car elle implique
l’octroi du pouvoir à ceux qui parviennent à imposer leur solution
 Exemple du Monopole : la solution concrète, c’est l’application du règlement
 Groupe concret et coalition concrète
Un problème est défini comme problème et une solution est simultanément
retenue comme solution lorsque les acteurs sont capables de les faire prévaloir
sur d’autres.
16
 exemple du Monopole : c’est l’alliance entre l’ingénieur technique et les
ouvriers d’entretien
 Les coalitions gagnantes sont des coalitions concrètes. Ce n’est pas toujours
ceux qui ont l’autorité officielle de la structure. Leur composition dépend de
la nature du problème concret et des solutions concrètes.
 Une telle sociologie ne peut donner une réponse à priori sur la composition
des alliances
 Les sources de l’approche concrète
Antécédents chez Machiavel et Montesquieu
Dans la pensée sociale, on peut sommairement distinguer deux courant : un
courant plus ouvert à l’histoire et à l’action politique et une tendance plus
sensible aux généralisations et ultérieurement aux modèles formalistes
 Le constructivisme stratégique face aux démarches structuralistes
C’est l’idée de concret qui permet de saisir le mieux ce qui différencie l’analyse
stratégique d’avec les démarches structuralistes
 Les structuralistes offrent des solutions structurelles prédéfinies alors que
le chercheur de l’école stratégique ignore toujours, avant son entrée sur le
terrain, quels sont les acteurs qui façonnent les coalitions gagnantes et
quelles sont les zones d’incertitude pertinentes.
 Une sociologie du local
La démarche concrète est une démarche « locale »
 elle s’inscrit dans le grand virage des sciences qui ont progressivement
compris que les grands facteurs centraux ne rendent compte que d’une partie
de la structuration des ensembles humains et qu’il s’agit avant tout de
reconstituer des ordres locaux.
 Le système concret est un ordre local (on retrouve ici la sensibilité « locale »
de Montesquieu et de Tocqueville => il faut pousser plus loin : qu’est-ce que la
variable nationale, si ce n’est une synthèse provisoire du chercheur pour
rassembler sous un vocable unique bon nombre de variables régionales et
sous-régionales ?)





Marché local et marché fragmenté
Nouvelle approche du marché de l’emploi
Il n’est pas un espace lisse ou se rencontre l’offre et la demande
Le marché est une multiplication de petits marchés
Là où l’analyse économique parlait, jusqu’il y a peu, d’un marché du travail (au
singulier), les sociologues parlent d’une pluralité de systèmes d’action
17
concrets, chacun contrôlé par des coalitions d’acteurs qui cherchent à en
réduire les zones d’incertitude
Les règles du jeu :
Les intérêts organisationnels, objectifs intermédiaires pour l’acteur :
Les nouveaux intérêts organisationnels :
 La recherche d’un gain, d’un avantage
L’acteur est toujours gagnant => on ne s’interroge pas sur le contenu des
objectifs
 On se demande s’il y a eu avancée ou recul
 Ce qui détermine l’acteur, c’est la possibilité d’obtenir un profit
 C’est un comportement qui à toujours deux aspects :
1) Un aspect offensif : la saisie d’opportunités en vue d’améliorer sa situation
2) Un aspect défensif : le maintient et l’élargissement de sa marge de
liberté, donc de sa capacité à agir
 La perspective d’analyse est axée sur l’élucidation des gains, sur le caractère
payant de la stratégie
 L’acteur cherche à accroître ses gains à travers sa participation à
l’organisation
 Il tente à tout instant de mettre à profit sa marge de liberté pour négocier
sa « participation » en s’efforcent de « manipuler » ses partenaires et
l’organisation dans son ensemble de telle sorte que cette « participation »
soit payante pour lui
 L’opportunité
L’acteur est en alerte : il guette des opportunités dans l’ensemble des règles
formelles et informelles
 Mieux encore : l’opportunité saisie le constitue comme acteur dans le jeu
 C’est l’occasion qui fait le larron
 L’acteur, c’est celui qui contrôle une zone d’incertitude
 Un groupe dans une organisation c’est l’ensemble de ceux qui s’emparent d’un
même atout, qui réagisent de la même manière à une opportunité
 La similitude des griefs ou l’affirmation d’objectifs partagés sont beaucoup
moins décisives que l’existence d’un atout commun qu’on peut utiliser
(l’opportunité) et la possession d’une capacité suffisante d’interaction

Une perspective « situationnelle » : les objectifs intermédiaires
18
L’ancienne sociologie avait une vision macro-sociologique, privilégiant l’insertion
dans la société
 l’acteur était vu comme porteur d’un projet qu’il poursuivait au travers de
toutes les vicissitudes de la vie quotidienne
 L’acteur était détaché de l’ici et maintenant : on le définissait en faisant
abstraction de ses insertions locales
 A travers sa rencontre de nombreux milieux, il n’existait comme acteur que
parce qu’il avait une direction
 L’acteur avait des objectifs transversaux à travers tous ces milieux
 Mais, rationalité limitée => comment peut-on encore garder l’image d’un acteur
poursuivant ses objectifs transversaux ?
 Nécessité d’une approche organisationnelle et « situationnelle » qui saisit
l’acteur dans toutes ses implications locales
 Il y a des déplacements des buts, des dysfonctions stratégiques
 Idée de gain qui se rapporte avant tout aux objectifs spécifiques inscrits
dans l’espace structuré des règles du jeu.
 L’acteur n’existe que par ses objectifs intermédiaires (par opposition aux
objectifs transversaux)
 Objectifs intermédiaires => l’acteur n’est pas tenu d’adhérer à la totalité des
objectifs organisationnels
 Ce sont bien les règles du jeu qui produisent ces stratégies et pas un
consensus ; les stratégies tiennent au caractère contraignant des règles du
jeu et pas à un accord sur les objectifs
Les règles du jeu : une structure de moyens (et pas de valeurs) :
 Des arbitraires limités
1) L’acteur poursuit ses objectifs. Pour les atteindre, il a besoin des autres et
ceux-ci ont également besoin de lui pour atteindre leurs propres objectifs. Il
y a une coopération réciproque et intéressée.
2) Cette coopération réciproque et intéressée va produire les résultats
collectifs de l’ensemble organisationnel
3) Dans cette coopération, chacun ne s’engage dans les relations collectives que
parce qu’il n’est pas à la merci de l’autre
 A a une garantie face à B : sa capacité de le contraindre. B a donc une
autonomie limitée car il a besoin de A pour atteindre ses objectifs : il doit
céder quelque chose en échange.
 Les hommes ont trouvé une solution au problème posé par la coopération : un
échange entre deux autonomies qui se limitent. Ce sont les règles du jeu qui
constituent cette structure réciproque des arbitraires
19
 L’acteur, qu’il le veuille ou non, en poursuivant ses propres objectifs,
réalise à la fois ceux des autres et aussi ceux de l’ensemble.
 Il doit tenir compte des exigences et des règles prévalant dans les jeux qui
se jouent dans l’organisation, et ainsi, contribuer indirectement à
l’accomplissement des objectifs de celle-ci
 L’accent mis sur les moyens et la nouvelle sociologie des intérêts
Il est impossible d’atteindre ses objectifs directement => l’on doit passer par les
autres et leurs objectifs
 c’est toujours indirectement, par ricochet, que l’on réalise ses objectifs
 Du fait de la présence de l’autre, les objectifs sont infléchis, ils deviennent
des objectifs intermédiaires
 Les règles du jeu constituent une structure d’objectifs intermédiaires.
 Les objectifs intermédiaires sont des moyens offerts pour réaliser ses
espoirs
 Tel est l’explication crozérienne de la structure : l’organisation n’est aps un
chaos car les relations entre les acteurs connaissent la stabilité : elles sont
structurées par cette limitation réciproque desarbitraires que permet la
coopération.
 L’analyse crozérienne est une sociologie des intérêts ; elle ne fait pas
intervenir les valeurs des acteurs pour comprendre leurs actions => Les
objectifs intermédiaires sont suffisants pour expliquer leur mobilisation
 Comparaison avec Durkheim : Les intérêts sont instables, il faut donc postuler
des croyances communes qui encadrent les intérêts => Crozier, au contraire,
fait observer deux choses : il y a une régulation des intérêts ; l’intérêt est
organisationnel (et intermédiaire) et non sociétal ( et transversal)
 Les contraintes et les objectifs
L’acteur choisit ses objectifs en fonction des moyens ; c’est-à-dire des
ressources dont il dispose et des contraintes auxquelles il doit faire face
 Nous ne savons pas à l’avance qu’elles sont nos véritables préférences
individuelles et il vaut mieux se réserver la possibilité d’apprendre
 Crozier précisera ultérieurement la position qu’il accorde à l’objectif : « On a
une certaine vision de la direction que l’on veut prendre. Mais d’abord et avant
tout, on va apprendre en marchant »
 Apprendre en marchant, c’est travailler sur les contraintes
 On retrouve l’idée d’un acteur rationnel par rapport aux contraintes des
règles du jeu : ce sont les jeux qui rendent rationnelles les stratégies des
acteurs
20
 Une structure de moyens et un résultat social partiellement inattendu
Il ne faut pas postuler une coïncidence entre l’organisation sociale et la volonté
des acteurs dominants
 Le résultat de l’action ne correspond pas nécessairement aux intentions
voulues des acteurs.
 Il y a des conséquences inattendues, imprévisibles et contraires aux buts
poursuivis (ex : cercles vicieux)
 Les hommes sont les prisonniers des moyens qu’ils ont utilisés pour régler leur
coopération
 Une réinterprétation de la structure juridique
Pourquoi donner la priorité à la structure formelle ?
 il faut reconnaître que les rapports de pouvoir sont partout, que tout le
champ social est structuré par eux et que la structure formelle vient en
cristalliser un aspect limité
 La structure formelle n’est rien d’autre qu’une codification des règles du jeu
qui ont prévalu dans le système d’action sous-jacent à l’organisation
 La structure juridique est une conséquence => ce retournement à des
répercussions profondes sur le statut même que l’on accordera à tout ce qui
constitue la structure formelle d’une organisation ; de fait, celle-ci n’a plus ni
existence ni rationalité propre.
 Le flou et le détournement
C’est la notion de flou qui rend le mieux compte de la vie des hommes : les
acteurs opèrent dans le flou.
 Détournement = réappropriation par l’acteur, en fonction de ses objectifs
propres, des politiques de l’organisation.
 Le flou est indispensable pour faire émerger les problèmes et élaborer un
consensus sur leur réalité
 L’expérience montre qu’il est beaucoup plus facile de faire émerger un
consensus sur les problèmes que sur les solutions
 La vie des organisations, le gouvernement des hommes ne supporte pas la
clarté totale ; ils ont aussi besoin d’ombre, d’arrangements informels,
occultés et donc instables ; c’est bien la structure parallèle qui l’emporte sur
la structure formelle
 La régulation croisée
Le terme de régulation renvoie d’abord et avant tout à une idée d’équilibre
stratégique. L’idée d’équilibre est associée à celle d’effets contre-intuitifs qui
21
signifie que les dysfonctions « stratégiques » concourent à la reproduction du
système.
 La régulation stratégique est une régulation croisée qui ne doit pas être
confondue avec la régulation conjointe qui est celle d’une communauté de
projet
Les capacités culturelles :
Critique de la conception classique des valeurs :
Les croyances des ouvrières de production du Monopole étaient stratégiques
 elles n’étaient pas un reflet du passé, mais une anticipation d’un futur possible
Deux objections à l’approche classique de la culture :
1) Mise en question du thème des valeurs communes : le thème des valeurs
communes et homogènes n’est pas nécessaire pour expliquer le
fonctionnement du jeu social. Parler de flou, c’est introduire la perspective de
l’individualisme méthodologique contre un holisme facile et rapide. Déclarer
qu’il y a une totalité culturelle, c’est déjà prendre pour acquis ce qu’il faut
expliquer => le collectif doit toujours être expliqué quant à ses mécanismes
de constitution et de maintien (=> la voie est interactionniste : l’expérience
passée des acteurs, leurs valeurs et attitudes ne disparaissent pas, elles
conditionnent notamment pour une bonne part la perception que les acteurs
auront des opportunités des jeux, et surtout elles structurent leurs capacités
à s’en saisir)
2) Interrogation sur la manière dont le passé influence les acteurs : Le passé n’a
pas un sens univoque qui s’impose à tous ; il faut s’intéresser au processus : le
passé peut être interprété et réinterprété par chacun des acteurs => c’est le
thème de la réappropriation
Les opportunités et le passé
« C’est l’occasion qui fait le larron, et non pas l’histoire passée »
 Dans la balance entre les opportunités et le passé, c’est le premier élément
qui l’emporte
 On reconnaît la prégnance du futur , des opportunités présentes et futures
que l’acteur voit dans les jeux qu’il joue et en fonction desquelles il oriente
ses stratégies.

Un passé sélectionné ?
22
Les valeurs transmises ne constituent pas un bloc homogène qui s’impose aux
acteurs
 Parmi ses expériences passées, l’acteru va prendre appui sur celles d’entre
elles qui lui paraissent plus significatives dans la situation qu’il affronte. Les
opportunités dont il va s’emparer, il les justifiera à coups d’arguments de
légitimité qu’il puisera dans son corpus d’expériences. C’est une attitude
sélective.
 Il faut y voir une attitude innovatrice : la situation oblige les acteurs, s’ils
veulent gagner, à éventuellement tricher avec leurs principes
 L’ancienne séquence temporelle est bousculée : hier, l’analyse partait des
valeurs et celle-ci légitimaient le choix de la conduite ; aujourd’hui
l’opportunité ouvre la voie à une action qui, ensuite (ou simultanément) se
réfère à tel ou tel registre de justification.
 La reconstruction permanente des objectifs
La sociologie classique inscrivait les stratégies dans des orientations valorielles
plus englobantes qui assuraient une continuité et une cohérence aux multiples
décisions que prenait l’acteur sur les diverses scènes où il jouait.
 La théorie des opportunités proclame que l’acteur se constitue et se découvre
dans l’action. Il n’a que rarement des objectifs clairs et encore moins des
projets cohérents
 On retrouve la rationalité limitée : en retenant une solution considérée
comme satisfaisante, l’acteur découvre opportunément de nouveaux objectifs
(intermédiaires)
 Les orientations satisfaisantes de l’acteur se définissent par rapport aux
moyens : il n’est pas rationnel par rapport à des objectifs ; il est rationnel par
rapport à des opportunités et au contexte qui les définit ; il est rationnel par
rapport au comportement des autres acteurs et aux jeux qui s’établissent
entre eux.
 Les moyens sont plus importants que les fins : les fin (transversales et
modelées par les valeurs) ne sont pas les déterminants de l’action ; ce sont les
objectifs intermédiaires (offerts par les moyens que sont les règles du jeu)
qui l’emportent sur les objectifs transversaux
 La ressource culturelle
Trois observations :
1) Une culture n’est pas un ensemble intégré : plusieurs éléments hétérogènes
cohabitent et constituent des ressources de légitimité mobilisables au gré
des projets de l’acteur
2) Les cultures peuvent être travaillées, réaménagées et faire l’objet d’un
véritable apprentissage
23
3) La culture n’est plus cet univers de valeurs et de normes incarnées et
intouchables
Le primat de l’action :
 Stratégie et projet
Affirmer le primat de l’action, c’est mettre le concept de projet au cœur de
l’analyse
 la grande maxime de l’homme démocratique : « ne prendre la tradition que
comme un renseignement » est au cœur de la vie de l’homme d’aujourd’hui.
 L’action est motivée par une visée ; l’action est mue par les problèmes à
résoudre.
 Un parti-pris constructiviste
L’action définit l’acteur, l’acteur se construit dans l’action.
 L’acteur se constitue par les réponses créatrices qu’il apporte et c’est
dans l’action qu’il se crée ; ses choix sont liés au défi de la situation à
résoudre et ne la précèdent pas ; les acteurs mettent en œuvre localement la
contingence.
 C’est bien une perspective constructiviste que prône cette sociologie ; tout
est jeu, interprétation, opportunité, stratégie
 L’immanence : pour un schéma endogène
Une conception de l’acteur produisant ses valeurs et ses préférences rompt aussi
avec la distinction classique entre facteur exogène et facteur endogène
 en décidant de l’orientation de leurs conduites, en construisant des projets et
en négociant leurs valeurs, les acteurs endogénéisent tous ces facteurs
culturels (=>la nature humaine est sociale)
Un mixte stratégico-identitaire :
Les valeurs sont privées de tout statut extérieur, antérieur à l’action. Elles ne la
surplombent pas
 la vision classique qui opposait intérêts et valeurs doit être abandonnée
 Le raisonnement de l’autonomie du symbolique (V=>V=>I) ne peut plus être
soutenu dans sa formulation classique, c’est-à-dire à priori
 Tout est question d’études concrètes, d’examen de situations locales ; et ce
sont parfois les règles du jeu, parfois les identités, qui entraînent l’action
24
 Il faut renoncer à ce qui ressemble à un schéma de causalité unilinéaire
privilégiant d’office le jeu des valeurs qui encadreraient les intérêts
 Il faut retenir un schéma de causalité systémique, un schéma d’enchaînement
réciproque et circulaire
 La signification profonde de larationalité limitée
Le primat de l’action et la rationalité limitée sont intimement liés.
 La rationalité limitée est le concept-clé fondant une telle vision systémique
des intérêts, des préférences et des valeurs
 C’est une rationalité qui intègre toutes les limites (cognitives, affectives,
culturelles, idéologiques, etc) que les travaux sur la théorie des choix ont
lises en évidence
 C’est un des apports majeurs de la sociologie des organisations d’avoir mis en
question la distinction wébérienne trop automatique entre rationalité
instrumentale et axiologique
 L’analyse organisationnelle fait apparaître que très souvent un objectif qui
était initialement traité comme moyen se trouve, soit en raison de du blocage
du processus, soit en raison des avantages inattendus qu’il nous a procurés,
infiniment valorisé
25
La négociation valorielle :
La problématique des valeurs dans la sociologie classique doit être réévaluée ; la
négociation est un concept central dans la sociologie contemporaine, concerne-telle les valeurs ?
La réponse ne peut être qu’affirmative dans le cadre d’une perspective théorique
axée sur l’immanence (mais peut-on s’arrêter à la théorie « élargie » de l’intérêt
que réclame Friedberg sans distinguer au sein du mixte stratégico-identitaire,
entre l’intérêt stratégique et l’intérêt symbolique ?).
La recherche à produit des résultats depuis vingt ans, nous montrerons que ces
théories sont au cœur de la problématique de la reconnaissance qui est tout à
fait centrale aujourd’hui.
A travers une étude de cas, nous focaliserons notre attention sur l’intervention,
caractéristique post-industrielle : la formation et l’intervention permettent aux
acteurs d’agir sur leur propre fonctionnement ; l’intervenant pouvant revendiquer
une légitimité scientifique, nous devrons faire le point sue la notion d’espace
public sociologique.
Nous prolongerons en analysant les concepts de plausibilité et de vraisemblance
qui sont au cœur de la négociation avec l’intervenant (la problématique de la
reconnaissance est celle de la vraisemblance.
Ensuite, nous devrons dégager les trois scènes différentes où l’identité se
remodèle : l’identité argumentative, narrative et maussienne.
La problématique de la reconnaissance : la pluralité des légitimité :
26
La reconnaissance et l’action :
Deux conceptions successives des valeurs :
1) Données par Dieu, l’Esprit ou le Progrès : issues du « suprasensible ».
2) Crées dans l’action (une des propositions les plus centrales de la sociologie
contemporaine)
 La reconnaissance devient un concept-clé de la problématique identitaire
(identité = valeur enjeux).
La reconnaissance de la division du monde en proie aux conflits et au
pouvoir :
 Action au cœur de la réflexion => idée d’un monde divisé auquel les valeurs
suprasensibles ne peuvent plus apporter une unité (avec elles disparaît la
tradition)
 Première apparition de ce thème de la reconnaissance avec Hegel en 1789 :
Les valeurs communautaires ne sont plus partagées ; il voit dans la
révolution française les signes d’une dialectique du maître et de l’esclave,
élaborant la première théorie de la reconnaissance.
 Dès l’origine, reconnaissance et conflit, identité et lutte sont des concepts
associés.
L’absence d’une sociologie de la reconnaissance avant 1970 :
Ce ressurgissement serait lié à l’effacement de systèmes sociologiques qui
avaient prolongé une certaine vision homogénéisante de la société (structurofonctionnalisme et marxisme) ; c’est-à-dire des sociologies de distribution de
rôles.
 Parler de rôle, ou de systèmes de rôles, revient à résoudre automatiquement
la question de la reconnaissance.
 Depuis lors, une nouvelle vision de la production culturelle s’est imposée dans
les discussions.
 L’identité n’est plus un donné, elle est action, elle est un travail.
 Dans un tel contexte de fragmentation culturelle, la reconnaissance est un
enjeu fondamental ; l’identité ne va plus de soi, le sens commun n’est plus
donné d’avance.
La pluralité des légitimité :
Le thème wébérien d’une fragmentation culturelle se présente différemment aux
sociologues actuels, aujourd’hui, l’analyse porte sur les articulations entre les
champs, comme si la différentiation wébérienne devenait une dédifférentiation.
Les champs ne sont plus pensés dans leur isolement : ils sont rapprochés, il y a
des interpénétrations et la reconnaissance se situe à cet endroit.
27
Jusqu’il y a peu, on avait une représentation du fonctionnement social qui
renvoyait le monde des travailleurs dans la clandestinité (ex : l’expertise des
ouvriers d’entretien n’a d’existence qu’à la condition d’être souterraine).
 La problématique de la reconnaissance est le signe d’un tournant de société :
les mondes subordonnés veulent conquérir une légitimité officielle et
sortir des structures parallèles et informelles.
La communauté de projet et la régulation conjointe :
Le concept clé d’une sociologie des valeurs est celui de communauté, tandis que
celui de coalition est le lieu de la sociologie d’un rassemblement d’intérêts.
Pour Nisbet, toute la sociologie du XIXe siècle se dresse contre la philosophie
contractualiste des lumières : la communauté aurait un caractère holiste et
même « réactionnaire » ; elle s’inscrit dans une opposition binaire.
 L’enjeu théorique contemporain est le nouveau statut à donner au concept de
communauté.
 La négociation est un phénomène central de la vie en société => les règles ne
sont-elles qu’instrumentale et totalement soumises aux stratégies des
acteurs ?
 Non, les règles ont un caractère de contrainte, mais ces règles ne sont pas
fixées une fois pour toute, elles sont l’objet d’une régulation.
 L’hypothèse d’une conscience collective interdit à Durkheim de penser une
conception de la production des règles et des valeurs plus appropriée à la
fragmentation du social ; elle exclu qu’une règle commune soit un compromis
ou une accomodation entre des groupes rivaux.
 C’est pourtant cette conception de la régulation qui nous paraît seule rendre
compte de la réalité de la contrainte sociale ; la règle est le fait social par
excellence, à condition d’ajouter que l’activité de régulation est un enjeu
social.
 Nouvelle conceptualisation de la communauté : ce qui défini le groupe social,
ce n’est pas le fait d’être ensemble (communauté dont émaneraient ensuite,
comme d’une réalité transcendante, les règles particulières à un domaine),
c’est au contraire une finalité, une intention, une orientation d’actes, un
projet.
 Une communauté n’est pas faite de simples voisins, mais d’associés dans une
entreprise sociale.
 Pour qu’il y ait changement, il faut que les acteurs sociaux trouvent la force
d’agir au-deelà des stratégies et des règles établies.
La théorie de Sainsaulieu :
« La force qui, dans les relations humaines, permet d’accéder à la
rationalité »
28
Perspectives générales :
Une culture liée aux relations de pouvoir :
L’expérience des relations de pouvoir est source d’un apprentissage de soi et de
sa place dans le monde, mais la lutte pour le pouvoir n’est pas une fin en soi.
 Les sociabilités sont prééminentes (Ex de l’ouvrier d’entretien : l’analyse ne
peut se résumer à dire qu’il est gagnant, il faut prendre en considération sa
façon d’être gagnant et l’attachement qu’il manifeste à l’égard de sa
compétence : le travail est une valeur ; parler de travail bien fait, c’est
évoquer tout un ensemble de rapports humains fondés sur la compréhension
mutuelle, la discussion démocratique et le refus de l’autorité arbitraire
imposée de l’extérieur).
 Ces valeurs relationnelles illustrent bien la sociabilité particulière que
manifestent les ouvriers d’entretien au travail ; elles sont constitutives d’une
identité que Sainsaulieu appellera « Identité négociatoire ».
 L’intérêt du concept d’identité de Sainsaulieu est d’articuler une sociologie du
pouvoir avec une sociologie culturelle.
 Il s’inscrit anticipativement dans la perspective théorique du « mixte
straégico-identitaire » qui renonce à une approche idéaliste privilégiant un
cheminement des représentations de soi et du monde mené en toute
indépendance à l’égard de la logique des intérêts.
 Il entend ancrer la production de ces représentations dans l’expérience des
relations de travail et de ses relations de pouvoir sans les interpréter comme
des idées-conséquences ou des idéologies.
Un apprentissage culturel : les cultures ne sont pas que transmises :
La culture ne fait pas que se transmettre ; la socialisation est un processus
permanent, et un de ses lieux le plus important est le monde du travail, source
d’apprentissage culturels nouveaux.
La reconnaissance : le désir, la culture et la lutte :
Les trois termes sont posés et reliés dans une association forte : une sorte de
lien indissoluble associe le désir, la violence et la raison.
 Adapter la reconnaissance de son désir, c’est être reconnu dans son droit de
désirer, être reconnu par les autres comme détenteur d’un désir autonome.
 Pour Durkheim, le désir était un intérêt devant être régulé par la conscience
collective, pour Sainsaulieu, s’est une valeur relationnelle issue de l’expérience
de travail.
 Se découvrir comme « auteur d’une rationalité propre » est la dimension
cognitive de la reconnaissance ; cette action cognitive est celle de la
29







production de sa différenciation, de la sorite de la fusion avec d’autres pour
se définir par rapport à eux.
La reconnaissance de soi comme différent des autres se réalise à travers le
conflit ; seul la présence sociale d’autres permet d’accéder à la
reconnaissance de son propre désir, l’accès à la conscience de soi s’opère dans
la dialectique du maître et de l’esclave
Admettre l’hypothèse d’une lutte véritable, c’est accepter l’idée que la
domination de l’autre par soi peut conduire le sujet à la découverte de luimême au travers de l’expérience de sa puissance et pas seulement de son
aliénation au désir de l’autre.
C’est parce qu’il y a effectivement risque de mort et de violence dans toute
mise en relation de désirs que le sujet peut sortir vainqueur de cette lutte et
du même coup faire reconnaître la pleine autonomie de son sens.
En conclusion ; le concept d’identité désigne cette part du sujet qui réagit en
permanence à la structure du système social ; il exprime cette quête de force
que l’on trouve dans les ressources sociales du pouvoir pour arriver à la
possibilité de se faire reconnaître comme détenteur d’un désir propre.
Ce sont les perspectives sociales de cette quête de force qui ouvrent au sujet
la moyen d’être rationnel par rapport à son expérience.
Le concept d’identité désigne donc à la fois la permanence des moyens sociaux
de la reconnaissance et la capacité pour le sujet à conférer un sens durable à
son expérience.
Désireux d’être, le sujet ne trouve cette plénitude que dans les moyens
sociaux de codifier son expérience.
La typologie de Sainsaulieu :
Des positions différenciées de reconnaissance :
L’expérience des relations de pouvoir dans les organisations est très
différenciée et l’accès à ces positions offre des possibilités de reconnaissance
différentes => ce sont des valeurs relationnelles différentes qui seront
produites.
 Il y a des conditions sociales différentes de lutte, il y a des positions qui
offrent plus d’atouts dans la bataille de la reconnaissance.
 Dans l’expérience des relations humaines conflictuelles, il y a un accès inégal à
l’identité du sujet, car les moyens d’y obtenir de la reconnaissance n’y sont
pas répartis de la même façon.
Les identités de Sainsaulieu : des « règles du jeu culturalisées » :
Les règles du jeu organisationnel permettent, à travers l’expérience du pouvoir
que l’on traverse, de découvrir en groupe son identité collective.
30
 L’identité adjoint une dimension supplémentaire à cette expérience du
pouvoir, une dimension culturelle qui exprime le mode de sociabilité
concomitant et le système de prise de décision qui l’accompagne.
 Le système de prise de décision n’est pas qu’un instrument comme l’entend
l’analyse stratégique : il est investi culturellement parce qu’il définit la
spécificité de l’acteur dans le jeu social et fonde sa reconaissance face aux
autres.
 Les identités sont bien des « règles du jeu culturalisées ».
Les normes professionnelles :
Les identités ne sont pas le fruit d’une construction rapide et impressionniste ;
elles reposent sur une structuration de plusieurs éléments constitutifs dont
l’élaboration est très affinée ; il faut prendre en compte quatre thèmes à propos
des normes professionnelles :
1) les relations entre collègues
2) les relations à l’intérieur des groupes
3) les relations face à l’autorité
4) les relations face au leader informel
C’est quatre thèmes ne sont pas sélectionnés au hasard, ils s’inscrivent dans une
conceptualisation des identités comme règles du jeu culturalisées.
Alter a proposé une formulation très synthétique de cette démarche dans le
tableau suivant :
Négociation
Fusion
Mobilisation
Retrait
Représentation
s
L’entreprise
L’atelier
La carrière
La tâche
Normes/Collèg
ues
Démocratie
Unanimisme
Affinités
Compromis
Normes/Autor
ités
Leader
Chef
Parrain
Chef
Valeurs
Le travail
Le groupe
L’avenir
L’extérieur
Exemple : Le cas de l’ouvrier d’entretien du Monopole, porteur d’une identité
négociatoire. Analyse stratégique : il est acteur car il contrôle la zone
d’incertitude des pannes ; analyse identitaire : le contrôle d’une zone
d’incertitude est relié à la reconnaissance d’un savoir et, au Monopole, la
complexité de se savoir est associée à la valorisation d’un débat entre égaux :
d’un côté, c’est la valeur-travail et, de l’autre, les normes de solidarité
démocratiques.
Mais ceci n’est qu’un exemple, celui d’une strate du Monopole. L’intérêt des
travaux de Sainsaulieu est d’avoir dépassé le schéma bipolaire, distinguant deux
conceptions du travail :
31
1) purement instrumentale : le travail comme source de rémunération
2) l’engagement dans le travail, l’implication qui prolonge la piste wébérienne de
la mission calviniste.
 Il a dégagé, à côté de ces extrême (la culture du métier et le retrait)
d’autres types de valorisation ; il a conceptualisé la valorisation de la règle, et
encore l’esprit de maison qui ont permis d’affiner l’analyse.
L’organisation pluri-identitaire :
A l’analyse stratégique de la multirationalité fait échos l’analyse multi-identitaire
de Sainsaulieu.
La régulation culturelle du Monopole reposait sur une même attitude culturelle :
l’évitement des relations face-à-face. C’est ce que Sainsaulieu a retraduit dans
ses propres termes d’analyse : toutes les strates partagent une même valeur ;
mais à côté, il faut être capable de voir que l’organisation est un assemblage de
modèles identitaires différents.
La dynamique norme-valeur :
Le cadre posé, il faut distinguer les éléments culturels constitutifs du champ
identitaire qui paraissent s’articuler autour de deux notions : les normes et les
valeurs.
 Les normes de relation sont bien souvent l’expression directe de valeurs
générales antérieurement acquises ; elles viennent de l’expérience acquise
des relations de travail, elles sont transmises ; il s’agit d’une culture reçue.
 Les valeurs, par opposition aux normes, ne sont pas la rationalité antérieure
du sujet ; elles sont aussi la réponse créatrice, la révision de la rationalité du
sujet pour affronter une expérience nouvelle.
 Enfin, il faut distinguer les valeurs de l’idéologie : l’idéologie est la fausse
conscience, elle masque la réalité des rapports de force ; l’accès aux valeurs
est de l’ordre de l’éruption de la conscience dans les rapports humains.
La théorie de Dubar : Savoirs et trajectoires :
Les formes identitaires : savoirs et trajectoires :
Il s’agit d’un concept global qui ne se limite pas au seul champ professionnel.
 L’identité professionnelle ne se confond pas avec l’identité sociale même si
elle entretient des rapports étroits avec elle : la première renvoie au domaine
de l’emploi et des activités économiques alors que la seconde concerne le
statut social ; la notion de forme identitaire englobe ces deux aspects
essentiels.
La doubles transaction :
32
L’originalité du concept de forme identitaire tient à la volonté de distinguer un
processus « relationnel » d’un processus biographique dans la constitution de
l’identité.
 Le processus relationnel prend place sur un espace dit de transaction
objective entre les identités disponibles sur le « marché de la
reconnaissance » et celles assumées par les acteurs. Fondamentalement, cet
espace donne lieu à une « expérience relationnelle et sociale du pouvoir » ;
cette expérience du pouvoir peut se réaliser en différents lieux.
 Sur cet espace, il situe les analyses de Sainsaulieu : « on peut, avec
Sainsaulieu, faire l’hypothèse que l’investissement privilégié dans un espace
de reconnaissance identitaire dépend étroitement de la nature des relations
de pouvoir dans cet espace et de la place qu’y occupent l’individu et son
groupe d’appartenance.
Dubar
Identité attribuée
Sainsaulieu
Identité prescrite
Transaction objective
Identité assumée
Identité apprise
Identité visée
Transaction subjective
Identité héritée
Identité transmise
Par contre, le sentiment de continuité de sa carrière que construira l’acteur à
travers toutes les évolutions de sa trajectoire fera l’objet d’une transaction
subjective entre les identités héritées et visées.
 Il y a donc une très forte insistance sur l’aspect subjectif et biographique de
la construction identitaire et, plus généralement sur les aspects historiques
et diachroniques.
 « On voit la nécessaire articulation des deux processus identitaires qui
viennent d’être définis. Si le processus biographique peu se définir comme
une construction dans le temps par les individus d’identités sociales et
professionnelles à partir des catégories offertes par les institutions
successives et considérées à la fois comme accessibles et valorisantes ; le
processus relationnel concerne la reconnaissance, à un moment donné et au
sein d’un espace déterminé de légitimation, des identités associées aux
savoirs, compétences et images de soi proposées et exprimées par les
individus dans les systèmes d’action. L’identité sociale n’est pas « transmise »
33
par une génération à la suivante, elle est construite par chaque génération sur
la base des catégories et des positions héritées de la génération précédente
mais aussi à travers les stratégies identitaires déployées dans les institutions
que traversent les individus et qu’ils contribuent à transformer réellement ».
 Pour Dubar, cette distinction n’est pas anecdotique, elle renvoie à une
hypothèse forte en sociologie, celle du dualisme du social, ainsi qu’à deux
traditions théoriques de la socialisation : celle de Durkheim pour la mise en
évidence de l’axe temporel et celle de Weber pour l’axe relationnel.
L’ambition de Dubar est d’articuler ces deux traditions.
Une transaction objective prépondérante ? :
Dubar accorde une importance plus grande au champ de la transaction objective
dont « dépendrait » la transaction subjective.
 cette priorité donnée à l’axe structurel entraîne une conceptualisation de la
forme identitaire comme structure culturelle dotée d’une certaine stabilité :
« Les individus acquièrent et construisent une forme identitaire au début de
la vie active qui se reproduit durant tout le cycle de la vie ».
La typologie des formes identitaires :
Le croisement des deux axes produit quatre formes identitaires :
Transactions relationnelles
Transaction
biographiques
Reconnaissance
Non-reconnaissance
Continuité
Identité d’entreprise
Identité catégorielle
Rupture
Identité de réseau
Identité de hors travail
Les savoirs :
 Dubar privilégie l’axe cognitif dans la constitution des formes identitaires
(« dans un monde complexe, traversé par les mutations, ces cohérences
cognitives indispensables pour affronter les changements … constituent le
noyau dur des identités revendiquées »).
 C’est une perspective différente de l’analyse stratégique, qui voit dans le
savoir un système de règles qui permet de rendre prévisible le comportement
d’autrui ; ici, le savoir n’est pas associé à une capacité stratégique mais est au
cœur du processus identitaire.
34
Il faut donc repérer quatre types de savoirs porteurs des quatre formes
identitaires :
1) Les savoir pratiques : issus directement de l’expérience de travail (non reliés
à des savoir théoriques ou généraux), ils sont constitutifs d’une identité qui,
associée à une logique instrumentale du travail pour le salaire (AVOIR), ce
heurte au nouveau « modèle de la compétence » diffusé dans les entreprises.
2) Les savoirs professionnels : impliquant des articulations entre savoirs
pratiques et savoirs techniques, ils sont aux centre de l’identité structurée
par le métier et aujourd’hui bloquée dans sa consolidation ; associé à une
logique de la qualification dans le travail (FAIRE), cette identité est
aujourd’hui appelée à se reconvertir ou à se structurer en fonction de ces
normes nouvelles de compétence.
3) Les savoirs d’organisation : impliquant d’autres articulations entre savoirs
pratiques et théoriques, ils structurent l’identité d’entreprise impliquant
mobilisation et reconnaissance ; associée à une logique de la responsabilité
(ETRE), cette identité est aujourd’hui valorisée par le modèle de la
compétence, tout en devenant encore plus dépendante des stratégies
d’organisation.
4) Les savoirs théoriques : non reliés à des savoirs pratiques ou professionnels,
ils structurent un type d’identité marqué par l’incertitude et l’instabilité et
fortement tendu vers l’autonomie et l’accumulation de distinctions culturelles
(SAVOIR) ; associée à une logique de la reconversion permanente, elle est à
la fois le produit et la cible des incitations à la mobilisation fortement
développées par les entreprises actuelles.
Une hypothèse stimulante : une mutation identitaire ? :
 Dubar s’interroge sur l’évolution contemporaine des identité, car les choses
ont changé depuis les premières recherches de Sainsaulieu.
 Deux réflexions :
1) La première piste consiste à garder la conceptualisation générale et à
innover uniquement dans l’élucidation de nouvelles identités ; c’est la piste
suivie par Piolet et Sainsaulieu (1994) ; Dubar fait de même lorsqu’il
découvre une forme identitaire nouvelle qu’il appelle « catégorielle » qui
renvoie à une situation de blocage dans l’entreprise.
2) L’expérimentation identitaire : l’autre voie conduit à reprendre la
conceptualisation et à se demander si l’on assiste pas à un autre mode de
façonnement identitaire dans nos sociétés contemporaines. C’est un des
concepts clés des formes identitaires de Dubar : l’espace des possibilités de
reconnaissance de soi qu’offre la société est en pleine mutation. Les
catégories officielles ne correspondent plus à l’expérience vécue des
acteurs.

35
 Il y a là un trait structurel nouveau constitutif du processus d’accès à
l’identité.
 Dubar suggère que, par rapport à la typologie des années 1970, il s’agit
davantage d’un moment d’expérimentation de définition de soi et des
autres dans un contexte où les anciennes catégories officielles perdent
de leur pertinence.
 Le recours au concept de formes identitaires renvoie au constat de crise
de pertinence des catégories sociales officielles dans le champs
professionnel.
 Avant que de nouvelles catégories légitimes s’imposent éventuellement,
les formes identitaires permettent l’expérimentation de définitions de
soi et d’autrui plus pertinentes que les anciennes catégories officielles.
 Les recherches récentes de Dubar sur les notions de compétence et de
qualification viennent conforter ces intuitions sur le tournant pris par la
notion d’identité.
 Ce « modèle de la compétence » est inséparable d’une conception faisant de
l’entreprise une instance de socialisation.
 L’enjeu crucial est d’assurer la construction, la valorisation et la
reconnaissance sociale, ce qui implique la dévalorisation ou la neutralisation
des autres formes identitaires salariales issues de la période précédente ou
construites en dehors de l’entreprise sur des bases individualistes.
L’oscillation identitaire (Vrancken et Dubet) :
 Dubet part des trois éléments constitutifs de la définition de l’identité :
1) L’appartenance communautaire
2) La visée stratégique
3) La subjectivation
 La nature de leurs rapports ne s’est-elle pas modifiée aujourd’hui ?
 L’analyse du comportement des jeunes dans « La galère » est fondatrice
d’une théorie qui va se préciser avec le temps : la « rage » voisine avec des
attitudes de recherche d’opportunités et de repli commuanutaire.
 Le même acteur fait l’expérience permanente de ces glissements d’un principe
de conduite à l’autre.
 L’hypothèse de l’oscillation trouve ses racines dans le contexte
macrosociologique avec l’écroulement du modèle social-démocrate que le
mouvement ouvrier avait construit au niveau national et local. Mais plus
fondamentalement, l’ébranlement de la social-démocratie renvoie à la mise en
question de l’idée même de société (issue de la sociologie classique), où un
état national articulait une communauté, un marché et une culture.
Aujourd’hui, les communautés sont nationales, le marché est international et
la culture est celle des individus.
36
C’est également cette idée d’oscillation identitaire que rejoint Vrancken
(1995) dans son étude consacrée à l’hôpital ; pour lui, les modèles identitaires
de Sainsaulieu demeures pertinents pour analyser les traits saillants des
modes de représentation collectifs au travail ; toutefois, ils n’émergent plus
de manière aussi discriminante.
 Il observe un véritable « syncrétisme identitaire » caractérisant une pluralité
de modes d’inscription dans l’univers du travail.
 C’est modèles aux frontières symboliques perméables sont désormais
qualifiés de « transgressables », révélant par là une nouvelle compétence de
l’acteur : celle de son « indocilité », voire de son « impertinence » en regard
des catégories sociologiques.
 Cette mutation pose, avec la subjectivation des relations de travail, un
questionnement éthique : le patient est de plus en plus saisi en tant que sujet
de la relation de soin.

L’intervention et les trois scènes identitaires :
L’espace du tiers et la création identitaire :
L’espace du tiers est un système spécifique de relations sociales qui organise la
rencontre entre des acteurs professionnels et un intervenant. Le point important
est que les acteurs sortent (en partie en tous cas) de leurs règles du jeu et
suspendent leurs relations de pouvoir durant la rencontre avec le tiers.
Les différentes modalités d’intervention du tiers :
 Dès les années 50 déjà, la théorie sociologique a montré que l’évolution
identitaire se faisait avec l’aide d’un accompagnant social.
 Ce tiers peut être formé ou non aux sciences sociales. Notre société postindustrielle a créé les rôles d’intervenant et de formateur ; il s’agit d’un trait
essentiel de nos fonctionnements actuels qui témoignes de la présence de la
légitimité scientifique dans la constitution des identités.
 Cette observation signifie qu’il faut procéder à une typologie des situations
de débat avec, d’une part, un caractère public lié à une confrontation avec la
science et, d’autre part, l’absence d’une telle confrontation.
 Sociologiquement, le champ de l’intervention est bipolaire, privé à une
extrême et « espace public » (sociologique) à l’autre.
Un espace public sociologique :
 C’est la présence d’un référent externe (sociologue ou psychologue) qui
permet la confrontation des attitudes des professionnels à la science.
37


Le rôle de l’intervenant a été peu étudié dans une perspective de création
identitaire ; la tradition wébérienne et durkheimienne a surtout mis l’accent
sur l’effervescence charismatique comme moment de création.
Nous nous appliquerons à montrer que l’innovation ne se limite pas à un
moment d’effervescence, mais qu’elle passe par deux étapes : le charisme et
« l’espace public sociologique ».
L’identité argumentative :
 Le « tournant argumentatif » dans les sciences sociales a mis au centre de
ses analyses un acteur qui donne des raisons à ses pratiques, qui se justifie,
qui argumente.
 Il y a une pluralité de registres de justifications et il faut éviter toute
simplification ; c’est ainsi que les travaux de Sainsaulieu et de Dubar ont tout
intérêt à être prolongés dans cette direction (ex : la culture de métier est
susceptible de justifications différentes).
 La question de l’identité argumentative est évidemment la plus centrale pour
analyser notre rôle d’intervenant ; elle soulève une question essentielle qui
porte sur la science.
 La société contemporaine n’entretient pas avec la science le même rapport
que la modernité qui y voyait un garant métasocial.
 C’est la notion même d’espace du tiers qui doit être repensée dans ses
rapports avec la science.
La véracité : la légitimation de la contingence :
 La théorie de la véracité s’inscrit dans cette nouvelle perspective ; le travail
de la raison n’est plus production d’un principe de rationalité unique
traversant tous les champs sociaux ; les sciences sociales d’aujourd’hui sont
devenues des sciences de la contingence.
 La question de la légitimation scientifique d’un ordre contingent se pose dans
des termes nouveaux : l’invocation de la science par les acteurs n’est plus
celle d’un principe d’intégration unique, transcendant les intentions des
acteurs.
 L’accord de véracité conclu entre le tiers et les acteurs professionnels fera
sens parce qu’il prend appui sur le projet culturel de départ des
professionnels qui n’est pas nié au nom d’une vérité scientifique supérieure
disqualifiant les acteurs et leurs illusions.
 L’intervenant, dans un tel contexte, agit à deux niveaux :
1) La plausibilité stratégique : la croyance en un système stratégique : Cela
revient à faire découvrir aux acteurs qu’ils sont pris dans une régulation
d’ensemble et que leurs comportements sont en équilibre avec ceux des
autres. L’intervenant offre une double croyance scientifique aux acteurs
38
professionnels qui l’on appelé : l’interprétation de leurs comportements
comme des stratégies à la rationalité limitée ainsi que la perception de leur
interdépendance. La plausibilité est bien une évocation de légitimité : le
recours à une analyse stratégique repose sur une conception culturelle de
l’acteur.
2) La
vraisemblance
identitaire :
l’inscription
dans
le
corpus
sociologique :L’intervenant qui légitime une communauté de projet prend
parti sur le contenu des choix culturels posés par les acteurs et surtout sur
les justifications qu’ils en donnent ; il propose un sens et il faut y voir une
offre de légitimation de la contingence de l’expérience identitaire des
acteurs.
Une rationalité axiologique limitée :
 Le sens vraisemblable offert par l’intervenant aux acteurs prend appui sur un
corpus scientifique qui est fragmenté (plusieurs partitions de vraisemblance
sont jouables).
 Le pacte de vraisemblance que conclueront les acteurs a lui aussi un caractère
de contingence qui tient autant à la position sociale des professionnels qu’à
celle de l’intervenant.
 Le tiers n’est pas un réceptacle passif, il met en jeu sa propre identité
professionnelle.
 Le tiers fait partie d’une communauté de projet élargie ; il y est également
acteur.
 Tous ces éléments - science fragmentée, recherche identitaire du tiers –
conduisent à préciser le quatrième type d’action de Weber : l’action
rationnelle en valeur.
 La production de vraisemblance sur l’espace du tiers suppose le concept d’une
rationalité axiologique limitée.
L’identité maussienne : le réengagement critique du projet :
 Elle renvoie à une communauté inscrite dans la durée et, à l’égard des acteurs
présents, elle est réengagement des éléments de socialisation acquis
antérieurement dans d’autres communautés.
 Nous devons préciser deux points :
1) Les choix valoriels ne viennent pas du néant ; ce sont des éléments de
socialisations antérieures qui sont perçus de manière nouvelle et réarrangés
en une formule symbolique nouvelle pour affronter les défis de la situation
présente. Cette réponse créatrice est un projet, c’est-à-dire cristallisation
d’éléments identitaires appris hier et remobilisés aujourd’hui ; en ce sens,
l’acteur est un continuateur des communautés antérieures auxquelles il a
appartenu : il revendique que les modes de sociabilité qu’il a appris peuvent
comporter des possibilités de solution pour la situation présente.
39
2) Le projet est le réengagement d’une ancienne dette (c’est-à-dire conclue
antérieurement avec des partenaires de sa socialisation), lequel constitue
une nouvelle communauté de projet avec les acteurs présents.
 L’analyse doit élucider ce travail de réappropriation de l’acteur à l’égard de
ses cultures antérieures et notament la dimension critique qu’il comporte.
L’identité narrative :
 Nous nous limiterons à un aspect particulier qui rappelle les analyses
d’Arendt à propos de l’espace public athénien : celui d’une confrontation de
son action avec celle de personnage mythiques.
 L’identité narrative dont parle Ricoeur (1991) est l’établissement de liens
entre son action et certains grands récits fondateurs de la communauté des
acteurs.
 L’espace public arenthien est le lieu d’une identification à des héros.
 La légitimité que les acteurs construisent autour de leur action est aussi celle
de l’histoire qu’ils se racontent sur eux-mêmes en confrontation avec ce
niveau sous-jacent de la science qui est celui des personnages mythiques.
L’identité narrative et les autres scènes :
 Dans notre vision des choses, l’identité narrative n’est pas nécessairement
tournée vers le passé ; l’identification aux héros renvoie pas
automatiquement à l’histoire ancienne ou à l’intégration communautaire ; les
grands héros sont aussi porteurs de projets à construire.
 L’identité narrative est un travail de reconstruction de sa trajectoire, mené
avec le tiers, et qui épaule l’identité maussienne comme l’identité
argumentative.
Rapprochements théoriques :
 Les deux modalités centrales de l’identité (argumentative et maussienne)
sont à rapprocher des deux voies ouvertes par Sainsaulieu et Dubar: d'un
côté la production des valeurs locales liées aux relations de pouvoir et de
l’autre le pôle cognitif des savoirs.
 Malgré les recoupements, il y a des différences entre l’identité maussienne
et les analyses de Sainsaulieu ; si le point de départ est le même (la force
créatrice des valeurs locales), le concept d’identité maussienne y ajoute une
notion supplémentaire : le cadre social de reconnaissance, sous-jacent à cette
production.
 Il comporte la dimension diachronique des appartenances communautaires
successives que Sainsaulieu ne prend pas en compte.
 C’est ici que nous situons l’axe de la trajectoire dégagée par Dubar.
40
« Vendôme » ou l’égalité impossible :
En 1964, le Pr Servier, chef du service de médecine interne de Vendôme,
envoie Léon Rousseau, jeune assistant chef de clinique, se former aux E-U
pour y apprendre les techniques nouvelles d’épuration extra-rénale. Le
professeur Servier, s’il veut garder sa position dominante dans la médecine
parisienne, se doit de posséder une telle unité.
 Il était prévu que Rousseau crée l’unité avec une infirmière et recrute
progressivement ses premiers malades ; mais Rousseau a d’autres idée qui
trouvent un écho chez quatre assistants de la même génération.
 Ils ont le projet d’une médecine différente ; cette différence s’articule sur
5 axes majeurs :
1) Médecine d’équipe : ils brisent la tradition médicale française ; ce n’est
d’ailleurs pas le professeur qui constitue l’équipe, ce sont les assistants qui
décident de s’associer.
2) Recherche scientifique : ils veulent une médecine « très scientifique »,
c’est-à-dire appuyée sur les techniques les plus modernes de diagnostic et
sur des appareillages sophistiqués.
3) Collégialité avec l’infirmière : Elle a fait un an de formation à la dialyse, il
veut discuter des cas avec elle.
4) Participation d’un malade-sujet : Il pense qu’une sélection de personnalités
fortes et stables, sur base de critères psychologiques, pourrait donner de
meilleurs résultats.
5) Vérité et psychothérapie : Ils décident d’informer le malade sur sa
condition de chronique définitif avant l’entrée dans l’unité ; ils font de plus
appel à un psychiatre extérieur, le Dr Olivier, pour qu’il leur donne des
conseils d’admission au programme de dialyse et pour soutenir
psychologiquement les malades durant le traitement.

Les angoisses de la dialyse quotidienne :
 Ce programme volontariste rencontre immédiatement « le choc des faits ».
 Les épurations se déroulent dans une atmosphère « tendue et dramatique ».
 En 1967, la dialyse est dangereuse ; ce sera bien différent en 1969 avec les
nouvelles machines.
 A Vendôme, le premier mot d’ordre est : stérilité ; on redouble de
précautions.
 Toute l’épuration se déroule dans un climat d’aseptie poussée.
41
La binéphrectomie :
 Autre source de difficultés, les réactions psychologiques du malade lorsqu’on
lui annonce sa condition définitive de dialysé ou la nécessité de le
binéphrectomiser.
« La forteresse des incapables » :
 Les relations sont tendues avec leurs confrères : ils ne disent rien sur leurs
dialyses (les autres ne savent pas se qu’ils font => ils ont des airs de
conspirateurs), ce sont de jeunes assistants, mais ils prennent les lits dont ils
ont besoin, ils gardent les crédits pour eux seuls, …
 Ils donnent l’impression d’être un état dans l’état.
 Un jour le Professeur leur rapporte les propos d’un agrégé qui les a désignés
sous l’expression : « La forteresse des incapables ».
La psychothérapie avec Treville : de la structure bicéphale à la
spécialisation des compétences :
 En septembre 1967, c’est l’explosion, le conflit est ouvert => Ils décident
d’aller consulter un psychanalyste pour mieux comprendre les réactions des
malades ; ils perçoivent confusément que la situation n’est pas aussi idyllique
qu’ils ont voulu le croire jusqu’à présent et que les malades ne vont pas si bien
que cela.
 La machine ou le traitement de dialyse ne sont pas seuls responsables de tous
les effets secondaires que manifestent les malades ; les comportements de
l’équipe soignante doivent être considérés dans une nouvelle perspective.
 Rousseau, Bloch et Simon sont conscient que la discussion ne portera pas
seulement sur les réactions des malades, mais aussi sur les réactions entre
les médecins et l’infirmière.
 Ils iront, tous les samedis matins du premier semestre 1968, chez le Pr
Tréville à l’hôpital A.
 Ils découvriront que par-delà leur discours égalitaire, ils ont subtilement
rehiérarchisé les relations dans l’unité :
 Un pouvoir fort s’est installé aux commandes avec Rousseau et Rodier, les
autres médecins se trouvant en position dominée (c’est Rousseau qui prend
les décisions, qui choisit les malades, qui réussit les piqûres ; c’est Rodier
que Bloch et Simon consultent pour être certains d’avoir bien « remonté »
les machines).
 C’est la structure bicéphale de la première année (1967).
 Ils vont se spécialiser dans des secteurs différents ; la structure bicéphale
est abandonnée pour de nouvelles règles du jeu axées sur une spécialisation
des médecins ; les rivalités vont s’estomper, mais ils décideront surtout de se
42

superviser réciproquement : la répartition des compétences n’entraînera pas
des spécialisations cloisonnées.
Mlle Rodier décidera de quitter l’unité.
 Les malades iront mieux : leurs comportements de régression s’atténuent.
 Ils se plaignent moins et vivent des situations moins dramatiques.
 Ce sera la période heureuse.
La première négociation valorielle : la figure « siamoise » et l’échec de la
reconnaissance (1967) :
Un préalable : le concept de figure identitaire :
 Deux intentions nous conduisent à proposer ce concept :
1) Saisir l’évolution d’un groupe à travers ses négociations successives.
2) Appréhender la dimension culturelle des objectifs organisationnels et du
style d’interaction de ce groupe.
Pour une approche processuel d’un groupe concret :
 Une figure identitaire est une combinaison d’éléments centraux et
secondaires.
 D’un côté, il y a une dominante de traits constitutifs (et les typologies de
Sainsaulieu et Dubar peuvent nous aider à cette première élucidation).
 De l’autre, il y a des traits secondaires venant d’autres modalités identitaires
de la typologie et qui viennent se greffer sur ce noyau central.
 En outre, une analyse diachronique fait apparaître les évolutions que connaît
l’identité : avec le temps, elle abandonne certains traits pour d’autres.
La figure identitaire : des règles du jeu culturalisées et des objectifs :
 La figure articule deux niveaux conceptuels :
1) Le système des moyens : c’est sur ces moyens que ce centre l’analyse
identitaire de Sainsaulieu ; et elle se donne les règles du jeu culturalisées
comme objet d’étude.
2) Les objectifs des acteurs : deux remarques :
- ce ne sont pas des objectifs transversaux à la situation concrète que
l’acteur aurait construit avant l’action ; les objectifs sont issus de
l’action.
- Ces objectifs ne sont pas que stratégiques ; ils sont liés à la fois aux
stratégies et à la communauté de projet que créent les acteurs (=>
nous retrouvons l’hypothèse de « mixte stratégico-identitaire »).
Les deux cultures professionnelles de Vendôme :
43
Style d’interaction
Orientation
Une culture de la collégialité (identité
affinitaire)
- Avec des traits fusionnels
(1967)
- Avec des traits négociatoires
(1968)
Une culture de la difficulté
(ou une culture d’excellence)
L’invention d’une culture affinitaire à Vendôme :
 Parler d’identité affinitaire de réseau à Vendôme s’impose avec évidence ; on
retrouve des traits marquant de cette culture à plusieurs niveaux :
- Le style d’interaction que les médecins ont adopté : la collégialité.
- Le fait qu’ils se constituent eux-mêmes en collectif de travail alors
qu’ils appartiennent à des services différents.
- Le fait qu’ils traversent les frontières organisationnelles pour recruter
des partenaires à l’extérieur.
- Le mouvement affinitaire qui apparaît dans leur relation aux malades ;
ils noueront des rapports très privilégiés avec eux au point où l’on
pourra parler d’amitié.
La culture de la difficulté :
 La culture de la difficulté renvoie à leur orientation : c’est le côté
pragmatique de leur projet ; ils se veulent brillant ; ils déclarent eux-mêmes
rechercher la difficulté.
 C’est une espèce de culture de l’excellence.
 Ce modèle identitaire majeur prendra des caractéristiques différentes à
travers le temps ; la première année, les médecins adoptent des traits
fusionnels ; l’année suivante, des traits plus négociatoires.
 Nous insistons sur l’idée qu’à travers ces deux années, ils sont
essentiellement restés affinitaires.
La figure fusionnelle de 1967 : Les « Siamois » :
 La première négociation valorielle prend place dans un contexte très
spécifique : l’effervescence charismatique ; la culture affinitaire donne
naissance à une figure fusionnelle : c’est la période « siamoise ».
La pertinence d’une analyse stratégique :
44

Avant de se livrer à une analyse identitaire, il faut découvrir la part
d’explication d’une analyse stratégique et ce aux deux niveaux du service et
de l’unité.
Les médecins face aux collègues : autonomie et charisme :
 Chargé de créer une unité de dialyse, Rousseau innove ; il associe quatre
autres médecins de l’hôpital à son projet et à cinq, ils se donnent une grande
autonomie de travail ; l’unité sera un territoire à part dans lequel ils
prendront seul les décisions.
 Une telle stratégie d’autonomie s’explique par le contrôle des zones
d’incertitudes (après la réforme du CHU de 1958).
 En conclusion, nous découvrons le lien qui apparaît entre leur stratégie
d’autonomie et le contrôle des grandes zones d’incertitude :
- Développement de la recherche clinique
- Rattrapage du retard du service Servier
- Desserrement des pressions mandarinales.
 En 1966, les règles du jeux ouvrent des opportunités nouvelles pour ceux qui
savent les saisir : il y a une occasion et six larrons s’engouffrent dans la
brèche.
 Cette stratégie d’autonomie prend une coloration charismatique quelques
mois après le démarrage ; cette stratégie charismatique est bien visible :
- Le bicéphalisme qui consacre Rousseau le « fabuleux piqueur », ainsi
que Rodier, l’infirmière irremplaçable.
- L’enrôlement des malades qui abandonnent leur statut de patients pour
celui de fidèles (ex : lors du rituel de la piqûre, ils consacre ledit
« fabuleux piqueur » et entrent dans une communauté charismatique
qui rassemble tous les membres de l’unité.
- Le fossé se creuse entre les cinq néphrologues et les autres médecins
du service. => « forteresse des incapables ».
 La conduite charismatique est une réponse stratégique à une situation
spécifique : lorsque les défis s’amplifient et que l’incertitude croît, les
réponses s’orientent vers le raffermissement des principes utopiques de
départ et le renforcement des relations.
 Enfin, la position exceptionnelle qu’occupent Rousseau et Rodier s’explique
aussi par le contrôle de zones d’incertitude, qu’il s’agisse de leur expertise
technique ou de la relation privilégiée qui lie Rousseau et Rogier.
Les médecins face à la stratégie de régression des malades :
 La relation thérapeutique qui lie le médecin aux malades repose sur un
échange stratégique : face à une stratégie médicale d’omniemprise, de prise
45
de contrôle de tous les évènements de la situation, les malades adoptent une
stratégie de régression.
 Ils renvoient une image de médecin peu compétent en multipliant les
comportements d’échec qu’ils infligent aux médecins.
L’analyse stratégique des objectifs organisationnels :
 Pour conclure, l’analyse stratégique éclaire bien l’évolution des objectifs
organisationnels.
 L’objectif général de départ s’est redéfini.
 A l’origine les médecins nourrissent une perspective très générale : la
réhabilitation totale du malade grâce à une médecine d’équipe.
 Les règles du jeu bicéphale qui sont apparues dans l’unité sous la pression des
collègues et de l’anxiété de la tâche ont réorienté les buts ; ils y en a deux qui
émergent :
1) Le premier d’entre eux sera de faire un « bon groupe » et de développer des
relations très intenses.
 Leur culture affinitaire va s’approfondir.
 Comme l’indique la théorie des organisations, le moyen (la culture affinitaire)
devient un objectif.
2) Un autre objectif organisationnel qui émerge des règles du jeu bicéphale est
le choix de l’abord artério-veineux.
 La décision de recourir peut se comprendre à la fois comme une stratégie de
différenciation de Vendôme et, à la fois, comme offrant une position
prépondérante à Rousseau (=> C’est une solution aux conflits de pouvoir entre
médecins).
L’analyse identitaire de la figure siamoise :
 Les médecins créent une communauté de projet dont l’élément principal
devient la force de leurs relations.
 En second lieu, ils développent une culture de la difficulté et multiplient
volontairement les défis à relever.
 L’analyse doit relever qu’ils créent en partie la situation qu’ils vont devoir
affronter : ce sont des zones d’incertitudes culturelles.
 La culture d’autonomie se double d’une « culture de sauveurs » : ils veulent
sauver le service, ils veulent sauver les malades.
La cristallisation identitaire :
 Cette communauté fusionnelle émerge progressivement.
 C’est dans l’action, au fur et à mesure que les problèmes se posent et que les
décisions se prennent, que le projet se construit.
46
 Les éléments identitaires qu’ils vont mobiliser dans leur passé sont le fruit
d’une réappropriation progressive.
Figure fusionnelle et charisme : la pluralité des instants décisionnistes :
 La stratégie charismatique se révèle être aussi une communauté de projet
charismatique au sens fort du terme.
 Une communauté fusionnelle lie tous les acteurs ; l’entrée des malades dans la
communauté est le trait le plus significatif de la nouvelle orientation : ils ne
sont plus des clients, ils sont des fidèles du « fabuleux piqueur ».
 Le charisme ne surgit pas d’un seul coup, programme complet et structuré :
Le charisme se construit au fur et à mesure que les évènements se
produisent.
L’issue du décisionnisme charismatique :
 La négociation en situation d’effervescence charismatique est spécifique :
elle ne peut déboucher que sur une seconde négociation ou sur un éclatement
du groupe.
La seconde négociation valorielle : la supervision réciproque (1968) :
Une nouvelle figure, de nouveaux savoirs et de nouvelles valeurs :





Durant l’été 1968, ils se donnent une nouvelle figure identitaire : la culture
affinitaire prend une nouvelle forme, celle de la collégialité, de la supervision
réciproque
Il y a de nouvelles règles du jeu, une nouvelle division des tâches fondée sur
la spécialisation.
Il déciderons de se passer des services du Docteur Olivier ; ils assumeront
eux-mêmes le rôle d’accompagnement psychologique de leurs malades.
Ils abandonnent aussi le principe d’une sélection psychologique.
Cette nouvelle figure identitaire peut se lire à l’intérieur du cadre théorique
de Dubar et Sainsaulieu ; sur l’espace du tiers émergent un nouveau savoir et
de nouvelles valeurs.
Un nouveau savoir : une compétence psychothérapique nouvelle (Dubar) :
 C’est l’acquisition des concepts clés de la psychanalyse qui sera
déterminante : les médecins abandonnent un savoir intuitif et lui substituent
une grille f’analyse d’inspiration analytique.
 Ils inventent un nouveau rôle : ils seront des néphrologues
psychothérapeutes.
 Un nouveau savoir apparaît avec cette dimension psychothérapique nouvelle :
un savoir proche du savoir d’organisation.
47
Les valeurs relationnelles (Sainsaulieu) :
 Déplacement de la figure fusionnelle vers une figure négociatoire.
 Les éléments strictement affinitaires associés à la figure fusionnelle
reculent au profit de la valeur de métier.
 La figure de supervision consacre une prééminence du métier sur le
relationnel.
Figure identitaire
Figure fusionnelle (1967)
Valeurs (Sainsaulieu)
Valorisation des relations > Valeur de métier
(inspiré)
Figure de supervision réciproque Valorisation des relations < Valeurs de métier
(1968)
(spécialisé)
L’identité argumentative :
L’identité argumentative et la plausibilité stratégique :
La preuve du système :
 Les médecins avaient leurs clés psychanalytiques du déroulement des
évènements : projections, rivalité avec le père (professeur), angoisse de
castration et sentiment d’impuissance, régression fœtale des malades.
 Comme sociologue, nous avons suggéré une double interprétation systémique.
Nous avons d’abord fait la preuve de l’existence d’un système au niveau de
l’unité : un système « totalitaire » goffmanien.
 La preuve de ce système thérapeutique, nous l’avons d’abord et avant tout
établis avec des faits « surprenants » pour les médecins.
 Mais ce système thérapeutique s’inscrit dans un autre : les relations entre
les médecins du service.
 L’élément clé à Vendôme, c’est la très grande autonomie que leur a accordée
le professeur Servier.
 Le lien systémique entre leur programme charismatique et le style de
leadership professoral a été une révélation pour les cinq médecins.
 Ils ont découvert que les deux autres unités, hiérarchiques et verticales,
faisait l’objet d’un contrôle assez étroit du chef de service.
 C’est parce que Sevier est « libéral » qu’ils se retrouvent tous autonomes et
se sentent porteurs d’une lourde responsabilité.
 De là leur dramatisation de la situation et les stratégies de régression des
malades.
 Ils apprennent que la voie du changement dans l’unité passe par une
réévaluation de leurs relations avec Servier.
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L’identité argumentative et la vraisemblance identitaire :
La légitimation de la culture de collégialité : la « cité » du pouvoir limité :
 Ils veulent des patients autonomes.
 Lorsque nous discutons nos hypothèses avec les médecins, le principe de la
séparation des pouvoirs est invoqué comme fondement normatif de la nouvelle
identité de supervision.
 Il faudra construire ici une nouvelle cité, celle de la souveraineté, c’est-àdire du pouvoir limité.
Un exemple de négociation valorielle : la psychothérapie :
 La confrontation avec la science n’est pas une soumission à l’application
automatique de principes critiques transcendants comme on avait pu le croire
autrefois.
 Il s’agit d’une invention effectuée avec le tiers, invention ayant un caractère
de contingence.
 Il s’agit d’une invention parce que la situation à réguler est nouvelle.
 La relation thérapeutique dans les unités de dialyse pose des problèmes tout
à fait nouveaux.
 Pour cet accompagnement psychologique, deux formules sont envisageables :
1) Le recours à un psychiatre extérieur (c’est le choix des unités dites
hiérarchiques ou verticales) : à première vue cette solution respecte le
principe de la « cité de Montesquieu » : l’autorité professionnelle est limitée
puisqu’il y a séparation des compétences néphrologiques et psychiatriques.
2) La prise en charge par les néphrologues eux-mêmes : c’est le choix de
Vendôme : c’est le dialyseur lui-même qui doit assumer les critiques et
reproches que lui adressent les malades rénaux, il ne peut se défausser sur
un psychiatre extérieur, attitude qui serait une fuit, source de régression du
malade.
 comment marier ces deux exigences ?
 La solution inventée à Vendôme sera la création d’un dispositif
d’accompagnement des médecins : la supervision réciproque qui sera le
garde fou pour assurer le contrôle des débordements du pouvoir.
L’argumentation de la culture de la difficulté : la sociologie du charisme :
 Leur repli sur la forteresse des incapables et leur identité fusionnelle de
1967 : le sociologue n’y voit pas des comportements aberrants ou des
déviations de leurs idéaux originaires.
 Il les interprète comme des pratiques charismatiques et les concepts
sociologiques viennent légitimer leur action : ils sont des réformateurs
participant au changement à la française (Crozier).
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L’identité narrative :
L’identité narrative : la tradition charismatique du service Servier :
 Celui que l’on considérait comme l’héritier spirituel du professeur Debré se
trouvait alors agrégé chez Servier ! Et le prestigieux chef de service qui
avait précédé et consacré Servier comme son successeur était le petit-fils
de Pasteur ! Sevier était lui-même reconnu comme un grand clinicien, doté
d’un talent exceptionnel.
 Tous cela tissait la continuité d’une tradition charismatique qui rattachait
l’équipe de néphrologie à ses brillant prédécesseurs.
 Peut-on exclure l’idée que notre travail de recherche était également une
offre de figures prestigieuses auxquelles les cinq médecins pouvaient
s’identifier et la possibilité de récompenser, sur un mode sociologique, leur
identité narrative, jusqu’ici fortement structurée par la psychanalyse ?
L’identité narrative : la saga de l’ouvrier d’entretien et la nouvelle
collégialité :
 La culture de la collégialité et la grande proximité qu’ils témoignent à l’égard
de leurs malades sont sources de déception : le malade n’adhère pas à leurs
objectifs, il régresse, il multiplie les comportements d’échec du médecin.
 S’étonnera-t-on que notre thèse portait comme titre : « Le pouvoir du
malade » ? La révolte du malade ne devient-elle pas légitime, après la
résistance de l’ouvrier d’entretien ou la distance de rôle du reclus et ne
justifie-t-elle pas un abandon de la collégialité « siamoise » ?
L’identité Maussienne :
Il s’agit d’une négociation valorielle d’un autre type. L’engagement critique
que les médecins ont pris à l’égard des malades (et également de Servier) a
aboutit à un échec de leur volonté de reconnaissance : les malades ne vont
pas bien et leurs confrères les considèrent comme des incapables.
 C’est à travers un discours argumenté sur la limitation du pouvoir qu’ils vont
rationaliser leur engagement maussien à l’égard des malades. Mais au
préalable, il faut bien comprendre la nature de leur engagement de départ.

Bref retour en arrière : l’engagement de 1966 :
 Il ne faut pas partir d’une valeur originaire, source de tous leurs
comportements, mais des possibilités culturelles offertes par le système
d’action concret. Deux pistes doivent être dégagées :
50
1) Ils ont choisi de travailler à Vendôme : il faut y voir un engagement à
travailler dans l’esprit du service, suivant certaines voies, peu précises
encore, mais non totalement indéfinies. Il connaissent Servier, il a la
réputation d’être un patron « libéral », il est membre de l’establishment mais
il y occupe une place spéciale : il est un peu le marginal de l’élite.
2) Simultanément, cet engagement à l’égard de Servier est critique à l’égard du
service ; « c’est de la médecine de 1940 ».
 La participation du malade est la clé du succès et pousser à la participation du
malade, c’est renouer avec une attitude égalitaire à l’égard du colonisé
(position lors de la guerre d’Algérie) ou du prolétaire (voyage en URSS).
 Mais créer une relation thérapeutique participative, ce n’est pas être
simplement déterminé par un passé ; c’est s’engager à l’égard des malades
présents ; c’est réactualiser une héritage dans le cadre des relations
présentes du système d’action concret.
 Cette mobilisation n’est possible qu’à Vendôme, parce que Servier est là :
c’est aussi à son égard qu’ils engagent leurs traits de socialisations antérieurs
en un projet qui est une autre manière de perpétuer son style « libéral » et un
peu marginal.
Le don refusé et le réengagement de 1968 :
 Autre facette de l’hypothèse maussienne : ils estimaient avoir échouer en
1967, mais aux yeux de leurs confrères ils avaient réussi => Ils auraient pu se
séparer, mais ils ne le feront pas.
 Ce qui nous paraît déterminant dans cette attitude, c’est la volonté de rester
ensemble par-delà leur échec, ou mieux, à cause de leur échec.
 Ils doivent redéfinir le projet pour rester fidèles à un passé qu’ils
réinterprèteront.
 Nous faisons l’hypothèse qu’au cœur de la relance de la dynamique identitaire,
se trouve le don refusé
 Dans l’hypothèse de la triple obligation de Marcel Mauss (Donner, Recevoir et
Rendre), on peut analyser la toute nouvelle relation thérapeutique de 1966
comme un don : ils offrent au malade la survie, la psychothérapie et la
réhabilitation professionnelle et sexuelle. Ils se donnent eux-mêmes comme
médecins proches et amis.
 Mais en 1968, ils font une découverte capitale ; ils ne sauvent pas le malade.
 Ce dernier refuse le don d’une telle relation thérapeutique qui n’est pas
source d’une liberté plus grande face à la maladie.
 Tout don n’est pas automatiquement reçu.
Une réconciliation partielle et limitée :
 L’identité maussienne fera l’objet d’une réévaluation.
51
En 1966 ils étaient portés par l’utopie d’une réconciliation totale : ils rêvaient
de sauver le service Servier, de combler le fossé entre les médecins et les
malades grâce à un nouveau style thérapeutique rejetant la distanciation et
créant des rapports de grande proximité, voire d’amitié.
 En 1968, les dialyseurs découvrent qu’il n’y a pas de réconciliation absolue,
que l’utopie collégiale et participationniste a ses limites : le malade ne sera
pas éternellement reconnaissant au médecin de lui avoir sauvé la vie et les
infirmières resteront à l’écart des risques de la participation.
 1968 est l’invention d’une solution nouvelle ; la réconciliation est possible, mais
elle sera partielle et limitée : elle sera fondée sur l’autonomie des acteurs et
la diversité de leurs objectifs propres.
 Le consensus total est impossible : un différent persistera toujours.

La négociation des valeurs et les cadres de rationalité :









Il faut être ici plus précis : nous pouvons vraiment parler de négociation
valorielle au sens strict du terme parce que des valeurs concrètes et locales
sont remodelées.
Cette action sur les valeurs est possible parce que les médecins établissent
un lien entre celles-ci et les pratiques réelles qui les génèrent.
C’est cela qui caractérise la négociation valorielle : elle ne concerne pas que
des discours et des volontés complètement détachées de leur insertion
sociale.
Elle prend en compte les pratiques réelles qui sont à la fois règles du jeu et
projet
La confrontation des valeurs locales aux pratiques s’inscrit dans un cadre de
rationalité qui a un double volet : la plausibilité et la vraisemblance.
Cette notion de cadre de rationalité suggère une hypothèse implicite : il y a
une part de rationalité dans les valeurs ; il vaudrait mieux dire : une part de
rationalisation qui révèlent les compétences argumentaires des acteurs.
Les valeurs ne sont pas rationnelles en soi : c’est un travail de rationalisation
qui prend appui sur la adynamique identitaire mêlée aux jeux stratégiques.
Les cadres de rationalité doivent être compris comme des cadres toujours
partiels, toujours révocables : ils se font et se défont.
Les rapports e forces et la violence coexistent avec les arguments culturels :
les médecins de Vendôme ont réussi, non seulement parce qu’ils étaient des
prophètes armés (Machiavel), serviteurs subtils de l’éthique de puissance,
mais aussi parce que l’invocation de légitimité est une ressource puissante
dans une société démocratique.
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Les médecins découvrent une séquence stratégique plausible : autonomie
octroyée par le professeur, suscitant une « omni-emprise » médicale, suivie
elle-même d’une régression ainsi qu’une distance de rôle des malades.
 Mais cette séquence stratégique illustre l’échec de la reconnaissance : la
régression des malades ou la critique « d’incapacité » de leurs confrères en
témoignent.
 C’est ici que les principes de la « cité de Montesquieu » sont invoqué pour
remodeler les valeurs de collégialité, de psychothérapie et de salut et donner
un sens vraisemblable à l’expérience de Vendôme.
 Notre hypothèse est que l’invocation de la « cité des pouvoirs limités » se
fonde sur la dimension maussienne de la communauté de projet : celle-ci vient
interroger les pratiques et contester les relations de pouvoir autant que
l’intégration communautaire.

Un exemple : recherche scientifique et supervision réciproque :
 La recherche scientifique est bien un enjeu global qui traverse tous les
champs.
 Elle témoigne de la pluralité des ordres : la recherche ce n’est pas de la
clinique.
 Elle révèle également les luttes stratégiques pour la prééminence entre
Rousseau et Simon.
 Elle interpelle les principes identitaires les plus cruciaux de l’unité : la
décision de Servier d’admettre M.Falisse a été une violation du principe de
collégialité ; l’idée de ne sélectionner que de « bons malades » a également
été ignorée : le médecin intéressé par l’acquisition de matériel de recherche a
fait pression.
 La régression de M.Falisse s’inscrit aussi, latéralement, dans cette politique
de recherche : il deviendra très vite le mauvais bébé vomissant et déféquant
pendant les séances de dialyse. Il sera une source tension supplémentaire
entre Rousseau et Simon.
Trois remarques finales :
1) Les règles du jeu de l’espace du tiers :
 L’espace du tiers n’est pas que communauté de projet, il est aussi système
d’action concret avec ses stratégies et alliances.
 L’agir communicationnel n’est pas séparable d’un agir stratégique.
2) Une explication stratégique moins prégnante :
 Nous venons de développer une argumentation identitaire pour rendre
compte des évènements de 1968 : la négociation valorielle nous paraît être le
phénomène central qui permettra les évènements ultérieurs.
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 De nouveaux jeux et de nouvelles possibilités stratégiques découleront de
cette redéfinition des valeurs.
 Mais cela ne signifie pas l’exclusion de toute explication stratégique.
 Si les stratégies n’expliquent qu’en partie les nouveaux processus, leur
présence, même secondaire, doit être relevée.
 Le desserrement des règles du jeu :
 On ne peut ignorer la part de vérité contenue dans l’analyse stratégique.
 Avec l’évolution favorable des dialyses, Vendôme vit un desserrement de la
pression des règles du jeu qui avait conduit au fonctionnement bicephale
avec Rousseau et Rodier.
3) Une stratégie d’espace public :
 Le choix d’une démarche d’espace public n’est-il pas également stratégique ?
 Une première intention stratégique doit être signalée : les médecins doivent
sortir de l’enclave.
 Il faut ouvrir la forteresse des incapables et retrouver les collègues du
service avec lesquels ils étaient en conflit.
 Il faut renouer avec l’administration hospitalière qui avait accordé une
autonomie à Mlle Rodier.
 La stratégie d’espace public est ainsi une solution à ces problèmes, car le
replis sur une citadelle était bien une stratégie de suspension provisoire des
rapports avec le service et l’hôpital.
 De ce point de vue, l’espace public est une stratégie de rentrée sur les
autres scènes.
+ Toute la conclusion générale (pages 325 et 326)
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